Culture

Diddy, criminel et roi de la communication

Depuis le 23 mai 2024, un empire atypique, celui de Sean Combs, s’effondre sous le poids de graves accusations. Connu sous les pseudonymes de Puff Daddy ou Diddy, le célèbre rappeur et producteur, figure emblématique de l’Amérique des années 90, fait aujourd’hui face à des charges allant de violences conjugales à trafic sexuel et extorsion. Incarcéré au Centre de détention de Brooklyn, Diddy attend désormais son procès. Si son ascension fut marquée par les controverses, c’est une nouvelle facette de son héritage et de ses stratégies de communication que FastNCurious vous propose d’analyser.  Le marketing de rue de Bad Boy Entertainment  Source : Logo de Bad Boy Entertainment, 1994 Dès 1993, Sean Combs pose les premières pierres de son empire en fondant Bad Boy Entertainment, l’un des labels les plus influents de l’histoire du hip-hop. N’ayant pas les moyens financiers des grandes maisons de disques de l’époque, il adopte une approche innovante : le guérilla marketing. Une stratégie popularisée par l’auteur américain Jay Conrad Levinson en 1984. En mobilisant des « street teams », équipes chargées de promouvoir artistes et événements dans la rue, Combs contourne les dispositifs de promotion traditionnels inaccessibles aux labels de rap, souvent stigmatisés par les médias. Les « street teams » deviennent alors l’outil principal pour bâtir une base de fans fidèles et crédibiliser les artistes qu’il produit au sein de la culture hip-hop.  Pierre Bourdieu, dans son ouvrage La distinction, fait une dissociation entre la “culture légitime”, celle valorisée par les élites et la “culture populaire”, les pratiques culturelles des classes populaires. Diddy, avec Bad Boy Entertainment, s’est positionné en tant que vecteur de cette culture populaire, en rejetant les normes de la culture légitime de l’industrie musicale. En empruntant les codes de la culture de rue, il a permis à la musique hip-hop de se faire une place dans le paysage mainstream.  Alors que les médias de masse refusent de diffuser du rap, Combs mise sur la culture populaire afin de construire une symbolique propre à cette culture et un lien authentique avec le public. Le label Bad Boy devient ainsi un exemple de contre-culture qui réinvente les codes sociaux et culturels.  Chez Bad Boy Entertainment, le buzz et l’effervescence générés par ces street teams étaient immanquables, en particulier en raison de la rivalité avec d’autres maisons de disques comme Death Row Records, produisant des artistes comme Tupac et Snoop Dogg . Les membres des street teams affichaient une forte revendication d’appartenance à leur groupe, ce qui rendait cette forme de communication d’autant plus efficace car ils promettaient une identité et l’appartenance à une communauté. De plus, les street teams de Bad Boy records s’adressaient directement aux jeunes afro américains et aux amateurs de rap dans des espaces ciblés. Cela leur permettait de capter l’attention d’un public clé de manière plus personnelle, ce qui augmentait les chances de succès.  Diddy a également été l’un des instigateurs dans la création d’une image de marque personnelle dans le hip-hop (personal branding), une stratégie qui a transformé l’image d’un simple musicien en une icône de la culture. Des figures comme The Notorious B.I.G peuvent en témoigner, il n’a pas seulement mis en avant leur musique, mais a également cultivé des récits et des images qui résonnent encore profondément aujourd’hui dans la culture populaire. Le style vestimentaire est un élément distinctif de Bad Boy Records, qui a solidifié l’image de marque du label. Source : Shooting promotionnel pour « Bad Boy Entertainment », 1994, avec P. Diddy, The Notorious B.I.G., Faith Evans et Craig Mack.  Les couvre-chefs de Biggie, comme les casquettes Kangol ou les chapeaux plus imposants, faisaient également partie de ce style unique. À une époque où le hip-hop gagnait en importance, ces accessoires renforçaient l’originalité et la force de son personnage. Ce choix, qui s’écartait des codes établis, permettait d’associer à Biggie une apparence facilement reconnaissable .  L’adoption du style “oversize” a aussi marqué l’identité visuelle de Bad Boy Records. Ce style, adopté par les artistes de Bad Boy, évoquait une attitude rebelle et libre, ancrée dans l’expérience de la rue. En intégrant ces éléments visuels, Diddy façonnait une image qui reflétait les valeurs de liberté et d’authenticité. Ses artistes étaient ainsi perçus comme des représentants d’une nouvelle génération, apportant une voix et une esthétique à une culture en plein développement.  La mythologie de Christopher Wallace : The Notorious B.I.G Source : New York Daily News Archives Dans le documentaire Netflix, Biggie : I Got a Story to Tell (2021), Diddy décrit The Notorious B.I.G, comme une icône intemporelle. Il déclare ceci : “This guy, I don’t know where he came from with his cadences, with his rhythms, with his sound, with his approach, with his confidence. You have no origins for what planet this guy came from…”  Cette représentation mythique du rappeur fait écho aux théories de Roland Barthes autour desquelles il façonne son ouvrage “Mythologies” (1957) , pour qui le mythe est un outil véhiculant une idéologie dans les sociétés modernes.  Mais quelle idéologie véhicule B.I.G ? En grandissant dans un quartier sensible de New York, Biggie incarne l’espoir pour les hommes afro-américains, d’une émancipation par l’art ainsi que le pouvoir d’une élévation sociale peu importe le passé. Biggie représente l’ascension sociale pour toute une communauté, devenant ainsi un symbole de résilience et de réussite. En érigeant Biggie en légende, Diddy perpétue un modèle de réussite qui fait écho aux réalités et aspirations de nombreux Afro-Américains.  Les signes cachés derrière la pochette de l’album Ready to Die de B.I.G Source : Couverture de l’album Ready to Die, 1994.  « I love it when you call me Big Poppa…” Cette phrase ne vous est sûrement pas inconnue ; en effet, elle fait partie d’un refrain qui a fait danser de nombreuses générations, celle de nos parents mais également la nôtre. Issue du titre “Big Poppa” , elle figure sur l’album, “Ready to Die” , de The Notorious B.I.G. Bien que ce projet soit maintes fois sacré, ce n’est pas uniquement son aspect musical qui fait sa singularité, mais aussi les visuels de l’album. La pochette de l’album Ready to Die de Biggie marque les esprits en 1994 avec l’image d’un bébé en couverture.  Ce contraste, frappant pour l’époque, se prête à une lecture sémiotique. Il est donc évident que chaque image porte en elle des signes, un langage visuel qui va plus loin que la simple apparence afin de véhiculer des significations profondes, parfois cachées. Analysons-les :  Cette juxtaposition vie-mort visible à travers l’opposition entre un nouveau-né et le mot « die, »est un message complexe où l’innocence de l’enfant confronte la dure réalité de la vie afro-américaine. La figure de l’enfant incarne également l’innocence perdue, un concept central pour le label Bad Boy, symbolisé par son logo représentant un enfant en rébellion contre le système américain. Ce logo est marqué par des détails comme la casquette inclinée sur le côté, soulignant cette attitude dès le plus jeune âge. L’usage du fond blanc, en arrière-plan, peut également être interprété comme une allusion au contexte systémique d’inégalités raciales. La coiffure Afro de l’enfant peut être perçue comme une affirmation forte et fière de son appartenance à la communauté noire.  La pochette de Ready to Die devient ainsi un message visuel percutant, engageant le public autour de questions socio-culturelles essentielles. Le renouveau stratégique de Sean Combs : redorer une image ternie Source : Publications Instagram de Diddy : 21 juillet 2024, 26 juillet 2024, 15 octobre 2024.  Dans La mise en scène de la vie quotidienne, le sociologue américain Erving Goffman écrit : « Tous les jours, dans tous les rapports sociaux, chacun de nous présente aux autres des images de soi qu’il espère les voir confirmer. ». Il décrit la société comme un théâtre ou les individus jouent des rôles et utilisent des masques pour gérer leur interactions sociales.  Dans le cas de Diddy, c’est sur les réseaux sociaux qu’il façonne une nouvelle image. Plutôt que de répondre directement aux accusations, il choisit de partager des moments tendres en famille, montrant par exemple des photos de lui endormi paisiblement avec sa fille dans une posture protectrice, ou encore des clichés mettant en avant uniquement ses filles, illustrant son amour inconditionnel et sa dévotion de père. Si l’on suit la théorie de Goffman, cette stratégie est une manière de « recadrer » la situation, c’est-à-dire de redéfinir l’image que le public se fait de lui. Ainsi, plutôt que de voir un homme accusé, le public découvre un père aimant, incapable de mal sur les femmes..  Ce « recadrage » aide Diddy à influencer l’opinion publique en montrant un côté attendrissant de sa personnalité, ce qui peut encourager les gens à percevoir la situation autrement et, parfois, à modérer leurs jugements.  Cette approche, typique de l’ère des réseaux sociaux, montre comment la gestion de crise peut désormais passer par une mise en scène minutieuse de soi, où chaque image et chaque message public est choisi pour créer un effet de résonance avec les attentes et les valeurs du public, offrant ainsi une nouvelle interprétation des événements. Cependant, il est difficile d’envisager de nouvelles interprétations dans ce cas, car les vidéos révélées par la chaîne américaine CNN le 17 mai 2024 montrant les agissements de Sean Combs sur son ex-compagne Casandra Ventura laissent peu de place à l’ambiguïté. Ces images révèlent clairement des actes de violences conjugales, qui doivent être jugés avec fermeté par la justice et le grand public.  Le parcours de Sean Combs révèle ainsi les dualités de son empire : d’une part, une capacité visionnaire et sa contribution à l’élévation de la culture hip-hop au rang de phénomène mondial, d’autre part, un personnage problématique dont l’image publique se heurte aujourd’hui à des accusations graves. En se penchant sur les stratégies de communication de Diddy, nous découvrons l’habileté de ce dernier à manipuler son image et celle de ses artistes pour toucher le cœur du public, même au détriment de la réalité. Ce qui lui confère le titre de roi de la communication et criminel.  Cette façade médiatique ne peut éternellement masquer les vérités sombres dont il est coupable. Cette affaire invite donc à repenser l’impact des stratégies de personal branding sur notre perception des figures publiques et à questionner la place des médias dans la glorification de ces personnages. Eden Nsimba
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Which life matters ?

