Société

L’ère 3.0 de l’opposition Nord/Sud ? Quand les régions rient de leurs différences

Qui n’a jamais entendu parler du débat pain au chocolat/chocolatine -l’ordre d’apparition de ces termes est purement arbitraire-? Ou encore des poncifs italiens de la mamma napolitaine et du businessman Milanese ?
Des tensions linguistiques aux moqueries amères, en passant par l’auto-dérision, les particularités géographiques et culturelles sont au coeur de nos préoccupations. Sûrement parce-qu’elles touchent aux racines et aux identités, les réseaux sociaux et la publicité s’en sont emparés.
Cet article n’a pas prétention à faire l’analyse politique des particularismes -et revendications- régionalistes, mais il s’intéresse à l’engouement autour des stéréotypes régionaux Nord/Sud. Aussi, l’on se limitera aux cas évocateurs de la France et de l’Italie.

Combat linguistique : les viennoiseries font le buzz

Tout a commencé en octobre 2016, lorsque Jean-François Coppé, alors candidat à la primaire de la droite et du centre, s’était trouvé en difficulté face à une question anodine posée par Europe 1 : « Au fait, combien coûte un pain au chocolat ? ». Peu importe, à quelques centimes près, internet avait laissé la question financière à la politique et s’était empressé de débattre de l’appellation de ce met franco-français sur la toile. Chocolatine ou pain au chocolat, il est vrai que la différence ne se limite pas au simple clivage Nord/Sud. Toutefois, la tendance est à la chocolatine dans le sud (-ouest) et au pain au chocolat dans le nord.

En janvier 2017, des lycéens de Montauban (région Occitane), « fiers d’être sudistes », avaient même adressé une lettre au Président, lui suggérant d’ajouter le mot chocolatine au dictionnaire ! « On ne veut pas changer la façon de parler de tous les Français, mais juste qu’on reconnaisse la nôtre ».
Le voilà le nerf du débat : la reconnaissance. Par exemple, le terme chocolatine existe bel et bien dans le dictionnaire Le Robert, qui considère que les régionalismes font partie de la langue.
Si les internautes s’attachent donc tant à ce genre de débats (qui opposent aussi le Typp-Ex au blanco, le sac à la poche, le crayon gris au crayon de bois…), c’est bien en réponse à la stigmatisation sociale imposée aux spécificités régionales (à partir du XIXème siècle, la scolarisation massive met soudainement fin aux « patois »). Les linguistes ont même parlé de « schizoglossie » désignant la « shizophrénie linguistique » alors subie par les enfants, obligés d’abandonner leur langue maternelle pourtant constitutive de leur identité.
Les locuteurs 2.0 comptent bien définir la norme… et non l’inverse.

Quand les émissions web raillent les manies locales

Quoi de mieux que de ridiculiser ces batailles absurdes opposant nordistes et sudites ? De plus en plus de chaînes Youtube abordent, non sans humour, les spécificités qui séparent les régions au sein d’un même pays.
Parmi les plus célèbres en Italie : Casa Surace et Il Milanese Imbruttito.

Alors que le premier se moque ouvertement des coutumes napolitaines (la nourriture sacrée, la mamma qui ne jure que par sa pasta, la musique quasi folkorique), le second s’attaque quant à lui aux caprices du milanais moderne et toujours pressé.
D’ailleurs, les deux chaînes s’étaient donné la réplique en octobre 2015 : la première, sudiste, avait publié « Les questions des terroni (péjoratif, littéralement terreux) à ceux du Nord » tandis que son homologue nordiste avait répondu par « Les questions à ceux du sud ».
Des questions rhétoriques sont passées en revue : aux nordistes, « Cela vous semble-t-il normal de faire payer le verre d’eau avec le café ? Pourquoi utilisez-vous le klaxon pour saluer quelqu’un qui passe dans la rue ? Pourquoi quand vous vous donnez rendez-vous à 19h, vous vous présentez vraiment à 19h, et même parfois à 18h55 ? » ; aux sudistes : « Pourquoi est-ce que, pour parler d’un événement qui a eu lieu hier, vous utilisez le passé simple ? Pourquoi, quand vous parlez à une personne, vous sentez-vous obligés de la toucher ? Pourquoi vous faites-vous envoyer des colis de nourriture du Sud ? Ici aussi, on a des supermarchés ! ».
Sudistes aux nordistes :

