Médias confinés, public choyé
Selon lui, un média ne meurt jamais… Et si McLuhan avait une fois de plus visé juste ? Avec l’essor de la SVOD, nombreux sont ceux qui ont annoncé la fin de la télévision. Pourtant, on y retrouve les caractéristiques de la télévision, des séries télé aux documentaires en passant par des émissions… Par ailleurs, la télévision elle-même se renouvelle, comme avec Salto, plateforme en cours de création entre M6, France Télévisions et TF1.
Avec le confinement d’une large partie de la population planétaire, on pourrait penser que la SVOD prendrait définitivement le pas sur la télévision, qui manque dorénavant de programmes phares suite à l’annulation ou au report d’événements emblématiques : l’Eurovision, les JO, le Tour de France… Netflix, de son côté, a pu lancer la série phénomène Casa de papel le 6 avril, comme prévu.
Cependant, on note en France des records d’audience phénoménaux. Les français gardent donc un rapport privilégié avec la petite lucarne et les rendez-vous qu’elle propose depuis le salon. En effet, le temps passé devant la télé est en nette augmentation, les français passeraient en moyenne plus de 4h devant la télé chaque jour (or SVOD). Lié au besoin d’information ? Oui, mais pas que ! Place à la détente avec des programmes moteurs et made in télé comme Koh Lanta et Pékin Express, qui suscitent un intérêt plus vif qu’en temps normal depuis le début du confinement.
La radio n’est pas en reste. Bien que Médiamétrie ait arrêté de calculer leur audience depuis le 17 mars, on sait que l’écoute en ligne de celle-ci bondit de 15% en moyenne sur les deux premières semaines du confinement national grâce à l’ACPM. Une hausse de 40% pour les radios d’information et une progression de 10 à 30 % pour les stations musicales et généralistes.
Bien loin de délaisser les médias traditionnels, les français se sont adaptés ce nouveau mode de vie confiné. Exemple phare, le pic des audiences radio s’est naturellement décalé à 9 heures au lieu de 8 heures.
Des médias remédiés aux grilles remaniées
Cela aura été l’affaire de quelques semaines pour que les médias s’adaptent au confinement et aux conditions imposées par ce dernier : les invités ne se déplacent plus en plateau et multiplient les Skypes et/ou Duplex laborieux, les rédactions tournent au ralenti…Des émissions dégradées qui se voient chamboulées, en passant de Quotidien, à Télématin, les grilles de programmation ne ressemblent plus à ce que les téléspectateurs avaient l’habitude de voir.
Loin de se plier aux règles strictes du confinement les chaînes de télévision, les radios mais aussi les médias web ont su faire preuve d’une capacité d’adaptation forte. À l’heure de la distanciation sociale et des gestes barrières imposés par le Coronavirus, les rédactions retrouvent ce lien de proximité avec un public soucieux de s’informer et de se divertir en temps de guerre sanitaire. Parce que le calvaire de l’école à la maison pour les parents n’est pas un mythe dans un bon nombre de foyers français, les médias ont su s’adapter et faire face à ce nouveau mode de vie confiné en créant de véritables rendez-vous autant pour les enfants que pour les parents ! Après l’école à la maison, focus sur l’école à la TV, mais aussi à la radio et plus largement dans les médias.
Le dispositif Nation Apprenante : tous mobilisés pour l’école à la maison
Afin d’assurer la continuité pédagogique, le ministère de l’éducation nationale en lien avec plusieurs médias audiovisuels a initié un tout nouveau dispositif éducatif : l’école à la TV et plus largement l’école dans les médias. Tel un label certifiant l’origine d’un produit et sa conformité sanitaire, le label « Nation apprenante » identifiable visuellement sur tous les supports vise à venir certifier la qualité pédagogique des contenus diffusés.
Dans l’objectif de décharger les parents de leur nouveau rôle de prof à la maison, France Télévisions a mis sur pied en un peu plus d’une semaine toute une série de programmes dédiés, de la primaire à la terminale. Ces classes virtuelles sont regroupées au sein de la Maison Lumni, la première offre éducative gratuite de l’audiovisuel public couplée à Okoo, la nouvelle offre enfants de France Télévisions pour les 3-12 ans !
Les chaînes du groupe France TV ont donc dû adapter leurs antennes à l’arrivée de ces nouveaux programmes puisque tout au long de la journée des cours sont proposés successivement sur France 4, France 3 et France 2. Ainsi, telle une journée de cours pour un collégien, les journées sont rythmées par ces heures de classe disponibles sur nos petits écrans venant créer tout un écosystème à la fois médiatique et éducatif. Les profs ont délaissé les salles de classe et leur tant regrettée craie blanche, préférant durant le confinement un fond vert et écran interactif.
