Secret Story : de l’apogée au déclin de la téléréalité d’enfermement
Le jeudi 7 décembre, à 21 heures sur NT1, était retransmise en direct des studios de la Plaine-Saint-Denis la finale de Secret Story saison 11. Avec 468 000 téléspectateurs réunis devant leur poste de télévision (selon l’institut de mesure de l’audience des grands médias français), soit la plus basse audience historique réalisée par une finale du programme. L‘ultime prime-time hebdomadaire de cette saison du jeu de téléréalité, phare d’EndemolShine, pourrait bien être le dernier chapitre de la grande histoire de la téléréalité d’enfermement en France. Explications.
Le communiqué de presse de la chaîne promettait un événement à la hauteur de la formidable saison qu’elle a fait vivre à ses téléspectateurs les plus fidèles. En réalité, on pourrait plutôt parler d’un non-événement, car le moins que l’on puisse dire, c’est que Secret Story ne passionne plus les foules…
En témoignent les audiences globales réalisées par le show de téléréalité cette année, qui n’ont pas de quoi affoler les compteurs de Médiamétrie : à peine 400 000 téléspectateurs en moyenne pour la quotidienne, diffusée la semaine en access prime-time, soit moins de 3 point de part d’audience. Le prime dépasse quant à lui de justesse les 500 000 téléspectateurs, soit à peine 2,4% du public présent devant la télévision. Bien faible quand on sait que lors des premières saisons du programme, les émissions quotidiennes dépassaient allègrement les 4 millions de fidèles, tandis que les primes tournaient autour des 5 millions.
« Secret Story », une création française adaptée du précurseur « Big Brother »
Si la téléréalité s’est démocratisée aujourd’hui, et qu’elle est déclinée dans de multiples thématiques, on oublie souvent que le programme pionner en la matière n’est autre que le concept Big Brother, créé par John de Mol, en 1999 aux Pays-Bas.
Cette émission a révolutionné la télévision de divertissement dans le monde entier. Elle compte à l’heure d’aujourd’hui plus de 50 adaptations internationales, une longévité record de près de 18 ans et elle a donné suite à des adaptations en tout genre, notamment avec des personnalités connues.
Le principe est simple : enfermer durant près de 3 mois une vingtaine de candidats anonymes dans un espace clos. C’est dans immense maison créée ex-nihilo que les candidats seront filmés 24 heures sur 24. La vie au sein de la maison est rythmée par une voix-off qui est la muse de la production pour intervenir dans le quotidien des habitants. Ces derniers se nominent entre eux chaque semaine, et une fois soumis au vote du public, l’un des colocataires quitte l’émission chaque semaine, au terme du prime-time d’élimination hebdomadaire.
Adapté d’abord sur M6 avec Loft Story en 2001, le format n’a duré que deux saisons, suite à des audiences jugées insuffisantes à l’époque, et des nombreuses polémiques ayant entachées la réputation de la « petite chaîne qui monte ». En effet, dès sa mise à l’antenne, l’émission, qui devient un véritable phénomène de société, subit les critiques de puissants cercles intellectuels, qui la qualifient de « télé-poubelle », un mécontentement alors largement repris par une part de l’opinion publique. Des manifestations anti-Loft Story sont même organisées devant le siège de la Six, ce qui nuit considérablement à l’image de la chaîne, ternie par l’aspect « trash » du programme. Souhaitant redorer son blason, M6 met fin à Loft Story en 2002, laissant le champ libre à la première chaîne d’Europe dans le créneau de la téléréalité. Elle est furieuse d’avoir manqué le format Big Brother, qui a propulsé sa consœur à plus de 11 millions de téléspectateurs lors de la finale de la première édition du show. Elle en profite alors pour se lier pendant dix ans avec Endemol via un contrat d’exclusivité sur tous ses nouveaux formats.
Puis, en 2007, Big Brother réapparaît en France dans une version totalement retravaillée, dans laquelle les candidats ont des secrets qu’ils doivent protéger, tout en essayant de trouver ceux des autres. Avec la création d’Endemol France, l’émission trouve très vite son public, et les premières saisons signent un succès d’audience retentissant. Car la vraie force novatrice de Secret Story est d’avoir associé aux schémas habituels de la téléréalité de vie en communauté (histoires de cœur, ruptures sentimentales, rivalités, clashs…) un aspect ludique très marqué, via les missions, les compétitions organisées au sein de la maison, les enquêtes autour des secrets, les stratégies des candidats, etc.
