Société

Algorithme et Big Data, pour le meilleur ou pour le pire ?

De plus en plus d’entreprises et d’hommes politiques se dirigent vers le big data – désignant l’analyse de volumes de données (data) à traiter de plus en plus considérables et présentant un fort enjeu marketing – et la géolocalisation afin d’affiner leur stratégie commerciale ou d’affûter leurs stratagèmes politiques.
En outre, les algorithmes – équations complexes programmées pour s’effectuer automatiquement à l’aide d’un ordinateur pour répondre à un problème spécifique – connues uniquement de leurs propriétaires, régissent aujourd’hui le fonctionnement de la plupart des réseaux sociaux et sites d’information. Filtrant notre information, cloisonnant les électeurs dans des cases ou influençant nos comportements d’achat, il est temps de se pencher sur l’éthique et la transparence de ces pratiques.

Le géofencing : nouvel eldorado pour le marketing ?

Il y a à peine un an, Monoprix lançait un dispositif de communication promotionnel d’un nouveau genre. Dans plus de vingt de ses points de vente en Ile de France, quatre bornes Beacon et une application dédiée, C-Wallet, ont été mises en place afin de diffuser des messages promotionnels aux potentiels consommateurs, non seulement à 300 mètres du magasin, mais aussi au sein même des rayons.
Le client reçoit ainsi ce type d’offres promotionnelles dès qu’il passe devant les produits des 5 marques sélectionnées par Monoprix (Nescafé, Ariel, Lenor, Oral B, Head & Shoulders).
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Ce dispositif s’appuie sur une technique innovante et de plus en plus utilisée : le géofencing. D’après l’agence 1m30, le géofencing est « une technologie qui permet d’envoyer des messages ou notification push aux utilisateurs lors de leurs entrées ou départs d’une zone géographique donnée ».
De plus en plus de marques, lassées des résultats peu compétitifs des emails promotionnels spammés ou des effets destructeurs des bloqueurs de publicité sur les revenus publicitaires, se dirigent vers cette nouvelle technique de ciblage à l’efficacité redoutable.
Alors, tous traqués ? Et bien oui ! Si vous avez, comme la majorité des internautes, accepté d’être géolocalisé(e) lors de l’inscription sur un site internet ou une application, alors l’entreprise est dans la légalité et peut donc vous localiser. Avec n’importe quel message, à n’importe quel moment.
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Quand les politiques s’en mêlent …

A l’image du géofencing, les algorithmes et la géolocalisation font leur entrée en force dans les campagnes politiques. En France, Emmanuel Macron mise ainsi sur les nouvelles technologies. Les «marcheurs» de son mouvement En Marche !, qui ont fait du porte-à-porte leur spécificité, sont guidés par l’application 50+1. Croisant les données publiques et cartographies de l’INSEE, elle détecte les zones électorales prioritaires -comportant un grand nombre d’abstentionnistes ou correspondant à son électorat-, les guidant sur le terrain. Une vraie chasse au trésor – à l’électeur ?
Ensuite, c’est au tour du logiciel Proxem, une méthode de traitement automatisé du langage, de prendre le relai. L’analyse sémantique des verbatims provenant de 10 000 conversations dégage les thèmes prioritaires et permet ainsi au candidat d’orienter son programme.

Le « diagnostic » d’Emanuel Macron s’axe autour des principaux symptômes repérés par le logiciel Proxem. Les personnes interrogées lors du porte-à-porte ont exprimé les valeurs qui leur tenaient le plus à cœur, donnant lieu au diagramme suivant :

Et la légalité dans tout ça ?

Pour le moment, aucune réaction de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), en charge de la protection des données personnelles. Mais avant tout, il s’agit de s’interroger sur l’éthique et la transparence de ces pratiques. Quels sont les critères de programmation choisis ? Il est certain que l’outil en lui même ne peut être nocif, mais qu’en est-il de son usage ? Car choisir un critère, c’est renoncer à beaucoup d’autres (pouvoir d’achat, nombre d’années d’études supérieures, type de profession, etc).
À travers le logiciel Proxem, les politiques ont accès à des milliers de formules d’expression, formules utilisées au quotidien pour évoquer différents problèmes. Le logiciel construit ainsi des profils d’électeurs en fonction des modèles d’expression. Même si l’objectif est de rendre le « discours le plus intelligible possible », une telle segmentation questionne sur la sincérité et la légitimité de ce procédé.
Les bulles de crainte : vous la voulez comment, votre information ? Dans cette courte vidéo, Arte Journal explique le concept de « bulle de filtres », qui s’applique à l’intégralité des réseaux sociaux, sites média, sites d’entreprises.

