Affichette du front de gauche Janvier 2012
Société

2012 : Année du papier

Campagne des réseaux sociaux ! Génération Y à conquérir ! Election 3.0 ! Nadine Morano accro à Twitter ! Quelle mouche a donc piqué Jean-Luc Mélenchon pour qu’il décide de faire publier son programme aux éditions Librio ?

Oui, vous avez bien lu, le programme du Front de Gauche est disponible en librairie, imprimé sur de vraies feuilles, par de vraies imprimantes industrielles avec en prime une mignonne couverture en papier glacé toute pleine de rouge. Une erreur sûrement ! Même pas. Il s’en est déjà vendu 320 000 exemplaires. De quoi faire au moins sourciller le plus convaincu des technologistes, qui doit d’ailleurs commencer à voir apparaître quelques rides sur son front. L’engouement pour l’Indignez-vous de Stéphane Hessel, ses multiples traductions, son influence sur les manifestants de la Puerta del Sol ou de la City avaient dû en effet lui faire passer déjà quelques nuits difficiles.

Simple nostalgie révolutionnaire se rassure-t-il peut-être. L’imprimé a été le médium privilégié du socialisme du dix-neuvième siècle, une des conditions nécessaires à son développement. Ainsi, à ses arrières petits-enfants qui de nouveau se lèvent, le papier fournirait le sentiment d’une légitimité innée et un peu de l’aura des glorieux anciens. Il y a probablement de cela mais, cette explication suffit-elle ?

Probablement pas. Ce qui se joue ici, c’est sûrement autre chose aussi. Afin de l’apercevoir, intéressons-nous un peu à l’écrit d’écran, c’est-à-dire à la forme sous laquelle apparaît l’écrit en tant que signes et textes sur les écrans de nos ordinateurs. Sur ces supports nouveaux, l’écriture, si elle ne perd son intemporel aspect d’image, la retrouve sur un mode intangible. Elle n’est plus à portée de main mais à portée de clic, insaisissable et disparue une fois la lecture terminée. Ainsi du programme du Parti Socialiste, où dans sa rubrique du site internet les thématiques se chassent sans cesse et successivement l’une l’autre dans un bandeau vertical.

Mais, qu’importe peut-être tant que le récepteur-électeur a reçu tous les messages qu’on voulait lui destiner ? C’est un peu court. C’est surtout oublier l’importance de la matérialité du texte, de sa géographie notamment, atomisée et fugace ici. Si l’écrit doit donner à voir le monde, cela passe par sa forme. Si cette forme s’échappe à tout instant alors c’est la représentation d’un réel saisissable qui nous échappe tout bonnement. Le contraire du livre en somme.

De poche ou de collection, il est en effet cet objet qui renferme en lui une représentation tangible et inamovible de ce réel, une représentation stable et rassurante et donc une représentation d’où faire démarrer une action, un engagement. On ne mène pas de bataille sans carte, l’idée semble conserver quelque actualité.

 

Romain Pédron

Source : Emmanuël Souchier, « L’écrit d’écran, pratiques d’écriture et informatique », Communications et langages n° 107 [ www.persee.fr ]

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