Ce savant mélange propulse Secret Story en tête des émissions phares de TF1. Au même titre que Star Academy ou Koh-Lanta, elle devient un programme emblématique de la téléréalité française.
De nombreuses spécificités nationales ont été insérées dans le format, pour le différencier du vieillissant programme fondateur. Par exemple, pour renforcer la dimension « éjectable » des candidats nominés de la semaine, la production française a installé un sas entre la maison et le monde extérieur dans lequel l’annonce du candidat éliminé est réalisée, en interaction avec le présentateur présent en plateau. Cela a bien sûr un effet sur le suspens de l’émission : via ce mécanisme, la production parvient à créer une impression d’enjeu important, amplifiée par le ton grave de l’animateur et un fond sonore très pesant.
10 ans plus tard, où en est le format ?
Onze saisons plus tard, ébranlé par un changement d’incarnation et un basculement sur la petite sœur de TF1, NT1, l’essoufflement du programme se fait clairement ressentir à chaque nouveau lancement.
En effet, en plus de l’usure mécanique du format, l’émission souffre d’un manque cruel d’investissement financier, clairement visible à l’antenne : la maison est la même depuis quatre saisons, le casting est réduit à des stéréotypes de la téléréalité. De plus, les schémas narratifs tournent en rond, avec des missions identiques d’année en année (« faux-couple », « faux-ex », « échange de partenaires » …), des twists vus et revus comme le retour d’anciens habitants, les fausses éliminations et les départs en pièce secrète.
Ce manque d’inventivité est sanctionné par un public jeune de plus en plus exigeant et volatile. De plus, le dispositif-antenne a subi de lourdes modifications qui ont contribué à la perte d’attractivité du programme : le traditionnel After Secret, qui suivait l’émission hebdomadaire, recueillant « à chaud » les réactions du candidat sortant, ainsi que les péripéties post-prime en connexion avec la maison, est passé à la trappe, jugé trop coûteux à produire pour l’horaire tardif dans lequel il aurait été diffusé.
A la place, la production a inséré un Debrief quotidien de l’épisode du jour, qui se contente de débattre et analyser les événements de la quotidienne, un talk-show au contenu bien maigre qui n’apporte aucune valeur ajoutée au programme.
Enfin, toujours dans une logique pour rentabiliser le coût élevé du programme, la chaîne rediffuse à de (trop) nombreux horaires les quotidiennes, quitte à ce que le téléspectateur sature : Secret Story occupe ainsi près de huit heures d’antenne chaque jour, et même onze heures le jour du prime.
Ces restrictions budgétaires nuisibles à un show d’une telle envergure sont dues au fait que NT1 ne dispose pas de la même enveloppe que celle du vaisseau amiral TF1 lorsqu’elle était le diffuseur exclusif du jeu de téléréalité. En ce temps-là, Endemol facturait une saison complète 22 millions d’euros à la Une, ce qui permettait de réaliser un casting international, de trouver des secrets remarquables comme « Je suis né hermaphrodite», « Je vis avec les poumons d’un autre » et de multiplier les rebondissements. La maison était reconstruite intégralement chaque année et décorée par Michèle Sarfati, l’une des plus talentueuses décoratrices de la télévision.
Désormais, la chaîne fait pression sur le producteur pour qu’il abaisse sa facture à chaque renouvellement. Cette saison « au rabais » ne coûterait ainsi plus que 11 millions d’euros, ce qui représente néanmoins un budget très important pour une petite chaîne de la TNT comme NT1.
Austérité budgétaire oblige, l’environnement de vie des habitants est le même depuis 2014.
Produire mieux à moindre coût, la concurrence des séries-réalité
A ce désamour du public pour le programme d’enfermement est venu s’ajouter la rude concurrence d’un nouveau type d’émissions de téléréalité, apparu en 2011 : la série-réalité.
Tout commence par l’arrêt de Dilemme, une émission de téléréalité d’enfermement proposée par W9 au printemps 2010. Création française d’Alexia Laroche-Joubert, elle réalise des audiences correctes mais insuffisantes pour amortir le coût de production élevé du programme. La chaîne demande alors à la productrice de réfléchir à une nouvelle émission tout aussi fédératrice, mais moins chère à produire. C’est la naissance des Chti’s, qui donnera lieu à de nombreux spin-off comme Les Marseillais qui connaitront un immense succès auprès du jeune public. Dans le même temps, Les Anges d’NRJ12 s’envolent et réalisent des scores d’audience jamais vus pour un programme de téléréalité sur la TNT, avec des pointes à plus d’un million de téléspectateurs.
