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Kalachnikov a eu un coup de pompe

 

Le 23 décembre dernier mourrait Mikhaïl Kalachnikov, citoyen russe né le 10 novembre 1919 à Kouria en Sibérie. L’histoire retiendra de cet homme qu’il fut l’inventeur de l’arme la plus vendue de tous les temps, et qu’il est aujourd’hui célébré pour cela.

À la guerre, blessé, Mikhail Kalachnikov se penche sur l’ingénierie d’arme. Il créa en 1947, après plusieurs prototypes refusés, le AK-47 : une arme qui se veut simple, robuste et efficace, adaptée au peu de niveau de qualification des soldats. Ce fusil permet à Kalachnikov d’être décoré de toutes les médailles du mérite que compte le système militaire russe. Le AK-47 est désormais un fusil « symbole ». Présent sur le drapeau du Mozambique ou du Hezzbolah, c’est un symbole politique, un symbole de liberté comme l’a voulu le concepteur : « J’ai créé cette arme pour défendre les frontières de mon pays ». Après des années de maladie, Kalachnikov s’est éteint le 23 décembre 2013.
La Russie, et notamment le parti au pouvoir, organisent aujourd’hui une véritable campagne de glorification. Cérémonie en grande pompe, à laquelle le président Poutine lui-même était présent, enterrement dans un complexe mémorial construit afin d’accueillir les plus grandes figures Russes, couverture médiatique importante. Récent, le mémorial ne comportait jusque là que la tombe du soldat inconnu de la Seconde guerre mondiale. Un véritable travail symbolique est ainsi mise en place, tentant de réveiller le souvenir d’une Russie glorieuse, communiste, puissante.
Kalachnikov est en effet symbole de l’URSS, cette période faste d’une Russie alors maître du monde. Vladimir Poutine tente depuis quelques années, et les nombreux mouvements de contestation de son autorité et de son autocratie, d’asseoir définitivement une nouvelle crédibilité de son Etat dans le jeu international, alors même qu’il fait face à d’énormes problèmes démographiques et économiques. Kalachnikov est un homme du système : sa vie, comme nous l’avons vu, se définit par le système communiste, qui seul a pu engendrer un tel talent : un autodidacte forcené, un stakhanoviste de l’armement, qui, par son seul mérite, a réussi à mettre au point une arme qui portera son Etat. Point d’héroïsme dans la suite de sa vie : il enchainera les récompenses, et montera les échelons hiérarchiques un à un, sans aucun passe-droit. C’est un homme de Sibérie, un paysan, arrivé au pouvoir. C’est cette image-ci que Poutine souhaite revaloriser, afin de recréer une véritable attache entre la Russie actuelle et ses habitants, de plus en plus éloignés du pouvoir et qui pensent n’avoir plus aucune possibilité d’évolution sociale face à un système sclérosé et gangréné par la corruption.
Cependant, cette situation est bien critiquable. Ce n’est certainement pas la première récupération politique d’un mort, mais elle est pourtant bien plus choquante. Certes, c’est un beau geste d’ingénierie, qui dans un temps de guerre a permis une suprématie, mais c’est aussi, et surtout, une arme à feu qui par sa volonté de conception est aujourd’hui présente dans tous les conflits mondiaux, qu’elle soit circonscrite à un Etat ou hors des frontières. Peut-on, dans une optique de communication, s’appuyer sur le symbole qu’est Kalachnikov : une réussite mortelle ? La création s’est éloignée de l’homme, mais le célébrer reste une ligne politiquement difficile à justifier sur la scène politique internationale actuelle – notamment les crises sur le continent africain. L’on peut y voir un affront fait aux nations et aux personnes engagées dans des conflits mettant en jeu cette arme.
De plus, le choix de Kalachnikov comme symbole peut être une erreur : la création éloignée aujourd’hui du créateur, ce sont bien deux idéologies différentes qui sont véhiculées. Là où l’ingénieur est statutaire d’une Russie forte, la Kalachnikov, l’arme, est quant à elle symbole de révolution, mais aussi de capitalisme mortifère. Symbole de révolution et donc d’une idée qui germe depuis longtemps dans la population Russe, qui pourrait voir la célébration de cet homme comme le terreau d’un mouvement de libération. Mais aussi symbole de capitalisme : aujourd’hui arme la plus vendue au monde, elle n’appartient plus à la Russie, mais au monde capitaliste de la guerre, qui régit aujourd’hui une bonne partie des conflits internationaux. La kalach’ est passée dans le langage courant, elle est internationale, s’approche de groupes radicaux mais aussi d’imageries cinématographiques ou littéraires occidentaux. La kalach’ est l’idée d’une révolution mais qui sent aujourd’hui le faux, le vétuste, une imagerie de la révolution passée au moulin capitaliste de l’argent.
En s’appuyant sur un tel symbole, Vladimir Poutine tente une récupération politique de premier ordre pour rétablir l’image d’une Russie basée sur ses habitants, leur patriotisme, et un système méritocratique. Cependant, ce choix peut-être véritablement critiqué, puisque la Kalachnikov est désormais un symbole mouvant, appartenant à une idéologie loin de celle de son créateur.
 
Adrien Torres
 
Sources :
Liberation.fr – Funérailles d’Etat en Russie pour Mikhaïl Kalachnikov
Liberation.fr – Mikhaïl Kalachnikov est mort
LePoint.fr – La Russie enterre Kalachnikov avec les honneurs

Crédits photos :
AFP

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