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Quand l’ancien agent du KGB veut faire oublier le communisme

Il y a un peu plus de cent ans le 7 novembre, Lénine annonce que le gouvernement provisoire en place depuis février 1917 a été déposé. Cette annonce marque l’avènement au pouvoir des soviétiques et le début d’une guerre civile qui durera jusqu’en 1922, opposant les « rouges » et les « blancs ». Chaque année sous l’ère communiste cette date est célébrée par un jour férié et d’importants défilés civils et militaires. La propagande faisait de ce jour la naissance de la Russie communiste. Le 7 novembre dernier, les célébrations en grandes pompes n’étaient qu’un lointain souvenir, seuls quelques militants communistes ont défilé sur la Place. Cette mise à l’écart de l’histoire bolchévique découle d’une politique étatique de réécriture de l’histoire organisée depuis plusieurs années par Poutine afin d’effacer un événement encore source de tensions dans la société russe.

Rouges VS Blancs : une guerre civile qui dure

Les marques de l’époque communiste et la figure de Lénine sont présentes partout à Moscou. Mais depuis plusieurs années face aux traces de l’URSS se dressent de plus en plus de souvenir de la Russie des Tsars. L’exemple le plus marquant est la canonisation de Nicolas II, dernier Tsar de Russie exécuté en mars 1917 par les communistes. Fait encore plus marquant, la canonisation a été faite dans l’église « sur le sang» construite sur le lieu de la villa Ipatiev où la famille royale fut exécutée.

Église où la famille royale fut canonisée

La Russie d’aujourd’hui se construit donc entre un passé communiste qui est de plus en plus remis en question et une histoire impériale réhabilitée par le pouvoir au plus grand bonheur des descendants des « blancs » de 1917. Cette double histoire divise une grande partie de la population russe et même au-delà de ses frontières. On assiste à un affrontement au sein de la population russe avec une partie qui veut résumer la Révolution à la terreur (les « blancs ») et une autre qui tente d’évacuer le devenir despotique de la Révolution. Mais ce retour au premier plan du passé tsariste ne ravit pas tout le monde. La commémoration de la Révolution d’Octobre n’a pas échappé à ces nouvelles oppositions entre « rouges » et « blancs ».  Environ deux mille nostalgiques du communisme, emmenés par le dirigeant du Parti communiste de la Fédération de Russie Guennadi Ziouganov, défilaient dans les rues de Moscou avec des portraits de Lénine et de Staline le 7 novembre 2016. Si la population reste donc divisée sur la question de Révolution d’Octobre et du passé communiste, la position de l’Etat est elle très clair. Il faut réécrire l’histoire pour réaffirmer l’unité nationale.
 

Vladimir Vladimirovitch Poutine VS Vladimir Ilitch Oulianov (Lénine)

La Révolution d’Octobre représente tout ce que Poutine tente de faire disparaitre de Russie : rupture avec la stabilité, les traditions et l’autorité de l’État. Le discours officiel ne s’en cache pas. En 2007, M. Vladislav Sourkov, conseiller de Poutine, rappelait à tous les « idéalistes » qui, en Russie, rêvaient toujours de révolution que « les actions des individus romantiques mènent en général à la prise du pouvoir par des fous et des terroristes ». Poutine tente de faire disparaitre petit à petit le personnage de Lénine, qu’il voit comme une figure qui remet en cause l’unité étatique. Poutine veut faire de l’URSS une période d’unité sur un fond de lutte des classes afin de satisfaire les « rouges » et les « blancs », même si cela passe par une réécriture de l’histoire. Dès 2007 une nouvelle vision de la Révolution d’Octobre voit le jour dans des manuels d’Histoire. Les révolutions bolchéviques et la guerre civile sont réunies dans un seul bloc d’études : la « Grande Révolution russe ». L’aspect dramatique de la guerre civile et ses conséquences y sont soulignés. Dans cette réécriture il n’est pas question de désigner des coupables ni de s’intéresser aux visions politiques divergentes. Tant les « blancs » que les « rouges » ont été prêts à donner leur vie pour la Russie. Le pouvoir veut aussi inscrire sa nouvelle vision en modifiant les célébrations. En effet, le 7 novembre n’est plus un jour férié en Russie. La nouvelle grande fête nationale est célébrée le 9 mai et marque la capitulation allemande à la fin de la deuxième guerre mondiale. Les célébrations sont impressionnantes. Depuis quatre ans le défilé du « régiment immortel », dans lequel plusieurs milliers de personnes portent les photographies de leurs parents ayant participés à  « la grande guerre patriotique ». Le message est clair. Le 9 mai marque la victoire de la Russie sur une puissance étrangère alors que la Révolution d’Octobre représente la destruction de l’État, la Russie à genoux dans l’intérêt des puissances étrangères.

Le « régiment des immortel » sur la place rouge

Cette mise aux oubliettes de l’histoire de la prise du pouvoir par Lénine est encore plus marquante par le fait que depuis maintenant plusieurs années un défilé militaire a bien lieu le 7 novembre sur la Place Rouge, mais pas en l’honneur de la Révolution. Il est ici question de célébrer la parade militaire du 7 novembre 1941, fêtant le 24e anniversaire de 1917. Alors que les forces nazies se trouvaient aux portes de Moscou, la majorité des 28 000 soldats qui y participèrent partirent à la suite du défilé directement au front. A travers cette commémoration le pouvoir ne supprime pas totalement la révolution mais se refuse à la commémorer en tant que telle. Il tente de fondre plusieurs événements historiques afin de susciter une adhésion collective plus forte.
La révolution d’Octobre reste donc très présente dans la mémoire des Russes mais d’une manière très différente. Cette opposition des mémoires est à l’origine de la politique de révision des événements afin de mettre en avant une unité nationale. Mais cette politique marquée par des contradictions a pour l’instant un seul véritable résultat : en effaçant petit à petit la figure de Lénine, celle de Staline ressort comme étant le véritable héros de la période communiste. Le petit père du peuple est de retour au premier plan.

Tanguy Polito

 

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