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Le malaise des villes chinoises de contrefaçon

En 2000, la ville de Shanghai décide de faire construire des villes nouvelles dans sa lointaine banlieue pour se désengorger. Le projet de faire sortir une ville de terre est plutôt exaltant : quel urbaniste ne rêverait pas d’avoir ainsi les coudées franches pour donner libre cours à son imagination ? A Shanghai, c’est plus sur l’imitation pure et dure que sur la créativité qu’on a compté.

Copier les choses en grand.

Sur les neuf villes envisagées, quatre sont construites comme des parodies de villes européennes, des parcs d’attraction où les shanghaïen.nes sont censé.es vouloir emménager. Ainsi, Gaoqiao singe une ville hollandaise, avec ses maisons en brique rouges et son moulin à vent, quand Antig mime la ville allemande, style Bauhaus à l’appui. Pourquoi les urbanistes chinois n’en ont-ils pas profité pour innover ? Les contrefaçons chinoises, tristement célèbres pour les produits de luxe et les marques de renom, se mettent aussi à toucher les villes. La culture chinoise est millénaire, alors pourquoi subit- elle encore à ce point l’influence nord-européenne ?

Gaoqiao, province de Shanghai

L’imitation la plus éhontée revient cependant à la ville nouvelle de Songjiang, sobrement surnommée « Thames Town », référence discrète au charme londonien. A dix-neuf kilomètres au sud de la métropole, on peut déambuler dans des rues pavées entre des cabines téléphoniques rouges et des bâtiments victoriens.

 

Songjiang, province de Shanghai

La ville d’Hangzhou, à quelques deux-cent kilomètres au sud-ouest de Shanghai abrite elle aussi une enclave à l’européenne. Le quartier de Tianducheng, grand comme la ville de Bastia, imite si bien Paris que les photos qu’on en voit peuvent tromper l’œil peu attentif. La contrefaçon est éhontée, et semble parfaitement assumée. On a voulu faire de Paris un concentré de beaux points de vue, le rêve du touriste aux pieds fatigués.

Tianducheng, quartier d’Hangzhou

A l’instar des cabines téléphoniques rouges de « Thames Town », Tianducheng peut se targuer d’avoir copié les choses en grand, avec une Tour Eiffel de 108 mètres (soit un tiers de l’originale), des jardins à la française bordés d’immeubles haussmanniens et même une réplique grandeur nature de la fontaine des Quatre-Parties-du-Monde de l’avenue de l’Observatoire en face du jardin du Luxembourg.

Mauvaise cible et mauvaise pub 

Malgré l’audace dont ces projets ont fait preuve, le succès n’est pas au rendez-vous : ces villes sont très largement vides. En 2013, Tianducheng n’accueillait que 2000 des 10 000 habitants pour lesquels elle était construite. Les villes nouvelles qui ont poussé autour de Shanghai sont aussi presque désertes. En revanche, elles sont assidûment fréquentées par des touristes chinois qui viennent y confirmer (et renforcer) leurs idées reçues. Les jeunes mariés qui ne peuvent s’offrir un aller-retour Beijing-Paris peuvent toujours se prendre en photo dans les rues pittoresques de Tianduchengvieilles d’une dizaine d’années.

Si ces villes mettent l’œil européen si mal à l’aise, c’est qu’elles parviennent à imiter l’aspect occidental sans savoir en capter l’âme, d’où une tenace impression de décor de cinéma, de trompe l’œil. Les Européens eux-mêmes finissent par en faire des destinations touristiques : la Thames Town de Shanghai cumule 89 avis sur Trip Advisor. Elle y est décrite comme une curiosité qui vaut le coup d’œil pour qui passe par Shanghai. Tianducheng attire aussi les Européens, tant la dimension « parc d’attraction » est nette, mais son éloignement de Shanghai fait qu’elle attire surtout les touristes chinois. Sur Trip Advisor à nouveau, la ville-nouvelle est comparée à un « Disneyland abandonné ».

Ces objets urbains étranges ont complètement raté leur pari : au lieu d’être des quartiers résidentiels huppés, ils sont devenus des destinations touristiques en vogue.

