Société

WIKILEAKS – de la libre information à la défaite de Clinton

Le 8 novembre 2016, Hillary Clinton est battue par Donald Trump dans la course à la présidentielle. Par Donald Trump seulement ? Et si l’organisation non gouvernementale créée par Julian Assange en 2006, Wikileaks, était finalement le troisième homme de l’élection américaine, renversant la table et offrant la victoire à Trump ? Retour sur des rapports de forces communicationnelles digne d’une pièce shakespearienne.

Récapitulatif de l’affaire

Hillary Clinton arrive au Département d’État américain en 2009. Après l’attaque du Consulat américain à Benghazi (Libye) en 2012, Clinton prendra l’entière responsabilité du manque de sécurité et devra fournir 30 000 e-mails à une commission du Congrès qui mènera une enquête en 2014. On découvre alors qu’elle a utilisé son adresse privée, plutôt que l’adresse administrative. Chose interdite par la loi fédérale, posant des problèmes de sécurité intérieure. En 2015, Wikileaks rend l’affaire publique. Et ce n’est qu’un début.
Durant la campagne présidentielle de 2016, Wikileaks va publier des documents compromettant la candidate démocrate. Ainsi, en juillet, l’organisation révèle que Clinton a bénéficié du soutien du Comité National Démocrate, connaissant à l’avance les questions des débats pour l’investiture face à Bernie Sanders. De mars à octobre, Wikileaks a également sorti des échanges de mails entre Clinton et John Podesta, son directeur de campagne révélant son positionnement en faveur du libre-échange. Des discours prononcés à Wall Street et payés par Goldman Sachs ont été publiés au même moment. Dernier point d’orgue : alors qu’en juillet dernier, le FBI décidait de ne pas poursuivre la candidate malgré son « extrême négligence », le 28 octobre James Comey (directeur du FBI) rappelle qu’il y a suspicion envers la démocrate. Tout ceci a énormément déstabilisé la campagne d’Hillary Clinton.
Le décor est posé, nous pouvons rentrer dans le vif du sujet.

Une mauvaise stratégie de défense de Clinton

Au court de la campagne l’équipe de Clinton a essayé de transformer son image libérale pour conserver le vote des soutiens de Bernie Sanders, bien plus à « gauche » qu’elle. Mais face aux révélations de Wikileaks sur son lien avec le milieu financier, Clinton n’a pas su se défendre. Pire, pour l’affaire de la messagerie privée, elle a expliqué que c’était autorisé. Mauvais choix.
Clinton n’a pas su jouer la carte de la transparence. D’où le fait que les électeurs, déçus, considèrent qu’elle est malhonnête.

Du pain béni pour la communication électorale de Trump.

Car rien ne pouvait arriver de mieux pour le républicain. Trump a basé sa campagne sur l’anti- establishment, sur l’anti-système. Et l’affaire des E-mails d’Hillary Clinton a nourri cette rhétorique permettant de récupérer le vote des pro-Sanders dans une logique populiste. Mais ce qu’il faut voir également, c’est que Trump n’a pas été touché par des fuites telles que celles des E-mails de Clinton (hormis ses propos sexistes mais qui ont eu peu d’impact au vu du résultat de l’élection). Bien que lui aussi fasse parti de ce système politique et médiatique – héritier, pur produit de la télé-réalité et qui en plus ne paye pas d’impôts depuis 18 ans – , on ne lui a pas demandé de faire preuve d’un tel degré de transparence. Deux poids, deux mesures, ce qui est assez étonnant aux Etats-Unis. Malgré ses mensonges sur l’immigration et sur la politique, le candidat républicain reste authentique pour ses supporters.
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Comprendre la communication de Wikileaks

Dans cette campagne, Wikileaks a adopté une stratégie digne des grands médias du début du XXème siècle : la publication en feuilleton. Ce choix de diffusion a permis à cet éditeur tout à la fois d’être au cœur chaque semaine des questions politiques, mais aussi de faciliter la lecture et l’analyse de ces documents. Un choix très stratégique et efficace. Efficace puisque Wikileaks dénonce ce « maccarthysme démocrates », qui représente une menace pour la liberté d’information puisque 95 % des journaux ont soutenu Clinton durant cette campagne.
 Une question nous taraude encore : pourquoi Wikileaks a-t-il fait ça ? Simple vengeance contre Hillary Clinton ? La même Hillary Clinton qui mena la contre-attaque pour discréditer Assange et protéger le gouvernement américain après la fuite en 2010 de 250 000 câbles militaire sur l’opération en Irak. Et qualifiant au passage cette fuite d’ « attaque contre la communauté internationale ».
Un soutien de Trump ? Difficile à croire quand Wikileaks explique que le candidat représente tout ce que combat l’ONG – et de rappeler au passage qu’ils n’ont reçu aucun document visant le républicain. Un lien avec Poutine, alors que Wikileaks a bénéficié de l’aide des hackers de Fancy Bears (lié aux services secrets russes) pour « l’affaire des E-mails de Podesta » ? Et si c’était simplement un idéal que poursuivait la plate-forme ? Dans un édito publié le 8 novembre, jour de l’élection, Assange s’est défendu d’être une marionnette, voulant laisser le peuple voter avec le maximum d’information sur les candidats. Fustigeant les anciens médias comme le New-York Times, qui avait publié une enquête sur la surveillance généralisée de l’administration Bush après la réélection de ce dernier, Wikileaks prône ainsi un nouveau modèle d’ « open journalism » libéré des Gatekeepers, et où la figure du lanceur d’alerte devient centrale.
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Quelles leçons tirer de cette campagne ? Premièrement que nous sommes peut-être entrés dans une période qualifiée par les observateurs de « post vérité ». Peu importe ce qu’on dit tant qu’on le dit en faisant le plus de bruit possible. Il faut reconstruire notre système médiatique qui ne suscite plus que la défiance malgré le travail de fact-checkers des grands journaux d’information comme le New York Times ou le Washington Post pour remettre la vérité dans le débat démocratique. Certes central, ce travail de vérification des faits a été finalement inutile face à un complotisme beaucoup plus séduisant (et qui joue lui aussi sur l’analyse des faits). Frédéric Lordon critique ainsi le « journalisme post-politique », un journalisme où il n’y a qu’une seule vérité et où aucune alternative n’est possible, empêchant un réel débat démocratique. Ce journalisme semble donc se couper du public. Tout ceci alimente la défiance face à ce qu’on nomme la « sphère politico- médiatique », nouvel élément de langage du populisme.

Charles Fery

Sources :
– Juliette Mickiewicz, Comprendre l’affaire des emails d’Hillary Clinton en quatre points, Le Figaro, publié le 28/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Simon Petit, Pourquoi Wikileaks s’acharne contre Hillary Clinton, Le Temps, publié le 19/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Damien Leloup, Présidentielle américaine : Wikileaks mène campagne pour Donald Trump, Le Monde, publié le 19/10/2016, consulté le 14/11/2016.
– Julian Assange, Assange Statement on the US Election, Wikileaks, publié le 08/11/2016, consulté le 14/11/2016.
The Podesta E-mails, Wikileaks, consulté le 14/10/2016.
-Frédéric Lordon, Politique post-vérité, ou journalisme post-politique, Le monde diplomatique, publié le 22/11/2016, consulté le 23/11/2016.
Crédits photos :

– Kim LaCapria
– Dessin de Fair.
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