Le graffiti est-il l'esthétique d'une communication rebelle ?
Graff’, graffiti, tag… Ces termes connaissent encore un amalgame. D’un côté il y aurait les rebelles de la ville, ceux qui taguent à la va-vite le nom de leur âme-sœur ou bien leur haine du système. Et de l’autre il y aurait les vrais artistes, ceux qui passent du temps à peaufiner leur œuvre. Mais au fond, n’y-a-t-il pas la même volonté sourde d’être entendu, de communiquer sur ce que l’on est et ce que l’on pense ? Ce cri du cœur ne se serait-il pas au bout du compte transformé en simple objet d’art ?
Un antique moyen de communication
Parce que oui, les premiers graffitis remontent bel et bien… à l’Antiquité ! 2000 ans plus tard, des archéologues ont découvert des pans entiers de la ville de Pompéi recouverts de « graffitis », à savoir des petits mots qui louaient ou blâmaient une personnalité ou qui dénonçaient l’esclavage. Mais il s’agissait de simples phrases, là où un véritable art du graffiti s’est développé aux Etats-Unis dans les années 60, issu de la culture hip-hop. Au départ il s’agissait de tags plutôt sauvages, puis petit à petit la technique a évolué et les graffitis sont devenus plus esthétiques. Le tag, simple mot écrit à la hâte qui permet à l’auteur « vandale » de laisser sa signature, s’oppose de plus en plus au graffiti. Il s’agit pour l’artiste de mettre en forme ses idées de manière esthétique. Néanmoins le graffiti en France est légalement puni : liberté d’expression oui, mais pas n’importe comment ni n’importe où. De manière générale, on le considère comme une « destruction, dégradation ou détérioration volontaire d’un bien appartenant à autrui ». Vous pouvez donc faire des graffitis mais ce en toute discrétion, ou bien il doit faire l’objet d’une commande officielle.
Le graffiti fait de la résistance
Le graffiti urbain a donc connu une déferlante à partir des années 1970 et ce malgré les interdits. Il connaît un franc succès dans des villes qui ne cessent de s’étendre et où les habitants ont du mal à trouver leur place. Le graffiti est donc le moyen d’affirmer une identité dans une ville qui ne semble rien voir, rien savoir de ses artères humaines. Pour beaucoup il est également le moyen d’afficher ses revendications et de s’opposer publiquement au gouvernement en place. Il y a quelques semaines, Le Petit Journal avait réalisé un reportage sur la Birmanie où l’arrivée au pouvoir du parti d’Aung San Suu Kyi annonçait un souffle de liberté, notamment dans le domaine de la musique et de l’art. Un jeune graffeur explique devant un de ses graffitis représentant la quête pour la paix, que les artistes étaient censurés s’ils utilisaient la couleur rouge dans leurs œuvres –couleur de la Ligue nationale pour la démocratie-, et que ces élections étaient prometteuses quant au statut et à la liberté des artistes.
S’ils traduisent la colère ou l’aspiration à une société meilleure, les graffitis permettent aussi de fédérer des populations entières autour de valeurs communes. C’est dans un contexte malheureusement bien triste que cela s’est confirmé avec les attentats en France des 7 janvier et 13 novembre 2015. Des artistes sont alors descendus dans les rues pour rendre hommage aux trop nombreuses victimes, pour exprimer leur chagrin à travers leur talent et ainsi redonner de la vie, des couleurs, tout ce qu’aimaient les victimes, et qu’artistes et citoyens souhaitent aujourd’hui perpétuer malgré la douleur.
Chaque artiste apporte sa touche personnelle mais c’est bien un message commun auquel tout le monde s’identifie, à travers les hashtags « Jesuischarlie », « Prayforparis » ou la devise de Paris « Fluctuat nec mergitur ».
