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WHAT THE ELLE ?

 

Il est particulièrement difficile quand on décide de s’atteler au douloureux labeur que représente un plongeon dans la lecture de ELLE, de ne pas céder à la tentation facile de mimer le style léger et « ludique » du magazine, et donc à multiplier à son tour les bons jeux de mots, forcément mauvais.

On ne reviendra pas sur le tollé médiatique qu’a suscité l’article désormais notoire, « Black Fashion Power », qui avait conduit le magazine à se tirer avec allégresse une balle dans chacun de ses deux pieds. D’abord en publiant l’article, puis en proposant des justifications signées par la rédactrice en chef, plutôt que des excuses. Alors voilà, une fois le magazine à terre, difficile de remuer le couteau dans la plaie sans paraître nécessairement affreux, sale, bête et méchant.

Néanmoins, la tentation est grande. Il est toujours particulièrement grinçant de voir une publication féminine, écrite pour les femmes par les femmes comme elle s’en targue, se mettre à s’emmêler dans des simplifications grossières, habituellement réservées aux logorhées d’une Nadine Morano. Quand on caricature le style vestimentaire afro-américain en le limitant à un détournement schématique des « codes blancs » agrémentés de touches ethniques (on appréciera d’ailleurs le choix large et varié qui est proposé : « boubou en wax, collier coquillage, créole de rappeur »), on n’est plus très loin du fameux couplage « parler verlan et casquette à l’envers » qui habite l’imaginaire de la ministre.

De deux choses, l’une. D’une part, si la journaliste prétend avoir permis d’alimenter un débat public laissant place à la discussion, on pourra rire amèrement du fait que deux communiqués de presse complaisants aient essayé de camoufler une bévue parfaitement représentée par la nouvelle page sur laquelle le serveur nous redirige en recherchant l’article[1].

« Oups ! erreur »… oui en effet ! serait-on tenté de dire. Il pourrait être judicieux de rappeler à la rédaction que lorsqu’on  aspire à nourrir l’opinion, il est préférable d’éviter de se réfugier dans la solution juvénile du « pas vu, pas pris ».

D’autre part, si on souhaite vraiment retirer quelque chose de positif de cette affaire, comme la journaliste semble y tenir, on pourra dire que contrairement à la plupart des articles de ELLE si tôt lus, si tôt oubliés, ce parfait torche-cul restera dans les annales. Un dernier avantage étant de me permettre de faire d’une pierre deux coups et, par-là, de citer Rabelais[2] dans cet article et proposer alors une allusion grivoise jouant sur des effets d’homonymie. Que voulez-vous, il y a des moments où l’appel du calambour est irrépressible, et ce n’est pas ELLE et sa page PrésidentiELLE qui me contrediront.

S’il est vrai que, faute d’avoir lu le compte-rendu de ELLE sur « L’épilateur électrique, pour les aventurières »[3], la ligne éditoriale de leur site-web m’avait hérissé le poil, j’avais pour autant naïvement cru que cette page PrésidentiELLE allait potentiellement changer la donne. « Mode, beauté, minceur, people, cuisine, déco, loisirs, société, love&sexe, astro, mariage, maman »… passons sur toutes ces charmantes rubriques censées représenter les centres d’intérêts féminins (à cet égard, on remarquera que « culture » et « carrière » sont aux abonnés absents de la rédaction), car en cette année présidentielle, ELLE fait sa PrésidentiELLE.

En arrivant sur la fameuse page, la répétition du mot « femme » et les contestations et revendications qui lui sont généralement reliées est frappante : « Une idée pour changer la vie des femmes », « Quand Le Pen ment sur le dos des femmes », « Présidentielle : les femmes qui vont compter », idem pour le numéro de la semaine dernière : « Carla ou Valérie, le match des premières dames + notre sondage : 70% des femmes souhaitent qu’elles continuent à travailler ». Alors que doit-on penser d’une telle emphase sur la parole donnée aux femmes ? Comment interpréter cette volonté marquée de faire des « questions des femmes », l’objet d’un débat politique fortement alimenté sur la toile, comme le marque déjà le jeu typographique « présidentiELLE » ?

S’il est encourageant de voir un magazine féminin, le temps d’une campagne présidentielle, aménager un espace dédié à ses questions, une telle mise en scène ne paraît-elle pas pour autant légèrement démagogique ?

Ensuite, faire de ces interrogations le fer de lance de la presse féminine, n’est-ce pas à rebours confirmer l’idée que ce débat est avant tout l’affaire des femmes, et donc limité dans sa portée ? Une sorte de foucade, de discussion de salon de thé qui a toute sa place entre le débat sur le retour de la jupe mi-longue en denim et les recettes de soufflé sucré au chèvre frais et fruits rouges[4] ?

Enfin, si certes François Hollande se voit poser des questions sur la parité en politique et dans la société, n’est-il pas décevant de constater que la première formulée par la rédaction soit la suivante : « Si vous devenez président, vous serez le premier à être célibataire. Allez-vous remédiez à cette situation ? ». Comme si finalement, la presse féminine, qui se veut représentative de l’opinion des femmes et de ses centres d’intérêt, ne pouvait s’empêcher de faire rimer politique avec rubriques « mariage, love&sexe » et match de style entre premières dames…

 

 


[1] Elle.fr
[2]
Rabelais, Gargantua :
« J’ay (respondit Gargantua) par longue et curieuse experience inventé un moyen de me torcher le cul, le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expedient que jamais feut veu. »
[3]
Elle.fr/DossierBeauté
[4]
Elle à table
 
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