Médias, Publicité

Pourquoi les spots radios sont-ils toujours stupides ?

,Tout le monde connaît les voix légèrement horripilantes de Philippe, père de famille et consommateur frénétique de produits Leclerc, de sa femme Mathilde, de leurs enfants, et plusrécemment de la belle-mère ou du collègue Régis. Depuis 1999, le géant de la distribution met en scène ses produits au sein d’une famille et de leurs pérégrinations mercantiles. Depuis 18 ans, ces spots publicitaires inondent les ondes sonores des radios, plaçant Leclerc comme premier annonceur français de ce média. Son potentiel d’action sur le consommateur est a priori très élevé puisqu’on peut l’écouter partout, en s’adonnant à plusieurs tâches, et qu’elle touche un grand nombre de personnes. Comment comprendre alors qu’en 2017, les publicités à la radio soient toujours aussi stupides ? A l’heure d’une évolution radicale des médias, quelles transformations en perspective pour la publicité radiophonique ?

« A la radio, l’écran est plus grand. » Orson Welles



Orson Welles lors de son canular radiophonique sur la CBS en 1938


Le principal atout de la radio est qu’il sollicite l’imaginaire de son public. Pour reprendre l’exemple de la publicité Leclerc, chaque auditeur a sa propre représentation de Philippe, ou de la belle-mère. Les images sont associées à la musique, à la marque et au produit pour former un univers rapidement identifiable par le consommateur. Pourtant la construction du message publicitaire est extrêmement complexe et souvent confiée à des régies spécialisées ou aux antennes de radio elles-mêmes. En effet, le spot dure en moyenne 30 secondes pendant lesquelles doivent s’insérer un jingle, une saynète, un argument de vente, des informations commerciales et légales, un slogan et au moins trois fois le nom de l’entreprise. Le tout sans oublier la cohérence narrative et l’humour. Selon Martin Bélanger, spécialiste de la publicité, les 30 secondes usuelles sont même trop longues pour que le message soit efficace : « Petit conseil pour quiconque veut se démarquer en radio : un texte plus court que les autres. Ce n’est pas difficile. (…) dites quelque chose, à la limite n’importe quoi- j’exagère à peine- mais dites-le avec moitié moins de mots, et votre message sortira du lot comme un feu d’artifices au milieu de funérailles ».
Comment expliquer alors que le public ait le temps de retenir le message ?

Humour et storytelling : plus c’est stupide, mieux ça marche !


L’humour est particulièrement utilisé car la radio est un média de proximité, la plupart des utilisateurs l’écoutent en faisant autre chose comme conduire, se brosser les dents, déjeuner… Ils sont donc moins attentifs aux publicités que devant la télé par exemple. L’humour est alors une façon d’accrocher les consommateurs en interrompant leur activité de façon « agréable ». Jeux de mots, jeux de sonorités comme pour la bière Hoegaarden qui décompose le nom de sa marque en onomatopées. Le spot « une idée rafraîchissante pour bien dire Hoegaarden » met en scène quatre personnages du monde polaire (un ours, un esquimau, un pingouin et un abominable homme des neiges), dont les grognements, cris ou rires écoutés bout à bout aident à prononcer le nom de la marque Hoegaarden.
Beaucoup de grandes marques ont aussi recours à des voix d’acteurs ou de chanteurs connus du grand public. La publicité est d’autant plus appréciée si la personnalité dispose d’un fort taux de popularité. Christian Clavier prête donc sa voix à Casino, Elie Semoun travaille avec Lapeyre et Florence Foresti vend sa voix à McDonald’s. Pourtant les cachets sont élevés pour faire appel à ces stars : en 2007, Renault a offert 450 000 euros à Jean Reno pour qu’il prête sa voix à une pub Laguna. Toutes les moyenssont donc bons pour que celui ou celle qui écoute machinalement sa station de radio sourie ou se crispe lorsque le spot se lance.
Que la publicité énerve le consommateur n’est pas un drame, tant que celui-ci s’en souvient. En effet, critiquer la publicité est une forme d’adhérence à son statut de production culturelle. Les spots radios ne cherchent pas tant à donner des informations purement commerciales qu’à délivrer un message émotionnel. La publicité radiophonique informe très peu et ne tente pas de persuader, elle s’appuie surtout sur l’émotion, le ludique, le divertissement, la mise en scène d’histoire, de personnages… Au lieu de mettre le produit en avant, lesspots publicitaires privilégient souvent son insertion dans une mise en scène des moments significatifs de la vie.



