Société

Ashin Wirathu ou l’utilisation de la figure religieuse pour diffuser des discours de haine

L’habit ne fait pas le moine… c’est le cas de le dire. En effet, Ashin Wirathu est un moine birman, surnommé « le Hitler Birman », ou encore « le Ben Laden Birman » par les médias internationaux. Ces surnoms trouvent leur source dans un comportement en totale contradiction avec la vision du moine prônant la paix, la tolérance et la non-violence. Le cas de Ashin Wirathu illustre la dangerosité de la portée éducative que l’on attribue à sa fonction en tant que figure religieuse, dans la réception passive de ceux qui la reçoivent.

Un moine qui médite dans la haine

Ashin Wirathu est né à près de Mandalay, en Birmanie, en 1968. Il quitte l’école à 14 ans pour se consacrer à sa vie de moine. Il s’est fait connaître à travers sa ferveur nationaliste et islamophobe, lorsqu’il s’est engagé progressivement au sein du mouvement 969, jusqu’à prendre la tête de sa direction. Cette prédominance islamophobe, Wirathu la tient d’un ancien manuscrit, qu’il a lu en 1997, dans une période de conflits entre les Rohingyas et les bouddhistes, intitulé « la peur de la disparition de la race ». Ce manuscrit a fait naître en lui l’idée qu’il existerait une conspiration musulmane en Birmanie (et dans le monde), qui viserait à remplacer la population bouddhiste via une reproduction massive des musulmans (surtout à travers la manipulation des femmes bouddhistes contraintes à la reconversion).

Sermon de Ashin Wirathu, reportage Arte.
 Ainsi, lorsque l’on écoute Ashin Wirathu parler, il y a des éléments qui, ne correspondant pas à notre vision préétablie du bouddhisme, nous instille un sentiment étrange. Il s’agit de la confrontation entre sa communication non-verbale, un visage serein, parfois souriant, au caractère bienveillant, et sa communication verbale qui extériorise ses pensées haineuses. C’est la communication non-verbale qui semble ainsi permettre la réception passive de ses propos, qui est renforcée par son pouvoir en tant que figure religieuse et donc en tant qu’être sacré.
Cette diffusion de propos haineux ne se limite d’ailleurs pas à la Birmanie, dans la mesure où les problèmes actuels mondiaux liés au terrorisme islamique ont fait monter une pensée islamophobe, qui pourrait trouver à travers la figure religieuse bouddhiste de Ashin Wirathu, une légitimation et une justification de cette pensée. L’homme fait lui-même l’amalgame dans une interview de Barbet Schroeder, entre les membres de l’Etat Islamique et le reste des musulmans, schéma réducteur qui rend son discours dangereux. Il est ainsi très présent sur les réseaux sociaux, avec quelques millions de « followers » comme YouTube ou Facebook, dont les comptes sont alimentés par ses élèves qui publient parfois des informations fausses et non vérifiées par les « followers » incitant à la haine envers les musulmans (cela a provoqué des émeutes comme à Meiktila en 2013, où 32 musulmans ont trouvé la mort de la main de jeunes bouddhistes extrémistes). 

La puissance de l’utilisation de la figure religieuse :  la concrétisation avec le départ des Rohingyas

