La boutique Elysée.fr : de la mise en marque du monarque
Le Made in France devient une affaire d’Etat. En septembre dernier, à l’occasion des journées du patrimoine, l’Elysée a inauguré une boutique de produits dérivés en ligne aux couleurs du pays (doublée par un lieu de vente éphémère dans la Cour d’Honneur du palais). Tote bags « première dame », mugs à l’effigie du président, bougies bleu, blanc, rouge, etc : il y en a pour tous les goûts. Les produits, fabriqués exclusivement dans l’hexagone par Le Slip Français, Pierre Hermé, BIC ou Duralex entre autres, sont vendus en co-branding sous la marque Elysée – Présidence de la République.
L’objectif est de valoriser « l’excellence du savoir-faire français » mais aussi de soutenir les entreprises participant au « dynamisme des territoires et à l’emploi local », comme l’indique le site officiel de la boutique. Il est également précisé que l’entièreté des bénéfices réalisés par la vente sera allouée aux travaux de restauration du palais présidentiel initiés à l’été dernier. Win-win situation.
Le succès ne s’est pas fait attendre ! D’après la Présidence, durant le seul week-end du 13 et 14 septembre, près de 350 000 euros ont été récoltés en ligne et à la boutique éphémère du palais. La couverture médiatique a été large et unanime : l’opération est une réussite. Mais le scandale n’est jamais très loin. En effet, les mugs estampillés « Porcelaine de Limoges » étaient en réalité décorés à Toulouse… Pour mettre fin à l’incident régional, l’Elysée a alors immédiatement suspendu sa collaboration avec l’entreprise pratiquant la délocalisation. Toutefois, si une polémique a bel-et-bien émergé du traitement médiatique de ce dispositif, ce n’est pas la bonne. Cette histoire de porcelaine retenue par les médias est-elle vraiment le fond du problème ? Allons plus loin.
« Ce sera tout ? »
Le malaise vient tout d’abord de l’existence même de cette boutique. Elle fait fatalement — au sens de Barthes — entrer l’Elysée dans le registre marchand. Est-ce le rôle d’une institution de se positionner sur un marché de biens ? Au sein d’un monde financiarisé, il semblerait que même la Présidence de la République se doive de pénétrer les marchés. Et Macron assume entièrement cette posture. Toujours à l’occasion des journées du patrimoine, il s’affiche fièrement en bras de chemises devant les caméras pour vendre ses goodies aux visiteurs. Situation si triviale qu’elle en devient cocasse, surtout pour quelqu’un qui affirmait quelques mois plus tôt vouloir re-sacraliser la fonction présidentielle.
Une marque étant définie par l’INPI comme un « signe servant à distinguer un produit ou un service de ceux des concurrents », le dispositif marchand en œuvre dans ce cas précis renvoie directement au marketing politique. Pourtant M. Macron, désormais président et non plus candidat, n’évolue plus sur le marché politique au sein duquel se rencontrent une offre — celle des hommes politiques — et une demande, celle des électeurs. La frontière entre conquête et exercice du pouvoir s’efface.
L’État, c’est moi
La vocation première et affichée du dispositif de rénover le palais avec les fonds récoltés dissimule une stratégie communicationnelle basée sur la personne même du Président. Bon nombre de produits dérivés sont en effet empreints de l’extrême personnalisation de son pouvoir, à l’image de ces T-shirts portant les inscriptions « Poudre de perlimpinpin » ou « Croquignolesque », deux expressions prononcées à l’occasion du débat de l’entre-deux-tours et qui font désormais partie de la novlangue macronienne amplement reprise par les hérauts de la majorité. On flirte déjà là avec une rhétorique davantage partisane que républicaine.
Le T-shirt à l’effigie du président célébrant le sacre des Bleus en finale de la Coupe du monde de football en juillet dernier est sans doute l’objet qui invite le plus à l’analyse. M. Macron y est donné à voir comme l’icône de leur victoire ainsi que de la liesse populaire qui s’en est suivie, et finalement, via les trois bandes bleue, blanche et rouge qui parcourent son corps, le symbole de l’unité du pays. Ce T-shirt concentre donc les thématiques typiquement macroniennes que constituent la réussite, la fierté d’un peuple, et l’union nationale. Une image vaut mille mots.
Une pratique répandue à l’étranger
Cette boutique présidentielle ne fait en aucun cas figure d’exception. Elle rappelle les goodies kitsch des monarchies parlementaires, à l’instar des mugs, T-shirts, chapeaux, etc qui célèbrent la famille royale britannique, à la seule différence que ceux-ci sont mis en vente par des entreprises privées.
Mais c’est en réalité le format de la boutique de la Maison Blanche américaine qui se rapproche le plus de celui de l’Elysée. Depuis les années Truman, est proposée aux Etats-Unis une large sélection de produits destinée à financer la formation et l’équipement des forces de l’ordre. Le magasin y est là physique, directement accolé à la résidence officielle du président.
Cependant, la mise en marque du président français confère à la démarche de l’Elysée un caractère totalement inédit. C’est sans doute la première fois qu’un chef d’Etat développe une marque destinée à consolider son image et à diffuser sa vision du monde. La pérennité de ce dispositif est pourtant loin d’être assurée : une fois le (ou les) mandat(s) d’Emmanuel Macron achevé(s), la marque Elysée – Présidence de la République restera empreinte du sceau macronien. Le statut présidentiel lui, s’en trouvera forcément affaibli.
Sources:
- https://boutique.elysee.fr/
- https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/boutique-de-l-elysee-quels-sont-les-produits-les-plus-vendus-7794779520
- https://www.ledauphine.com/france-monde/2018/09/15/des-mugs-de-l-elysee-faussement-estampilles-porcelaine-de-limoges
- http://www.leparisien.fr/politique/poudre-de-perlimpinpin-croquignolesque-et-maintenant-des-goodies-sigles-elysee-13-09-2018-7887411.php
- https://www.inpi.fr/fr/comprendre-la-propriete-intellectuelle/la-marque
- https://www.nouvelobs.com/politique/20170629.OBS1399/congres-de-versailles-macron-tente-de-resacraliser-la-fonction-presidentielle.html