On assiste donc au désenchantement du rêve démocratique accompagnant la naissance du Web : un accès illimité et gratuit au savoir et à la culture pour tous. Un cercle vicieux se crée alors à notre insu : les pages de recherches, propositions d’article deviennent ultra-personnalisées tandis que nos données personnelles sont revendues aux entreprises, renforçant ce phénomène par la proposition filtrée de leurs services, produits et publicités.
Les algorithmes sont certes indispensables pour l’autonomie d’un site internet mais représentent un risque majeur dans la sélection de notre information. Se renseigner sur Internet, c’est donc refuser à long terme de se questionner sur la différence, sur ce qui n’est pas directement inscrit dans notre champ de vision. L’algorithme remplace ainsi le rôle du journaliste, fondamental dans la priorisation et la diversité de l’information mais aussi en se faisant l’écho des minorités ou des laissés-pour- compte. Non seulement ce phénomène peut paraître plus que préoccupant, mais il donne naissance, par exemple, lors des dernières élections présidentielles, à l’émergence de bulles. Ainsi, le sensationnel – par exemple, des informations abracadabrantes circulant sur Internet, comme le soutien du Pape François à Donald Trump -, miroir des fascinations et peurs de chacun, devient sans cesse relayé sur les fils d’actualité, faisant émerger des bulles de crainte.
Que ce soit dans le domaine de l’information, de la politique ou de la consommation, les algorithmes font désormais la loi. Filtrant notre information, cloisonnant les électeurs dans des cases ou, par le biais de la géolocalisation, tentant d’influencer l’achat, ils engendrent des regroupements, bulles ou « patterns ».
Dans une période de démassification, de segmentation à outrance – les hypermarchés sont remplacés progressivement par les nanomarchés, l’unique version du format papier s’efface devant les sites d’information personnalisée -, les marques, médias et politiques tentent de prédire avec plus de précision le comportement des consommateurs et électeurs afin d’anticiper leurs besoins et attentes.
Le big data et ses précieux algorithmes apparaissent comme la réponse adéquate à ce désir de contrôle. Cependant, ils renforcent également une tendance à l’entre-soi de plus en plus marquée. Pour illustrer ce phénomène, Philippe Moati, économiste et professeur à Paris VII, prend l’exemple du commerce de précision, qui « divise et regroupe les consommateurs sur la base de critères affinitaires » : le bobo urbain se rend chez Monoprix pour y retrouver d’autres bobos urbains.
Ainsi, à l’heure où les algorithmes manipulent notre champ de vision, il devient urgent d’exiger plus de transparence, d’éthique et de respect de la vie privée. Un Nouveau défi pour le XXIème siècle ?

Flore DESVIGNES

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Big data(1) : concept développé depuis 2012, utilisé pour traduire le fait que les entreprises sont confrontées à des volumes de données (data) à traiter de plus en plus considérables et présentant un fort enjeu commercial et marketing.
Algorithme(2) : Un algorithme est un processus fait pour répondre à un problème. Il peut être programmé pour d’effectuer automatiquement à l’aide d’un ordinateur.
Sources :
« Catalina installe des bornes iBeacon dans les rayons ! », communiqué de presse Catalina Marketing. Paru le 8 décembre 2015. Consulté le 22 novembre 2016.
SAYS Frédéric, « De l’usage des algorithmes dans la campagne », France culture. Paru le 27 septembre 2016. Consulté le 22 novembre 2016.
ERTZSCHEID Olivier, « Politique de bits et programme de silicon », Libération. Paru le 13 septembre 2016. Consulté le 22 novembre 2016.
NOYON Rémi, « Comment Emmanuel Macron a fait son « diagnostic » ». L’Obs avec Rue 89. Paru le 16 novembre 2016. Consulté le 22 novembre 2016.
MARROU Louis, « Géolocalisation : apprenons à dire stop ! », Libération. Paru le 28 septembre 2016. Consulté le 22 novembre 2016.
MOATTI Philippe, La société malade de l’hyperconsommation, aux éditions Odile Jacob. Paru le 11 mai 2016. Consulté le 10 novembre 2016.
Crédits :
• Pratap Chatterjee, The Bureau of Investigative Journalism, 30 novembre 2011
• Catalina Marketing, Catalina installe des bornes iBeacon dans les rayons !, 2015
• Christophe Romei, Services Mobiles, 21 avril 2016
• Proxem, présentation des résultats du diagnostic par le mouvement En Marche !, le 4 octobre 2016, Strasbourg

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