Les Rohingyas sont un groupe comptant entre 800 000 et 1,3 millions de personnes, mais ils ne font pas partie des 135 minorités ethnolinguistiques que l’Etat birman reconnaît. N’ayant pas la citoyenneté birmane, ils sont apatrides. Pour rappel, la venue des Rohingyas en provenance du Bangladesh a été organisée par les autorités britanniques à l’époque coloniale afin de promouvoir la mise en valeur agricole de la région de l’Arakan (sur la côte Ouest du pays). La dénomination Rohingya a été adoptée par des intellectuels des années 1930 issus de cette communauté, pour insister sur la rupture linguistique et culturelle avec le Bangladesh, et sur leur identité birmane.
Ashin Wirathu et son mouvement sont considérés en partie responsables de la persécution envers les Rohingyas, dont plus de 500 000 ont fui vers le Bangladesh depuis environ 2012. On peut ainsi voir la puissance de l’impact de ses discours à travers la violence concrète que cela a engendré. Aussi, avant la vague de violences récentes, le logo du mouvement 969 sur fond de drapeau bouddhiste était utilisé comme autocollant et était posé sur les commerces des musulmans, afin d’engager la population à boycotter leurs produits (et ainsi leur source de revenu). Enfin, l’application de lois visant à interdire la polygamie des musulmans ainsi que l’intermariage entre bouddhistes et musulmans montre que sa puissance à même atteint la sphère politique.
L’efficacité de sa communication repose ainsi sur son utilisation de plusieurs supports médiatiques : les DVDs qui sont distribués gratuitement, les réseaux sociaux et les affiches, avec une mise en visibilité de scènes choquantes exposées publiquement et observées par toute la population, photos qui sont expliquées par une légende qui en donne un sens unique, et qui se rapporte majoritairement à des crimes injustes perpétrés par les musulmans (sans  pouvoir en vérifier la véracité).
On peut ainsi voir sa stratégie de communication un détournement des valeurs comme le droit de l’homme, qui consiste non plus dans la tolérance et l’acceptation de l’autre, mais dans le droit de liberté de religion et d’identité face à « l’invasion musulmane future ». Sa stratégie repose sur la manipulation de l’émotion, notamment la peur, qu’il suscite à travers le caractère anecdotique de faits non vérifiés de crimes perpétués par les musulmans birmans, et qui viennent donner un sens à la haine qu’il diffuse. Il dit ainsi « un musulman a fait », « un musulman a dit », le musulman se trouve ainsi réduit à sa religion, il n’a pas de nom ni de visage, bref : il est déshumanisé.

Le documentaire Le Vénérable W : le paradoxe de la mise en visibilité

 

Ci-dessus la bande annonce du film documentaire LE VENERABLE W, réalisé par Barbet Schroeder et sorti en France le 20 Mai 2017.
 L’existence d’un documentaire qui retrace la vie de Ashin Wirathu pose la question de l’importance de sa mise en visibilité dans la prévention de la dangerosité des discours haineux. En effet, comment donner de l’importance à ce moine sans l’humaniser, en évitant une identification entre le téléspectateur et l’homme. Cette orientation a été mise en place à travers l’utilisation de la musique mystérieuse, des scènes choisies et axées sur l’islamophobie de Wirathu. La voix off parle aussi au nom de tous les bouddhistes, « nous moines », en retraçant son histoire et les principes du bouddhisme, une position surplombante qui permet au téléspectateur de prendre de la distance par rapport à l’objet étudié.
Ce qui transparaît à travers le documentaire est une forme de conquête du pouvoir de la part de Ashin Wirathu, à travers l’utilisation de l’autorité religieuse :  il connaît les discours que l’on tient sur lui dans les médias occidentaux, mais il a tout de même accepté d’être interviewé par Barbet Schroeder, alors que le documentaire vise clairement à retourner le téléspectateur contre lui, puisqu’il s’inscrit comme le dernier volet de sa « trilogie du mal » (du producteur). Ce documentaire s’inscrit donc paradoxalement dans la lignée des efforts visant à diminuer la légitimation de son discours. Le mouvement 969 a ainsi été rendu illégal depuis les violences de 2013, mais il a été remplacé par un mouvement davantage structuré, le MA BA THA, lui aussi réduit partiellement au silence en 2017 lorsque la haute autorité bouddhiste birmane lui a ordonné de cesser ses activités sous peine de poursuites. Sur les réseaux sociaux, la clôturation de son compte par Facebook en Février 2018 vise également à diminuer son influence (mais cela ne l’empêchera pas d’en créer un nouveau).

On peut le voir, dans la photo ci-dessus, en train de lire le journal Time, dont la couverture ne donne pas une image très positive de lui. Cela est en contradiction avec son interview figurant dans le documentaire, dans lequel il dénonçait le problème des moines qui partagent leur propres méthodes et interprétations des textes bouddhistes dans les pays occidentaux, et qui véhiculent ainsi une mauvaise représentation du bouddhisme. Ses convictions et son refus d’abandonner sa lutte continuent de faire peur. C’est à travers le détournement de la représentation du bouddhisme que ses discours continuent à impacter puissamment la Birmanie, à travers la violence réelle et symbolique envers les musulmans birmans, mais aussi envers la représentation des musulmans à l’échelle mondiale.
Romane Pinard
@RomanePnd sur Twitter
Sources :

Crédits photos (dans l’ordre) :

  1. Newmuslimvoice 
  2. Les Inrocks
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