En avril 2017, le dernier spot publicitaire de Pepsi a très rapidement déclenché un « bad buzz » ou un « gros fail », pour reprendre les expressions utilisées par les titres de l’actualité à ce sujet. Le court-métrage de 2 minutes 40 mettait en scène l’instagrammeuse Kendall Jenner partageant une canette de Pepsi avec des policiers, au cœur d’une manifestation organisée par le mouvement afro-américain « Black Lives Matter » : militant contre la violence et le racisme systémique envers les Afro-Américains aux Etats-Unis. Il n’en a pas fallu pas davantage aux internautes pour déclencher une vague de critiques et pour faire comprendre à Pepsi que les suggestions de cette publicité ne sont pas acceptables.

Société

Netflix : une communication "made in USA"

Lancé le 15 septembre 2014 en France, Netflix débarquait dans le paysage de la VOD (vidéo à la demande) avec pour ambition de chambouler le paysage vidéoludique français. Deux ans et demi plus tard et de nombreuses campagnes promotionnelles déployées, Netflix a-t-il réussi son pari d’américaniser la consommation de SVOD en France?

Politique

La Trudeau Mania, ou comment devenir l’homme politique le plus populaire et sexy en 3 minutes

Ce qui nous plait chez nos politiciens c’est qu’ils soient distants, qu’ils apparaissent comme inaccessibles, qu’ils vivent comme des pachas sans connaître le prix d’une chocolatine. FAUX, comme dirait Norman. Aujourd’hui, ce qui plait aux électeurs ce sont des hommes politiques accessibles. Des hommes politiques comme nous, qui nous ressemblent.
Les ingrédients
Alors comment ressembler aux électeurs ? Il suffit d’analyser la stratégie de Justin Trudeau. Considéré comme la personnalité de l’année 2015, Trudeau a lancé une vague de Trudeau mania au Canada et dans le monde.
Trudeau c’est l’humaniste. C’est la politique « optimiste ». Trudeau c’est le cœur sur la main, illustré par les 25 000 Syriens qui ont pu trouver refuge au Canada. Trudeau c’est l’arrêt des frappes aériennes en Syrie et en Irak dans le but de protéger les civils. Trudeau c’est un féministe moderne. C’est soutenir les communautés LGBT. C’est légaliser le cannabis. Mais Trudeau c’est aussi un boxeur, un sportif, un ancien étudiant à la fois de littérature et de sciences de l’ingénieur, un ancien professeur. Trudeau c’est un ancien citoyen, c’est nous. Il incarne l’égalité de genre, de religion, d’orientation sexuelle, l’engagement et la jeunesse. Trudeau a été élu l’homme politique le plus sexy de l’année 2015. En somme, c’est une douce bouffée d’air frais dans une démocratie beaucoup trop verticale qui s’essouffle.
Son principal outil de communication : sa sincérité. Souvent critiqué pour sa candeur, c’est pourtant elle qui l’a porté au poste de Premier Ministre du Canada. Trudeau incarne une gentillesse pure et simple. Pas d’esclandre — sa communication est claire et honnête ; un tweet illustré par une photo, effet escompté garanti.

