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Twitter, land of the dead ?

Le temps où l’on croyait naïvement que Twitter allait révolutionner nos pratiques numériques et sociales semble désormais révolu.

Quand la plateforme de microblogging a entamé son ascendance populaire auprès du commun des mortels, les retours étaient assez dithyrambiques. D’un côté, il y avait ceux, pragmatiques, qui considéraient Twitter comme un nouveau joujou à la mode, un concept sympathique mais un service finalement assez futile ; de l’autre, ceux qui ne tarissaient pas d’éloge sur ce nouveau média révolutionnaire, prêt à déboulonner les statues des tyrans et à porter la réflexion et la raison 2.0. au firmament du vingt et unième siècle.

Souvenez-vous, c’était en 2010, et Biz Stone, le directeur créatif de Twitter, déclarait lors d’une conférence à San Francisco: «Twitter ce n’est pas le triomphe de la technologie. C’est le triomphe de l’humanité.» Rien que ça.

On ne peut pas reprocher aux créateurs de Twitter d’avoir vu les choses en grand ; après tout, Steve Jobs et Mark Zuckerberg avaient aussi à leur façon l’intention de révolutionner le monde. Cependant, il y a une chose pour laquelle ils sont à blâmer : leur attentisme face à l’irruption – certes progressive –  de la sphère marchande dans le petit monde des gazouillis.

Et quand je parle de sphère marchande, je ne parle pas que de ces bots insupportables qui vous « follow » parce que ça leur fait de la pub : en effet, le fait que les entreprises intègrent dorénavant les médias numériques dans leur communication n’est pas si terrifiant, et, d’un point de vue économique et stratégique, c’est tout à fait compréhensible.

Non, ce qui est réellement révoltant dans tout cela, c’est que le fameux adage « avec de l’argent, tout s’achète » s’applique aussi à nos échanges de gazouillis. Qu’on se mette bien d’accord, pour moi, pauvre hère, la tentation de la célébrité n’existe quasiment pas. Mais je dois bien reconnaître que même moi je ne peux m’empêcher de tiquer quand je vois que l’un de mes followers, roturier de la célébrité numérique lui aussi, affiche une centaine d’abonnés de plus que moi.

 Ainsi, Twitter apparaît aussi comme un espace de compétition, où le personnal branding atteint des sommets de virtuosité. Et dans le cas de vraies personnalités, le constat n’est que plus criant. Dans le but d’atteindre des résultats mirifiques (mais surtout très virtuels) ils sont nombreux à recourir à des pratiques peu scrupuleuses via le marché noir du Web : journalistes, stars de la chanson, hommes politiques, nouvelles start-ups et même personnalités de la télé-réalité, tous achètent auprès de revendeurs spéciaux des followers, humains ou non.

Comme l’explique Seth Stevenson dans son article sur le site de Slate[1], il existe deux types d’abonnés que l’on peut acheter : ceux que l’on appelle les « abonnés cibles », qui sont de vraies personnes et que les sociétés de marketing s’évertuent à identifier par leurs intérêts pour qu’ils vous suivent ; ceux qui posent vraiment problème sont les « abonnés fantômes », qui en réalité sont de faux comptes créés gérés par des machines, et qui ont d’ailleurs l’intelligence de machines, à savoir qu’ils ne sont efficaces que dans la limite des actions pour lesquelles ils ont été programmés. Ces comptes fantômes, ces zombies virtuels, ne servent en réalité qu’à gonfler le nombre de followers affichés sur le profil : si vous comptiez vous faire plus d’amis et vous voir retweeté toute la journée, c’est râpé. Ce sont des fantômes au sens premier du terme : ils sont transparents et inactifs, donc inintéressants si l’on considère l’utilité première de Twitter, qui est de promouvoir l’interaction et l’interactivité.

On peut se procurer plusieurs milliers de nouveaux abonnés pour une somme tout à fait modique. Mais on l’a bien vu, cette stratégie n’est utile que pour venir gonfler des statistiques somme toute assez superficiels. Superficiels, pas tant que ça en fait…Twitter le reconnaît plus ou moins ouvertement, mais le nombre de followers fait partie des critères qui font que certains comptes vous sont suggérés dans un cadre à gauche de votre écran.

Et c’est là que le bât blesse : la réaction de l’équipe de direction du réseau social est pour le moins étonnante. Bien que le développement d’un tel marché noir soit en totale contradiction avec les règles d’utilisations du média, Twitter laisse couler et se montre plutôt indulgent envers ces comptes fantômes qui pourrissent le réseau. Les comptes sont peu souvent repérés et supprimés, et d’ailleurs on parle officiellement de « comptes inactifs ». Les vendeurs d’abonnés, pas inquiétés le moins du monde, continuent leur business ouvertement, et même, comble du comble, en s’affichant sur Twitter.

Résultat, Twitter se transforme peu à peu en un combat de coqs géant pour qui aura le plus d’abonnés. Dans la continuité d’un éternel débat entre l’être et le paraître, il semble que les aspirations de ce pauvre Biz et de ses comparses soient devenues trop utopiques pour une société comme la notre.

 

Laura Garnier


[1]   « Je me suis acheté 27.000 followers sur Twitter », publié le 17/10/2012

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