La love story compliquée du graffiti et de l’art
Malgré l’émotion que dégagent ces graffitis, force est de constater qu’ils peinent encore à se faire reconnaître. C’est d’ailleurs dans cette traque à la reconnaissance que s’est constitué le mouvement du « street art » où l’on retrouve la notion d’art : il ne s’agit pas d’esquisser deux traits de couleurs sur un mur, mais de passer du temps à la réalisation d’une œuvre, ce qui demande de la technique et de la minutie. Paradoxalement, le graffiti se trouve aujourd’hui devant un autre dilemme : s’il est parfois tacitement accepté dans les villes et exposé dans des galeries, on peut s’interroger sur le type de communication qu’il engendre désormais. Certains maires commandent même des œuvres pour « habiller l’espace urbain » et raviver des bâtiments ternes : où est donc passé le côté spontané du graffiti qui même ouvragé correspond à l’identité d’un artiste, à sa signature ? On peut alors douter de l’authenticité de l’œuvre lorsque celle-ci doit répondre à certaines attentes de la part du mécène. L’œuvre retombe dès alors dans les mêmes problématiques qui se posent dans l’art concernant sa part de liberté et d’influence extérieure.
Mais ne jetons pas la pierre aux graffeurs car dans toute communication, il y a bien un émetteur et un récepteur. Et si le graffiti tend à devenir plus artistique que revendicateur, peut-être est-ce la faute à notre regard critique face à ces inscriptions urbaines. Soyons honnêtes, il est plus agréable de regarder un graffiti esthétiquement attirant, même si le sujet est poignant, plutôt que de s’arrêter devant un graffiti qui se sera plutôt concentré sur le message que sur la forme. Lors des attentats, nous avons tous été touchés par la multiplication de ces graffitis qui reprenaient des expressions connues et par leur portée symbolique. Mais n’y a-t-il pas, au fond, une certaine hypocrisie à accepter et même à inciter les graffitis lors de moments de crise, là où en temps normal ceux-ci sont interdits et même hués par beaucoup ? A-t-on été plus ému par le fait que chacun prenne ses bombes de couleurs et laisse un hommage, ou par l’image en elle-même d’une France meurtrie ? Cela signifierait que la communication de l’artiste serait plus forte en temps de crise qu’en temps normal, alors même que celui-ci dessine tous les jours ce qu’il est, ce qu’il espère et ce dont il souffre parfois. Mais comme dans tout art, un graffiti ne peut être apprécié de tous car cela relève du subjectif, et l’on peut trouver dommage d’y être confronté dans des lieux publics sans avoir eu le choix de le voir ou non. Pour être apprécié à sa juste valeur, le graffiti a encore des batailles à gagner, du côté des graffeurs comme du public.
Ludivine XATART
Sources :
« Graffitis, art et communication dans la ville », EYSSARTIER Mélissa, FERRON Mélanie, GIACOBBO Josepha, GRUNENWALD William, GUYADER Olivier, Université Michel de Montaigne,Bordeaux3, ISIC, L3, 2010.
« Du graffiti romain au graff moderne » in HugoL’escargot. Disponible sur http://www.hugolescargot.com/article-des-origines-du-graffiti-au-street-art-ou-art-urbain.htm
« Graffiti, historique du mouvement ». Disponible sur http://www.jean-michel-basquiat.net/mouvement-graffiti.html
« Après les attentats de Paris, le street-art pour afficher sa résistance », in FranceInter, mis en ligne le 20/11/15. Disponible sur http://www.franceinter.fr/depeche-apres-les-attentats-de-paris-le-street-art-pour-afficher-sa-resistance
Crédits photos :
lapresse.ca
http://www.hugolescargot.com/article-des-origines-du-graffiti-au-street-art-ou-art-urbain.htm
streetartandgraffiti.blogspot.com
positivr.fr
One thought
Formidable article, je vous en remercie ! Je ne savais pas que le graffiti datait de l’époque de Pompéi déjà – et encore, ce ne sont que ceux qui ont été découverts ! L’hydro-gommage aurait été inventé à cette époque aussi, ou au moins ses ancêtres ? 😉 Toutefois, bien que la volonté d’être entendu peut-être la même, je pense qu’il en va de même de tout art : là également, l’art et l’artiste à faible effort a peu de chances de réussir.