Un nouveau postulat démocratique ?
La société actuelle est lasse des mensonges et de la malhonnêteté des politiciens. Les électeurs ne croient plus à leurs discours. Ils sont fatigués de ces dirigeants qui semblent nés dans la politique et dont la seule ambition est l’accès au pouvoir. Un seul mot ressort : déception. Les hommes politiques n’inspirent plus. Les campagnes électorales ressemblent davantage à une cour de récréation de maternelle plutôt qu’à une véritable campagne.
Cette mise en spectacle infernale et ces règlements de compte font que les électeurs sont déçus et ne croient plus aux discours politiques ; pour 71% des 18-25 ans, la cause principale d’abstention est le mensonge des politiques, 45% ne votent pas car ils considèrent que les politiciens ignorent les préoccupations réelles des campagnes électorales, et la troisième cause d’abstention est due à la malhonnêteté des hommes politiques.
L’art de la maîtrise des réseaux sociaux
La tendance aujourd’hui, c’est la démocratie horizontale dont l’ingrédient crucial est la maîtrise des réseaux sociaux et des codes 2.0.
Pour être compris et ce n’est pas nouveau, il faut savoir communiquer et donc parler la langue de l’autre comme dit Bourdieu dans Ce que parler veut dire. Aujourd’hui, il faut parler la langue des internautes, et c’est là, tout l’art de Trudeau. Il maîtrise à la perfection la langue d’Instagram comme lorsqu’il met en scène sa famille ou quand il pose avec des pandas qui ont fait craquer plus d’une de ses fans. Celle de Twitter également, où il plaisante avec la Reine d’Angleterre ou participe à l’Invictus Games (tournoi organisé pour les soldats blessés), ou encore Youtube, où il présente sa politique.
Subtile et malin, il se sert également des réseaux sociaux pour maintenir ses relations internationales ou pour atteindre un nouveau public. Il a même un compte sur les deux médias sociaux les plus répandus en Chine : WeChat et Weibo (le Messenger et le Twitter chinois).
Ce premier ministre canadien a aussi été très habile quant à sa stratégie face à Trump; après l’attentat de la mosquée à Québec, il avait répondu indirectement au protectionnisme trumpiste vis-à-vis de l’immigration et du multiculturalisme par un tweet tout simple : [Le Canada accueillera] « les réfugiés indépendamment de leur foi, au lendemain de la décision de la Maison Blanche d’interdire l’entrée des USA aux ressortissants de sept pays musulmans ». Trudeau doit gérer ses relations avec les États-Unis afin d’éviter tout conflit dans les accords commerciaux, comme par exemple Aléna.

Une stratégie 2.0 égale pour tous ?
La maitrise des réseaux sociaux : l’unique ingrédient pour être aimé ? Il semblerait que non ou alors pas autant comparé à Obama et Trudeau. On ne peut pas reprocher à nos politiciens d’avoir essayé, à l’instar de Mélenchon et sa page Youtube ou plus récemment son meeting holographique. Mais notre jeune pimpant Macron ? Marchera, marchera pas ? Il semblerait qu’il ne tienne pas ses promesses avant même que la campagne présidentielle ne commence.
Alors, à quand un Obama/Trudeau à la française ?
Maëlys Le Vaguerèse
@lvgmaelys
Sources :
• « Pourquoi tout le monde aime Justin Trudeau », 7sur7 publié 10/03/2016 et consulté le 14/03/2017.
• « Démocratie verticale ou démocratie horizontale, que voulons-nous ? », Alternatives Pyrénées, publié le 20/02/2015, consulté le 14/03/2017
• « L’utilisation des réseaux sociaux en politique », Ambasdr, publié le 21/04/2015, consulté le 14/03/2017
Crédits :
• @JustinTrudeau
• « Chevelure soyeuse, sourire ravageur, look de bad boy… Les internautes ont le cœur qui fait boom », @RachelLeishman

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Marketing féministe, drôle de forme d’engagement contemporain

Si la définition du féminisme est souvent controversée, on peut s’accorder à le concevoir aujourd’hui, comme l’ensemble de mouvements et d’idées tant politiques que philosophiques et sociales visant à promouvoir le droit des femmes dans la société civile comme dans la sphère privée et d’abolir les inégalités hommes-femmes. But noble et ambitieux, poursuivi depuis des siècles à travers des figures variées, il est depuis quelques années utilisé comme argument marketing. S’agit-il d’un engagement idéologique des marques ? D’une stratégie purement commerciale s’adaptant aux évolutions de notre société ?

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Michel et Augustin ne sont pas dans leur assiette

Au cours de l’année 2016, Michel de Rovira et Augustin Paluel-Marmont, les deux dirigeants de l’entreprise éponyme Michel et Augustin, ont dû essuyer plusieurs polémiques. La dernière en date porte sur leur soutien indirect à la manif pour tous. La proximité des deux dirigeants avec les milieux homophobes et anti-IVG a suscité la fronde de certains consommateurs sur les réseaux sociaux qui ont appelé au boycott de leurs produits. Ces réactions publiques risquent à terme de ternir l’image de marque du groupe agroalimentaire.
Une erreur de communication
Jusqu’à présent, le duo ne s’était pas prononcé politiquement et était resté fidèle à la ligne stratégique de son modèle entrepreneurial, Ben & Jerry’s. Le groupe s’était investi essentiellement au niveau social et sociétal, et tout particulièrement sur le terrain de l’insertion professionnelle, comme le suggère une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux montrant Anne-Claire Long, la Directrice des Ressources Humaines de Michel et Augustin, proposer aux passagers du métropolitain un poste de web designer au sein de l’entreprise ou la possibilité de préparer son CAP pâtisserie dans les locaux de la « bananeraie » (le siège social de l’entreprise). Ces deux initiatives mettent en exergue l’intention des trublions d’agir sur le marché du travail.
Cependant, les différentes prises de position politiques des deux dirigeants viennent porter atteinte, aux yeux de certains consommateurs, à l’image altruiste de la marque.
En mai 2016, Michel et Augustin ont fait parler d’eux en invitant à la « bananeraie », dans le cadre des rencontres « boire une vache avec… », François Fillon, personnalité politique choisie par le mouvement Sens Commun, lié à la manif pour tous. Ils avaient certes invité d’autres élus politiques de tous bords confondus, mais la rencontre avec François Fillon a marqué l’esprit des internautes dans la mesure où Augustin Paluel-Marmont, l’un des deux fondateurs du groupe, a ouvertement soutenu le candidat à la primaire de la droite et du centre en affirmant : « François Fillon est le seul homme politique à formuler un horizon politique pour la France. » .
D’autre part, une photo de Michel et Augustin en compagnie de membres de Gens de Confiance, une start- up proche du mouvement de la manif pour tous, a circulé sur Twitter. Cette photo n’a fait qu’attiser les accusations dont ils faisaient l’objet et a engendré de nouvelles réactions : certains consommateurs se sont organisés pour coller des post-it dénonciateurs sur les produits Michel et Augustin dans les supermarchés, tandis que d’autres ont appelés au boycott de la marque.

