Lana Del Rey, ou la disgrâce de la nouvelle reine du net
Lana Del Rey, c’est le dernier phénomène musical américain tout droit venu du net qui s’apprête à prendre ses quartiers d’été dans votre radio, en admettant que vous en ayez encore une. L’héritière des Adèle, Amy, Gaga et autres popstars qu’on monte en épingle, avec toujours la même certitude d’avoir trouvé LA perle, l’Artiste qui révolutionnera le genre, c’est elle, et beaucoup promettent monts et merveilles à cette starlette aux allures hollywoodiennes. Du moins, c’était encore le cas ces dernières semaines…
Dans son dernier clip, « Born to die », la chanteuse à mi-chemin entre la madone remasterisée version 2012 et une Brigitte Bardot des 60’s piquée au botox affirme sa facture, style que l’on a pu découvrir cet automne grâce au clip de son single « Video Games » (visionné plus de 15 millions de fois sur Youtube). L’ensemble se veut conceptuel, esthétique et iconographique mais n’échappe pas aux critiques. Depuis quelques jours, Internet est le théâtre d’une cabale contre celle que les internautes s’étaient pourtant choisis comme Madone.
De la chanteuse lambda au produit marketing…
Derrière Lana Del Rey se dessine le spectre d’Elizabeth Grant, une new-yorkaise de 25 ans, qui n’était encore qu’une anonyme à la rentrée. Auteure des opus « Kill Kill » (2009), « Lana Del Ray » (2010), passés plutôt inaperçus, Lana Del Rey n’était encore qu’une artiste banale qui galérait pour se faire connaître. Pourtant la starlette détonne à l’automne avec le désormais célèbre « Video Games ». La clé de ce succès ? Un univers. En effet un triptyque relativement basique peut résumer ce nouveau concept : des lèvres, du vintage, un nom.
Parmi la multitude de prétendantes, la clé de la réussite réside dans une identité forte. Une offre abondante, des jolies filles qui rivalisent de sex-appeal et accessoirement de talent ; dans l’industrie musicale, qui ressemble de plus en plus à un hypermarché, c’est à celui qui offrira les meilleurs attributs. L’enjeu ? Le droit à la tête de gondole. De ce petit jeu, Lana a su tirer son épingle, et illustre cette nouvelle tendance des artistes « marketés ».
Stefani Germanotta alias Lady Gaga est un autre exemple de cette réification en marche des artistes. Après des débuts difficiles, elle connaît le succès dès lors qu’elle endosse le costume de Gaga et embrasse un univers pour le moins atypique.
Dans un registre moins choc, Lana Del Rey opte pour le chic hollywoodien, s’inscrivant en icône glam’ et sensuelle. Son nom n’est en rien laissé au hasard : double référence à l’actrice Lana Turner et à une Chevrolet des années 50, elle devient héroïne d’un autre temps, vintage comme on aime. Son look travaillé -ses lèvres refaites affolent la toile- finit de nous séduire.
Jusqu’ici, c’était donc un sans-faute.
Un concept qui fait « pchiiitt » ?
Mais voilà, depuis quelques jours, fin de l’état de grâce. La blonde vénitienne essuie critiques et railleries, et si l’engouement atteint aujourd’hui les médias papier et radio ; Internet qui avait pourtant permis et accéléré l’avènement de la star réclame aujourd’hui la tête de sa reine.
Lana Del Rey ne serait-elle ni plus ni moins qu’un vulgaire produit marketing ?
La cosmétique de son travail est indéniable, mais peut-on pour autant dire que l’esthétique est son seul atout ? La belle chercherait-elle à masquer ses insuffisances avec fards et vernis ?
Pourtant les louanges pleuvaient : un album salué par la critique, des clips faits par l’artiste elle‑même grâce au logiciel iMovie qui font beaucoup parler, tout semblait rouler pour la belle.
Ajoutons à cela un ultime atout, son statut d’auteur-compositeur, qui donne, comme à Lady Gaga d’ailleurs, crédibilité et légitimité à celle qui semble en manquer au milieu de cette profonde crise de confiance. La cause ? Des prestations live jugées plus que limites par les internautes et particulièrement sa performance au Saturday Night Live considérée comme la pire prestation jamais vue sur le plateau de l’émission. Dur. Pour se défendre, Del Rey avoue à la chaîne musicale Fuse qu’« [elle] pense que les gens qui écoutent [s]a musique depuis quelques temps savent qu'[elle est] plus une auteure, une chanteuse de studio. ». Tout allait bien donc, tant que la chanteuse restait dans l’ombre et se contentait de distiller, entourée d’une aura de mystère, vidéos et compositions. Mystère éclairci par les lumières de la scène, au grand dam de la principale intéressée.
