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Nos pratiques culturelles relèvent-elles de la consommation ?

L’objet de la consommation est bien souvent considéré comme un bien matériel que l’on peut  physiquement saisir : aliments, vêtements, électroménager…  Néanmoins, il n’est pas rare d’entendre les expressions « consommer de l’information » ou  « consommer un film ». Peut-on dès lors réellement consommer l’immatériel ?  

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Ce papier est publié dans le cadre du concours d’article proposé par FastNCurious en 2021 sur le thème « Consommer ». Nina Covin, son autrice, a remporté le prix du meilleur article.

Considérer que l’on consommerait la culture comme l’on consomme un aliment remettrait en  question son côté élitiste et la réduirait à la sphère économique.  

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Avec la dématérialisation du contenu, « la société de consommation » dont parlait Jean  Baudrillard dans les années 60 semble lointaine. À cette époque consommer allait de pair avec pos séder : les individus étaient « plus entourés d’objets que d’humains ». Aujourd’hui, nul besoin de  réellement posséder pour consommer ! A partir d’un unique objet, un smartphone par exemple,  s’ouvre à nous l’entièreté du monde culturel. Ce contenu est donc de moins en moins lié à un sup port matériel.  

Mais tout ce contenu culturel à portée d’un clic entraine-il sa consommation excessive ?  

Consommer des biens culturels, est-ce grave Docteur ?  

 Il est vrai que la consommation a souvent une connotation négative. Un des sens du mot  consommer est « amener à la fin de ». Ainsi, consommer des expositions ou des films, reviendrait à  les précipiter vers leur fin, à leur disparition sans forcément avoir le recul nécessaire pour les interroger. 

Mais pour autant faut-il diaboliser la consommation ? La culture se démocratise de plus en plus en  se rendant facilement accessible. Le capital culturel, qui était symbole de pouvoir et de domination  pour Bourdieu, ne semble plus réservé uniquement aux classes supérieures. Pendant la pandémie,  certains musées ont proposé des expositions virtuelles gratuites, comme par exemple le musée d’Orsay qui a ainsi donné accès à ses plus grandes œuvres en ligne et le musée Guggenheim à New York  qui a proposé une visite virtuelle sur Google Arts & Culture. Ces initiatives ont pu stimuler la curiosité d’un public plus large, qui n’avait pas l’habitude de se rendre au musée.  

La sortie au musée ou au cinéma semble donc complètement désacralisée. Les biens culturels  peuvent se recevoir à domicile et non plus dans des lieux « sanctuarisés ». Ainsi, certaines personnes  ne voient plus l’intérêt de se rendre dans des lieux culturels IRL si elles y ont un accès online. Main tenant que quelques clics suffisent pour avoir accès à tout ce contenu culturel, n’encourt-on pas le  risque de le consommer sans « faim » juste pour avoir un vernis culturel ? 

L’accélération est un phénomène sous-jacent à la consommation  

 Harmut Rosa a questionné la nouvelle dynamique du temps dans son ouvrage « Accélération une  critique sociale du temps ». Selon lui, nos sociétés modernes se caractérisent par un phénomène  d’accélération qui se manifeste à la fois dans les innovations techniques, les changements sociaux et  le rythme de vie. Intéressons-nous à ce dernier :  en quoi un rythme de vie toujours plus rapide  affecte t’-il la culture ? Nous avons l’impression de toujours manquer  de temps ce qui explique que nos pratiques  culturelles s’opèrent dans la précipitation et  relèvent de la consommation.  

Ainsi, nous préférons parcourir le résumé d’un livre plutôt que de prendre le temps et le plaisir de le lire, comme le prouve la popularité de l’application Koober. Le confinement de mars 2020 aurait pu être l’occasion de s’adonner à la lecture. Pourtant de nombreuses personnes ont préféré consommer des résumés de livre condensés de  vingt minutes sur la plateforme. Ces choix ne sont pas anodins et révèlent un changement dans nos  pratiques qui nous poussent à consommer des ersatz de contenus culturels.  

Netflix and chill… or speed ?  

 Netflix est un véritable empire de la consommation. Avec ses programmes qui se succèdent à une  vitesse vertigineuse, l’entreprise nous pousse constamment au bingewatching. Dans cette perspective,  Netflix a décidé de sortir une production originale chaque semaine durant l’année 2021. Là où le slogan de la firme nous proposait un moment de détente (chill en anglais), nous nous surprenons à  enchainer les programmes pour suivre la cadence imposée par l’entreprise. Une nouvelle fonctionnalité a même été mise en place sur la plateforme : il s’agit de la vitesse accélérée. Les internautes peuvent  désormais regarder leur programme en vitesse 1.25  ou 1.5 ce qui incite d’avantage la consommation rapide de contenus. La logique est simple : plus un  programme est visionné rapidement plus l’internaute pourra en regarder d’autres.

48 episodes later - The Simpsons - Picture Quotes

Le véritable but de la firme est de procurer du plaisir aux consommateurs et donc de générer l’addiction. Ainsi, cela  fait seulement deux mois que la série Lupin est sortie et elle est déjà considérée comme une série  « classique » de la plateforme. 

On peut donc en conclure que la logique de consommation des biens culturels tend à s’inscrire dans  le système néo-libéral, au même titre que n’importe quel produit matériel.  

Nina Covin

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Sources:

La société de consommation, Jean Baudrillard  

La reproduction, Pierre Bourdieu  

Acceleration, une critique sociale du temps, Harmut Rosa  

https://hygiene2surf.wordpress.com/2016/11/30/lire-un-livre-sans-vraiment-le-lire-avec-koober/ https://www.forbes.fr/business/koober-on-sadresse-a-ces-gens-qui-ne-lisent-plus-de-livres/

https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/04/01/cinq-pistes-pour-lire-derriere-un ecran_6035104_3246.html

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