Pourquoi une polémique d’une telle ampleur ?
La dissonance entre les valeurs affichées par la marque (l’humanisme, le dialogue, la sincérité, l’humour), celles imaginées par une partie de ses consommateurs (la tolérance, l’esprit jeune, le cool) et les convictions des individus Michel de Rovira et Augustin Paluel-Marmont (le libéralisme économique et le conservatisme social) est devenue patente.
La stratégie de communication de l’entreprise a agi comme une caisse de résonance suite à ces révélations, étant donné que la communication de Michel et Augustin s’appuie sur la notion de friendship marketing. Il y a à la fois une hyper-personnalisation des deux créateurs, qui deviennent eux-mêmes un argument de vente à travers l’outil du storytelling (leur scolarité commune, le vélo de Michel, la kangoo bleue d’Augustin, les plantes vertes de Michel, la fille d’Augustin…) et une place considérable prise par les consommateurs dans la communication digitale du groupe : le feedback est sans cesse sollicité pour mieux cerner les attentes du consommateur en l’interrogeant sur le format de tel produit, la couleur de tel packaging, ou encore sa recette préférée. La participation des consommateurs renforce l’attachement de ces derniers à la marque et leur donne l’impression de faire partie de
l’aventure Michel et Augustin. Les consommateurs prennent part, de fait, à l’identité de la marque et une véritable relation se tisse entre eux et le groupe, ce qui correspond à un dépassement du modèle de l’échange marchand traditionnel.
Or, comme l’a mis en exergue Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre, la relation avec
autrui implique une sollicitude critique qui tient compte de la morale, et de fait engendre une
affection pour l’autre et suppose, en filigrane, des similarités éthiques.
Il n’en demeure pas moins qu’une telle stratégie marketing peut se retourner contre ses géniteurs : lorsque l’identité de ceux qui incarnent la marque ne correspond plus aux attentes morales des consommateurs, ceux-ci ont le sentiment de s’être fourvoyés sur ce qu’ils pensaient être leurs semblables, ce qui engendre de l’amertume.
La communication de crise
Dans un premier temps, le community management s’est organisé sur les réseaux sociaux, en répondant aux différents tweets afin de mettre un terme aux polémiques. Le 14 octobre 2016, ne constatant pas l’arrêt des offensives, Michel, Augustin et la tribu ont pris la parole dans un premier communiqué de presse. Ils démentent d’emblée être homophobes et ré-contextualisent les rencontres qui sont à l’origine de la polémique en rappelant leur ambition d’ouverture et d’échanges.
S’en suit un deuxième communiqué de presse publié le 18 octobre, dans lequel le groupe réaffirme son leitmotiv, « #liberté, #différence et #fraternité » et ses valeurs : l’entrepreneuriat au sens très large, l’importance du savoir-faire manuel, l’attention à l’autre, le sens de l’effort, le respect de notre planète, le partage, le sport, la solidarité envers les plus démunis. Ils joignent au communiqué un lien de la vidéo du Palmashow, le duo d’humoristes qui avait fait une parodie de Michel et Augustin, « les internets » se jouant des haters. Ils confirment ainsi leur sens de l’humour et leur sens de l’autodérision. Un numéro de téléphone est aussi mis à disposition pour plus d’informations au sujet des valeurs de l’entreprise. Il s’agit, en définitive, de rétablir le dialogue et la confiance entre la firme et le consommateur.
Cependant cette stratégie de communication se retourne contre ses élaborateurs, puisque le communiqué de presse a été relayé par les médias traditionnels (Libération, Capital, 20
minutes, Europe 1 et l’Obs) qui ont remis le sujet sur la table et se sont davantage penchés sur les origines de la polémique plus que sur la plaidoirie des trublions du goût. Ils ont sorti le sujet de la sphère Twitter, quelque peu étriquée, pour l’exposer à la vue de tous. En somme, leur stratégie de communication a agi comme une caisse de résonance et n’a fait qu’envenimer la situation.
Judith Grandcoing
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Sources :
Taupin Benjamin. Michel et Augustin au-delà du « fun ». Le Monde, le 25.06.2015.                         Consulté le 29.10.2016
Le Roy Le Marrec Manon. Michel et Augustin, des gâteaux étouffe-bobos. Libération, le 22.10.2016. Consulté le 22.10.2016
Dancourt Anne-Charlotte. Michel et Augustin accusés de soutenir la Manif pour tous. Les
Inrockuptibles, le 18.10.2016. Consulté le 18.10.2016
micheletaugustin.com Consulté le 06.11.2016
Crédits :
webzinedemaelie.wordpress.com
yzgeneration.com
 

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Mais t'es où ? Pas là ! – L'absence en communication

L’éclipse, selon le prisme que l’on prend, peut tout à la fois désigner une disparition ou une occultation. On parle d’éclipse médiatique lorsqu’un évènement est tellement relayé qu’il vient recouvrir toutes les actualités restantes. Mais il est également intéressant de voir, en jouant sur les mots, qu’il existe d’autres formes d’éclipses médiatiques : celles savamment orchestrées où l’on disparaît, et où l’on joue de l’absence pour créer du désir.
Alors quel sens à l’absence ?
Un ogre nommé média

Les médias se caractérisent par l’abondance, ils se nourrissent en permanence et, comme les tonneaux des Danaïdes qui se vident à mesure qu’on les remplit, les médias ne sont jamais pleins. Ce flux continu se caractérise par la hantise du vide et de l’absence. Si le contenu vient à manquer, le média se meurt. Leur existence dépend de ce qui est présent, de ce qui est là, voire de ce qui a été là. C’est bien la définition de la trace photographique, présence disparue, dont parle Roland Barthes et son « ça-a-été » dans La Chambre claire.
Les médias, jamais rassasiés, dépendent donc d’une présence pour exister ; la présence les anime, les nourrit, les conduit. Et l’effet de médiation crée lui-même une présence (une compagnie, une communauté, une assiduité, un message etc.). A ce titre, dans « Si j’étais médiologue… », Daniel Bougnoux rappelle que le propre du média est de se faire oublier en simulant une présence immédiate : « Les médias ont le même fonctionnement autoraturant que les signes : le téléphone ou la télévision, quand ils débitent bien, m’apportent l’illusion de la présence vive; de même, au comble de l’émotion participative, j’oublie le volume imprimé du roman ou la salle de cinéma. » Ainsi le média s’auto-annule en se faisant oublier, il s’auto-rature.
Mais là où les médias y voient l’échec et la mort, certains perçoivent les qualités de l’absence, à l’image des couples pour qui « le manque entretient la passion ». Prendre le contrepied de cette omniprésence médiatique peut faire de l’absence un outil communicationnel fort. Le but de cette absence orchestrée est alors de générer du manque : un manque que les médias ne supportent pas et qu’ils vont se dépêcher de combler.

