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StopDjihadisme : analyse d'une vidéo controversée

« Comme le prévoit la loi antiterrorisme votée récemment, la priorité, c’est de travailler sur Internet, c’est là qu’une partie de la radicalisation se forme » indiquait Manuel Valls, au lendemain des attentats de Paris. La réplique ne s’est pas fait attendre. Mercredi 29 janvier, le gouvernement a donc mis en ligne un clip vidéo visant à lutter contre l’embrigadement djihadiste sur Internet. Ce clip s’inscrit au sein d’un site spécifique, intitulé www.stop-djihadisme.gouv.fr. La vidéo, qui comptabilisait déjà plus de 150000 vues dans les heures suivant sa diffusion, n’en finit pas de faire parler d’elle : interdite aux moins de douze ans, violente tant physiquement que verbalement… D’aucuns dénoncent déjà son manque d’efficacité. Faut-il y voir un échec communicationnel du gouvernement, ou au contraire un objet de contre-propagande réussie ?

Le poids des mots, le choc des images

Le principe de la vidéo est simple : dénoncer l’écart entre le fantasme des discours djihadistes et la réalité. « Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause », disent-ils. Réponse du gouvernement : « En réalité, tu découvriras l’enfer et mourras seul, loin de chez toi ». « Viens fonder une famille avec l’un de nos héros », disent-ils encore. Réponse du gouvernement : « Tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur ». La vidéo frappe ainsi par sa violence verbale. Mais celle-ci ne serait rien sans la violence des images : le triomphe des djihadistes de Daesh défilant lors de la prise de Raqqa laisse soudainement place à des scènes de crucifixion. Le tout sur fond d’une musique lancinante. Le clip s’achève sur ces mots : « Les discours d’embrigadement djihadistes font chaque jours de nouvelles victimes. #StopDjihadisme ».

Cette vidéo n’est pas sans faire penser aux films de propagande cyber-djihadiste d’Omar Omsen, cyber-recruteur qui aurait permis plusieurs dizaines de départs de candidats au djihad vers l’Irak et la Syrie. Elle en reprend tous les codes : effets spéciaux, montages vidéos, extraits de jeux vidéo, fond de musique hypnotique. C’est donc à un exercice de contre-propagande, utilisant les codes de la communication cyber-djihadiste, que se livre le gouvernement français. Cette vidéo, au lendemain de sa diffusion, fait déjà l’objet de critiques. Comme pour tout objet de communication, il convient donc d’en analyser la cible et les objectifs, afin de conclure à leur éventuelle inadéquation.

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Une efficacité limitée ?

A qui cette vidéo est-elle destinée ? A qui parle-t-on ? L’emploi de la deuxième personne du singulier dans cette vidéo est à cet égard révélateur : « Tu mourras seul », « Sacrifie-toi », « Tu découvriras », etc. Le tutoiement rappelle lui-aussi un procédé largement utilisé par Omar Omsen et les cyberdjihadistes. Comme le rappelle Raphaël Liogier, sociologue à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, auteur notamment de Le Mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, l’emploi du « tu » montre que le gouvernement a bien compris comment s’adresser aux jeunes tentés par le djihad. Car c’est bien des jeunes dont il s’agit ici. Le support médiatique utilisé, à savoir une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, renforce cette idée. Christian Gravel, directeur du Service Internet du Gouvernement, explique ainsi : « Nous allons diffuser largement cette vidéo sur les réseaux sociaux, afin de toucher au maximum les jeunes sensibles à ces thèses et à ces sirènes. Nous espérons que cela va provoquer chez eux un choc ». Même analyse chez Dounia Bouzar, anthropologue directrice du Centre de prévention des dérives sectaires, qui voit dans ce type de support le « meilleur moyen de toucher les jeunes ».

