La guerre de la communication
« Une guerre sans image », voilà l’expression employée ces derniers temps pour décrire la communication du conflit malien. On l’entend se répéter comme un cliché journalistique, ses occurrences nous submergent, elles envahissent nos écrans ainsi que nos oreilles.
Nous avons été mitraillés par cette expression au cours des offensives maliennes, et son usage s’étend jusqu’à la plupart des guerres : celle d’Afghanistan, celle d’Irak, jusqu’à la première guerre du Golf, en passant bien sûr par tous les génocides africains et est-européens.
La conclusion se dessine : nous ne voyons rien ! Cette formule est donc, par là même, un reproche adressé par certains reporters à l’armée française. Nous voulons voir ! Un peu plus la vérité du scandale de la guerre, nous voulons voir le déclin, la mort, la ferveur, les batailles, les vainqueurs et surtout les perdants. Nous voulons voir mais surtout savoir si on ne nous cache pas certaines choses, glorieuse ou non.
L’armée ne l’entend pas de cette oreille. Est-elle pour autant sourde ?
En effet, la présence des journalistes dans les régions concernées est restée difficilement acceptable d’un point de vue stratégique. Pourtant cette guerre s’inscrit aussi bien militairement que médiatiquement, mais la communication entre les deux partis semble souvent difficile. Ils n’ont pas les mêmes visées, les mêmes attentes, et ces différences ne sont-elles pas d’ailleurs, à l’origine même des tensions qui les traversent ?
Un dialogue compliqué entre « La Grande muette » et le déballage médiatique
L’armée et les médias ont des stratégies de communication différentes et l’Histoire fait souvent d’eux des adversaires plus que des grands alliés.
La communication journalistique est à la recherche de l’information nouvelle : sur l’avancée ou non, du conflit, à l’affût des chiffres, ceux du nombre de morts, de blessés… Elle établit principalement une communication vers l’arrière, vers tous ceux qui ne sont pas sur le terrain.
Transparente, elle veut rendre visible aux yeux des informés un combat et pour cela, elle a besoin d’images, de documents audios, de témoignages qui soient vérifiés, vérifiables au moins.
Elle cherche à se démarquer des autres médias par son analyse, son originalité, son scoop, elle veut créer de l’audience, intéresser, polémiquer. Sa communication dépend alors aussi de la ligne éditoriale, à savoir ce qui prime dans le média, entre actualités des faits, réécriture, point de vue ou synthèse. Mais malgré cette nuance, le point commun est le suivant : les reporters ne sont pas là pour écrire des billets doux à l’armée française, et ils ne louperont pas ses éventuels dérapages. Heureusement, tel est aussi le devoir de véracité et de régulation journalistique.
Il n’est donc pas toujours à l’avantage de l’armée d’être en relation, sur le terrain, avec des colporteurs qui ne s’interdiront pas de transmettre la moindre erreur, le moindre faux pas. Le risque d’erreur militaire ayant des conséquences souvent plus dommageables. Et c’est souvent à son insu, que l’armée est rendu médiatique.
Les journaux omnivores, cannibales, ne font parfois qu’une bouchée de ce qui la concerne, et l’affaire Petraeus, dans un tout autre contexte, en est quand même bien l’exemple. L’Express s’intéressait aussi à l’état de l’armée française, à son retard, sa vulnérabilité, titrant à propos du conflit malien :« La France a t-elle les moyens ? ».
Pourtant, la communication externe de l’armée française se veut discrète. D’ailleurs, qui sait le nom du ministre français de la Défense ? Mais à la manière d’une entreprise, il lui est utile de jouer sur ses atouts vis-à-vis de l’opinion publique notamment par la publication quotidienne de communiqués, mais aussi vis-à-vis de son processus de recrutement. Et on se souvient des campagnes publicitaires attractives pour l’armée de Terre telle que « Devenezvousmeme.com ».
