Les péchés de la communication : Une construction médiatique du Pape François
Au mois d’août 2018, l’Eglise catholique semblait voir sa flamme pontificale vaciller pour la toute première fois depuis l’arrivée à sa tête du bien-aimé pape François. Les propos tenus par le saint homme à l’égard des enfants homosexuels ont fait scandale et entraîné rapidement un plan de communication de crise de la part du Vatican.
En 2013, Benoît XVI faisait acte de renonciation et s’imposait alors comme le premier pape de l’histoire à ne pas mener son règne jusqu’à la mort. En réaction, le pape François est élu peu de temps après, dispensant dès son intronisation un message d’évangile : retour à la simplicité et à l’humilité religieuse mais aussi exploration des frontières du monde et de la foi pour y faire briller la lumière de l’Eglise. Cinq années plus tard, qu’en est-il du rayonnement de l’église catholique à travers le monde ?
Une image bienveillante et moderne ?
Le pape François semble avant tout se faire le chantre d’une théologie plus tempérée que ses prédécesseurs. Le message est clair et stable dans chacune de ses interventions publiques : il appelle à la tolérance, la compréhension et la prière. Et cela semble fonctionner : selon un sondage mondial publié par WIN/Gallup International en 2016, le pape serait actuellement le leader le plus aimé au monde.
A plusieurs reprises, il condamne le jugement hâtif et le fanatisme, allant jusqu’à donner, en décembre 2015, une leçon de communication aux journalistes catholiques à travers un communiqué lourd de sens. Les principaux péchés de la communication y sont ainsi désignés par le pape : désinformation, calomnie, diffamation mais aussi saturation. Il s’agit alors de résister, selon ses mots, à la tentation de « manipuler la réalité ».
C’est la première fois qu’un pape s’adresse en ces termes au public et ses propos trouvent une grande résonance communicationnelle. L’Eglise catholique, pour une organisation millénaire, se montre réactive dans son traitement des nouveaux dispositifs de communication et des changements de paradigme qui y sont liés. Ainsi, son discours se fait résolument moderne, si bien qu’on y retrouve des messages déplorant une société dominée par l’angoisse de la vitesse, par le sensationnalisme, l’émotion surchauffée, au détriment de la précision et de l’exhaustivité.
L’expression du pouvoir pastoral catholique – au sens foucaldien – sait ainsi, à la manière d’une marque, trouver sa cible. Afin de faire subsister la foi dans une hypermodernité, il est question de proposer d’autres façons de parvenir au « salut ». Guider les brebis égarées nécessite d’appliquer de véritables stratégies marketing. C’est savoir entrer dans la tête du consommateur d’espérances qui devient primordial. Il n’est alors pas étonnant de constater les choix de l’Eglise en matière de communication : le 5 juillet 2018 était élu à la tête du dicastère de communication du Vatican le journaliste Paolo Ruffini, premier laïc à prendre la tête d’un organe de la curie romaine. Ce dernier aurait notamment été promu pour ses compétences managériales en ressources humaines, une approche définitivement pragmatique qui n’est pas sans rappeler une certaine politique macronienne.
Paolo RUFFINI, ex-directeur de la chaîne de télévision des évêques italiens TV 2000 et nouveau directeur de la communication du Vatican
Le pape, les gays et la psychiatrie
Si L’Eglise actuelle semble se démarquer en termes de complexification des problématiques liées au sexe, il semble néanmoins qu’elle ait une grande peine à exorciser ses vieux démons. Interrogé fin août sur la démarche à adopter face aux comportements homosexuels des enfants dans le cadre familial, le pape s’est mis en état de disgrâce en opposant une communication d’habitude résolument moderne à des propos d’une maladresse atavique et médiévale.
Le conseil d’un recours à la psychiatrie a provoqué un tollé immédiat sur Internet et entraîné précisément ce contre quoi la communication de l’Eglise veut lutter : le sensationnalisme immédiat. C’est pourtant un mot qui semble tout droit surgit du passé, prononcé par automatisme, « comme une sorte de réflexe pavlovien » selon Olivier Pirot. Cette confusion ramène au conservatisme de l’Eglise et à son manque d’actualité sur la question LGBTQI+, ce qui vient l’opposer directement et avec paradoxe à la stratégie de communication qu’elle emploie aujourd’hui. Une Eglise catholique moderne, certes, mais pas sur tous les tableaux…
Le pape François et Wim Wenders lors du tournage de son dernier documentaire
Alors comment analyser la communication vaticane sinon comme imparfaite, fragile et divisée ? Le réalisateur Wim Wenders raconte avoir pu, lors de la réalisation de son dernier film « Le Pape François, un homme de parole », jouir d’une totale liberté quant à ce qu’il souhaitait y montrer. Si le cinéaste reste chrétien de confession, il a abandonné l’Eglise catholique en 1968 et ne l’a jamais plus considérée. Il s’agit alors, selon ses mots, de laisser voir, sans propagande ou manipulation, le seul leader mondial engagé dans une révolution morale pour le « bien commun ».
Si le pape a encore des progrès à faire en matière de communication, il semble pourtant qu’elle reste, ici, diablement efficace.
Jules Mahé
SOURCES
Büttgen Philippe, « Théologie politique et pouvoir pastoral », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2007/5 (62e année), p. 1129-1154. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-2007-5.htm-page-1129.htm
Les secrets de la communication du pape François
PHOTOS
https://www.famillechretienne.fr/eglise/pape-et-vatican/wim-wenders-realiser-ce-film-avec-le-pape-francois-m-a-vraiment-bouleverse-241871
https://www.lepoint.fr/societe/a-quoi-joue-le-pape-francois-05-04-2018-2208215_23.php