Spot Leclerc – Pour la Saint Valentin Philippe discute avec sa fille des promotions sur les roses.


Néanmoins, la radio comme média de masse connaît aujourd’hui la concurrence d’internet et se doit d’évoluer et de s’adapter.

Quels enjeux pour la publicité radiophonique aujourd’hui ?


La valeur ajoutée du média radio repose sur le flux, son nomadisme, le multicanal, et souffre aujourd’hui d’une concurrence qui a recours aux même atouts. Les diffuseurs de contenus musicaux sur le web comme Deezer ou Spotify par exemple, utilisent des interruptions auditives proches de celles de la radio et proposent de plus en plus de contenus de podcast qui fidélisent les auditeurs. Bien que la radio domine toujours les autres médias le matin et pendant le temps passé à conduire, il lui fautse renouveler et proposer un contenu augmenté. De plus en plus écoutées via un site ou une application, les émissions radiophoniques pourraient par exemple rediriger l’auditeur vers des contenus supplémentaires numériques. L’expérience auditive viendrait donc se prolonger au-delà de l’habitacle de la voiture, sur d’autres supports médias. Toutefois, si la radio semble devoir se repositionner par rapport au digital, la publicité commerciale, elle, ne semble pas devoir se faire de soucis. Depuis le 6 avril 2016, même les radios publiques comme Radio France, historiquement interdites de diffusion commerciale depuis 1987, sont autorisées à diffuser des spots publicitaires commerciaux. La radio comme média de masse offre donc de multiples opportunités que la publicité sait exploiter pour accompagner notre quotidien de phrases chocs comme « Carglass répare, Carglass remplace ! ».
Ces spots sont peut-être stupides, mais ils sont surtout efficaces. La preuve ? Qu’entendezvous dans votre tête maintenant ?

Alice Jeanpierre

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Sources :
Dailymotion, « Culture pub, les pubs Leclerc radio, Nomogo, 21/10/2009 http://www.dailymotion.com/video/xavt3u_culture-pub-les-pubs-leclerc-radio_lifestyle
Hors Champ, « La bonne publicité est la pire », Nicolas Renaud, juillet 2006 http://www.horschamp.qc.ca/spip.php?article230
Radio Pub, « Un nouveau rappel à l’ordre pour Radio France lié à la prohibition de la diffusion de publicités commerciales sur ses antennes », Michel Colin, 21 janvier 2016 http://www.radiopub.fr/blog/2016/01/un-nouveau-rappel-a-lordre-pour-radio-france-lie-a-la-prohibition-de-la-diffusion-de-publicites-commerciales-sur-ses-antennes/
Le Monde, « Radio France s’ouvre à la publicité commerciale », Alain Beuve-Méry, 07/04/2016 http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2016/04/07/radio-france-s-ouvre-a-la-publicite-commerciale_4897580_3236.html#zqOu4A1U8H1QZqy9.99
Capital, « Ces comiques qui s’en mettent plein les poches avec la pub », Olivier Drouin, 24/07/2014 http://www.capital.fr/enquetes/revelations/ces-comiques-qui-s-en-mettent-plein-les-poches-avec-la-pub-950760
Crédits photo :
http://info.arte.tv/fr/cinema-le-mystere-orson-welles Capture d’écran du film documentaire sur Orson Welles.
Image de Une par Alice Jeanpierre

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