Brice de Nice
Médias

Clasher pour ca$her

Parce qu’à côté de Yann Moix, même le Kass contre Kass de Brice de Nice ne ferait pas le poids. Aujourd’hui, c’est bien connu, le clash télévisuel fait vendre et devient même l’essence de certaines émissions. Ces dernières semaines, le fameux talk-show « On n’est pas couché » animé par Laurent Ruquier a été en permanence l’objet des zappings et buzzs télévisuels.

Brice de Nice
Brice de Nice

Et ce, pour quelles raisons ?

Depuis quelques temps, ces confrontations verbales perpétuelles sont la plupart du temps incarnées par la personne de Yann Moïx, chroniqueur remplaçant Aymeric Caron. Et quand le réalisateur et écrivain récompensé du prix Goncourt du premier roman français intervient : ayez un ego bien accroché ! Tel un tireur d’élite, il capte sa cible et ne la lâche pas, la mitraillant alors de reproches plus complexes syntaxiquement les uns que les autres. Marina Kaye, Nekfeu, Shy’m, Michel Onfray et tant d’autres en ont tous fait les frais.

Quels prémices au clash?

Les gestes, les mouvements de la bouche, les regards et les mots emplis de tension sont tout autant d’indices d’un clash annoncé. Au sein de la même émission, on se souvient également du très médiatisé face à face entre Aymeric Carron et Caroline Fourest repris ensuite dans plus de 119 articles de presse. Les deux « journalistes-acteurs » se sont alors prêtés au jeu de ce spectacle télévisuel en s’écharpant méchamment sur la question du blasphème et au sujet d’un communiqué de Ben Laden. La vidéo de l’altercation sera visionnée plus d’un million de fois sur la plateforme YouTube.
Et comment ne pas évoquer, en parlant des buzzs qu’a généré « ONPC », la récente intervention de Nadine Morano sur la France en tant que « pays de race blanche judéo-chrétienne » dans l’émission. Évidemment, nous ne sommes pas dupes, les producteurs de l’émission savaient très bien qu’en invitant l’ex ministre qui n’a clairement pas sa langue dans sa poche, ce serait la promesse d’une émission pleine de virulence synonyme de bonnes audiences.
Les invités de l’émission sont donc également choisis, en partie, selon leur potentiel de « clasheur ».

Mais quel est réellement l’intérêt d’une confrontation pour le spectateur ?

Le risque évident du clash lorsqu’il atteint les extrêmes est une blessure dans l’amour propre d’un de nos clasheurs. Le débat, initialement orienté sur un sujet bien spécifique (politique, social, économique, culturel) devient une affaire d’ego et se vide de son sens initial. C’est donc là que l’insulte prend le pas sur l’argumentation construite.
La susceptibilité se trouve au cœur du clash poursuivant une mécanique de querelles enfantines avec un maître d’école qui tente de pacifier l’accrochage. Dans le cas d’ONPC, c’est Laurent Ruquier qui endosse le rôle : « Elle a raison aussi », « On devrait être tous d’accord » répète-t-il à longueur de temps.
Les plans invité/chroniqueur s’enchaînent tandis que le public, comme dans une arène, donne son caractère très dramatique à la scène en applaudissant chaque saillie cassante ou bien en huant toute frasque.
Si certains dénoncent ce genre de programmes comme étant la télévision du vide, d’autres en tirent tous les bénéfices. : celui qui gagne le duel verbal sera soutenu et acclamé sur tous les médias tandis que le perdant sera déchu et ouvertement critiqué.
La chanteuse Marina Kaye a d’ailleurs su en tirer profit lors de sa dernière intervention dans « ONPC ». Elle a eu en effet un accrochage houleux avec Yann Moix mais a réussi à faire preuve de répartie en répondant aux critiques sur son album par « Je comprends et j’accepte vos critiques mais ce serait bien s’il y avait une explication avec », laissant le chroniqueur sans voix. Cette séquence a été reprise de nombreuses fois et les ventes de l’album de la chanteuse ont été fortement boostées.

Marina Kaye, On n'est pas couché
Marina Kaye dans On n’est pas couché le 03/10/2015, Youtube.

Une autre émission du genre sur la chaîne Comedy Central aux USA use du clash comme un producteur d’audience. Il s’agit de « Roast », émission à laquelle le très controversé Justin Bieber a été volontairement l’objet d’une humiliation publique dans l’optique de se racheter une conduite.
Après avoir été en permanence l’auteur des pires frasques dans tous les tabloïds du monde, il cherche à présent à faire son « mea culpa ». « Roast » se présente comme une émission de « bashing » clairement revendiqué. Le 30 mars dernier, Justin Bieber a été victime d’une bataille d’œufs organisée par le directeur des programmes, mais il a surtout assisté à son procès moral avec des intervenants (amis, famille ou personnes célèbres) venus expressément pour le descendre. On a donc notamment entendu « Les fans de Justin sont appelés Beliebers car il est « impolitiquement » (sic) correct de dire aujourd’hui attardés » ou encore « Et dire que Selena Gomez est sortie avec ce garçon, qu’est-ce que ne feraient pas les Mexicains pour avoir la nationalité américaine » … Et tout cela provoquant l’hilarité du jeune homme concerné. Car si Justin peut perdre les pédales, il n’en perd pas son bon sens de la communication. Il sait bien qu’en jouant la carte de l’autodérision cela attirera le rire et la compassion du public. Se racheter une conduite en se faisant publiquement humilier, au fond pourquoi pas ?
Ce qui est certain c’est que nos têtes à clash doivent toujours chercher à innover car reposant sur le principe du buzz, il viendrait à mourir. Doit-on craindre qu’il bascule toujours plus dans le vulgaire, le trash ? Quelles sont alors ses limites ?
Aujourd’hui le clash se présente donc selon le sémiologue Denis Bertrand comme « un motif médiatique institué, presque un genre télévisuel. Le spectateur s’interroge alors sur ce nouveau phénomène de société : la lutte des clashs. »

Ségolène Montcel

Sources : 
– Médias le Mag, France 5 émission du 10/05/2015 : « Le Clash à la télé rend-il con ? »
– Le Figaro : « Laurent Ruquier et Elise Lucet, machines à Clash de France Télévision »
– Article du magazine hebdo gratuit Stylist sur l’émission « Roast »
Crédits images : 
– Brice de Nice, James Huth, 2005
– Marina Kaye dans On n’est pas couché le 03/10/2015, Youtube.

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