Société

Si les femmes étaient des déesses

 

Le shockvertising contre la violence

Frapper une déesse est impensable, alors pourquoi frapper une femme ? Tel est le parallèle que dresse l’association Save the Children India avec la campagne « Abused Goddesses ». L’association, engagée principalement dans la lutte contre le trafic d’enfants, prend l’initiative à travers son projet Save Our Sisters (SOS), de s’attaquer au fléau des violences faites aux femmes.

Cette campagne de sensibilisation, lancée début septembre, prend pour champ de bataille un pays où 68% des femmes sont victimes de violences domestiques, 4e pays le plus dangereux pour les femmes d’après la fondation Thomson Reuters. Ce grand fléau de la société indienne n’est réellement visible que depuis peu en Occident, objet d’une réelle médiatisation principalement depuis décembre 2012, avec le viol collectif d’une étudiante à New Delhi, marquant le début d’une vraie prise de conscience de ce problème dans le pays.

Misant sur la stratégie du shockvertising, Save the Children a composé sa campagne de trois visuels détournant des représentations des principales déesses hindoues, Saraswati (déesse du pouvoir et des arts), Lakshmi (déesse de la fortune et de la beauté) et Durga (la grande déesse), le visage tuméfié. Le slogan « Save our sisters » est accompagné du texte suivant : « Priez pour que nous ne voyions jamais ce jour. Aujourd’hui, plus de 68 % des femmes en Inde sont victimes de violences domestiques. Demain, il est plus que probable qu’aucune femme ne sera épargnée. Même celles que nous prions ».

Mettre le sacré au service de la société

Dans une perspective réflective, la déesse et l’humaine sont placées au rang de sœurs. L’initiative est une première en Inde : l’usage d’une imagerie religieuse dans le cadre d’une campagne est d’autant plus osée qu’elle prend place dans un contexte culturel dans lequel le sacré est …sacré. En effet, en Inde, l’hindouisme, pratiqué par plus de 80% de la population, a un impact culturel indéniable, et l’utilisation de l’image de ses déesses est particulièrement délicate. Ce parallèle entre le spirituel et la réalité des violences faites aux femmes met le pays face à l’une de ses principales contradictions : la religion exalte la féminité en tant que divinités vénérées, tandis que la société ne fait que peu de cas de la situation de la femme au quotidien.

L’importance du contexte culturel

La campagne a reçu un accueil international plutôt positif. L’affichage de ces visages blessés semble capable de réveiller les consciences. Mais il n’en va pas de même en Inde où ces trois photos ont souvent été apparentées à du blasphème. Un premier argument souligne que cette campagne, trop occidentale, oubli le contexte culturel de l’Inde, qui se prête peu à ce genre de parallèles. Ainsi, pour la journaliste Praneta Jha, utiliser les images de la mythologie hindou constitue une violation des limites sociales indiennes posées par la religion, les castes et les classes sociales. Dans le Hindustan Times, elle souligne que « mettre les femmes sur un piédestal en les représentant sous les traits de divinités fait autant de mal que de les montrer comme objets sexuels. Les deux représentations déshumanisent les femmes. […] Les emprisonner dans des représentations d’idéaux supposés est l’une des plus vieilles stratégies patriarcales. (…) On pourrait dire que cette campagne utilise des stéréotypes pour marquer l’opinion publique. Mais, ce faisant, elle renforce aussi insidieusement ces stéréotypes. »

De la même manière, dans l’hebdomadaire Open, l’universitaire Brinda Bose explique qu’elle « aurait eu beaucoup plus de respect pour une campagne montrant une prostituée des faubourgs blessée par un client« . Et de conclure : « Plus de déesses, s’il vous plaît. Donnez-nous des salopes. »

En somme, la campagne gagnerait à sortir de l’abstraction pour entrer dans le réel.
Ces critiques rappellent l’importance de l’attachement de toute campagne de communication dans le contexte culturel dans lequel elle s’exécute. Elles ne peuvent fonctionner sans adaptation aux codes culturels de la société visée, sans tenir compte des hommes, de leurs perceptions, de leur culture, et de leur environnement. Car « il n’y a pas de communicabilité sans conscience de soi et des autres ».

 
Bénédicte Mano
Sources :
Le Courrier International
La Vie
Save The Children India.org

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