Neknomination
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Neknomination : le jeu à boire 2.0

 

Quel est le point commun entre Isaac Richardson, jeune gallois ayant étudié la grammaire, Ross Samson, joueur star du rugby écossais et votre pléthore d’amis Facebook ? Vous ne voyez vraiment pas ? Réjouissez-vous ! Vous pouvez vous targuez d’appartenir au cercle très privé des internautes encore épargnés par le phénomène « neknomination ».

Venu tout droit d’Australie, cet étrange néologisme est né de l’esprit embrumé de deux étudiants de l’université de Scotch – le hasard fait décidemment bien les choses – au cours d’une soirée bien arrosée. Hybridation des termes « neckling » (boire cul sec) et « nominating » (désigner), le neknomination offre aux adeptes des jeux à boire un nouveau terrain d’expression : le web et ses réseaux sociaux.

Fini le temps des shots entre copains au pub du coin, l’exhibition 2.0 s’exporte jusqu’au fond des verres ! La règle de base, on ne peut plus simple, est propice à la propagation. Réalisée face caméra, la mission, une fois acceptée, consiste à boire d’une traite 50 centilitres d’alcool avant d’inciter deux de ses amis (au minimum) à faire de même. La vidéo est ensuite postée sur Youtube, Facebook ou Twitter et laisse 24 heures aux nominés pour relever le défi. Visible publiquement, ce selfie d’un nouveau genre institue un rapport de force entre le buveur, qui présente son exploit ; ses nominés, invités à suivre son exemple ; et le public, intangible mais bien influent, que constitue leur cercle d’amis. Tout refus est en effet soumis au joug facebookien et au jugement des pairs.

La principale crainte des personnes désignées ? Passer pour un « lâche » ou pire, quelqu’un qui ne sait pas s’amuser. Sur les réseaux, les remarques  faussement reconnaissantes mais rarement contestataires se multiplient. « Merci à mon copain de m’avoir nominée à ce jeu débile » déclare Anna, 19 ans, non s’en s’être recoiffée au passage.
Majoritairement apprécié par les jeunes qui y voient une occasion d’afficher leur « branchitude », les individus les plus influençables peuvent être amenés à renier leur libre arbitre sous la pression du groupe.

Bien qu’éthiquement contestable, la tendance du  neknomination  aurait pu rester anecdotique si les conséquences de ses dérives s’étaient cantonnées au cadre de l’égocentrisme digital.  Comme tout jeu, neknomination invite à la surenchère et à la réécriture des règles.
Si certains font le choix de remplacer l’alcool par des mélanges toujours plus écœurants (le but du jeu est  alors d’avoir l’estomac le plus résistant) ou  préfèrent boire dans des positions et des lieux d’exception (au choix : à cheval, tête renversée au-dessus des toilettes, aquarium géant, océan, pont suspend, etc…), d’autres franchissent les limites de l’inconscience en augmentant les degrés d’alcool et les doses ingérés. Quatre personnes sont déjà mortes des suites de ce jeu au Royaume-Uni. Triste ironie ou don du sort, la plupart des victimes sont vite devenues trop malades pour mettre en ligne leur performance.

Il a suffi de quelques mois pour que l’idée originale des amis australiens se répande comme une trainée de poudre et mette feu à la toile. Alertées par l’ampleur de la contamination, les autorités sont rapidement confrontées à l’impuissance de leurs moyens d’action. Face à un géant Facebook qui refuse de censurer des contenus qui ne sont en rien contraires à son règlement, la riposte des pouvoirs publics s’organise autour des médias plus classiques et des campagnes de sensibilisation que relaie la Police Nationale. Les messages subliminaux qui y sont véhiculés s’affranchissent d’un ton trop souvent moralisateur. Au traditionnel slogan « l’alcool est dangereux pour la santé » semble succéder un tout autre mantra : la jeunesse ne rend pas invincible.

Ce qui n’était au départ qu’un simple jeu est devenu un enjeu « de vie ou de mort » repris massivement par les médias. Sur les sites dédiés à l’information, les commentaires désapprobateurs pullulent. Instrumentalisé, le neknomination y est dépeint comme le reflet d’une société vouée à la décadence.

Loin de ces considérations pessimistes, un utilisateur de Facebook aurait trouvé le moyen de faire taire les médisances en ajoutant une note d’espoir à cette symphonie plutôt sombre.  Désabusé à l’idée d’avoir été nominé par l’un de ses contacts, Julien Voinson décide de prendre le contrepied du Neknomination. Il relève le défi vidéo tout en en modifiant les règles au point de créer un tout nouveau jeu : « smartnomination » (une réponse « intelligente » à la « désignation »).
Le principe?  Se filmer en train de réaliser une bonne action avant d’encourager deux de ses amis (ou plus) à faire de même, puis poster la vidéo sur les réseaux sociaux. Salué par la blogosphère, son initiative pourrait bien être le premier maillon d’une longue chaîne de solidarité. Dons de repas et de vêtements mais plus encore, don de temps, ce « smartselfie » semble réussir là où tous les autres ont échoué : sensibiliser son auteur à la misère du monde.

Alors certes, cette mise en scène de soi va à l’encontre d’une solidarité idéalement « désintéressée » mais peut-on réellement le lui reprocher ? Le smartnomination  fait figure de prétexte au rassemblement ce qui, au pays du narcissisme digital, est déjà un bel exploit.
Bonne ou mauvaise, l’influence ne l’est qu’entre les mains des hommes qui la créent. Outil au service d’une jeunesse débridée, instrument de mort ou vecteur de charité, les réseaux sociaux abolissent une fois de plus les frontières.

 
Marine BRYSZKOWSKI
Sources
BBC
ABCNews
Telegraph
TheGuardian
Metro
Huffingtonpost
SudOuest
Youtube

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