On a marché sur la lune avec Chanel

Nouvel écho de la beauté féminine française, le dernier film publicitaire Chanel N°5  nous embarque pour une minute de voyage féerique, aérien et poétique. De la ville lumière à la voie lactée, ce spot vient réitérer la magie de la communication du parfum le plus vendu au monde. Comment la Maison Chanel réaffirme-t-elle le mythe d’une fragrance intemporelle ? Analyse (après visionnage!).

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“J’ai senti un lien immédiat avec le N°5, qui est plus qu’un parfum, c’est une œuvre d’art” confie Marion Cotillard, nouvelle égérie Chanel, dans le making-of de la campagne publicitaire. Sortie le 30 octobre 2020, cette publicité lie avec finesse et volupté une multitude de domaines artistiques, permettant aux spectateurs d’être transportés de la mode, à la danse, au cinéma ou encore à la musique en seulement soixante secondes. Frissons garantis ! 

Accompagnée par le danseur étoile Jérémie Bélingard, Marion Cotillard interprète une chorégraphie composée par Ryan Heffington. Un mélange de gestes sensuels et saccadés, un jeu de séduction pétillant entre les danseurs et un cadrage focalisé sur les corps des partenaires nous invitent à ressentir les émotions que procure le parfum, au travers de la naissance d’une histoire d’amour: une véritable invitation au rêve et à la féerie. 

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Pourquoi le choix de cette actrice française comme égérie ? « Incarnation de la beauté naturelle à la française, Marion Cotillard possède ce « je ne sais quoi » irrésistible qui n’appartient qu’à elle » explique la maison Chanel dans un communiqué publié le 17 février 2020. Au-delà d’être une simple figure stéréotypée de la beauté féminine, elle incarne une femme libre, aux mille talents et qualités, sûre de ses choix et de ses envies, dessinant le portrait de la wonder-woman des temps modernes. C’est par ailleurs Marion elle-même qui prête sa voix à la bande sonore de la publicité en reprenant le célèbre titre de Lorde; « Team ».

Le N°5: un mythe emblématique

Le parfum N°5 est à Chanel ce que J’adore est à Dior, un réel mythe. Pour reprendre les dires du sémiologue français Roland Barthes: « Le mythe est un système de communication, c’est un message». En effet, cette publicité représente un message, avec pour émetteur la firme Chanel, pour récepteur les téléspectateurs et pour canal de communication, le support de publicité.

Créé en 1921, la fragrance est devenue culte et iconique grâce à des figures féminines emblématiques l’ayant arboré dans des courts-métrages à valeur promotionnelle. D’abord incarnée par Coco Chanel elle-même, Marion Cotillard succède aussi à Catherine Deneuve, Nicole Kidman, Carole Bouquet ou encore Audrey Tautou pour représenter ce “parfum de femme à odeur de femme » à l’écran.

Ces campagnes publicitaires perpétuent le mythe, en créant des univers différents pour chaque égérie. Ces publicités sont donc bien loin d’avoir pour seul enjeu, le profit. Elles entretiennent la tradition et l’histoire culturelle de ce parfum pour faire de lui un symbole emblématique et immuable.

Le flacon du N°5 ne déroge pas à la pérennisation du mythe au fil du temps. Son design simple, épuré et élégant a fait de lui un objet d’art. En effet, il fut exposé au Musée d’Art Moderne de New York en 1959. Loin des fioritures et de la luxuriance de certains flacons de parfum, cette fiole adopte des lignes rectangulaires et travaillées, un verre transparent laissant entrevoir la teinte lumineuse de l’essence et une étiquette noire et blanche rappelant les couleurs phares de la Maison Chanel.  Inspiré par la géométrie de la place Vendôme, il représente à lui seul, la classe parisienne. Une simplicité et un minimalisme qui font de ce flacon un concentré de féminité et d’élégance contribuant à la construction du mythe. 

Le choix de transporter le N°5 dans cet univers lunaire où l’image de la femme, les couleurs, la lune, la bande sonore ou encore la danse s’articulent entre eux, assure la mystification autour de l’objet. Réelle ambition marketing de Chanel, la maison de haute couture parisienne a réussi à faire fructifier ces symboles, pour perpétuer la légende du N°5.

Incarner la femme indépendante et libre 

Grande figure du féminisme, Coco Chanel représentait la femme libre et indépendante de son temps. Fière de sa réussite artistique, elle réinventa les codes vestimentaires féminins : raccourcissement des jupes, suppression des corsets, adoption des cheveux courts et des pantalons. Les égéries des parfums Chanel ont souvent incarné cette puissance émancipatrice: on se souvient notamment de Kristen Stewart franchissant à toute vitesse un mur de fioles de parfum Chanel (2017) ou encore Lily-Rose Depp en allégorie de la liberté arborant le drapeau de la firme dans la campagne pour L’eau N°5 (2016).

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En 2020, Marion Cotillard poursuit cette tradition en incarnant une danseuse de cabaret enjouée et libérée.  Elle rappelle ainsi les danseuses des Années folles, symbole même de la libération des femmes du joug patriarcal et masculin. Elles se rebellent et décident à la place des hommes des attributs de la féminité et de leur beauté.

