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« N’imaginez plus Paris, allez-y »

Depuis quelques mois, de nombreuses affiches de la SNCF promouvant les lignes Intercités à petits prix ont fleuri dans les couloirs des métros français, en particulier du parisien, et à l’arrière des bus. C’est en partant du constat que les voyageurs ne connaissent pas, ou très peu les régions de France et qu’ils se les imaginent, souvent par le biais d’anecdotes et d’association d’idées, que les deux parties ont conçu une nouvelle campagne de 34 visuels au fort capital sympathie. Mais pourquoi cette importante communication, qui souhaite à l’origine déconstruire les stéréotypes, suscite-t-elle la stupéfaction plus que l’amusement ?

Les stéréotypes dans leur ensemble

Commençons par souligner que cette campagne pensée à des fins commerciales est diffusée dans la France entière. La SNCF et l’agence TBWA ont d’ailleurs pris le soin de retenir des noms de villes permettant de reconstituer un maillage complet du pays.


Exemples de villes mises à l’honneur par la campagne : Clermont-Ferrand, Nevers et Caen

Si cette sélection repose également sur la reprise d’éléments caractéristiques des villes retenues, elle permet surtout de prouver aux usagers l’important nombre de lignes de train mises à leur disposition. La SNCF choisit ainsi de mettre la lumière sur des stéréotypes et des imaginations constituantes pour se placer en médecin de ces clichées et proposer son remède : prendre le train. Mais voyons à présent les colorations que revêtent les contre-stéréotypes dans la capitale.

La valeur que prennent ces contre-stéréotypes dans le métro parisien

Les usagers du métro parisien auront bien remarqué que ces nombreux visuels, présentés sous la forme de dessins caricaturaux, comportent une importante part d’implicite à leur intention. La mise en scène d’éléments ruraux et triviaux y est par exemple particulièrement prégnante, comme sur cette affiche faisant référence à Limoges.


Limoges et le plateau de millevaches – vu par les Parisiens aurait-on envie d’ajouter ?

Par ailleurs, la tentative de remise en cause des clichés concerne principalement des villes moyennes, même si quelques grandes villes figurent sur la liste d’appel comme Paris elle-même ou Marseille, et ce choix pourrait signer une forme de parisianocentrisme sous le sceau duquel la SNCF joue des normes tacites chez les Parisiens pour les renverser. C’est du moins le sentiment que le flâneur de la capitale peut avoir lorsqu’il descend sous terre.

Un revers de médaille pour les lignes Intercités

Ajoutons que cette campagne, qui encourage fortement les déplacements dans toute la France grâce à des lignes Intercités sensées défier toute concurrence par ses prix, devient une véritable occasion pour des voyageurs mécontents de tendre à la SNCF le miroir grossissant de ses problèmes.
Rendez-vous à Granville pour 15€ ? La plaisanterie prend un ton amer lorsque l’on s’offre une petite visite sur le site de réservation des billets : un vendredi soir au départ de Paris-Montparnasse (hors vacances scolaires et ponts), le voyageur avide de week-ends ne trouvera que deux Intercités qui lui coûteront jusqu’à 3 fois le prix indiqué sur les affiches de la campagne et qui mettront 3h30 pour le conduire à destination (pour environ 330 kilomètres).


La promesse contraste avec la réalité

Si nous poursuivons nos recherches sur cette ligne Paris-Granville, nous découvrons rapidement le site Internet de l’« Association des usagers de la ligne Paris-Granville ». Ce dernier recueille les témoignages de voyageurs épuisés, et dresse un portrait accablant du service ferroviaire pour cette ligne à travers des statistiques révélatrices (2 086 retards de train en 2016, départ délocalisé en gare de Montparnasse 3 Vaugirard auprès des Ouigo, impossibilité de prendre son billet sur un automate, 22 trains annulés au mois de janvier 2018…). Et on peut facilement imaginer qu’avec les 36 jours de grève annoncés pour les semaines à venir la tension n’est pas prête de redescendre.
La déconstruction ludique des stéréotypes suffira-t-elle à changer le regard normé que nous portons depuis un moment sur la SNCF ?

Sophie Regaud

Sources
Crédits photos
  • Campagne de communication SNCF réalisée avec l’agence TBWA
  • Capture d’écran du site de réservation OUI.sncf prise le 18/03/2018 pour un voyage simulé le 23/03/2018

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