Pour autant, quelle efficacité cette campagne peut-elle avoir ? « La jeunesse n’est qu’un mot », rappelait Pierre Bourdieu dans Questions de sociologie. Cibler les jeunes, n’est-ce pas trop vague ? Nombreuses sont les interrogations concernant les jeunes déjà radicalisés. Représenter la violence de l’Etat Islamique n’aurait qu’un effet limité, voire contre-productif : pour les gens endoctrinés, cette violence est légitime. D’autre part, les récents événements ont montré les ravages des thèses conspirationnistes. Comme le souligne David Thomson, auteur de Les Français djihadistes et journaliste à RFI, « pour ces jeunes, souvent adeptes de la théorie du complot, tout ce qui vient du gouvernement est frappé du sceau du mensonge ou de la manipulation ».

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Eric Dénécé, du Centre Français d’Etudes sur le Renseignement, achève de détruire le clip gouvernemental : ce n’est pas avec « cette gentille documentation » que l’on va « récupérer des gens qui ont un penchant pour le djihad » (Source RMC).

Si, d’autre part, le choix du support vidéo est le plus à même de toucher les jeunes, quelle est la réalité de la radicalisation sur Internet ? Rappelons à cet égard que parmi les auteurs des principaux attentats ayant touché la France et la Belgique depuis deux ans, aucun ne semble s’être radicalisé sur Internet. Qu’il s’agisse de Mohammed Merah, de Mehdi Nemmouche, d’Amedy Coulibaly ou des frères Kouachi, tous se sont radicalisés en prison et non en regardant des vidéos d’Omar Omsen…

Guerre médiatique et ambiguïté gouvernementale

Si l’efficacité de cette vidéo semble être remise en question, il s’agit de la replacer dans un cadre plus large qui est celui de la lutte contre le cyber-djihadisme. L’analyse de cette vidéo, au sein de ce dispositif englobant différents aspects – lutte contre la radicalisation, surveillance de certains sites, « Responsabilisation des acteurs du Web » annoncée le 20 janvier par Bernard Cazeneuve, numéro vert anti-djihad… – apparaît révélatrice de certaines ambiguïtés. Ce discours de lutte contre le cyber-djihad n’est-il pas lui-même qu’une posture communicationnelle ? Les sites djihadistes constituent une mine d’informations précieuses pour les autorités policières. David Thomson énonce ainsi « les autorités ont-elles vraiment envie de supprimer ce qui reste la première source de renseignements sur l’activité de l’Etat islamique? » Selon le juge antiterroriste Marc Trévidic, 80% des affaires terroristes sont réglées grâce à des preuves trouvées sur Internet…

Entre inefficacité supposée et ambiguité gouvernementale, quelle est alors la fonction de cette vidéo ? Si l’on reprend la typologie énoncée par Robert K. Merton, on peut voir dans ce clip la coexistence d’une « fonction manifeste » et d’une « fonction latente ». Nous l’avons vu, cette vidéo s’inscrit manifestement dans le combat controversé de la lutte anti-djihad. Les critiques pleuvant sur elle s’attachent à remettre en question cette fonction manifeste. Mais il s’agit de prendre un peu de recul : la cible de la vidéo n’est peut-être pas seulement les jeunes, mais aussi et surtout les cyber-djihadistes eux-mêmes. On peut y voir un geste à destination de ces cyber-recruteurs. Cette première réponse médiatique du gouvernement est une réplique communicationnelle adressée aux djihadistes.

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Le nombre de hashtags « StopDjihadisme » sur les réseaux sociaux, au même titre que les bombes de la coalition lancées sur l’Irak et la Syrie, fait partie de la lutte globale contre les djihadistes. Internet est devenu un champ de bataille. Et si cette vidéo ne permettra peut-être pas de dissuader les candidats au djihad de partir, elle a au moins le mérite d’envoyer un signal fort aux terroristes : le djihad n’a pas le monopole de la communication.

Alexis Chol

Sources :  
rmc.bfmtv.com
www.stop-djihadisme.gouv.fr
abonnes.lemonde.fr/pixels
www.egaliteetreconciliation.fr
lefigaro.fr (1) et (2)
20minutes.fr
ouest-france.fr
news.vice.com
slate.fr

Crédits photos :
atlantico.fr
tuxboard.com
gouvernement.fr

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