De là, il n’y a qu’un pas pour taxer la jeune femme d’imposture et de n’être qu’un produit marketing façonné par des professionnels de l’industrie musicale sachant quoi vendre, et à qui. Pourtant il n’est pas dit que cette mauvaise presse, encore cantonnée au net, ne plombe vraiment l’envol de la star. La critique contribue à faire parler de Lana Del Rey, et de fait, lui assure une visibilité sur la toile. D’autres avant elle en auront essuyé de plus virulentes, et font néanmoins toujours partie du star system. Lana Del Rey, écran de fumée ou réel phénomène musical ? Le temps nous le dira…
Marie Latirre
Crédits photo : ©Polydor/Universal Music
4 thoughts
Un article pile dans la tendance et qui fait une bonne synthèse, à mon sens, de tout ce que l'on peut lire sur le net en ce moment !
J'aurais cependant quelques points à rajouter/commenter.
En premier lieu, quand tu écris que "De ce petit jeu, Lana a su tirer son épingle, et illustre cette nouvelle tendance des artistes « marketés ».", je ne pense pas que ce soit une tendance si nouvelle que cela. Les Sex Pistols ont été créés pour faire du bruit autour de Vivenne Westwood, The Kills est associé depuis quelques années à Zadig & Voltaire et à mon avis c'est comme ça qu'ils continuent à avoir des fans, etc. Bref, rien de neuf sous le soleil.
A part peut-être le fait qu'on soit moins en présence de cette "authenticité" qu'on connaît chez des artistes ayant vraiment révolutionné un genre : Lady Gaga n'est au fond qu'une copie de Madonna, qui elle a vraiment révolutionné la pop. Mais devenir une icône, est-ce donné à tout le monde ? Ne faut-il pas et du talent, et les moyens de s'exprimer ?
On est ainsi dans une double-tension : d'un côté, le producteur qui soutient un artiste parce qu'il pense qu'il va vendre (bonne voix, bon style, bonne adéquation avec les goûts du public) et de l'autre, un artiste qui a peut-être envie de plus d'originalité mais qui ne sait pas toujours comment faire, est contraint de rentrer dans le moule de sa major pour continuer à travailler …
Et puis, c'est facilement repérable rétrospectivement, une icône. Mais dans la vie, il n'y a pas que Queen, les Beatles, et tous ces champions du disque d'or … chaque époque a une multitude d'artistes dont la postérité ne retiendra que certains noms. Ca ne veut pas dire qu'ils sont moins bons, juste moins connus/appréciés.
En deuxième lieu, une considération très personnelle : pour moi, Lana del Rey est une chanteuse de qualité, critère qui change de l'ambiance morose de l'industrie du disque en ce moment. Niveau musical/paroles, c'est pas méga innovant, mais ça se laisse très bien écouter, et même j'ai 'Video Games' en boucle dans la tête. Par rapport à une Lady Gaga, elle a l'avantage de prendre un créneau plus "branché" et "hype", moins vulgaire et bien plus glamour. Alors oui, ses chansons font penser à un mix de plein d'influences différentes, de toutes les recettes ayant marché ces dix dernières années.
C'est un fruit pas encore mûr peut-être, mais je gage qu'il deviendra rapidement quelque chose d'encore plus délicieux que ce qu'il est aujourd'hui.
Comme tu le dis si bien, le temps (et le deuxième album) nous le dira …
Super article ! Je pense qu'il n'y a rien à redire. Il illustre bien le phénomène d'ascension de la star, qui peut se décomposer en trois facteur : l'icône, la publicité, l'intérêt du public (celui-ci peut très bien se calculer en nombre de vue sur youtube).
@ Mademoiselle Tangerine :
C'est bien ce que vous écrivez.
Mais c'est faux.