Pour Nicolas Lemoine, professeur de mathématiques au Collège International de Noisy-le-Grand et depuis peu au sein de la maison Lumni, le plus difficile pour lui a été de s’adapter à cette nouvelle façon d’enseigner sans élèves.
« Il a fallu trouver une organisation pour préparer correctement ces cours, tout en restant disponible pour les élèves car la continuité pédagogique doit se poursuivre avec eux, c’est même la priorité. Nous préparons le contenu en lien assez étroit avec l’inspection générale de mathématiques, Aussi, il a fallu que l’on trouve un rythme pour organiser des visioconférences régulières et construire les supports qui serviront lors des enregistrements.»
Nicolas et ses collègues de la maison Lumni se donnent pour objectif de rendre leurs cours télévisables, ces derniers doivent permettre de capter l’attention des élèves comme dans une salle de classe et ce, en un temps record de 30 minutes imposé par la production.
Enfin sa plus grand fierté réside dans les différents retours que ses élèves mais aussi des inconnus ont pu lui faire : « Nous avons énormément de retours, très souvent hyper positifs. Mes élèves sont mes plus fidèles téléspectateurs, mais de très nombreux parents ou collègues nous font aussi part de leurs impressions » même si ce dernier n’a qu’une hâte : celle de retrouver ses élèves en chair et en os !
Ainsi plus qu’un simple dispositif pédagogique, cette remédiation au sens McLuhanien de l’antenne en temps de confinement, démontre avec perspicacité la capacité d’adaptation des médias – ici en particulier la télévision – face à une situation totalement inédite et inenvisagée jusqu’à présent. Via la rhétorique et la force de l’image, la continuité pédagogique semble être assurée dans le but d’éviter de creuser davantage les inégalités sociales en termes d’accès aux outils numérique et plus largement à l’éducation en période de confinement.
À noter que des podcasts pédagogiques ont aussi été mis en place sur les antennes de France Inter et France Culture à destination des collégiens et lycéens qui reprendront – peut-être – le chemin de l’école le 11 mai prochain dans des conditions là aussi tout à fait inédites.
#Àlamaison : la synergie audiovisuelle
Des initiatives privées surgissent aussi sur notre petit écran cathodique. À l’instar de la création d’une chaîne de télévision disponible via les offres des fournisseurs d’accès internet : #Àlamaison. Initiée par le groupe Mediawan, le nouveau groupe audiovisuel montant en France, cette nouvelle chaîne éducative propose des contenus éducatifs mais aussi divertissants toute la journée et ce, sans publicité ! Le concept est là aussi très clair : proposer des cours et des documentaires via l’agrégation de contenus auprès de multiples partenaires (France Télévisions, Pathé Films, La Fondation Jérôme Seydoux Pathé, Gaumont, le CNC, M6, le Groupe TF1, UGC Images, Brut, Chefclub et 2P2L). Une belle synergie des acteurs du monde de l’audiovisuel privé et public qui ont pour une fois su se réunir et exploiter leurs forces au service d’une cause d’utilité publique.
Jouer le jeu de solidarité dans une période plus que troublée, semble être le leitmotiv de son créateur, Pierre Antoine Capton. Dans un entretien accordé au Point, la nouvelle figure incarnée de la production audiovisuelle française déclarait : « Tout s’est fait à l’arrache. On a décidé de se lancer un lundi. Une semaine plus tard, la chaîne était à l’antenne en se reposant en partie sur les 13 000 heures de programmes détenus par Mediawan ». Une gestion et une mise en place compliquées qui ne semblent cependant pas décourager les équipes de Mediawan qui s’investissent collectivement dans cette mission éducative.
Culture confinée… mais exposée !
La mise à pied des représentations culturelles a commencé par l’interdiction de se réunir à plus de 100 personnes, puis les salles de spectacle ont dû fermer leurs portes, laissant les théâtres et les opéras se vider de leurs petits rats.
Les médias se sont substitués à l’offre culturelle en diffusant des pièces de théâtre ou en lisant des livres à la radio. Cette exposabilité des temps modernes – au sens de Benjamin – permet non pas de faire disparaître l’essence même des oeuvres d’art, mais de leur donner un accès au public, de continuer à faire vivre l’art (peut-être d’une façon diluée, certes) sous une forme inédite. Cette nouvelle aura permet aux artistes et aux publics de s’évader ensemble à travers leurs écrans.