« On m’voit, on m’voit plus »
L’absence est proche du sacré et du mystique. Le spectre, le fantôme n’est pas autre chose qu’une présence absente (ou une absence présente). Et la star des absents omniprésents, c’est Dieu, bien sûr. Dans la pièce de Beckett En attendant Godot, eh bien, on attend Godot mais il ne vient jamais. Qu’incarne God(ot) si ce n’est Dieu lui-même ? Ce grand absent est néanmoins présent avant même d’avoir vu, ou même lu, la pièce et c’est un personnage dont l’absence a fait couler beaucoup d’encre. La représentation pose ainsi la question d’une absence que l’on pallie en rendant présent, choix pour lequel Beckett n’opte délibérément pas. Grande absente du 21ème siècle, Lady Diana est pourtant présente chez les grand-mères anglaises et dans les médias. Puisque représenter est rendre présent, la dualité entre sa mort et sa présence médiatique procède d’une sacralisation de sa personne.
En communication politique, on retrouve cette idée de l’absence sacrée lorsqu’une personnalité politique programme son absence de la scène médiatique. Il disparaît volontairement quelque temps, les médias se questionnent. Lorsqu’il revient, en présentiel, ce nouvel homme providentiel est plus présidentiel que jamais. Cette « traversée du désert » (expression biblique par ailleurs) qu’a expérimentée De Gaulle dans les années 1950 fait de l’absence un outil politique important, se soldant par une présence médiatique renforcée (surtout quand on en profite pour écrire ses Mémoires).

C’est sur ce modèle disparition/apparition, peut-être, que Radiohead a récemment et volontairement disparu de la toile le temps d’une journée. Page blanche sur Facebook, Twitter et Instagram, le groupe fait une sortie remarquée. Radiohead a disparu pour mieux réapparaître le lendemain, sous les projecteurs, avec la diffusion d’un clip exclusif. Orchestrer son absence crée le désir, et le groupe a pu de ce fait profiter du focus médiatique. Dans l’absence se dissimulent alors des enjeux de pouvoir et de maîtrise de la relation. Quelques semaines plus tard, c’est d’ailleurs l’absence de la présentatrice Maïtena Biraben au Grand Journal qui fait parler d’elle : conflit avec l’équipe ? mise à pied ? démission ? Des suppositions toutes démenties par la principale concernée, mais qui en disent long sur les connotations polémiques de l’absence.
Daft Punk ? – Présents !
Les « Daft Punk » sont un cas d’école. Toute leur communication repose sur l’opposition absence/présence. Ils jouent de leur absence. Sans parler du peu d’images que nous avons d’eux, ils ne donnent jamais d’interview, leurs concerts sont très rares et leurs actualités ne sont liées qu’à leurs albums. En 2013, un simple visuel lâché sur les réseaux sociaux a suffi à alerter la planète entière de leur retour. Même lorsqu’ils sont là, leur présence n’est pas entière à cause des masques (à quoi ressemblent-ils aujourd’hui ? Est-ce bien eux derrière leurs casques ?, autant des questions qu’on pourrait poser). Pourtant, malgré cette absence manifeste, les Daft Punk ont une aura médiatique importante et ils demeurent perpétuellement présents via leur musique.

Leur absence symbolise ainsi l’effacement derrière l’œuvre. Leur musique existe et demeure lorsqu’eux ne sont que rarement présents. La rareté entretenue par le groupe galvanise et crée un tel manque qu’à leur retour, l’engouement public et médiatique est exemplaire.
C’est en jouant sur cette rareté de l’œuvre d’art que le réalisateur Robert Rodriguez présente – ou plutôt ne présente pas – son nouveau film « 100 years » au Festival de Cannes. Le concept de ce film repose entièrement sur l’inaccessibilité et l’absence. En effet, il ne sera présenté, et disponible, qu’en 2116. Autrement dit, aucun de nous ne le verra. Pourtant, les acteurs, John Malkovitch par exemple, en font la promotion, et un premier teaser, assez opaque, a été diffusé. Le coup de maître est de mêler à nouveau présence et absence : il y a promotion et exposition (il voyage de pays en pays dans un coffre) d’un film absent, dans le sens où personne ne le voit. Personne ne sait d’ailleurs si ce film a réellement été produit et réalisé. Ce film se réduit dès lors à son objet, sorte d’arche perdue (le teaser rappelle cet univers de l’aventure) et devient un pur objet d’exposition et de désir.

Ainsi l’absence n’est pas toujours synonyme d’échec ou d’oubli dans les médias. Au contraire, lorsqu’elle est maîtrisée, elle se révèle souvent être un outil communicationnel hors-pair. A l’heure où apparaissent le « 0 % », le glutenfree et les expos d’art sans œuvre exposée (héritières du « 4’33’’ » de John Cage), on peut questionner l’absence comme nouvelle tendance pour se garantir une empreinte médiatique et sociale.
Emma Brierre
LinkedIn
Sources: 
« Du désoeuvrement : Blanchot ou l’absence… », Florence Chazal, Tangence, n° 54, 1997, p. 18-28.
Libération, Pourquoi vous ne trouvez pas beaucoup de vidéos de Prince, 21/04/2016, Gurvan Kristanadjaja
L’Express, Daft Punk: le buzz programmé par l’absence, Loïc Le Clerc, 16/01/2014
Kulture Geek, Radiohead retour sur internet avec un clip totalement barré, 3/05/2016
Y.JEANNERET & E.SOUCHIER, L’image absente de Diana, Communication et Langage, Année 1997, Volume 114, Numéro 1, pp. 4-9
Crédits: 
L’espace littéraire, Blanchot 
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MangAttaque : coeur d'une stratégie de communication