Nordistes aux sudistes :

Selon La Stampa, l’un des quotidiens italiens les plus diffusés actuellement, les préoccupations historiques, sociologiques et anthropologiques qui ont animé les débats populaires depuis des décennies (la question méridionale naît en 1873, trois ans après l’unité italienne), sont désormais confiées au net sur le mode de l’humour.
En arrière-plan toutefois, la fracture digitale demeure : ainsi, 55% des italiens du Sud utilisent régulièrement internet contre une moyenne italienne de plus de 63%. Cela laisse dubitatif quant aux perspectives futures (des jeunes surtout), surtout quand on pense à l’importance croissante du web dans la création de nouveaux emplois.

La publicité exploite la force des stéréotypes climatiques

Au Sud, la Salvetat : « Elle a mis le sud en bouteille, pas le sel »
Il suffit de se rendre sur le site officiel de la Salvetat pour entendre criqueter les cigales et voir poindre quelques branches d’olivier ici et là. La marque s’accapare les nombreux emblêmes du Sud (distribuée par Danone, elle prend son nom dans les années 1990 de la commune du même nom en région occitane, où l’eau gazeuse prend sa source).

Son logo rassemble au moins deux symboles : le temps ensoleillé et la bonne humeur des sudistes (le prolongement de la lettre « L » dessine clairement un sourire). C’est d’ailleurs ce que défendait officiellement Guillaume Millet en 2015, alors directeur de la marque Salvetat, lors du lancement de la nouvelle campagne publicitaire : « nous voulons réaffirmer l’esprit du sud, ainsi que ses valeurs et ses couleurs ». Sous forme de trois films humoristiques animés, l’agence BETC avait refondé l’identité de la marque en promouvant l’état d’esprit du Sud : « Dans notre quotidien parfois compliqué, mieux vaut parfois savoir prendre la vie côté Sud, avec une bonne dose de légèreté et de décontraction », explique Constance Barde, directrice associée de l’agence.

Un de ces spots n’y va d’ailleurs pas de main morte : après une gorgée de boisson gazeuse, un présentateur de météo désabusé, prend tout à coup l’accent du sud et s’adonne à du collage de soleils sur la carte de France, ajoutant un « Elle est bien grise cette carte, elle te ferait pleurer une cigale ! » :

Au Nord : Eurotunnel conseille de fuir le mauvais temps

C’est en 2005 qu’un spot publicitaire d’Eurotunnel avait provoqué la colère des acteurs régionaux du tourisme. Il montrait le littoral nordique, frappé de pluies diluviennes, tandis que des bourrasques de vent envahissaient le centre-ville déjà déserté. Trente minutes de TGV suffisaient alors pour rejoindre Londres et ses chaudes festivités (restait à voir si la météo britannique n’était pas pareille…).
Bref, qu’en est-il aujourd’hui ? C’est par exemple en janvier dernier qu’une campagne publicitaire de Burger King -la marque est réputée pour sa communication agressive- s’était imposée comme le remède contre la « dépression » arrageoise (le jeu de mot climatique est quelque peu osé !). Les habitants de la ville avaient alors pris malin plaisir à répliquer…

Entre tradition et acculturation, les particularismes régionaux s’affrontent encore et ont même appris à en rire (à en sourire du moins…).
A l’âge du global et du mondialisé, il est donc clair que les identités locales n’ont pas dit leur dernier mot (paraula ou bablute devrait-on dire respectivement en provençal et en ch’ti).
Laura Legall

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