ELECTIONS REGIONALES FN
Politique

"Quoi, tu t’appelles Gégé tu votes pas FN" : pour en finir avec le cliché du bolos agriculteur et raciste

Le 13 décembre dernier, une brise de soulagement soufflait sur la France. « Zéro », comme zéro région remportée par le Front National malgré une victoire dans un climat anxiogène lors du premier tour. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, l’entre-deux tours était submergé d’articles et de farces sur ces « idiots » qui avaient osé voter FN. De l’étude démontrant que moins on est instruit, plus on a tendance à voter FN à la cartographie des tournages de Confessions Intimes comparée à celle du vote frontiste, tout était bon pour faire comprendre que seuls des paysans ignares vivant reclus avaient pu faire un choix aussi irrationnel.
Pourtant, se laisser aller à ce genre de raccourcis peut être dangereux : d’une part, cette association tend à devenir de moins en moins vraie et d’autre part, elle constitue du pain béni pour le FN, qui en joue dans sa communication.

J’ai un master et je vote FN

Dans l’imaginaire collectif, les votants FN disposent de caractéristiques communes. Ils vivent à la campagne, car évidemment les citadins sont civilisés et modérés. Ils sont assez âgés, car la génération Y est forcément consciente des dangers du « F-Haine ». Ils sont apolitiques, et ne sont sensibles qu’à la démagogie, ne disposant pas du QI nécessaire pour déchiffrer les autres dimensions des messages qu’on leur propose. Ah oui ! Il ne faut pas oublier qu’ils sont tous nés en France, que leurs origines gauloises remontent à des siècles et qu’ils sont phobiques de n’importe quelle forme de différence.
Et bien oui et non : 36% de votants FN ont effectivement un niveau inférieur au bac et 32% d’entre eux ont choisi ce parti pour des raisons de sécurité et d’immigration. Mais en parallèle, 23% des votants sont Bac+2. Dans un article sur les néolepénistes de L’Obs, on apprend que les votants d’extrême droite viennent aujourd’hui de tous les horizons. On fait ainsi la rencontre de Lucie, 32 ans, graphiste et Alban, prof d’espagnol de 46 ans. Tous deux vivent près de Paris et ont été séduits par le discours de Marine Le Pen.
De même, son électorat a rajeuni puisque 34% des 18-30 ans ont voté FN le 6 décembre (à relativiser avec les 64% des 18-30 ans inscrits qui ne sont pas allés voter). Et si vous pensiez qu’il s’agit de jeunes déscolarisés, sans emploi ou en crise, vous avez peut-être raison, mais pas totalement. Le Figaro est allé à la rencontre de certains de ces jeunes, et a fait la connaissance d’Eugénie, Bac +6 en poche, qui se prépare pour l’agrégation de lettres, et Clément, en deuxième année de droit. Loin d’être victimes de leur choix, ils l’assument, l’expliquent rationnellement et surtout ne qualifient leurs conviction en aucun cas de choix « par défaut » ou « par dépit ».
DAVID MASSON WEYL FN

Ce qu’il faut donc comprendre, c’est que l’électorat du Front National s’est en partie renouvelé. Un glissement vers la droite s’est opéré et il n’est pas rare de rencontrer d’anciens partisans de droite ayant franchi le pas. Pour autant, ceux-ci ne se sentent pas extrémistes, encore moins ignares. Ce choix vient d’une réflexion, ce n’est pas un vote de peur ou de colère. Ces sentiments sont certes sous-jacents, et ont nourri le cheminement de leur pensée, mais il n’en reste pas moins qu’ils la considèrent cohérente et raisonnable.

Pas de sympathie pour les sympathisants ?

Après le premier tour des régionales, et surtout sur les réseaux sociaux, les boutades plus ou moins drôles allèrent bon train. Nous parlions de la référence aux tournages de Confessions Intimes mais il ne s’agit là que d’un tweet perdu dans un océan de blagues toutes plus méprisantes les unes que les autres. Mais ce genre de réactions, qui cherchent avant tout à marquer un désaccord et une différence avec les votants d’extrême droite pourrait s’avérer contre-productif.
En effet, si l’on se penche sur la communication politique du FN, on note que l’un des grands axes de son argumentaire est celui de la défense des incompris et des sans-voix. C’est d’ailleurs dans cette optique que Marine Le Pen avait entamé son «Tour de France des oubliés » en 2013. Or par ce genre de réactions, on entretient l’idée que Marine Le Pen est la seule à les comprendre. En estimant qu’ils ne sont même pas dignes de débats, car victimes d’une manipulation populiste, on les enferme dans une position qui ne les pousse qu’à échanger entre eux. Ainsi, les idées du FN seront beaucoup moins discutées. En se concentrant sur la diabolisation, il est plus facile d’éviter toute question de fond qui pourrait déranger comme celles sur le programme du parti.

FRONT NATIONAL
L’électorat du FN a changé. Eux aussi s’organisent en universités d’été, en collectifs de réflexion et construisent un véritable courant de pensée. Collectif Racine pour les enseignants et Collectif Marianne pour les étudiants au cursus prestigieux, le FN a bien compris que ces mouvements étaient nécessaires pour répondre à tous les profils de ses partisans Il faut également entendre que ce parti ne joue plus uniquement sur les thèmes caricaturés que nous lui associons. Oui, il parle toujours immigration, chômage et nationalité mais aussi Union Européenne, laïcité et économie.
Autrement dit, les blagues ne suffiront pas à contrer ces idées, et pire les renforceront. Exclure les votants FN du débat, sous prétexte qu’ils sont idiots car ils votent FN (éternelle logique) n’est pas très démocratique. Si l’on se proclame vraie démocratie, alors peut-être faut-il que les discussions soient constructives et respectueuses, peu importe l’interlocuteur. Ne pas oublier que le débat est aussi une manière de clouer le bec. Alors débattez pardi, même avec ce vieux beauf du Nord qui kiffe le tuning. Qui sait, peut-être changera-t-il d’avis grâce à vous.

Sana Atmane 

Sources :
« Marine … Qu’est-ce qu’on risque à l’essayer : Paroles de néolepénistes » in L’OBS, mis en ligne le 13/12/15 – Disponible sur :   http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/elections-regionales-2015/20151202.OBS0550/marine-qu-est-ce-qu-on-risque-a-l-essayer-paroles-de-neolepenistes.html 
Le Blevennec Nolwenn, « Le collectif Marianne : l’étudiant nationaliste d’Assas a bien changé » in L’OBS, mis en ligne le 08/03/14. Disponible sur :  http://rue89.nouvelobs.com/2014/03/08/collectif-marianne-letudiant-nationaliste-dassas-a-bien-change-250523
« Le profil des électeurs et les clefs du premier tour des élections régionales de 2015 » in IFOP, mis en ligne le 07/12/15. Disponible sur : http://www.ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3228
A. Joshua, « Comment l’extrême droite a gagné la bataille de la communication » in TBWACorporate, mis en ligne le 30/10/12. Disponible sur : http://www.tbwa-corporate.com/comment-lextreme-droite-a-gagne-la-bataille-de-la-communication-2/
Crédits images : 
Irish Farmers Journal
Causeur

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