L’effet Netflix: comment nos séries préférées nous poussent à consommer ?
Coup de maître pour le géant Netflix ! La plateforme de streaming a battu de nouveaux records d’audience grâce à de récentes séries à succès comme Lupin, Le Jeu de la dame ou encore La Chronique des Bridgerton, qui ont propulsé les ventes de certains produits présents à l’image. Véritable raz-de-marée commercial et source d’opportunités marketing, retour sur ce média 2.0 qui influence irrémédiablement nos actes d’achat et nos pratiques culturelles.
Ce papier est publié dans le cadre du concours d’article proposé par FastNCurious en 2021 sur le thème « Consommer ». Bilal Berkat, son auteur, a remporté le prix du meilleur article.
Le 23 octobre 2020, c’est la série Le Jeu de la Dame qui ouvre le bal de ce qu’on appelle désormais « l’effet Netflix ». Cette mini-série, qui se concentre sur le monde des échecs, devient rapidement numéro un et fait littéralement exploser les ventes d’échiquiers avec une augmentation de plus de 125%.
S’ensuit alors, quelques mois plus tard, deux nouveaux phénomènes : La Chronique des Bridgerton qui se déroule sous la Régence anglaise et qui relance l’intérêt des corsets, suivi de près par la série française, Lupin, qui place le roman éponyme de Maurice Leblanc en tête des ventes sur Amazon et la Fnac, avec un écoulement estimé à plus de 60 000 exemplaires pour la version réimprimée.
Aperçu Google Trends, entre mars 2020 et janvier 2021, sur le terme « jeux d’échecs » qui connaît un taux de popularité exponentiel.
Mais comment expliquer cet impact grandissant ? Avec 6,7 millions d’abonnés français et plus de 200 millions dans le monde, Netflix pèse lourd sur la balance mondiale, tant bien au niveau financier que social, créant continuellement de nouvelles habitudes de consommation.
Quand raconter des histoires réussit à faire vendre
Pour comprendre aujourd’hui le rôle prépondérant des séries dans notre société, il faut remonter quelques décennies en arrière. Les premières séries télévisées apparaissent aux Etats-Unis, dans les années 1940. Elles tiennent leurs origines des soap operas, feuilletons quotidiens diffusés à la radio dix ans plus tôt et qui étaient sponsorisés par de célèbres marques de savon. Cela démontre bien cet objectif mercantile, toujours présent dans nos productions actuelles.
Car, oui, les récits télévisés veulent avant tout capter le plus longtemps possible l’attention de leurs spectateurs, jusqu’à créer des occasions d’achat quotidiennes. Une consommation poussée à l’accès, accentuée dans les années 2000 avec l’apparition du numérique et les stratégies transmédia qui deviennent alors omniprésentes.
Ces stratégies se caractérisent par une déclinaison de l’univers narratif sur une multitude de supports et plateformes médiatiques. La série et ses personnages prennent vie au travers de produits dérivés, jeux virtuels, bonus DVD, séries de livres ou encore blogs. Une manière d’inciter le spectateur à consommer deux fois plus mais aussi à faire vivre le monde fictif qu’il affectionne tant en créant son propre contenu, comme les fan fictions.
La nouvelle force créatrice des consommateurs 2.0
On peut donc expliquer cet impact des contenus sériels sur nos vies par la culture de la convergence, théorisée par le chercheur Henry Jenkins. Selon lui, Internet aurait favorisé le fait que le public souhaite de plus en plus contribuer à la création et diffusion du contenu autour de la série. Il n’y aurait ainsi plus qu’un seul et unique auteur mais une réelle co-construction du récit entre producteurs et consommateurs.
En 2013, par exemple, la série Gossip Girl embauche une célèbre blogueuse, Karissa Bowers, pour créer des tableaux Pinterest sur les tenues des personnages ainsi que sur d’autres sites tel que Pradux, afin de créer le besoin auprès des communautés de fans.
Le compte de Karissa Bowers sur le site Pradux, très utilisé dans les années 2010 et recensant les références vestimentaires de personnages cultes comme l’héroïne de la série Gossip Girl, Blair Waldorf.
On comprend alors le pouvoir d’influence des consommateurs, aujourd’hui démultiplié par la force des réseaux sociaux et l’effet de groupe. À présent, les utilisateurs diffusent à coup de tweets et de challenges Tiktok, de nouvelles pratiques inspirées de leurs séries préférées. C’est de cette manière que le style vestimentaire du XIXème siècle est réapparu, suite à la sortie de La Chronique des Bridgerton. Corset, gants longs, coiffures sophistiquées… une tendance est née, la Regencycore, largement alimentée par les internautes, presque nostalgiques d’une période qu’ils n’ont jamais vécue.
Sur Twitter, La Chronique des Bridgerton a pris une ampleur considérable et les utilisateurs n’hésitent pas à tweeter leurs nouvelles envies d’acheter des accessoires inspirés de la Régence anglaise.
