Publicité et marketing

Gleeden : l'affiche de trop ?

 

Effet collatéral du débat sur le mariage pour tous ou goutte d’eau rhétorique qui fait déborder le vase communicationnel ? Toujours est-il que le métro est depuis quelques jours le terrain d’une fronde discrète mais répétée contre la dernière affiche publicitaire pour le site de « relations extraconjugales » Gleeden.

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Ce n’est pourtant pas la première campagne d’affichage du site Gleeden. Loin de là. Jouant sur une argumentation audacieuse et volontairement provocatrice, le site de rencontres extraconjugales s’est fait une spécialité de la rhétorique trompeuse (et du faux syllogisme) qui prend ses libertés avec la morale et donc avec le discours rationnel : voir article précédent.  En affichant « C’est parfois en restant fidèle que l’on se trompe le plus », le site est ainsi dans la droite ligne de ses affichages passés. Mieux encore, la campagne actuelle avait déjà fait l’office d’un affichage il y a quelques mois qui était parfaitement resté épargné et intact :

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La question est donc : pourquoi une réaction aussi massive maintenant ?

Première hypothèse : la saturation

En parlant de saturation, il s’agit d’abord d’évoquer le fait que, dans sa logique communicationnelle simpliste, Gleeden est actuellement en passe de devenir une sorte de modèle énonciatif. De sorte que même absente, Gleeden est,  comme par effet de persistance rétinienne, omniprésente ; la « marque de fabrique » Gleeden s’est imposée à une très grande diversité de concurrents, d’abord, et d’annonceurs totalement différents, ensuite.

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En renouant avec la simplicité d’un message purement verbal et d’un spectacle strictement typographique, le site de rencontres a inspiré la plupart des marques récentes qui désirent s’afficher avec l’efficacité d’un discours direct et « petit malin ». Citons, entre de nombreux exemples actuels (Acadomia, Skyn, etc.), le cas de la marque Espace Loggia :

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En mettant au cœur de son argumentaire le principe du contrepied rationnel et raisonnable, Gleeden a produit ce que les gourous de la communication appellent un effet « disruptif ». En jouant avec le motif paradoxal de la rupture du contrat moral, marital et énonciatif, la marque adultérine est devenue le parangon de la vertu publicitaire la plus élémentaire, qu’on pourrait dès lors nommer la « disrupture ».

De sorte que la marque s’est ainsi banalisée. Et, pourtant, c’est bien cette dernière campagne plutôt anodine au vu des précédentes, qui semble la plus provocante si l’on en juge par l’intensité et la répétition des réactions des divers usagers du métro qui se sont en quelque sorte mis à répondre à l’incitation à la débauche de l’affiche en la dégradant plus ou moins systématiquement. Dans la plus stricte tradition des mouvements antipub, les affiches pour Gleeden se voient « barbouillées », mutilées ou détournées.

Pour quelques phrases inscrites à même les « faces » publicitaires achetées à la régie de la RATP du style « La fidélité est la victoire de l’amour sur l’instinct », la plupart des réactions des passagers sont directement adressées au matériel et au support de Gleeden.

Au sens propre, ces réactions sont épidermiques et cherchent à décoller l’affiche comme on arrache la peau d’un cadavre ou comme on arrache un plan de maïs transgénique.

Deuxième hypothèse : le contexte « sociétal »

La deuxième lecture possible de cette manifestation d’exaspération publique pourrait se trouver dans l’atmosphère encore chargée des lourds débats que nous venons de vivre autour de la question amoureuse et de sa traduction institutionnelle et sociale en termes de mariage. Malgré les dissensions, le débat sur le « mariage pour tous » convergeait finalement dans la célébration de la valeur symbolique (qu’elle soit religieuse, politique ou sociétale) d’un rite collectif reconnu et désiré. Or, Gleeden n’a pas seulement donné ses lettres de noblesse à l’adultère ; il a également joué avec le motif de la duplicité. La dernière campagne d’affichage flattait un au-delà du mensonge et de la tromperie : le parjure.

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Pomme croquée, doigts croisés derrière la robe de mariée, regard oblique et rouleaux de cheveux éployés : tous les signes sont là pour construire la scène originaire de la « pensée de derrière ».

Plus généralement, cette mise en scène du parjure peut renvoyer également au contexte de défiance politique que les cas exemplaires récents de DSK, de Jérôme Cahuzac, ou de Gilles Bernheim ont fait éclater toute cette année au contre-jour du faux aveu médiatique.

Troisième hypothèse : un excès de communication traversière

La dernière hypothèse que nous voudrions avancer est d’ordre médiatique et renvoie au choix du dispositif de communication de cette dernière campagne. A la différence des grandes affiches placardées sur les murs des quais du métro, Gleeden a fait, cette fois-ci, le choix d’un emplacement plus accessible et plus modeste : les escaliers du métro. Or, toutes ces petites affiches, nous les croisons quotidiennement sans forcément les voir : autrement dit, nous les voyons de manière « traversière ».

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Gleeden est peut-être alors tout simplement victime du fameux « esprit d’escalier ». A savoir : une prise de conscience après-coup, c’est-à-dire après l’effet de sidération face à ses premières campagnes, de la nature fallacieuse d’une argumentation qui affiche sa prétention à incarner un progressisme de façade. Tout ceci fait que c’est, en définitive, peut-être là dans le métro que l’on trouverait en 2013 la forme la plus réellement « interactive » de la « participation » que l’on met tellement en avant dans les discours actuels des autres médias. Sous forme discrète et passante, le débat se joue en ce moment dans ces petits gestes discrets, qui n’ont cependant rien à envier aux clics ou aux tweets.

Il reste que, si, comme le disait Georges Clémenceau, le meilleur moment de l’amour, « c’est quand on monte l’escalier », il semblerait qu’en matière d’affichage disruptif, cela ne produise pas toujours le même effet…

 
Olivier Aïm

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