1/ C'est une totale incompréhension du système de marketing qui est à l’œuvre avec Lana Del Rey, lorsque vous faites un rapprochement avec les Sex Pistols et The Kills. Les Sex Pistols ont fait de la pub pour Vivienne Westwood et sa boutique "Sex". C'est absolument vrai. Mais il s'agit d'une dynamique de SPONSOR. C'est un contrat, Sex finance le groupe et le groupe porte ses vêtements, permettant ainsi la diffusion de la marque. (C'était d'ailleurs un contrat tacite, les Sex Pistols auraient porté ces vêtements de toute manière). On retrouve cette dynamique de sponsor avec The Kills et Z&V. Avec cette nuance qu'il s'agit davantage d'un sauvetage pour The Kills, d'une goutte d'huile dans la machine pour Z&V. Les deux profitent de la notoriété de l'autre. Notoriété DÉJÀ existante. The Kills et les Sex Pistols sont/étaient dans un système qui est à des années lumières de ce qu'on voit aujourd'hui. Pour Lana Del Rey, il s'agit de CONSTRUIRE cette notoriété. Elle n'est pas encore présente. C'est là que le jeu est nouveau. Il s'agit de FABRIQUER sa célébrité. L'article dit tout du processus d'élaboration de l'icône : le physique sexy, le nom mnémonique, le style complaisant.
2/ La comparaison entre Lady Gaga et Madonna est justifiée, mais il faut "prendre des pincettes" et ne pas les mettre sur le même plan, ce que vous faites. Lady Gaga n'est qu'une reprise PHYSIQUE de Madonna, elle ne reprend que son look. On les assimile ensuite l'une à l'autre en disant qu'elles jouent de leurs charmes et sont provocantes… C'est une assimilation rapide, qui, si on y regarde bien, est fausse. D'abord Lady Gaga est dans la lignée de Madonna, elle hérite de Madonna. Dire qu'elle est la copie de Madonna est aussi naïf que de dire que The Zeroes ou The Dickies sont des copies des Sex Pistols. Ils sont dans la continuation. Ensuite, on utilise l'argument de la provocation pour les rapprocher. Or Madonna saupoudrait sa célébrité de provocation. Cela faisait grand bruit lorsqu'elle mimait une masturbation sur scène. Ce qui n'a rien à voir avec Lady Gaga qui elle, VIT de la provocation. Lorsqu'elle adopte un comportement défiant les bonnes mœurs, tout passe comme une lettre à la poste. Il y a du scandale, mais c'est ce qu'on cherche chez elle. C'est la provocation qui lui donne sa popularité, qui fait son "cachet", sa personnalité. C'est l'essence de son personnage. C'est là que Lady Gaga participe d'un grand changement : la provocation est intégrée à la musique pop. Les clips manquent de tonus s'ils n'ont pas cette composante. Ce que je veux souligner c'est que le concept "d'authenticité" que vous maniez est extrêmement flou. Non pas qu'il soit difficile à comprendre, mais il est inadapté. Lady Gaga a toute son authenticité. Elle n'est pas dans l'ombre de Madonna, elle crée au même titre que Madonna. Enfin, votre plus grand manque de nuance apparaît lorsque vous parlez de la révolution de la pop engendrée par Madonna… D'abord Madonna a ouvert une voie parmi d'autre, cela ne justifie pas que l'on parle d'une révolution. Ensuite, si l'on doit vraiment parler de révolution, on doit l'attribuer au défunt M.Jackson. Une révolution, c'est un événement qui conditionne tous les autres à venir. Ce qui veut dire que personne ne peut l'ignorer une fois qu'elle a été achevée. La révolution copernicienne, la Révolution française, la révolution cartésienne… Or, pardonnez-moi si je me trompe, mais je ne vois pas très bien l'influence de Madonna chez Robbie Williams ou Ricky Martin… Alors que Mickael Jackson lui a conditionné la forme du clip musical, forme que l'on adopte toujours et tout le temps.