Ainsi, depuis 6 ans, pour toucher les cibles d’audiences prioritaires, à savoir les jeunes de 15 à 34 ans et les FRDA-50, les chaînes de la TNT usent et abusent des formats de série-réalité. L’équation est d’autant plus intéressante pour les diffuseurs que ces émissions sont produites à moindre coût : un épisode est facturé entre 20 à 40 000 euros à la chaîne, là où EndemolShine réclame plus de 100 000 euros à NT1 pour Secret Story.
Pourquoi un tel écart de prix ? A cause de tout le dispositif que l’émission génère, à savoir une maison et un plateau à construire, une équipe de production composée de près de 150 personnes, mobilisées durant 3 mois, un prime en direct hebdomadaire à produire, etc. Tout la difficulté dans la fabrication du programme est aussi liée au fait qu’il est produit et diffusé intégralement en direct, c’est-à-dire que la production construit et assemble les épisodes au jour le jour, ne pouvant prévoir véritablement un scénario à l’avance, comme c’est le cas pour les programmes de série-réalité, tournés plusieurs mois avant leur diffusion à l’écran. Cela revient 2 à 3 fois plus cher qu’une saison de série-réalité, alors que certaines sont bien plus performantes en audience, comme Les Marseillais VS Le reste du Monde, qui a rassemblé en audience veille cette saison près de 750 000 inconditionnels, soit près du double des quotidiennes de Secret Story.
En faisant revenir leurs candidats « stars » à chaque nouvelle saison, ces émissions s’appuient sur le côté « feuilleton » de leurs mésaventures, tournées dans des lieux exotiques et paradisiaques, bien loin de la morosité de l’automne parisien dans lequel évoluent les « secretistes ». De plus, en capitalisant sur la notoriété déjà bien développée de ses protagonistes, les séries-réalité s’assurent de voir revenir un socle minimal de fidèles, là où le casting est entièrement composé d’anonymes dans la « maison des secrets ».
Ainsi, les directeurs de programme de ces chaînes au coût de grille serrée optent de plus en plus, dans une logique de rationalité, pour ces programmes plus fédérateurs et moins coûteux.
L’émission « 10 couples parfaits », diffusée cet été sur le canal 11 de la TNT, a signé des scores d’audiences supérieurs à Secret Story 11, tout en étant facturée à la chaîne trois fois moins cher.
Mais alors, quel avenir pour la dernière émission de téléréalité d’enfermement française ? La renaissance de son diffuseur actuel, NT1 – qui subira un rebranding en janvier 2018 avec un nouveau nom assez controversé, TFX, une nouvelle identité visuelle, un habillage modernisé et une clarification de son positionnement éditorial, axé sur les jeunes de 15 à 24 ans – sonnera-t-elle le glas du programme ? Ou la direction des programmes choisira-t-elle de lui donner un nouveau souffle en lui offrant réellement les moyens de se renouveler ?
Sources :
« « Big Brother » et « Loft Story », les succès d’Endemol », Le Monde, Emmanuelle Jardonnet, 20/03/2005
« Comment « Secret Story » va cannibaliser l’antenne de NT1 », Pure Medias, Charles Decant, 05/09/2015
« Coulisse SECRET STORY 10, UNE VERSION LOW COST AVEC DES SECRETS AU RABAIS ? », VSD, 25/05/2016
« Les Marseillais vs Le reste du monde 2 (bilan d’audience) : Jessica, Julien et Nikola toujours au top sur W9 », Toutelatele.com, Benoît Mandin, 01/12/2017
« La téléréalité en France est-elle à bout de souffle ? », Le Figaro, Damien Mercereau, 04/12/2017
Crédits photos:
Image 1: œil de Secret Story
Image 2 : Logo Big Brother
Image 3 : Capture écran NT1 (Prime 11 Secret Story 9)
Image 4 : Manifestations anti-Loft Story devant le siège de M6
Image 6: Visuel 10 couples parfait
Image 5 : Capture écran NT1 (Maison des secrets)
One thought
Je rejoins assez cette analyse sur secret story ! Par contre il me semblais que loft story n’avait pas été renouvelé par ce que TF1 avait signé un contrat d’exclusivité avec Endemol obligeant M6 à abandonner le Loft