Jacques a dit : les marques, nos futurs représentants politiques ?
Les affiches humoristiques de Virgin Mobile reprenant le scandale de l’exil fiscal de Depardieu ont été particulièrement remarquées. Mais au delà du simple buzz, cette affaire, comme la question du mariage pour tous, fut l’occasion en France pour certaines marques de s’insérer dans le débat public, que ce soit par des pointes d’humour ou dans le cadre d’une vraie prise de position. Cette nouvelle tendance est révélatrice d’un tournant pour les marques, qui pourraient bien devenir de véritables acteurs publics… Tentative de décryptage.
Des marques identitaires pour plus de légitimité
Pour séduire des consommateurs freinés par un contexte économique difficile (une étude Insee indique une baisse de 0,2% de la consommation des ménages en 2012, une tendance qui semble se poursuivre sur 2013), les marques jouent en effet toujours davantage sur l’aspect identitaire qu’elles apportent. On observe donc de nombreux phénomènes de dépublicitarisation (voir l’interview de Caroline de Montetypar Effeuillage) avec notamment l’essor du brand content et la place de plus en plus importante d’une vraie stratégie sur les réseaux sociaux. Les marques se font de plus en plus actrices de leur histoire et de leur image, et le « storymaking » viendrait même à remplacer le storytelling : les marques ne se contentent plus de raconter une histoire mais la construisent de toute pièce, en utilisant par exemple le sponsoring personnel.
Des marques engagées aux côtés de leur communauté
Toutes ces activités des marques leur donnent donc un nouveau rôle de plus en plus actif dans la société. D’autant plus que grâce aux réseaux sociaux, elles fédèrent et animent des communautés dont elles peuvent obtenir des données très précises. Et l’interaction facilitée par ces réseaux leur permet de recueillir les avis et réactions de cette communauté bien identifiée sur les sujets qui les touchent. Cela irait même dans le sens d’une certaine démocratie participative. Par exemple sur Facebook de nombreux votes sont proposés aux internautes, qui peuvent ainsi exprimer un avis sur des sujets liés directement à la marque (tel que le choix d’un nouveau logo) mais également sur des préoccupations de leur vie de tous les jours. C’est une proximité que les citoyens ne retrouvent plus avec leurs représentants politiques.
Et afin de conserver cette identité, il est important pour les marques de réagir à ces intérêts afin de conserver cette proximité avec leurs consommateurs. Dès lors, le pas est vite franchi vers un vrai engagement de ces marques face aux problématiques qui touchent leur communauté. L’exemple récent le plus marquant fut l’engagement de nombreuses marques en faveur du mariage pour tous.
Une responsabilité publique et sociétale ?
Les marques seraient-elles peu à peu investies d’une responsabilité ? La lettre adressée à Arnaud Montebourg par le PDG de Coca-Cola France Tristan Farabet est révélatrice d’un vrai tournant emprunté ces dernières années par les marques. Il écrit le 21 février dernier : « Profondément convaincus de l’intérêt, de l’opportunité mais aussi de la responsabilité sociétale qu’implique le fait de produire en France, nous souhaitons aujourd’hui participer encore plus activement à la promotion de l’attractivité du territoire français auprès des entreprises étrangères ». Cette lettre ouverte, diffusée largement dans les médias, tend donc à placer Coca-Cola comme un vrai acteur public, attaché à la France et impliqué dans son développement. La prise de position médiatique de l’entreprise rejaillit directement sur l’image de la marque.
Ainsi, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), qui demande aux entreprises de prendre en compte des préoccupations de type social, économique et environnemental dans leurs activités est devenu au-delà d’une obligation ou d’un simple objet de communication, un vrai enjeu stratégique pour les marques elles-mêmes. En effet, dans un article sur Influencia.net début 2012 intitulé Quand les marques deviennent des acteurs politiques, Alain Renaudin explique que « les marques […] ont plus que jamais des responsabilités publiques et politiques en tant que parties prenantes totalement intégrées et co-responsables de nos enjeux de société ». Et cela aurait notamment pour raison le désaveu des personnalités et mouvements politiques.
En fédérant une communauté autour d’elle, dont elle recueille les avis et les intérêts, les marques deviendraient-elles petit à petit mieux placées que les politiques pour représenter les citoyens ? La question se pose alors de la frontière entre stratégie marketing et réel engagement…
Judicaëlle Moussier