Mais l’armée se base essentiellement sur sa communication interne, qui, fine, rapide et efficace, passe par des dispositifs techniques pointus. Sans interruption, elle est en contact avec les missions sur le territoire nationale et à l’étranger, les différents bataillons, les différents commandements. Alors quand les journalistes sont tournés vers l’arrière, l’armée elle, est surtout axée vers le front.
Mais les reporters ont aussi besoin de s’approcher du conflit pour mieux le comprendre et le faire comprendre.
Le journalisme embarqué : une réconciliation possible ?
Quand on parle de journalisme embarqué, on met en évidence plus fortement encore que la guerre est le lieu de prédilection de l’armée, pas celui des journalistes. On les relègue à un rôle secondaire, un rôle qu’ils n’apprécient pas forcément, celui où il sont sous influence, sous contrôle.
La communication de la guerre du Vietnam avait déjà mis au jour les problèmes d’un fonctionnement où les acteurs possèdent des rapports de forces asymétriques, et où le pouvoir médiatique est sous le joug de manipulations, telles que la propagande ou la désinformation.
Le journalisme embarqué est donc limité et les journalistes eux-mêmes adressent leurs critiques à cette méthode.
Mais on ne peut certainement pas se restreindre au journalisme de bureau pour couvrir un conflit. Car couvrir une guerre, c’est couvrir non seulement les faits mais aussi sa population, la vie présente et celle qui disparaît. Le terme même de « couvrir », renvoie au champ de la protection, celle des personnes, comme celle des informations. Couvrir c’est aussi et alors répandre, voiler, mais surtout mettre le voile sur certains aspects pour mieux en dévoiler d’autres. Et c’est pour cela que la guerre doit avoir des images, car la logique du reportage se place dans un paradigme où voir c’est agir, ou faire voir c’est faire agir, par le seul fait déjà d’en prendre conscience.
Un journalisme moins embarqué, plus réfléchi n’est pas une solution négligeable dans ce dialogue compliqué, et il prend déjà place. Mais tous ne peuvent pas suivre les militaires sur le champ des opérations, nous faisons alors confiance aux journalistes pour utiliser leur réseau de contacts développant un dialogue si ce n’est plus complice, moins encadré.
Pourtant la réconciliation parfaite des deux partis semble utopique, chacun joue son rôle communicationnel, défendant ses intérêts propres. L’armée est plus tournée vers sa communication interne alors que les journalistes investissent une sphère plus externe. Et finalement à l’image de la démocratie et au détriment d’une cité idéale, s’ils ne s’entendent pas toujours, n’est-ce pas le signe de la vigueur de leur pouvoir ainsi que celui de leur auto-régulation ?
Mais tout ne les divise pas, ils possèdent certains points communs. En effet, ces deux acteurs du conflit véhiculent une double image : l’armée et les reporters représentent à la fois un symbole salvateur, les uns sauvant des vies, protègeant, les autres apportant une visibilité à des peuples oppressés et à des combats. Et un symbole carnassier, d’un côté les forces spéciales, les tueurs dont on ignore les dérives, et de l’autre ceux qui livrent en pâture médiatiquement, les sans scrupule. Ils sont par là même, à la fois objets et sujets des théories du soupçon, ou de celles du complot.
Et ce débat sur la guerre de la communication est aussi éthique, il se calque sur la meilleure façon d’agir en situation de crise. Alors un troisième acteur entre en scène, le public. Les spectateurs doivent-ils tout voir ? Sont-ils déjà spectateurs s’ils savent la trame d’un spectacle ? Nécessitent-ils toute cette imagerie de guerre ? Soyons réaliste : The show must go on !
Maxence Tauril
Sources :
FranceCulture.fr
L’Express, « Guerre au Mali : La france a t-elle les moyens ? », n°3212, paru 23 janvier
Crédits photos : © Fred Dufour/AFP (1), Défense Française (2) (3), L’Express (4)