Le tote bag, solution ou produit de consommation ?
Il est partout, il fait sensation, nous l’adorons. Le tote bag est un objet incontournable de notre génération. Étymologiquement, l’anglais to tote signifie « trimbaler ». Mais lorsqu’on arbore fièrement son tote bag sur son épaule, quel portrait de consommateur trimbale-t-on réellement ?
Ce papier est publié dans le cadre du concours d’article proposé par FastNCurious en 2021 sur le thème « Consommer ». Nasser Goonoo, son auteur, a remporté le prix du meilleur article.
« Pas du plastique »
L’ancêtre du tote bag apparait en Allemagne en 1978, sous forme de cabas en toile de jute. La société de commerce équitable, GEPA, le produit massivement en y floquant un message choc : « Du jute, pas du plastique ». C’est un véritable tournant pour les consommateurs allemands. Ils s’émancipent peu à peu de cette culture du plastique pour adopter un comportement plus « Vert ». Néanmoins, le jute étant une matière trop friable, il devient rapidement moins pratique. On repense alors la matière en optant pour un sac en coton – matière également naturelle – et l’on repense son format. Le tote bag s’enracine dès lors dans les nouvelles habitudes de consommation d’une jeunesse éco-responsable. Le « Vert » est la raison d’être du tote bag car il apparaît comme une solution à la crise écologique.
Tote bag mania
Dans les années 1990, Kaiser’s – une enseigne de supermarché allemande – opère un coup de génie marketing : son tote bag affiche un imprimé éco-friendly et le message « Protéger notre environnement ! », mais aussi, et surtout, le nom de sa marque. L’idéologie écologiste et la marque sont imprimées sur la même face et sont de ce fait indissociables. Associer sa marque non pas à un message publicitaire mais à une idéologie, permet d’aller au-delà de sa marque ou de son produit et de vendre une manière de vivre : en l’occurence, portée sur l’écologie. Très vite, dans les années 2000, le tote bag se démocratise et s’internationalise. Toutes les entreprises du monde s’emparent de la vogue du tote bag (spoiler alert : le tote bag est idéal pour des opérations de greenwashing) pour redorer leur image. Quelle enseigne n’en a pas offert à ses clients pour les persuader qu’elle était pro-environnement ?
Aujourd’hui, le tote bag est dépourvu de message écologique car le tissu est devenu à lui seul un gage de conscience écologique. Plus besoin de message alarmiste sur la crise environnementale, le cri d’alerte réside dans le tissu même : le médium est le message.
Aux tote bags, citoyens ! Vraiment ?
Par sa popularité et sa pluralité, il figure dans tous les décors de la vie urbaine. Toutes les personnalités sont censées y trouver leur compte car le tote bag est un prolongement visible de notre singularité ou de nos aspirations. Qu’il y ait le nom d’une galerie d’art, une citation humoristique, un adage philosophique, le rainbow flag, ou encore une oeuvre littéraire : le tote bag est une expression de notre appartenance sociale et de notre patrimoine culturel, tout en exprimant en filigrane notre volonté de préserver la planète. Certes, nous les exposons également sur nos porte-manteaux en grande partie par vanité, mais l’idée d’une participation active à la grande lutte contre le plastique reste tout de même sous-jacente. Le tote bag est donc également une matérialisation de notre couleur politique. Effectivement, en porter un est une manière de renvoyer l’image d’une jeunesse consciente et éveillée aux changements sociétaux. En le portant, les jeunes citoyens prosaïsent leur militantisme et conjurent par ce morceau de tissu en coton, l’irresponsabilité et la candeur dont on les accuse sans cesse. Par exemple, il se retrouve sur de nombreuses épaules à la Fête de l’Humanité ou lors de manifestations. De surcroît, porter un tote bag pourrait avoir un côté moralisateur : on s’affirmerait indéniablement comme défenseur de l’environnement par opposition à tous ceux qui n’en portent pas. De ce fait, quiconque le porte serait assimilé à un « bobo-hispter-arty-hippie-gaucho-écolo ».
En arborant fièrement nos tote bags sur nos épaules, nous avons l’impression de nous munir d’une arme d’écologisation massive. Nous avons l’impression, en les portant, que nous sauvons les baleines, les tortues et les dauphins, que nous les préservons du fatal sac en plastique qui les étoufferait. Nous avons l’impression d’agir pour notre planète. Cependant, cette représentation est un mirage. Effectivement, une étude réalisée en 2018, par l’Agence Danoise de Protection de l’Environnement, nous apprend que la production d’un tote bag est beaucoup plus énergivore et qu’elle requiert une utilisation de pesticides plus importante que celle d’un sac plastique. En excluant la pollution marine du plastique, il faudrait ainsi réutiliser son tote bag plus de 7100 fois pour que son impact environnemental soit moindre que ce dernier. Victime de son succès, c’est rarement le cas. Participant à une mythologie écologique, à cette mythologie du « Vert », le tote bag dissimule sa transformation en un pur produit de consommation et donc, en un nouvel ennemi de l’environnement.
Nasser Goonoo
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Sources
Document audiovisuel :
VON PILGRIM, Olivia (réalisatrice), FOUCRIER, Isabelle (auteure). Karambolage, ARTE. Le sac de jute, hippie ou hipster ? Youtube, 17 avril 2018. 3’46 minutes
Ressource numérique :
PRIVÉ, Marie, « Écolo, le tote bag ? Encore raté… », GEO, Environnement, 2019, https:// www.geo.fr/environnement/ecolo-le-tote-bag-encore-rate-196110 [en ligne] (consulté le 28 novembre 2020)
Source images
http://www.fth-sacs.com/sacs-coton-bio-ecologiques-ecobag-.html