Le 30 novembre 2015, le bureau du mangaka Shigeru Mizekula nous annonçait sa mort. Connu et vénéré pour ses œuvres aussi exigeantes qu’innovantes, le festival d’Angoulême lui a attribué, en 2007, le prix du meilleur album pour NonNonBâ.  Cet événement constitue une consécration du manga en France. Pourtant, ce média fut pendant longtemps sous-estimé. Comment se fait-il que des auteurs tels que Mizekula rayonnent aujourd’hui dans l’hexagone ?
Un média à l’aise sous le soleil levant
En tant que consommateurs, nous sommes destinés à nous concentrer sur les produits qui ont été spécifiquement créés pour nous. Les mangas n’échappent pas à cette règle. Or, lorsqu’on lève la tête, on observe une incroyable diversité de mangas. On peut distinguer des formats et des genres pouvant prétendre toucher tous les démographies d’une société. Le manga prend, tour à tour, la forme d’aventures trépidantes pour les enfants, d’histoires sentimentales à l’eau de rose et même de récits érotiques destinés à toutes les sexualités.
De manière générale, les étrangers vivant au Japon peuvent se répartir en deux catégories : ceux qui restent quelque peu perplexes face à la fascination suscitée par ce phénomène et ceux qui affirment que ce sont les mangas qui les ont poussés à apprendre le japonais. En tous cas, la culture japonaise ne laisse pas indifférent : les jeux télévisés japonais délirants et les serveuses de café déguisées en personnages de dessins animés  participent à la formation d’un mythe autour de la culture japonaise.
Les mangas constituent un média sous-estimé et méconnu en France. Au Japon, ils sont très rarement édités directement sous forme de volumes reliés. Ils paraissent tout d’abord dans des magazines de prépublication. Les séries y sont souvent publiées par chapitres d’une vingtaine de pages. Ces magazines, bon marché, s’écoulent en millions d’exemplaires pour certains et se lisent partout : ils sont consommés de la même manière que les journaux. Le Weekly Shōnen Jump, magazine le plus influent, est vendu à hauteur de 3 000 000 d’exemplaires par semaine.  Sa performance est fondée sur la publication de mangas à succès comme One Piece ou Assassination Classroom.
Si une série rencontre du succès, elle se matérialise en volume reliés ( appelés tankōbon ) vendus dans le monde entier.

Ensuite, elle peut entamer une troisième carrière en étant adaptée à la télévision sous la forme de dessins animés, autrement appelés « anime ». Le mot manga recouvre ainsi deux désignations distinctes : la version papier et la version animée d’une série. Cette constatation fait apparaître les déclinaisons qui font la spécificité de ce média. De cette manière, le contenu est communiqué de différentes manières et a de ce fait, plus de chance de toucher sa cible.
Aujourd’hui, le manga a trouvé sa place dans la culture française mais dans les années 90, un éditeur comme Glénat bataillait pour importer la culture japonaise en France. « J’étais un extraterrestre », se souvient Jacques Glénat. Aujourd’hui, l’éditeur affirme que cette tentative était trop avant-gardiste pour une époque où l’État français arrêtait les magnétoscopes japonais à Poitiers.
Mais alors, comment résoudre ce blocage ? Inébranlable, il décide de séduire les lecteurs plus en douceur avec un manga « occidentalisé ». Ainsi, il choisit de publier son auteur fétiche dans des albums cartonnés. Les onomatopées, propres au manga, sont traduites et les dessins sont coloriés. Par dessus tout, le sens de lecture est inversé. Malgré cet effort, le manga a toujours mauvaise presse.
C’est Goldorak puis Dragon Ball z qui réussiront à convertir les Français au milieu des années 90. Les autres éditeurs français lancent d’autres mangas pour concurrencer leur succès. Dans la foulée, le studio Ghibli commence à se faire connaître dans l’hexagone. De la publicité aux dessinateurs français, la société s’empare de ce nouveau phénomène. 
Selon Glénat, le manga serait une passerelle vers des auteurs européens de bandes dessinée plus classiques dont les adolescents se détournaient. Ainsi, le média manga favorise le « cross-média », autrement dit, il met en réseau différents médias au sens où il a redynamisé le marché de l’édition.
D’un pays émergent à un pays « cool »
L’erreur originelle est de voir le manga comme un simple objet destiné aux enfants et aux adolescents prépubères. D’abord, il est important de comprendre les statistiques : elles prouvent que le manga est un média consommé par toutes les tranches d’âges. Au Japon, 88% des lecteurs sont des adultes. Autrement dit, le manga ne se destine pas à un seul pan de la société. D’ailleurs, il suffit d’observer une classification des mangas pour le constater. Les mangas visent des gens de tout âges, touchent aussi bien à la fantasy qu’à la pornographie et se déclinent sous différents formats.
En réalité, le manga est à analyser comme un outil essentiel de communication pour la culture japonaise. En effet, la « Cool  Japan », dont le manga est un vecteur, est l’une des principales stratégies de communication du ministère japonais de l’Économie, du commerce et de l’industrie. Cette politique fut instaurée dans le but d’encourager le rayonnement culturel du Japon. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le montant des subventions allouées aux chercheurs s’intéressant aux mangas.
La bande dessinée japonaise est un détour qu’utilise la culture nippone pour se faire connaître. C’est lui qui transmet le goût des Rāmen ou la vision idéale des cerisiers japonais. Dans les années 80, le Japon s’enrichissait en exportant des voitures et des appareils électroniques mais n’arrivait pas à se séparer de son image de « pays émergent ». Aujourd’hui, avec cette communication, on voit le Japon comme un pays à la pointe de la technologie. En fait, la « Cool Japan » est un moyen habile d’imposer l’image d’un Japon moderne, autrement dit elle est un « soft power ».
Les effets du « Cool Japan » se font ressentir jusque dans les relations diplomatiques. Par exemple, l’ancien Président de la République française, Jacques Chirac, s’est appuyé sur sa passion pour l’art du sumo pour se rapprocher d’un certain nombre de premiers ministres japonais. Les relations diplomatiques entre la France et le Japon ont ainsi été facilitées. Un centre d’intérêt commun est un lien communicationnel non négligeable.

