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Mots brandis, branding de mots : éléments sur l’affiche contemporaine

 

Plus que jamais en ce début 2013 la publicité affichée dans le métro nous rappelle à quel point son fonctionnement communicationnel procède d’une écriture qui passe de manière privilégiée (d’aucuns diraient « médiagénique ») par une mise en spectacle des mots dont le but est de produire un effet de rupture cognitive (d’autres diraient « disruption ») dans les déambulations routinières des passants indifférents.

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Que ce soit sous la forme testimoniale de la pensée « canaille » (Meetic), de la citation baudelairienne (Musée d’Orsay) ou de l’onomatopée brute (Gaîté lyrique), les affiches projettent sur les murs de la capitale des lettres et des mots à lire comme des totems.

Verticalité de l’affiche

Historiquement, l’art publicitaire de l’affichage accompagne l’essor de la presse et de la littérature modernes : c’est-à-dire massives et mobiles. Il est intimement lié au graphisme comme modalité expressive et esthétique. Il explose avec les formes papier, puis électriques (les enseignes lumineuses) et enfin numériques (les écrans que l’on trouve maintenant partout). Dans une période médiatique elle-même obsédée par les écrits courts (twit, commentaire, petites phrases, etc.), il ne doit pas nous étonner que le mot retrouve son autorité « fantasmagorique » et sa puissance « kaléidoscopique ». Ces métaphores visuelles (« fantasmagorie » ou « kaléidoscope ») sont aussi anciennes que l’essor des métropoles de la fin du 19ème siècle et sont très souvent utilisées par les écrivains (Baudelaire, Aragon, entre autres) ou les philosophes de la Modernité. Au premier rang desquels on retrouverait Walter Benjamin, qui énonce, avec génie, que la publicité de ville et de magazine consiste à « redresser » le langage. Avec l’essor de la communication médiatique, les mots retrouvent leur verticalité :

« Si, des siècles durant, l’écriture se mit progressivement à s’allonger, passant de l’inscription verticale à l’écriture manuscrite, qui repose inclinée sur des pupitres, pour finalement se coucher dans la typographie, elle commence, maintenant, tout aussi lentement, à se relever à nouveau. Le journal, déjà, est plus lu à la verticale qu’à l’horizontale, et le cinéma comme la publicité poussent entièrement l’écriture à la dictature de la verticale. »

De ce point de vue, le spectacle offert par nos plus récentes campagnes d’affichage nous rappelle que plus que tout autre média, l’affiche publicitaire a une puissance d’incarnation érectile du langage.

Le cas Sephora

Comme nous le montre Clara de Sorbay sur ce même blog, c’est ainsi Sephora qui, en jouant avec ses propres innovations linguistiques, se permet de rappeler combien l’attraction publicitaire relève d’une rhétorique érotisée et d’une érotisation de la rhétorique. En s’affichant, la provocation se dresse à la faveur de mots spectaculaires qui prennent corps :

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La « bombassitude » s’offre à la rue comme une hyperbole assumée de la dimension « putassière » de l’affiche qui cherche à accrocher le passant par le langage.

Sephora ou l’« attractionisme» suffixal

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Mis en relief, en abîme et en cadres successifs, les mots forgés par la marque tiennent toutes leurs promesses phaticonatives, autrement dit en termes sephoriens : leurs capacités d’« attractionisme ».

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A travers eux, il s’agit de capter l’attention des voyageurs par la mise en avant d’un néologisme qui se détache sur un visage et un regard qui leur font face. Sephora ne s’embarrasse pas de subtilité et leur adresse ainsi des « mots-regards » sur-colorés et sur-soulignés, à l’image des masques (« maquillage ») et des effets (surfaces et volumes) que l’enseigne commercialise.

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Comme s’il s’agissait d’une palette chromatique, Sephora déplie toute la gamme des suffixations possible du chic (« inance »), du conceptuel (« isme », « itude ») et de la conjonction des deux (« escence »). Dans un art de l’onomaturgie jouisseuse, la signifiance s’irise d’une multitude de nouveaux noms qu’elle s’approprie (au sens de « noms propres ») comme des valeurs de marque.

Et s’il fallait à notre tour définir par la néologie le style rhétorique de la marque, nous dirions qu’il s’agit là d’une sorte de tentation « pyrolexique » redéfinissant les contours de la « gloss-o-lalie ».

Poitiers et la surprise surprenante

Dans un genre moins tapageur, c’est également le chemin que prend la ville de Poitiers pour communiquer dans le métro parisien. Sa promotion se fait sur le fond d’un spectacle lexical qui repose sur un effet de surprise au carré : en utilisant des adjectifs dénotant la surprise tout en la connotant.

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« Ebaubissant », « épatarouflant », « épastrouillant »… En tirant de vieux dictionnaires de synonymes des lexèmes endormis, l’agence de communication poitevine MBA cherche à surprendre le passant du métro en suspendant et en testant ses compétences linguistiques et « encyclopédiques ».

Dans un flou temporel qui veut signifier l’archaïsme, Poitiers tend à remotiver une « romanité » d’origine forcément ébouriffante.

Et le passant lui-même un peu âgé, ne peut s’empêcher de penser à la formule que Monsieur Cyclopède adressait au téléspectateur à la fin de chacune de ses brillantes démonstrations : « Étonnant, non ? ».

Mot-label

Au fond, l’affiche contemporaine est là pour nous rappeler que, depuis quelques années, notre environnement écranique a remis en vedette le mot pour lui-même : de l’économie des moteurs de recherche (AdWords) à la première métaphore ennuagée des « tag clouds », en passant par le règne éditorial du « mot-clé » et du hashtag, les mots ont repris de la valeur et de la couleur, également au sens pécuniaire du terme.

Rien ne le montrerait mieux que le cas des critiques de cinéma qui sont de plus en plus ramassées en un ou deux mots qui résument l’ensemble d’un article, au point que la séquence de Canal + dédiée aux sorties de films (qui s’appelle le « crash test » dans le Grand Journal) s’ingénie à faire ressortir visuellement des qualifications de la manière suivante :

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A l’écran, le mot frappe l’image comme un tampon qui valorise ou stigmatise le film, tout en lui donnant un prix quasi monétaire. Plus que jamais la parole critique est d’argent et construit sous nos yeux la valeur de l’objet culturel qu’elle examine. Comme à la Nouvelle Star, le bleu, c’est bien, et le rouge, c’est pas bien :

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Cela n’est pas sans effet alors sur la communication autour de la sortie des films et de leur affichage urbain, ainsi que nous le montre le cas de la sortie du dernier Bacri/Jaoui du début de ce mois de mars :

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Réduit à l’averbalité, les phrases en ressortent comme de véritables mots-labels qui dressent au produit culturel, sous forme de bouquet, un monument éphémère de mots euphoriques.

 
Olivier Aïm

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