Politique

Étude de cas d’un héros, Obama

Le 4 novembre 2008, Barack Obama était élu 44ème président des Etats-Unis d’Amérique à la suite d’une véritable Obamania médiatique qui avait passionné toute la planète. Certes il est le premier métisse à accéder à la magistrature suprême de ce pays au passé fortement raciste. Mais un tel engouement international pose tout de même question. Que la majorité de ses concitoyens tourne des yeux subjugués vers lui peut sembler normal puisqu’elle l’a élu pour les gouverner, mais le fantasme qui prend le reste du monde fait glisser la figure d’Obama : d’homme providentiel pour son pays il devient un véritable messie pour la planète entière.

Interrogé par France Culture, Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères sous la cohabitation Chirac-Jospin, émettait déjà que cette élection répondait aux attentes des Américains, mais pas seulement. Il parle de « l’attente des Européens, ou plutôt l’état de bonheur des Européens […] On a l’impression qu’ils sont heureux : il y a un méchant président qui s’en va, il y a un gentil président qui est là » avec lequel on pourra discuter, tout en ajoutant que le départ de George W. Bush faisait l’objet d’un soulagement pratiquement globalisé.

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Le risque pour un homme providentiel est de voir son image désacralisée à l’épreuve des réalités conjoncturelles et de l’exercice du pouvoir. Alors comment expliquer que le désenchantement qui a suivi son élection de 2008 n’a pas empêché Barack Obama d’être réélu en 2012, et qu’au jour d’aujourd’hui le parti démocrate soit motivé par la tendance « Nobama » ?

Novembre 2008, Australie, Paul Kelly écrivait dans The Australian : « Le peuple américain a choisi Obama mais le reste du monde voulait lui aussi Obama, ce qui investit cette présidence d’une autorité présidentielle inédite et lui donne l’opportunité de toucher non seulement les Américains mais aussi le monde entier ».

Lorsque Barack Obama devient l’étoile montante du parti en 2004, il n’est encore qu’un illustre inconnu. Retour sur sa formidable ascension : lors des primaires de juillet 2004, réalisées sous la « Convention de Boston », les démocrates recherchent un représentant des minorités. Et c’est dans ces conditions que le jeune Barack Obama a la chance de s’exprimer pendant environ un quart d’heure, qui devient son quart d’heure de gloire. Il y dévoile ses talents aujourd’hui reconnus d’orateur et son fameux « Yes we can » devenu le chantre de sa campagne en 2008.

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Mais en dehors de son charisme, ce sont deux mythes fondamentalement américains, qu’il tient en lui, qui l’ont aidé à devenir la figure de proue des démocrate : le salad bowl et le self-made man. Par son histoire il incarne l’image même de cette Amérique multiculturelle, qui donne à quiconque les chances de progresser. Et cela Barack Obama l’a compris très tôt, puisqu’il a décidé de miser sa campagne sur lui-même, son image, son histoire, sa vie, ses idées… Pour pallier son manque d’expérience. Mélange de marketing et de storytelling, il s’est placé lui-même comme le produit de son discours de campagne : le rêve américain, l’Amérique et le changement. Cela l’a fait apparaître comme un homme authentique et probablement le moins corrompu de tout le paysage politique. David Axelrod, consultant en chef de Barack Obama disait notamment à son égard « Il est sa propre vision ». Barack Obama s’est placé lui-même comme le message de sa campagne. Et son élection c’est le rêve américain, tout est vraiment possible : élire un président noir aux Etats-Unis ? Yes we can !

Barack Obama gagne donc les élections présidentielles du premier coup. Toutefois, il convient de rappeler les conditions de son élection. L’Amérique de 2008 vient de passer sept ans avec George W. Bush. Outre son conservatisme et son Axe du Mal, sa présidence est caractérisée par sa manière unilatérale de gouverner, faisant fi de l’opinion internationale jusqu’à détériorer les relations avec les pays traditionnellement alliés des Etats-Unis. Mais aussi une dérégulation financière et bancaire qu’il a amplifié en limitant l’influence et les pouvoirs des agences de contrôles. Le contexte est donc propice à des attentes énormes. S’ajoutent à cela le drame national du 11 septembre et les affres de la guerre en Irak et vous avez une Amérique en attente énorme de happy end. L’impopularité et l’incompétence du président Bush fils et de son gouvernement avaient déjà mené le parti démocrate à la majorité lors des élections de mi-mandat de 2006. Et à l’étranger, après des années pendant lesquelles la première puissance mondiale était dirigée par un président qui se désintéressait totalement de l’opinion publique mondiale, les attentes aussi sont énormes. Pour le successeur de Bush, il ne s’agit donc pas moins de sauver l’Amérique et la planète. À l’étranger on rêve de voir apparaître à la tête de cet État leader, une personnalité positive, qui permettra de repositionner d’égal à égal les relations transatlantiques, s’éloigner du rapport de force et de domination de Bush : « Vous êtes avec moi ou contre moi ». Patricia de Lille, maire du Cap, Afrique du Sud, disait en effet « En des temps cyniques, il y a un besoin désespéré d’espoir universel ». Une mission qui n’est pas si éloignée de l’exceptionnalisme et du messianisme américain.