L’achat impulsif, un scénario trop prévisible
La télé produisait déjà son petit effet sur son public, mais Netflix marque une nouvelle étape dans la consommation de contenu sériel. A l’ère du bingewatching, tout va désormais si vite et les médias de masse provoquent un engouement toujours plus important. Les marques tentent même d’avoir une longueur d’avance pour mieux influencer le spectateur, comme les éditions Hachette qui ont réédité la couverture du livre Arsène Lupin afin de correspondre au modèle que l’on voit dans les mains d’Omar Sy.
Finalement, les objets « miment le désordre pour mieux séduire » tel que l’explique le philosophe Jean Baudrillard dans son ouvrage La Société de consommation, en démontrant que chacun de nos actes d’achat suit une logique déterminée. Acheter amène à acheter de la même manière que les séries orientent nos impulsions d’achat, sans même que nous nous en apercevions.
Un cercle vicieux qui profite largement au e-commerce mais qui laisse également place à quelques surprises, comme avec le succès inattendu du Jeu de la Dame qui a permis de relancer l’activité du dernier fabricant artisanal de jeux d’échec en France.
La fin de la publicité ?
Dans une société davantage polarisée, critique et controversée, la politique de Netflix semble ainsi satisfaire la majorité. Vendre un produit sans le dire, est-ce finalement la solution à la publicité massive et aux placements de produits qui dérangent tant la jeune génération ?
Coup marketing ou succès involontaire, la frontière est encore mince. Netflix continue toutefois à surfer sur la vague de productions engagées et d’un passé idéalisé, pour inciter ses consommateurs à faire naître de nouvelles tendances d’achat, qui ne font qu’alimenter le paradoxe d’un consumérisme devenu tabou.
Bilal BERKAT
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Sources :
Henry Jenkins, La culture de la convergence: Des médias au transmédia, 2006
Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970
Anaïs Le Fèvre-Berthelot, La franchise Gossip Girl : réputation et cosommation au cœur des nouveaux modèles d’expériences sérielles, 2015, p 78 à 88 : https://www.cairn.info/revue-francaise-d-etudes-americaines-2015-4-page-78.htm
Catherine Dessinges, Lucien Perticoz, Les consommations de séries télévisées des publics étudiants face à Netflix : une autonomie en question, 2019, p 5 à 23 : https://www.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2019-1-page-5.htm
The Netflix effect and how pop culture impacts e-commerce, Emily Crosby, 28/01/2021, https://www.venturestream.co.uk/blog/the-netflix-effect-how-pop-culture-impacts-ecommerce/
L’effet Netflix : on ne naît pas mathématicien, on le devient, Aurélie Jean, 28/01/2021, https://www.lepoint.fr/high-tech-internet/aurelie-jean-l-effet-netflix-on-ne-nait-pas-mathematicien-on-le-devient-20-12-2020-2406591_47.php#
« Je ne vends plus que ça ! » : la série « Le Jeu de la Dame « dope les ventes de jeux d’échecs, Clément Lesaffre, 05/02/2021, https://www.europe1.fr/economie/je-ne-vends-plus-que-ca-la-serie-le-jeu-de-la-dame-dope-les-ventes-de-jeux-dechecs-4010111
« Le Jeu de la Dame » : les ventes de jeux d’échecs s’envolent avec le succès de la série, Jérôme Lachasse, 05/02/2021, https://www.bfmtv.com/people/le-jeu-de-la-dame-les-ventes-de-jeux-d-echecs-s-envolent-avec-le-succes-de-la-serie_AN-202011240145.html
Les ventes d’Arsène Lupin redécollent avec le succès de la série Netflix, Loïc Venance, 05/02/2021, https://actu.orange.fr/societe/culture/les-ventes-d-arsene-lupin-redecollent-avec-le-succes-de-la-serie-netflix-CNT000001wBNsy.html
« Lupin » sur Netflix entraîne aussi un succès littéraire XXL, Lousie Wessbecher, 05/02/2021, https://www.huffingtonpost.fr/entry/lupin-sur-netflix-entraine-aussi-un-succes-litteraire-xxl_fr_600170acc5b697df1a04c3e7
Regencycore : la nouvelle tendance mode inspirée par « La Chronique des Bridgerton », 20/02/2021, https://www.grazia.fr/mode/inspirations/regencycore-la-nouvelle-tendance-mode-inspiree-parla-chronique-desbridgerton-991992
Netflix, le musée vivant des cultures pop, Vincent Cocquebert, 20/02/2021, https://www.marieclaire.fr/netflix-le-musee-vivant-des-cultures-pop,1304645.asp
Le transmédia : entre narration augmentée et logique immersives, Mélanie Bourdaa, 24/02/2021, https://larevuedesmedias.ina.fr/le-transmedia-entre-narration-augmentee-et-logiques-immersives Histoire des séries, Ciclic, 24/02/2021, https://upopi.ciclic.fr/apprendre/l-histoire-des-images/histoire-des-series-televisees