Un genre codé mais non moins populaire
Après les catastrophes naturelles du 11 mars 2011, les médias japonais remplissaient leur rôle et s’en tenaient à l’information. En revanche, le manga, en tant qu’objet culturel, était un espace où il était possible de se reconstruire et de repenser la société nippone. À notre époque, le rôle de la culture est de créer une communication sur une autre mode que celui de l’entreprise ou de la nation. Pour Jacqueline Berndt, une sommité dans les études académiques sur le manga, il ne faut pas voir la bande dessinée japonaise comme un outil de l’impérialisme japonais mais comme un moyen de tisser du lien.
Si les Japonais considèrent le manga comme un simple média familier, il n’en n’est pas moins un incroyable objet de communication. Il fait partie intégrante du quotidien des Japonais et sa capacité à se faire oublier montre à quel point il a réussi en tant que média : sa valeur n’est pas à prouver.
Le manga est un média traditionnel au Japon. Mais sans devenir un objet quotidien, le manga s’impose dans d’autres pays. La France est le deuxième plus gros consommateur de manga au monde en termes de volume. Par quel enchantement la bande dessinée japonaise arrive à transcender les mentalités et les contextes culturels ?
À l’évidence, la lecture est un moyen de communiquer avec une pluralité d’individus. Or, la traduction permet une diffusion plus large de la bande dessinée japonaise. La disposition des cases et les lignes de vitesses sont autant de particularités cultivées par le manga. Elles lui permettent de se singulariser et de communiquer de manière originale et inimitable.
Ainsi, le manga fédère ses lecteurs autour de codes bien précis. En France, il existe une communauté de passionnés de mangas. Ce phénomène saute aux yeux lorsqu’on se penche sur le succès des expositions destinées à la culture japonaise : la Japan Expo ou bien le « Paris Manga & Sci-Fi Show » en sont de bons exemples. Ces festivals permettent de regrouper les lecteurs autour des mêmes codes. À l’époque d’internet, les échanges entre mangaphiles sont facilités. Ce n’est pas par hasard au demeurant que le manga est devenu global à ce moment précis.
Le manga est d’autant plus fédérateur qu’il ne crée pas de barrières. Les personnages de manga se sont développés sous l’influence de la bande dessinée américaine. Il suffit de les regarder pour constater qu’ils ne sont pas typiquement japonais. De cette manière, les barrières sont brisées : les personnages dépassent le cadre de la race, de la couleur, de la sexualité, des genres …
Cela n’empêche pas que le manga soit extrêmement codé. C’est d’ailleurs ce qui fait sa force. Des livres pour apprendre à dessiner à la manière des mangakas sont devenus incontournables lorsque le phénomène manga est devenu mondial. Le manga est ainsi un média accessible qu’il est possible d’imiter.
Bouzid Ameziane
Sources :
– Critique internationale 2008/1 (n° 38), P.37,  Iwabuchi Koichi, « Au-delà du « Cool Japan », la globalisation culturelle…. » :
– « Le rôle du manga au titre de la « culture » », Nippon.com, Yata Yumiko, 15/06/2012 :
– « Mort du mangaka Shigeru Mizuki, raconteur de l’indéchiffrable », Frédéric Potet, Le Monde, 30/11/2015 :
– « Pourquoi le manga est-il devenu un produit culturel global », Jean-Marie Bouissou, Eurozine, 27-10-2008 :
– « Le manga en France », Xavier Guilbert, du9 l’autre bande dessinée, 07-2012 :
Crédits images :
– Photo de couverture : Shigeru Mizuki
– Weekly Shōnen Jump
– Sipa, Le Figaro
– Bleach

Société

#Hashtag My Ass

Depuis la mise en application de la réforme orthographique annoncée par le gouvernement, des voix s’élèvent pour défendre l’accent circonflexe. Le succès du hashtag « #JeSuisCirconflexe » révèle la polémique que suscite cette réforme. Mais pourquoi utiliser un hashtag pour réagir ou se battre ? Sait-on exactement ce que cela engage ? En réalité,  beaucoup de personnes utilisent le hashtag sans le comprendre. Alors #utile ou #insupportable ?
#Késako
Le hashtag est composé d’un signe typographique, le croisillon, accompagné d’un ou plusieurs mots-clés. Appelé mot-dièse ou mot-clic au Québec, il est un marqueur de métadonnées. Autrement dit, c’est une donnée qui permet d’en organiser une autre.  En effet, cet outil a un rôle centralisateur sur les réseaux sociaux : il trie les publications en fonction de leur thème.
Dans le cas du #JeSuisCirconflexe, si un utilisateur le place dans un tweet, ce dernier sera reconnu comme faisant réaction à la nouvelle réforme. De cette manière, le hashtag permet de relier entre eux des tweets relatifs à un sujet donné pour former l’équivalent d’une conversation. Cela permet de transformer des évènements disparates en résumé des réactions. Il y a dans cet outil une volonté d’unification et de rassemblement. Grâce à son affiliation, ce tweet sera ensuite susceptible d’atteindre un public virtuellement infini.

A l’origine, le croisillon sert à référencer des conversations sur IRC (protocole de communication textuelle sur internet) qui sont de cette manière retrouvables. Suite à la suggestion de l’un de ses utilisateurs qui voulait améliorer le filtrage de contenu, twitter a intégré cette fonction en 2007.

Il aura fallu attendre 2009 pour que Twitter commence à renvoyer le croisillon en liens hypertextes qui mène à une liste exhaustive des messages contenant le même hashtag. Facebook a suivi en 2013 et a été ensuite rejoint par Google+ ou encore Instagram.
Dans sa documentation,  Facebook donne la définition suivante : « Les hashtags permettent de transformer des sujets de discussion et des locutions en liens « cliquables » dans des publications sur votre journal personnel ou votre page. Ils permettent de trouver plus facilement des publications sur des sujets précis. ».
Le choix du symbole est intéressant parce qu’il fallait en trouver un qui puisse être produit par n’importe quel appareil : il ne restait plus qu’à choisir entre l’astérisque et le croisillon. L’usage s’étant rapidement répandu sur Twitter, un autre utilisateur propose de nommer ce signe hashtag ( que l’on pourrait traduire par “étiquette marquée par le signe dièse”).
 #Pourquoi ?
Aujourd’hui, le hashtag est devenu banal mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un simple élément de décoration. La définition du Journal Officiel de la République Française insiste sur les fonctions de ce hashtag : « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe #, qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage ».
C’est la fonction essentielle du hashtag. Suivant cette définition, il devient évident que ce hashtag est intéressant dès que l’on souhaite faire de la veille sur internet ou dialoguer autour d’un sujet important. Mais ce n’est pas son unique fonction. Chirpify en a par exemple fait un système d’achat : en récupérant les informations sur ses utilisateurs, la plateforme disposait d’une base de données pour envoyer des échantillons aux intéressés. Le hashtag peut donc s’avérer très utile mais un néophyte aura de grandes difficultés à le comprendre et à rentrer dans cette communauté d’intérêt.
De surcroît, il ne faut pas confondre le hashtag avec les détournements ironiques auxquels il est sujet. Un hashtag repose avant tout sur sa capacité d’indexation. Quand une personne utilise le croisillon pour désigner une humeur, une situation ou un contexte, on ne peut plus parler de hashtag : le symbole est utilisé de manière humoristique ou informative mais ne peut plus être désigné comme un hashtag car il perd sa fonction première. Autrement dit, on utilise le mot hashtag à n’importe quelle sauce comme l’illustre parfaitement cette vidéo de Jimmy Fallon & Justin Timberlake.

