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Moniteur d'une nouvelle féminité ?

 

Ecrire un article sur la vision de la femme dans le monde de la publicité comporte souvent deux risques : être trop féministe, à l’image des clichés actuels, jambes poilues et glaviots à la bouche, ou bien être machiste, plutôt version vernis à ongle et mise en pli pour aller au McDo. Mais il est souvent difficile de résister à l’appel des carottes que l’on tend aux ânes que nous sommes.

Pourtant, il n’a pas fallu grand chose. En fait, seulement deux pubs m’ont poussée à comprendre comment la femme était aujourd’hui vue et comment elle-même se voyait. La première, celle de Kärcher, met une jolie famille en scène, un homme, une femme, deux ravissants bambins. Le bon père de famille occupe ses enfants, tandis que l’adorable ménagère, et néanmoins épouse et mère, nettoie le sol avec le nouvel appareil Kärcher. Ne faisons pas les difficiles, il aurait été délicat de faire tenir le manche aux deux époux, mais tout de même – surtout que la félicité du couple tient à leur sol propre et à ce que leurs enfants puissent manger des cookies à même le sol.

Mais c’est surtout une autre publicité, nettement plus ambiguë pour la condition féminine, qui a attiré mon attention. Clearblue lance un nouveau produit, délicieusement appelé « moniteur de contraception ». Le nom en lui-même est tout à fait trompeur, car il ne s’agit absolument pas d’une méthode contraceptive. La petite machine de Clearblue est en fait un test d’urine que la femme peut faire chez elle et qui lui indique son taux d’hormones, lié aux chances de tomber enceinte. Si le test indique rouge, elle est dans la période de son cycle où les chances de tomber enceinte sont grandes. Si le résultat est vert, au contraire, celles-ci sont moindres. Donc rien à voir avec la contraception, il ne s’agit en fait qu’un outil pratique pour les femmes un peu tête en l’air, qui ne comptent pas les jours de leur cycle comme on le leur a pourtant appris à l’école ou celles qui ne souhaitent pas prendre la pilule.

Pas de mauvaise foi, Clearblue indique sur la page de son site web, un peu tard certes, que la fiabilité de l’appareil est de 94%, que la petite bête ne protège pas des MST et n’empêche pas de tomber enceinte. Mais revenons à nos moutons, c’est à dire à notre femme test, imaginée dans la publicité de Clearblue, utilisatrice du moniteur de contraception. Revenons aux symboles du rouge et du vert. Revenons à ce que signifie cette invention pour la condition féminine.

Le vert indique clairement que le bon moment pour faire l’amour est celui où l’on ne risque pas trop de tomber enceinte. Un parti pris qui va complètement à rebours de la politique de Clearblue, marque plutôt accoutumée aux tests de grossesse ou de fertilité. Une marque utile donc aux femmes qui espèrent fonder une famille, pas à celles qui cherchent à l’éviter. A quoi est dû ce revirement ? Changement de cible marketing ou changement des envies de la femme ?

Le fait que la femme ait des rapports sexuels en dehors d’une logique de reproduction et pour son propre plaisir est aujourd’hui de plus en plus admise, notamment depuis l’arrivée de la loi Veil, depuis l’apparition de la pilule et celle plus ancienne du préservatif. Elle n’est pas acceptée dans tous les milieux, mais concerne tout de même une majorité de femmes. Jusque là, donc, pas de problème pour le féminisme. Mais la publicité télévisuelle, introuvable pour l’instant sur le net, que propose Clearblue fait grincer des dents. Bien sûr, je ne peux parler que de mes souvenirs, mais il me semble que la jeune femme ayant utilisé le moniteur de contraception sourit à la fin de la publicité à son jeune amant pour lui dire d’un air mutin que c’est bon, c’est vert ; sous-entendu « aujourd’hui, portes ouvertes au sexe sans conséquences mon chéri ».

Là se trouve le malaise. Peut-on vraiment donner cette image à la femme, aux relations sexuelles et à la contraception ? Je n’arrive pas à trancher. Outre le mauvais goût de l’aspect code de la route du rouge/vert, les deux couleurs établissent inconsciemment un nouveau système de valeur. Le test signale rouge, tomber enceinte devient donc quelque chose de mauvais, de négatif. Il indique une jolie couleur verte, le sexe sans conséquences (à 94% de probabilité) est positif, plus en tout cas que les relations sexuelles « fructueuses ». La gamme de produit relativement large de Clearblue permet de contrebalancer l’image transmise par la publicité, celle d’une femme sujet sexuel, loin de la future mère de famille à laquelle renvoient celles des tests de grossesse. Mais tout de même, le malaise subsiste, peut-être à cause d’une certaine mécanisation du désir et du plaisir sexuel, du manque de spontanéité que suggère l’utilisation d’un test d’urine avant les rapports intimes. Ou peut-être est-ce parce que l’homme devient peu à peu objet sexuel de la femme, contrairement aux conceptions tenaces et ancestrales ? Qui sait…

 
Noémie Sanquer
Sources :
Clearblue

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