Publicité et marketing

Imbéciles heureuses, ou la représentation des femmes dans la publicité

« Qu’on lui coupe la tête ! », hurlait la Reine de Cœur d’Alice au Pays des Merveilles. Les publicitaires ajoutent en chœur « de toute façon, elle ne lui sert à rien, on va plutôt lui coller un flacon de parfum entre les deux seins. »
Et quand la femme des publicités a le luxe d’être dotée d’une tête, elle n’est pas toujours bien faite : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a rendu le 30 octobre un rapport accablant sur la représentation des femmes dans les publicités télévisées.

Sur la base de 2 000 publicités diffusées en prime-time sur 24 chaînes, les conclusions sont édifiantes: sans compter la surreprésentation masculine, les clichés ont la peau dure, avec une exposition majoritaire (63%) de femmes proposant les produits dits « d’apparat », pour seulement 36% d’hommes. Le « sexe faible » est donc toujours voué à vanter les mérites des produits cosmétiques et de l’habillement tandis que les hommes, actifs et malins, se rendent à califourchon sur leur bolide vers leur partie de poker dominicaine où ils se retrouvent presque exclusivement entre eux (78% des joueurs représentés sont masculins), contre une toute petite minorité de femmes stratèges et conductrices dans nos télévisions.
Puisqu’il est assez malin pour jouer au poker et conduire, contrairement à sa femme qui ne sait que faire mousser son shampoing et associer du vert avec du rose, l’homme se place presque systématiquement comme « l’expert ». Une représentation de « sachant », c’est à dire de « celui qui apporte une connaissance particulière sur le produit présenté dans la publicité » à 82%. La femme, elle, a un rôle bien défini : acheter le produit vanté par son compagnon mâle, collant parfaitement au rôle de la consommatrice docile et influençable, ou à la séductrice dénudée, dans plus de deux tiers des cas étudiés.
Un exemple absolument actuel de l’idée de « valeur différentielle des sexes », théorisée par l’anthropologue et historienne Françoise Héritier, spécialisée dans les différences entre les sexes dans la culture occidentale. En 2010, dans « La Fabrique de Filles », édité par Amnesty International, la directrice d’études à l’EHESS et successeur de Claude Levi-Strauss expliquait la disparité homme-femme par le constat que « de façon universelle, l’antériorité vaut supériorité : parce que les parents naissent avant les enfants, ils ont la charge des enfants mais aussi l’autorité sur eux. Et puisque les femmes sont nécessaires aux hommes pour qu’ils aient des fils, les hommes se sont approprié leur corps et les ont traitées sinon comme des objets, du moins comme des cadettes sur qui ils ont autorité. »
On peut donc expliquer l’enfermement des femmes dans les publicités consacrées aux produits de beauté par la conséquence de ce regard social qui les « a affectées à la maternité, au domestique, à l’intérieur, à l’intime, alors que les hommes ont accès à l’extérieur, à la vie publique, à l’action. Non pas pour des raisons biologiques, mais par l’effet de constructions intellectuelles. »

Femme au volant, scandale au tournant

Heureusement, la filiale de Renault en Belgique ne mange pas de ce pain là : chez eux, les femmes savent conduire, merci bien. Niveau créneau, par contre, ce n’est pas encore ça, on ne peut pas tout avoir. Mais tout est pardonné, puisqu’elles supplient « ne m’enlevez pas ma voiture, j’ai des hauts talons », et s’excusent au rouge à lèvres sur les pare-brises voisins. Malicieuses, les filles.
Toujours en Belgique, la marque de grande distribution Liddl a du s’excuser en mars dernier pour une publicité qui comparait un soda à « une femme délicieuse », avant de déplorer : « mais ça coûte cher, une femme délicieuse, ça aime les belles sacoches, ça aime aller au restaurant tous les week-ends… ». Morale : n’achète pas une femme, achète plutôt un coca, c’est moins cher et plus sympa. Résultat : deux tollés, deux retraits.
Problème : les excuses des marques, acculées par les reproches, se teintent souvent de fausse naïveté, quand elles ne tombent pas dans la mauvaise foi la plus pure. En renvoyant la faute au consommateur qui aurait mal saisi, mal interprété ou simplement manqué d’humour, la marque impose un argument d’autorité qui avorte toute discussion : votre incompréhension n’est pas de notre ressort.

Les avancées officielles ne s’obtiennent parfois qu’à force de provocation : c’est l’initiative d’une française, effondrée au sol, jambes écartées sous sa jupe, qui a déclenché l’obtention de l’interdiction par le Conseil de Paris des publicités sexistes ou discriminatoires dans la capitale. La campagne d’Yves Saint Laurent, en mars 2017, jugée brutale et dégradante pour les femmes, a elle aussi permis une certaine prise de conscience. La responsabilité incombe dorénavant à JC Decaux, unique détenteur des contrats d’affichage, de respecter ces nouvelles règles. Internet n’a évidemment pas attendu la législation pour passer au crible et recenser les publicités sexistes : sexisteoupas.com ou encore le Tumblr jesuisunepubsexiste.com s’en chargent régulièrement, en jugeant du degré de discrimination des publicités.

Et puisqu’on n’est jamais mieux servi(e) que par soi-même, Christelle Delarue a créé en 2012 l’agence de publicité féministe « Mad & Woman », pour s’adresser aux femmes de manière respectueuse et simplement dépourvue de clichés. L’affaire fonctionne et emploie aujourd’hui vingt-quatre personnes et réalise quatre millions de chiffre d’affaires annuel, preuve à son échelle que l’on peut vendre sans tomber dans la vulgarité et la facilité. L’agence a évidemment réagi au rapport du CSA, indiquant « faire le choix du respect des femmes comme première puissance économique mondiale ».


Enfin, le réseau Toutes Femmes, Toutes Communicantes a crée le kit « No More Clichés », « en faveur d’une communication non sexiste », qui vise à « sensibiliser les communiquant.e.s, leur faire adopter les bons réflexes et représenter la profession en démontrant qu’elle est responsable et porteuse de sens ».
À bon entendeur.
Rafaëlle Dorangeon
Twitter @RafaelleDoran
Sources : 

Crédits photos :

  • Photo 1 – Publicité d’époque Moulinex
  • Photo 2 – CSA.fr, extrait du rapport « Image des femmes dans la publicité télévisée : les décalages et stéréotypes persistent »
  • Photo 3 – Capture d’écran Youtube de la publicité Renault, retirée depuis, tirée du site FranceInfo.fr
  • Photo 4 –carte d’agence de Mad & Woman
  • Photo 5 – campagne de Mad & Woman à l’occasion du 3 novembre, soit la date à laquelle les femmes arrêtent d’être payées, en comparaison avec les salaires des hommes
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