Pinocchio
Société

Menteurs, vous avez dit menteurs ?

 

Ce 18 novembre, après quelques roulements de tambour et silences suspensifs, Shell, GDF Suez et Samsung se sont vus remporter haut la main les Prix Pinocchio. Pas de quoi se réjouir cependant, il y a fort à penser que ces grands parmi les grands se seraient bien passés de cette distinction. Lauréat de la catégorie « Mains sales, poches pleines », Samsung s’est découvert primé pour avoir été, parmi ses petits copains concurrents, la firme ayant violé le plus gravement les droits humains (notamment par rapport aux conditions de travail indignes des ouvriers de ses chaines de production chinoises). Shell s’est érigé en vainqueur incontesté de la sélection « Un pour tous, tout pour moi » pour sa participation active au saccage des ressources naturelles, via la démultiplication de ses projets de gaz de schiste à l’échelle planétaire. Enfin, GDF Suez a été couronné « Plus vert que vert », non moins ironiquement, pour une campagne de communication jugée abusive quant aux vertus écologiques (inexistantes) attribuées aux activités de la firme.

ecoblanchiment

Ces trois géants, montés sur le podium contre leur gré, ont payé les frais de l’annuel détecteur de « vrais mensonges et fausses vérités » (du titre d’un article de Didier Heiderich) orchestré par les Amis de la Terre France. Cette association indépendante, crée en 1970, s’attache depuis maintenant six ans à dénoncer les mascarades écologiques, financières ou sociétales élaborées par les grandes firmes et cherche à mettre sous le feu des projecteurs ces « Pinocchio du marketing » qui nous mènent en bateau. L’idée de cet anti-prix décerné par les internautes, levier immédiat de bad-buzz pour la marque, est de faire réagir les consommateurs abusés et d’obliger les grandes entreprises à corréler davantage leurs actions réelles et leurs discours médiatiques, souvent en décalage.

Quand les marques tendent « le bâton pour se faire battre »…

Que ce soit de la part des consommateurs, des Etats, des médias ou encore des ONG, une demande de plus en plus insistante est faite aux firmes en matière de morale et d’éthique. Ainsi invitées à communiquer sur le filon de la responsabilité sociale et environnementale (notamment), les marques ont rapidement perçu l’intérêt que cela pouvait leur offrir. A la clé, une jolie image ecofriendly et humaine auprès des actionnaires et des clients et ce, en s’engageant évasivement sur des grandes lignes de conduite pour lesquelles, en cas de non-respect, les chances d’être ennuyées sont minimes.
Si ce type de communication est souvent considéré comme abusif et trompeur, c’est que la prétendue transparence tend généralement à masquer l’absence d’engagements concrets et véritables et/ou à opacifier la situation réelle (détourner l’attention des lobbyings industriels, de la corruption fiscale, des chaines d’approvisionnement…).

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Une campagne de communication jugée fallacieuse : mauvais point pour Total, accusé d’éco-blanchiment (green-washing)

Il existe pourtant des institutions destinées à contrôler les engagements et codes de conduite annoncés par les entreprises. Le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), organisme de régulation de la publicité en France, a ainsi émis une recommandation déontologique dans le cadre de la publicité éthique : « Toute publicité, sous quelle forme que ce soit, qui intéresserait le développement durable, doit respecter les principes généraux de véracité, d’objectivité et de loyauté ». La violation récurrente de ces règles basiques comporte un risque majeur, souligné par les ONG et les associations militantes : celui de la désinformation du consommateur. Par l’éclatement et la démultiplication des discours, ces problèmes citoyens risquent d’être minimisés et les efforts de sensibilisation réduits à néant.

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L’industrie automobile maitrise l’art du décalage entre le discours et la réalité à laquelle il renvoie

… Les consommateurs en redemandent

C’est là que l’on serait tentés de se dire « Ciel, les firmes sont les grands méchants de l’histoire ». Et pourtant ! Il ne faudrait pas croire que nous, anonymes consommateurs, ne sommes pas acteurs de cette grande mascarade à laquelle nous consentons, plus ou moins directement. Sommes-nous entrés dans un système de complicité où le consommateur se complait dans les images douteuses d’irréprochabilité dont l’enveloppe la marque ?

Si l’on en croit l’étude menée en 2013 par Promise Consulting, il semblerait que le consommateur français ait une tendance à la bipolarité : si les trois-quarts de la population indiquent être attentifs au respect des droits de l’Homme et à la protection de l’environnement dans le cadre de la production des produits qu’ils achètent, peu sont ceux qui sont prêts à en payer le prix.
Ce paradoxe est subtilement raillé dans la chanson Green-washing du groupe Tryo, qui souligne que le parfait acheteur d’aujourd’hui « veut pouvoir dire pardon et soulager son esprit » (soit de l’éthique et du responsable) mais « veut moins cher, veut meilleur ». Le tout n’étant pas forcément compatible.

La communication éthique serait-elle alors l’opportunité légèrement hypocrite pour le consommateur de se conforter dans ses décisions d’achat et de légitimer ses choix individuels ?
Ce serait là le moyen permettant moralement à l’afficionado de fourrure de se laisser convaincre d’en acheter après qu’une marque eut vantée le caractère « humain » de ses élevages d’animaux. Le moyen permettant au conducteur sportif aguerri de s’autoriser l’achat d’un 4×4, après qu’une publicité lui ait mis en scène la symbiose de la voiture et des éléments, sur fond sonore de « L’air du vent » de Pocahontas. Car, après tout, l’étude de Promise Consulting le souligne, la consommation responsable se fait au regard de deux motivations : la volonté d’une solidarité planétaire certes, mais aussi le souci de son propre confort et de sa propre santé. Ce serait donc se décharger de notre responsabilité que de présenter le consommateur comme un récepteur passif, abusé et trompé par des communicants peu scrupuleux, prêts à lui vendre monts et merveilles. Il faudrait davantage envisager celui-ci comme un être suffisamment responsable et éclairé pour effectuer ses propres calculs de consommation, selon des paramètres personnels de cœur ou de raison.

Ainsi, la communication éthique et responsable pourrait être envisagée, en se gardant toutefois d’en faire une généralité, comme un consensus brouillé entre les marques et les consommateurs, où chacun tente plus ou moins adroitement de légitimer ses actions et son comportement.

En étant un tantinet fataliste, il s’agirait d’accorder crédit à Nietzche qui nous rappelle que notre monde est « faux, cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens » et que, par conséquent, « nous avons besoin de mensonges ». En étant davantage positif, il serait bon de retenir les initiatives désintéressées et sincères qui fleurissent du côté de chacune des parties prenantes : les consommateurs, qui commencent à jouer de leur droit de regard et les entreprises qui réalisent, peu à peu, la nécessité de concilier l’être et l’avoir.

Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :
novethic.fr
prix-pinocchio.org
LIENCOURT
developpement-durable.gouv.fr
huffingtonpost.fr
memoireonline.com
Causette N°50
Crédits photos :
prix-pinocchio.org
bartolucci.com
carfree.fr
marketing-etudiant.fr

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