3/ Vous posez la question "ne faut-il pas du talent et des moyens pour être une star ?". Vous semblez dire que cela va de soi. C'est encore une méconnaissance de ce qui se passe aujourd'hui. Aujourd'hui il faut bien une particularité, ce que vous appelleriez du talent, mais cela compte de moins en moins. Ce qui compte aujourd'hui c'est la taille des bollocks de l'artiste. Je suis désolé si je vous choque, mais c'est la capacité à saisir des opportunités qui fait que l'artiste devient star. Des femmes sexy qui chantent bien, je ne dirais pas qu'elles courent les rues, mais ce n'est pas difficile à trouver. Ce qui fait la différence c'est l'opportunisme. Et les moyens n'en parlons pas, ils viennent après. Ou plutôt ils viennent pendant le succès grandissant. Une star ne signe pas dès le début avec un grand label. Elle se produit dans des bars et signe avec un premier petit, puis un second, le temps de gagner en notoriété, le temps de se faire remarquer d'un plus gros. Ce n'est donc ni le talent ni les moyens qui comptent le plus…
4/ Vous n'êtes pas sérieuse quand vous parlez de cette double tension. Si ? C'est naïf de penser que l'artiste, ce qu'il veut c'est chanter, et le méchant producteur il veut vendre. Si l'artiste voulait seulement chanter, il n'y aurait aucun problème. Il n'y a pas de difficulté à chanter, et se faire connaître pour sa voix, surtout depuis l'avènement des sites tels que youtube (parfait exemple, très actuel : Irma). Ce que veulent les chanteuses pop aujourd'hui c'est la CÉLÉBRITÉ. Être des STARS. Pour cela il n'y a PAS de DOUBLE-DYNAMIQUE. Le producteur et l'artiste sont exactement sur la même longueur d'onde. L'artiste veut être connu et donc avoir du succès, et le producteur veut de l'argent et veut donc que son artiste ait du succès. Ils veulent la même chose.
5/ Vous différenciez postérité et qualité, mais cela n'a aucun sens. Partons du nom même du genre : "pop music". "pop" est l'apocope de "popular". Il est tout de suite évident que la bonne "pop music" (i.e. la bonne musique populaire) c'est la musique la PLUS populaire. Autrement dit, on peut directement évaluer la pop en évaluant à quelle point elle est répandue. À l'époque de Madonna, on avait le nombre de disque vendu comme échelle d'évaluation. Aujourd'hui on a le nombre de vue sur Youtube. Mais ce n'est pas ceci qui est important. Ce qui est important c'est qu'il ne faut pas rester dans cet ancien paradigme romantique désuet inadapté périmé dépassé qui est : un artiste peut faire de la bonne musique mais il n'est pas forcément reconnu. Cela n'a plus aucun sens dans le monde de la pop. Ainsi, si les chanteurs sont moins connus/appréciés, cela veut directement dire qu'ils sont moins bons.
6/ Votre considération personnelle est en effet personnelle. Ce n'est qu'un avis qui se coupe de ce qui existe en réalité. Dire que Lana Del Rey est une chanteuse de qualité en rapport à ce qui se fait actuellement, c'est la preuve d'un manque de culture dans le domaine. C'est impossible d'affirmer cela a) au regard de sa performance live au SNL et b) au regard des performances lives des autres chanteuses. Regardez l'interprétation de Judas par Gaga au même SNL. Lana Del Rey a clairement encore des marches à gravir. En étant optimiste et en pensant qu'elle peut encore s'améliorer.
7/ D'ailleurs, rien ne peut nous permettre de dire qu'elle montera encore. Vous gagez qu'elle s'améliorera comme si vous étiez doté d'un flair pour ce genre de chose. Vous flairez sa voix et son style. Je le répète, il n'y a rien qui puisse permettre de dire qu'elle montera encore, mais si éventuellement on admettait qu'il puisse y avoir la possibilité de pressentir quelque chose, ce serait en analysant la caractéristique essentielle de la star d'aujourd'hui et que j'ai mentionné plus haut : les bollocks. Lana Del Rey en manque. Rien ne va dans son sens pour l'instant, notamment lorsqu'elle se dévalorise au plus haut point dans ses interviews. Mais pour la dernière fois : rien ne nous permet de prédire son ascension ou sa chute.
Cordialement,
Maugard Matthieu.
PS : Encore félicitations à l'auteur de l'article !
Un commentaire on ne peut plus riche et étoffé ! Belle dialectique et preuve du débat que crée cette artiste.
Tout ce que tu écris est bien vrai, et comme tu le dis, il y a encore beaucoup de choses à dire à son sujet. Clairement, le marketing musical n'est pas nouveau et l'exemple des Sex Pistols démontre bien qu'il est possible de durer et qu'un concept peut vendre ET durer. Mais ce qui joue en la défaveur de Lana del Rey (à mon sens) c'est qu'elle arrive à la suite de beaucoup d'artistes nés sur le net qui font beaucoup parler d'eux et sont derechef éventés dès lors qu'un truc plus "frais" débarque. Toutefois on ne peut augurer de ce qui se passera pour elle et on peut lui reconnaître d'avoir particulièrement réussi son entrée sur scène si je puis dire, et gageons qu'elle possède les ressources pour durer, au moins un peu…