Si le hashtag #NationApprenante regroupe différentes initiatives développées entre le gouvernement et les médias, #CultureChezNous a été initié par le Ministère de la Culture et regroupe sur son site différentes activités culturelles à découvrir à la maison : du théâtre à la musique, en passant par les musées.
La télé’ : mode confiné mais cultivé
Le service public s’active et propose tous les jours des films du patrimoine français. Pour élargir son offre et accompagner les français ainsi que de grandes institutions culturelles, France Télévisions s’est associé avec l’Opéra National de Paris afin de proposer chaque semaine un nouveau ballet, du Lac des Cygnes au Barbier de Séville via la plateforme france.tv/culturebox. Un partenariat existe aussi avec la comédie française dont certaines pièces ont été diffusées sur France 2 ou France 5, les chaînes principales du groupe. La comédie française a aussi lancé sa propre web-télé intitulée « la comédie continue ». Tous les jours de la semaine, des pièces mythiques de la comédie sont partagées en ligne. Pour recevoir la programmation hebdomadaire, cliquez-ici.
Sur Internet, les artistes se mobilisent, on a ainsi vu se développer les concerts sur les Réseaux sociaux. Si -M- a donné un concert virtuel le 9 avril, on peut retrouver Christine and The Queens pour des cours de danse et de chant plusieurs fois par semaine sur sa page Instagram. A l’échelle internationale, Lady Gaga a organisé un concert en direct pour récolter des dons. Des artistes du monde entier étaient conviés. En France, le show a été diffusé sur France 2 dans la nuit du 18 avril. Plus régulièrement, le Late Late Night Show de James Corden, connu pour ses « Carpool Karaoke », troque sa voiture pour appeler des célébrités à domicile le temps d’une chanson, comme avec Dua Lipa le 31 mars avec le hashtag #HomeFest.
En France, le pureplayer Konbini a lancé Make Home Great Again pour aller à la rencontre des artistes et savoir ce qu’ils font pendant leur confinement, de quoi amuser les internautes !
Côté Radio, même scénario !
Si la plupart des radios continuent de convier des artistes dans leurs échanges, avec par exemple France Inter qui s’intéresse au « Meilleur de la littérature » avec une vingtaine d’auteurs invités chaque semaine, France Culture a été encore plus loin en lançant une nouvelle web-radio à destination des soignants : Culture et compagnie. Disponible depuis le 6 avril sur le site de France Culture et créée en collaboration avec l’AP-HP, elle permet d’accompagner les patients isolés avec des programmes adaptés. Des émissions et un flux sonore permanent qui permet de détendre et d’ouvrir l’imaginaire des patients sans les encombrer avec des nouvelles stressantes.
Pour aller plus loin…
Contrairement à d’autres secteurs, les médias se sont bien retournés et ont su profiter d’aubaines. Ainsi, le triste sort de France 4 quant à son annulation en août 2020 est remise en question grâce à La maison Lumni et les aficionados de musique et de théâtre ont reporté leur attention sur la télé’, la radio et les médias en ligne pour passer le temps et garder le lien avec leurs artistes préférés. Mais le calendrier est bousculé et nombre d’émissions de flux comme les jeux télé vont disparaître, faute de tournages, imposant aux chaînes d’aménager leurs grilles sur le long terme.
Enfin, si la diminution des pages pub fait plaisir aux téléspectateurs et aux auditeurs, il ne faut pas oublier que ces revenus publicitaires sont essentiels à la survie des médias ! Leur baisse met donc l’économie des médias en difficulté et le gouvernement devra ajuster ses subventions pour les aider à affronter la crise, au même titre que les entreprises d’autres secteurs.
Marie DAVY et Antonin BODIGUEL
Sources :
RANDANNE, Fabien. 20 Minutes : « Eurovision 2020 annulé : Comment obtenir votre dose d’Eurovision malgré tout…» 07/04/2020.
AFP. Huffingtonpost : « Confinement: Les Français n’avaient jamais passé autant de temps devant la télé depuis 14 ans ». 23/03/2020.
BARONIAN, Renaud. Le Parisien : « Audiences TV : «Koh-Lanta» toujours plus haut ». 28/03/2020.
ACPM : « ACPM SPÉCIAL CONFINEMENT : LA RADIO FORTEMENT CONSOMMÉE EN LIGNE ». 06/04/2020.
DARAGON, Benoît. Le Parisien : « Coronavirus : de nouvelles mesures à France Télévisions et BFMTV pour protéger les journalistes ». 20/03/2020.
DARAGON, Benoît. Le Parisien : « Confinement : #Alamaison, une chaîne de télé gratuite pour toute la famille ». 06/04/2020.