L’héroïne indépendante apparaît également au travers de sa relation avec son amant. S’installe au travers de la danse comme un combat charnel entre les deux amoureux. Dans ce film publicitaire, la femme peut être séduite et amoureuse mais elle reste libre de ses choix et de sa vie. L’actrice est affranchie des convenances et des préjugés souvent associés à la gente féminine, en étant libre de ressentir et d’exprimer ses émotions.

Un des symboles illustrant la puissance est la lune, et ses cratères dorés. Elle caractérise la frontière entre la lumière du soleil et l’obscurité, propice aux déclarations amoureuses. La lune représente pour beaucoup de peuples et notamment les Aztèques, la grandeur et “la lumière féminine”.  En portant le N°5, la femme rayonne même dans l’obscurité de la nuit et transporte quiconque la humerait sur la lune, pour un voyage au-delà du temps.

Ironie du sort, lorsque Coco Chanel, interviewée en 1969 suite à l’exploit d’Apollo 11, confie : “Qu’est-ce que ça peut nous foutre la lune !”. Si seulement elle savait qu’aujourd’hui la lune est un des éléments centraux d’une campagne publicitaire de son plus grand parfum !

Enivrer au travers de l’écran

Comment représenter l’odeur du N°5 à l’écran ? Paul Rasse, dans Anthropologie de la communication des parfums note avec justesse que les publicitaires ”soignent toujours particulièrement le contexte, l’environnement, connoté avec le luxe, la féminité, la beauté, la sensualité, la fraîcheur, la légèreté, la jeunesse…”

L’or, élément prépondérant dans la publicité, symbolise la préciosité, la pureté et le luxe du parfum. Le doré de la robe, du maquillage de l’actrice et de la lune se confondent pour évoquer la couleur lumineuse de l’essence. Ce qui laisse le spectateur imaginer les notes de tête intenses de la fragrance composées d’aldéhyde, de néroli, de citron et de bergamote. 

Dans les rêves, l’or est considéré comme un trésor qui procure des énergies dynamiques et psychiques. Ce qui peut nous ramener à la danse virevoltante et passionnée des amoureux au milieu des étoiles. Cette couleur met également en exergue le caractère unique et le moment d’exception que procurent les quelques gouttes de ce parfum. 

La dentelle, la dorure et la luminosité de la robe rappellent l’éclat et l’iconicité de l’essence et du flacon. Cette parure a été brodée à la main par la maison Lesage, ce qui a nécessité plus de 10 000 sequins et  900 heures de travail. Joli clin d’œil à la créatrice de mode Coco Chanel, ce joyau est inspiré d’une de ses pièces portée dans les années 30, incarnant “le passé, le présent et le futur”.

Apogée avant le retour sur terre

« Ce que le public réclame, c’est l’image de la passion, non la passion elle-même »  a écrit Roland Barthes dans son ouvrage Mythologies. Quoi de plus révélateur pour illustrer cette citation que l’image de deux êtres s’envolant dans les airs en s’étreignant : un épilogue tout en douceur et tendresse qui ne laisse assurément pas le public indifférent.

Tourbillonnant sur la terre et dans les airs, deux amoureux s’envolent au-delà des étoiles et nous projettent dans un paysage magique et étincelant : c’est l’apogée de la passion par l’exaltation que provoque le N°5.

En effet, ces soixante secondes de poésie nous embarquent dans un voyage lunaire hors du temps, mais où la réalité rattrape bien vite le spectateur, lorsque les deux tourtereaux se voient ramenés sur un pont de Paris à la fin de l’extrait. Comme si tout cela n’était finalement qu’un rêve éveillé. Mais un rêve qui dépayse les spectateurs et les emmène dans une longue ballade onirique pour tenter d’oublier, un court instant, le contexte étouffant dans lequel ils vivent. Avis aux amateurs ! 

Cette publicité est la dernière diffusée avant le centenaire du Chanel N°5 en 2021. Que nous réservent les prochaines ? La rédaction de FastN a hâte de le découvrir et se tient prête pour un prochain article !

Louise Bajeux

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Sources: 

Barthes Roland. Le message publicitaire, rêve et poésie. In: Les Cahiers de la publicité, n°7, Langue et publicité. pp. 91-96.

Barthes Roland. Rhétorique de l’image. In: Communications, 4, 1964. Recherches sémiologiques.

Barthes Roland. Mythologies, Seuil, 1957 

Rasse Paul. Anthropologie de la communication des parfums. A fleur de peau, corps, odeurs et parfums, Belin, 2003

https://www.chanel.com/fr/parfums/n5-marion-cotillard/

https://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/coco-chanel-en-1969-qu-est-ce-que-ca-peut-nous-foutre-la-lune-!/

https://www.academie-feuillatte.com/les-annees-folles-premiere-partie/

http://dictionnairedessymboles.com/article-le-symbolisme-de-l-or-56262469.html

https://www.tendance-parfums.com/chanel-n-5-flacon.html

https://www.marieclaire.fr/marion-cotillard-parfum-chanel-n5,1339184.asp#:~:text=L’actrice%20Marion%20Cotillard%20a,Catherine%20Deneuve%20et%20Audrey%20Tautou.)