Toutefois, cela n’empêche pas de manier le hashtag suivant différents desseins. L’expression « hashtag activism », d’abord utilisée par The Guardian, désigne de façon péjorative l’utilisation militante de cet outil. Cette expression est née du décalage qui existe entre les réalités pour lesquelles se battent certains militants et l’a priori futilité de leurs actions virtuelles, ou plutôt, de leur utilisation prétendument utile du hashtag.
La manifestation n’est pas importante en soi, ce sont les rencontres humaines et réelles qu’elles provoquent qui le sont. Or, avec le « hashtag activism », il ne reste généralement que la manifestation. Dans d’autres cas, il n’est pas impossible que ce genre d’action mène à une médiation numérique. Il est trop facile d’accepter le raccourci habituel qui oppose « internet »/ « réalité » et « concret »/« virtuel ».

Pour ne citer que lui, le #BringBackOurGirls faisait écho à l’enlèvement de 200 écolières de Chibok au Nigeria par le mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, Boko Haram. Utilisé par 2 millions de twittos dont Michelle Obama, ce hashtag avait pour but d’attirer l’attention internationale et d’empêcher cette histoire de subir l’amnésie médiatique.
Mais une question subsiste. Est-ce le signifiant ou le signifié qui reste dans les mémoires ? Est-ce le #JeSuisCharlie qui reste dans les mémoires en tant qu’objet ou bien les idéaux qu’il est censé porter ?  
 #Métamorphoses
Auparavant, le croisillon était immédiatement associé au dièse en musique ou à d’autres utilisations comme aux échecs. Mais le hashtag a vite pris le pas sur les usages antérieurs du croisillon en se démocratisant sur internet. Par le passé, le symbole est donc passé du hors-ligne à l’online.

Aujourd’hui, force est de constater que le symbole rebrousse chemin. Avec sa nouvelle e-réputation, il revient sous une nouvelle forme dans le réel. Ainsi, le croisillon est souvent utilisé hors-ligne pour faire référence au symbole numérique même s’il perd sa fonction d’indexation. Il devient ainsi un symbole qui renvoie au monde d’internet et des réseaux sociaux. Il revient vers le réel avec une nouvelle forme : on le retrouve sur le packaging de certains produits et même sur la devanture de magasins.

Le hashtag n’est pas un seulement un mot-clé, il est aussi le nouveau symbole de la culture Internet remplaçant le arobase et montrant par là même la prépondérance des réseaux sociaux. Au demeurant, l’American Dialect Society (société étudiant la langue anglaise) a fait du mot « hashtag » le mot de l’année 2012.
Il est devenu un outil de langage propre à une culture sociale et médiatique. Par ailleurs certains hashtags, tout comme les expressions de la langue, ne sont pas éphémères. Par exemple, le #FAIL est utilisé pour indiquer une erreur tandis que le #NSFW indique que le message contient des liens inappropriés aux mineurs. Grâce à ce symbole, on peut aussi identifier des Trending Topics récurrents avec le #TT.
Mais le hashtag a aussi pris d’autres formes puisqu’il est passé d’internet à la télévision. Les émissions utilisent le hashtag pour permettre aux téléspectateurs d’entrer en interactivité avec leur programme et d’interagir entre eux. « Réagissez sur Twitter » est aujourd’hui un leitmotiv pour rappeler la dimension participative de la télévision. Le hashtag s’organise ici en objet médiatique. Il est une nouvelle fois privé de sa fonction première : le couple hashtag-hyperlien n’existe plus. La télévision utilise le même symbole  pour renvoyer à un imaginaire participatif sur les réseaux sociaux.
De cette manière, la télévision crée un lien avec les smartphones, les tablettes et les ordinateurs. Cette stratégie cross-média permet d’attirer le téléspectateur-internaute : une part non négligeable de téléspectateurs regarde la télévision en restant connectée à internet. Cette stratégie permet donc d’inclure cette  part dans le processus télévisuel.
Le téléspectateur peut donner son avis et même parfois participer directement à l’émission. En effet, cet outil permet de répertorier facilement les participations et les contributions des téléspectateurs qui deviennent de cette manière acteurs de ce qu’ils voient. Le téléspectateur vote mais peut aussi proposer des changements dans son émission favorite.
Il y a un autre intérêt au hashtag. Le spectateur internaute promeut de manière indirecte le programme en live sur les réseaux sociaux. De cette manière, les émissions trouvent une publicité gratuite sur internet et augmentent leur exposition. Dans son émission quotidienne, Cyril Hanouna promet aux spectateurs de gagner des cadeaux en s’inscrivant à des tirages au sort via un hashtag. Ainsi, les spectateurs ont l’impression de toucher de près l’émission puisqu’ils doivent twitter pour participer, c’est-à-dire réaliser un acte effectivement. Avec leur post, ils peuvent également amener de nouveaux spectateurs en live.
Finalement, le hashtag nous montre comment un objet peut prendre différentes formes, fonctions et détournements tout comme les parties de la langue. Pendant combien de temps coulera t-il des jours heureux sur nos réseaux sociaux ? Telle est la question.
Bouzid Ameziane
Linkedin 
Sources :
« Savez-vous parler le hashtag ? Les 20 hashtags à connaître sur Twitter », Giiks, Franck Lassagne, 7 mai 2014 
 » Hashtag et militantisme, entre existence en ligne et hors-ligne « , (Dis)cursives [Carnet de recherche], Anne Charlotte Husson,22/06/2015, consulté le 10/02/2016
 #JeSuisCirconflexe, le hashtag qui agite la toile », GQ, Chloé Fournier, Pop Culture / Actu Culture, 04/02/2016
 » Le hashtag, un outil au service des stratégies social média », CultureCrossmedia, Kevin
 » Intégrer le hashtag dans campagne de communication », Comingmag.Ch, Renee Bani, 18/11/2014
 » Comment le hashtag est devenu le symbole d’Internet », Le Figaro, Florian Reynaud, 04/08/2014
Crédits images :
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– Zakokor / Getty Images/iStockphoto