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Mais en novembre 2008, dans le quotidien colombien Semana, Antonio Caballero prévenait déjà : « Le monde ne doit pas se faire trop d’illusions sur Barack Obama. Il est simplement le nouveau président des Etats-Unis. ».

Les 28 et 29 juin 2013, Barack Obama rend une visite diplomatique en Afrique du Sud, mais pour l’accueillir à Johannesburg, des centaines de personnes se sont réunies pour manifester, parmi elles Sedric Kibuala qui brûle un drapeau américain. « Ce que je suis venu dire à Obama c’est : Obama, je l’ai entendu dire qu’il avait des idées politiques pour l’Afrique mais il n’a absolument rien fait. Alors je ne suis pas content. » Il est l’exemple même des attentes démesurées, qui pesaient sur le président métisse, et qui ne pouvaient donc qu’être déçues.

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Le cas de l’homme providentiel qui déçoit n’est étranger à aucun pays, mais le cas d’Obama est vraiment d’une intensité remarquable. Il n’était pas seulement vu comme le messie pour son propre pays mais aussi comme un modèle pour le monde entier. Un engouement qui a atteint le comble de son absurdité lorsque le comité Nobel a décidé de lui décerner le prix de la Paix le 9 octobre 2009 après seulement un an de présidence. Une décision qui a poussé Etienne Augé à se pencher sur ce culte de la personnalité d’Obama et d’écrire « il est devenu presque impossible en France de critiquer Obama au nom du politiquement correct » comme il était devenu impossible de ne pas haïr Bush. Mais plus encore, il y a l’idée qu’un rejet d’Obama implique un racisme. En effet, derrière la figure de Barack Obama, il y a la figure de l’évolution de l’Amérique, réconciliée avec elle-même et capable d’élire un Noir à la présidence, alors que 53 ans auparavant précisément, Rosa Parks était arrêtée pour avoir refusé de céder sa place à un homme blanc dans un bus.

Et pourtant, Barack Obama a de nouveau gagné les élections en novembre 2012. Pour Thomas L. Friedman du New York Times, les Républicains ont perdu une élection qu’ils avaient toutes les chances de remporter étant donné la situation économique. Et il n’est pas le seul à le penser : Jonathan Capehart du Washington Post voit dans le second mandat de Barack Obama un véritable pied de nez à l’Histoire, « aucun président sortant n’aurait pu gagner les élections dans une si mauvaise situation économique ». Et pourtant Barack Obama l’a fait. Le candidat à sa réélection a joué sur la transparence, reconnaissant subtilement qu’il avait encore besoin de temps pour remplir ses objectifs. Ce serait un signe ? À l’étranger la confiance reste également présente. Ahmed Ounaïes, ancien ministre tunisien des Affaires étrangères déclarait pour Tunisia Live « c’est vrai que lors de son premier mandat nous avons été déçus, mais nous sommes confiants : il saura reprendre les choses en main ». De même, l’institut italien de l’opinion Piepoli sortait que 70% des Italiens étaient pour sa réélection.

