Du pain, du vin, du doliprane
Savez-vous qu’aux Etats-Unis vous pouvez demander à votre médecin exactement la marque d’antidépresseurs que vous désirez prendre ? Et si les antidépresseurs ne sont pas suffisants, vous pouvez également demander d’autres médicaments sur ordonnance par marque, pour traiter l’insomnie, l’hypertension artérielle, le diabète et les conditions cardiaques, il y a même des médicaments pour faire grandir vos cils (Latisse ©). Tous ces médicaments sont des substances règlementées, mais outre-Atlantique la publicité de médicaments sur ordonnance qui s’adresse directement aux consommateurs est autorisée et subventionnée par l’industrie pharmaceutique.
Le début de la publicité pour les médicaments sur ordonnance
Dans les années 1980, la publicité de médicaments sur ordonnance s’adressait exclusivement aux médecins parce que les compagnies pharmaceutiques considéraient qu’ils avaient la plus grande influence sur le choix de médicament du consommateur. Medicus est l’agence de publicité médicale qui a changé ce modèle. Joe Davis, publicitaire américain, et William Castagnoli, PDG de Medicus, ont introduit en 1992 des publicités qui contournaient les strictes règles de l’organisme chargé de protéger le droit du consommateur, la Federal Trade Commission (FTC). Après une hausse des ventes de Seldane, le médicament que lequel Davis et Castagnol ont travaillé, la législation concernant les déclarations dans ce genre de publicité à changé, notamment sur deux aspects : elle a permis aux médicaments d’être mentionnés par le nom de la marque dans les publicités et a réduit les obligations de déclarations des effets secondaires. Les Etats-Unis et la Nouvelle Zelande sont les deux seuls pays au monde où la publicité des médicaments réglementée peut s’adresser aux consommateur. Il y a trois raisons pour lesquelles la loi permet ce genre de publicité, ces trois mêmes raisons expliquent aussi pourquoi elle continue à créer des revenus : la place de l’Etat et ce qu’il contrôle dans l’imaginaire américain, l’idéologie de « l’individualisme américain », et la stratégie de marque pour les médicaments.
La place de l’Etat dans l’imaginaire Américain, ce qu’il réglemente
De droite ou de gauche, pour un Américain la place de l’Etat et ce qu’il peut réglementer est bien plus réduite que pour d’autres. La rhétorique politique américaine a toujours condamné un Etat à la ‘Big Brother’, notamment avec la phrase « big government ». Tous les collégiens et lycéens américains lisent 1984, le roman de George Orwell, tout en apprenant qu’il faut se méfier d’un gouvernement qui contrôle le contenu diffusé à son peuple. Par ailleurs, la place du capitalisme dans l’imaginaire américain est très importante pour l’économie et le rêve américain. Tous ces facteurs débouchent sur une législation qui favorise la déréglementation de la publicité car il s’agit d’un outil primordial pour le capitalisme et la compétitivité sur les marchés. L’industrie pharmaceutique a profité de ces particularités sociales et politiques, mais surtout du lobbying, institution américaine datant de la création de l’Amérique et s’inscrivant dans les valeurs fédéralistes. Ainsi, les compagnies ont réussi à faire changer la législation. En témoigne cette publicité pour un médicament.
« L’individualisme américain »
Tout consommateur aime faire ses propres choix, savoir qu’il forme son opinion et ses préférences en filtrant les messages publicitaires qu’il reçoit. L’individualisme américain va au-delà et exige que le gouvernement ne filtre pas les messages qu’il peut recevoir, même si les produits annoncés pourraient être nuisibles le consommateur veut recevoir les messages publicitaires pour faire son choix. Cet individualisme est intégral à l’identité américaine, le dit « self-made man », une des personnifications du rêve américain. Cette volonté de faire son propre choix pérennise la publicité des médicaments sur ordonnance. Même avec des publicités d’une minute (publicité pour Boniva © dans cet article), dont la moitié est dédiée à compter les nombreux effets secondaires, le consommateur américain veut faire son propre choix de médicament et surtout de marque.
La marque de médicaments
En annonçant un produit comme étant « de marque » plutôt que générique, il y a un certain besoin de validation par rapport à soi-même que l’annonceur crée chez le consommateur. C’est pour ceci que le même pull peut coûter 20€ ou 100€ en fonction de la marque, et pourquoi le consommateur est prêt à payer un prix plus élevé pour rationaliser son achat. Or, ce concept peut très bien être appliqué aux médicaments et c’est pour cela que ceux qui ont fait l’objet d’une publicité directement auprès du consommateur sont plus chers que les médicaments génériques. Vicodin ©, Prozac ©, Adderall ©, Lunesta ©, Lipitor ©, Abilify © et tant d’autres sont des noms commerciaux pharmaceutiques bien connus aux Etats-Unis. Pourtant ce sont des médicaments assez forts : de l’hydrocodone, des amphétamines et d’autres substances qui se vendraient moins si elles étaient annoncées comme telles. C’est donc le positionnement qui fait le succès de ces marques ; souvent, les publicités font des déclarations telles que « n’est pas disponible en générique » (publicité Lipitor ©dans cet article) pour établir leur supériorité par rapport aux médicaments qui ont dépassé leur brevet et sont donc moins cher mais ont le même effet.
C’est donc un particulier mélange d’idéologies politiques, sociales et d’identité qui permet aux compagnies pharmaceutiques d’annoncer leurs médicaments avec tant de succès. C’est un phénomène isolé dans le monde développé, mais très lucratif. Le secteur de la publicité des substances réglementées était estimé à 4,3 milliards de dollars en 2009. Cette même année l’américain consommait en moyenne 5 médicaments d’ordonnance en plus qu’en 1992. Depuis, il y a eu des initiatives pour réduire ces publicités, et aujourd’hui elles sont diffusées surtout pendant les horaires nocturnes. Néanmoins, elles sont très présentes et une grande source de revenus pour l’industrie de la publicité et des produits pharmaceutiques.
Miguel Rayos