On assiste alors à Tienducheng ou Thames Town à une récupération pure et dure par les Chinois des codes urbains à l’européenne. Pourtant, l’idée n’est pas de vivre comme des Parisiens, mais bien au contraire de s’émoustiller de l’exotisme de leur style de vie.

     

Tianducheng, quartier d’Hangzhou

Villes sans âmes au charme étrange

Toute l’âme d’un village autrichien ou d’une rue parisienne vient de son épaisseur historique, de la mentalité des villageois, du mode de vie des Parisiens. Les immeubles haussmanniens fidèlement imités sont des coquilles vides, aussi loin des habitudes françaises que des coutumes chinoises, ce qui peut expliquer pourquoi ces villes-nouvelles restent vides. Dépouillées de la vie qui anime leurs grandes sœurs et modèles, ces villes ne sont même pas l’ombre de celles qu’elles imitent. Les Chinois ne sont pas plus dupes que ne le sont les Européens face à ces projets de promoteurs immobiliers qui voulaient tirer profit de l’attrait qu’exerce notre vieille Europe sur l’imaginaire est-asiatique.

L’erreur centrale vient peut-être d’une mauvaise compréhension des aspirations chinoises, qui ne voudraient profiter de ces villes nouvelles que pour leur exotisme.

Elles sont donc des échecs assez cuisants pour les promoteurs chinois, puisqu’elles ne sont souvent consommées que comme des objets touristiques. Les Chinois viennent y confirmer leurs idées reçues, les Européens viennent s’ébahir des copies de leurs villes. Et les plus in d’entre tous viennent y tourner des clips. C’est ce même exotisme que viennent y chercher les touristes européens : ces copies de villes ressemblent si bien aux leurs qu’elles n’en ont l’air que plus fausses.

     

Capture d’écran du clip réalisé par Romain Gavras à Tienducheng pour Jamie xx

Mais comment expliquer cet étrange malaise dont nous sommes saisis face à ces villes sorties de terre ? C’est qu’elles semblent flotter, sans être attachées nulle part par de vraies racines. Pourquoi les Shanghaien.nes n’ont pas voulu créer des villes selon leurs propres modèles culturels ? Le soft- power de notre vieille Europe est-il encore tellement fort qu’il parvient à influencer si profondément la première puissance économique mondiale ? Les contrefaçons chinoises ne s’en tiennent plus aux sacs à main de luxe, mais cette constatation ne prête pas à sourire. Pourquoi le leader de l’économie mondiale ne donne-t-il pas libre cours à ses propres idées ? Le peuple chinois donne pour sa part une réponse nette, en boudant ces villes-nouvelles qui semblent au mieux être vues comme des curiosités, au pire comme des non-lieux glaçants. Notre soft-power nord-européen ne serait donc pas si fort que ça : il importe des fantasmes et de marques de luxe, certes. Mais les Shangaïen.nes ne lui font appel à lui que pour l’exotisme qu’il apporte. Si nos immeubles haussmanniens sont contrefaits, notre mode de vie parisien n’est pas imitable. Fort heureusement, personne ne souhaite l’imiter.

Réplique de la fontaine des Quatre-Parties-du-Monde à Tienducheng, quartier d’Hangzhou

Sources :

COURTIN Sébastien, « En Chine, des villages sont des copies de villes européennes. », gentside.com, publié le 5 juin 2012, consulté le 19 novembre 2017.

CLEMENT Pierre, « Chine / Entretien : Les nouvelles trames de l’espace chinois : campagnes, villes et métropolisation », publié le 11 octobre 2013, consulté le 19 novembre 2017.

PELLETIER Benjamin, « Quand les Chinois copient les villes européennes », publié le 22 mai 2012, consulté le 17 novembre 2017.

 Crédits images :

Photo 1 : via Business Insider

Photo 2 : gestion-des-risques-interculturels.com

Photo 3 : voyage-chine.com

Photo 4 : Le Figaro, « Paris et ses façades haussmanniennes téléportées en Chine »

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