Pourtant le 4 novembre 2014 les élections de mi-mandat confirment la majorité républicaine. À cette occasion le Courrier International dédie la Une et le dossier de son numéro 1252 à « Obama : le mythe en miettes », où il s’interroge sur la figure d’Obama, comme leader politique ou grand homme d’État qui restera au moins dans l’histoire politique de son pays, ou tombera aux oubliettes. Que restera-t-il de sa présidence ? Contrairement à ses promesses, il n’a pas fermé la prison de Guantanamo Bay ni réalisé sa réforme sur l’immigration. Il n’a pas réussi à se désengager au Moyen-Orient et à opérer un virage vers l’Asie comme il voulait le faire. Il a réagi mollement aux agressions de Vladimir Poutine contre la Crimée et l’Ukraine et à celles de Bachar el-Assad contre son propre peuple. Il a notamment réitéré ses avertissements contre l’utilisation d’armes chimiques par le gouvernement syrien contre son peuple, « ligne rouge » maintes fois franchies, sans que l’administration Obama ne prenne des mesures. Il n’a pas réussi à imposer sa réforme sur la libre circulation des armes au Congrès. Il est devenu le champion des frappes de drones au Pakistan et au Yémen. Et c’est pour toutes ces raisons qu’une bonne partie des candidats démocrates aux élections de mi-mandat ont décidé de faire campagne en stricte opposition avec le président démocrate. Dans le Financial Times du 4 novembre, on apprend que les candidats des états de l’Arkansas, de Louisiane, de l’Iowa et de la Caroline du Nord promettent à leurs électeurs de voter contre les réformes et initiatives de Barack Obama.

Cependant tous ces échecs sont à relativiser, selon le journaliste Aaron David Miller, Barack Obama a écopé d’une situation très compliquée, en grande partie liée à l’héritage de l’administration Bush, « depuis 1945 aucun président n’a été confronté à une conjoncture aussi difficile ». Il y a la crise financière, la plus grande depuis 1930, le désastre de la guerre en Irak, à la fois pour les relations internationales mais aussi pour le traumatisme des Américains ainsi que le système politique dominé par les lobbies. Et comme Paul Krugman, fervent défenseur du président, l’énonce souvent : l’économie du pays est remontée de 8% depuis 2008, le chômage est passé en dessous des 6%, le déficit budgétaire fédéral lui en dessous des 3% et l’Obamacare a apporté une assurance-santé à pas moins de 10 millions d’Américains.

En définitive, il faut relativiser les conditions de l’élection de Barack Obama. Les Etats-Unis et le monde entier demandaient un sauveur et Barack Obama, par son histoire si atypique, son charisme, sa couleur de peau, a pu incarner cette rupture radicale avec le passé, promesse de changement. Toutefois cela ne suffisait pas à faire de lui un sauveur. Dès l’instant où il n’a pas su provoquer un rassemblement unanime de tous les Américains derrière ses choix, il avait déçu les espérances. Si sauveur il y a, alors on peut dire qu’Obama est un sauveur médiatique.

La seule chose qu’il aura pleinement réussie à la fin de son mandat est d’avoir redoré l’image de sa patrie, d’avoir restauré une image plus respectable des Etats-Unis à l’international que Bush l’avait laissée. Et tout cela, en grande partie grâce à sa couleur de peau, car dans un monde où la politique est dominée par la communication et où la communication est dominée par l’image, l’emballage compte énormément.

Marie Mougin
Sources :
Revues universitaires :
« Barack Obama : une révolution américaine » Niels Planel, Les Temps Modernes, n°649 (2008)
« Barack Obama, illustre et inconnu » Niels Planel, Lire l’Amérique politique contemporaine, Sens public, n°9 (2009)
« Il fut le président des Etats désunis » Niels Planel, Comprendre l’Amérique politique et contemporaine, Sens public, n°9 (2009)
« Obama, homme providentiel ? » Anne Deysine, Parlement[s], Revue d’histoire politique, n°13 (2010)
Dossiers de presse :
« Yes ! La presse américaine et mondiale salue sa victoire » Courrier International, n°940 (2008)
« Bis ! Son nouveau contrat pour l’Amérique – les réactions de la presse américaine et international » Courrier International, n°1149 (2012)
« Obama – le mythe en miettes » Courrier International, n°1252 (2014)
Articles journalistiques :
« Nobel : Barack Obama n’est qu’un homme » Etienne Augé, Slate, 16 juin 2009, mis-à-jour le 09 octobre 2009
« Dissent within the ranks: Where does the opposition to Obama’s SA visit come from? » Khadija Patel, Daily Maverick, 27 juin 2013
« SA’s ‘Nobama’ protests: broad but confused » Khadija Patel, Jessica Eaton et Goolam Hassen, Daily Maverick, 29 juin 2013
« Obama, un symbole écorné » Courrier International, 1er juillet 2013
« Obama: messiah or mess? » Timothy Garton Ash, Los Angeles Times, 14 octobre 2014
Crédits images :
Karen Hurley
Jason in Hollywood
Courrier International
slate.fr
Siphiwe Sibeko (Reuters)

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