L’anglophonie compulsive des marques françaises
En 1994 était adoptée la loi Toubon dans l’optique de défendre le français dans un environnement publicitaire de plus en plus enclin à recourir à des langues étrangères. Pour autant, les marques ne se privent pas d’employer la langue de Shakespeare (qui doit d’ailleurs se retourner dans sa tombe au vu des emplois qui en sont faits) dans leurs campagnes médiatiques. En déposant des noms de marques ou de produits en anglais, les entreprises contournent la réglementation qui n’impose alors pas de traduction.
C’est ainsi qu’un nouvel emploi de l’anglais, semble en voie de coloniser le paysage du marketing français. Cette liberté prise n’est pas un mal en soi, mais l’on peut toutefois s’interroger quant à l’intérêt effectif d’une pratique peut-être à terme moins profitable que damaging.
Des noms anglais to keep up with la mondialisation ?
Le premier argument pour justifier ce naming anglophile est le potentiel internationalisation que cela confère à un produit. Un nom en anglais permet de l’exporter à l’étranger sans avoir à le réadapter selon les pays. Soit. Mais l’intérêt de l’emploi de l’anglais par des enseignes implantées quasi exclusivement en France est assez douteux. Ainsi, l’enseigne française fondée par le Français Gérard Mulliez Simply Market porte un nom si grammaticalement incorrect qu’il ferait saigner les oreilles de plus d’un anglophone. La marque a en outre successivement choisi pour slogan « be happy, be simply », puis « plus proche de vous » (un retour au français pour se rapprocher des locaux?) avant de devenir « Simply c’est la vie ». Cette dernière version de 2014 proposant un joli jeu de sonorités mêlant français et anglais serait-elle une tentative de synthèse ? L’argument de l’unicité de la gamme à l’international ne tient donc pas si la marque fait le choix d’employer – ne serait-ce que partiellement – la langue de Molière…
Finalement, le plus étrange reste de constater que l’on est parfaitement en mesure d’utiliser le français et de jouer avec.
Dans la même veine on peut relever la gamme de la papeterie vosgienne Claire Fontaine dont les produits ont été baptisés « Zap Book », « Crok’Book », « Graf’It », « Goldline », « Scrapbooking », « Forever » ou encore « Paint‘ON ». Certes, ces petits noms aux sonorités catchy sont sympathiques, mais pourquoi ne pas plutôt employer le français ? Cela serait davantage cohérent, voire apporterait une valeur ajoutée à une marque dont l’identité demeure profondément française.
L’incohérence de ces marques est d’autant plus flagrante que beaucoup d’entre elles demeurent franco-françaises. L’argument d’internationalisation ne tenant pas, pourquoi s’obstinent-elles alors à nous speaker anglais ?
L’anglais c’est plus malléable, plus sexy et ça fait much more jeune. Really ?
Les noms de gammes, de produits ou slogans des opérateurs Bouygues, SFR et Orange, sévèrement atteints d’anglophonie compulsive, sont des exemples criants de ces emplois abusifs. Dans le cadre de sa nouvelle campagne marketing signée BETC, Bouygues adopte ainsi pour signature un sobre « we love technology ». L’entreprise ne manque pas de justifier ce choix, prenant soin de souligner qu’elle a compris combien la technologie est devenue importante pour ses consommateurs et appuie ainsi sa position de « challenger compétitif » « en phase avec les aspirations de la société ». Fort bien, mais pourquoi donc en anglais ? Bouygues ne semble pas juger nécessaire de commenter cet étrange recours à l’anglais, comme si cela était so obvious…
Dans le cadre d’un rapport de l’ARPP autour de la loi Toubon et des interactions entre le français et la publicité, Benoît Raynert et Arnaud Vanhelle, respectivement directeur artistique et concepteur-rédacteur chez Ogilvy & Mather, soulignaient qu’« il y a encore une espèce de fascination pour l’anglais, plus naturel, plus moderne que le français, plus ancien, plus littéraire… une signature paraît plus « sexy », en termes de sonorité, à l’écoute, quand elle est en anglais ». Voilà donc une piste explicative.
Mais recourir à des langues étrangères sous prétexte que le français n’est pas aussi attrayant, n’est-ce pas alimenter une dépréciation aussi irrationnelle que nuisible de notre langue nationale?
Des choix very weird qui finalement ne se justifient pas
Mais ce retranchement quasi maladif derrière l’anglais n’apporte généralement pas grand-chose – voire rien – à la marque. Cela semble essentiellement traduire (sans mauvais jeu de mots) un manque d’investissement intellectuel de la part des créatifs.
Frank Tapiro, président d’Hémisphère Droit, fameuse agence de pub, reconnaissait d’ailleurs dans ce rapport de l’ARPP qu’« il y a une forme de paresse à utiliser l’anglais en publicité. C’est plus facile qu’en français. En français, il faut se creuser les méninges et puiser dans une large sémantique ».
Une pépite donnant effectivement matière à réflexion est la campagne de pub lancée par Darty à l’occasion de la rentrée 2015 : « The incredible rentrée ». Cette enseigne exclusivement implantée en France offre donc un mélange d’anglais et de français plus que douteux quant à son intérêt réel. Comme si arborer des mots anglais suffisait à faire une bonne publicité…
Enfin, le « Magic noël » d’Orange incarne bien cette idée : qu’apporte le mot anglais « magic » par rapport au terme français « magique » sinon une économie de deux lettres et le dévoiement de la structure grammaticale et de l’orthographe françaises ?
On peine donc à déceler l’esprit de la loi Toubon dans les pratiques marketing actuelles. Si cet emploi maladif de l’anglais peut parfois se justifier, il laisse le plus souvent dubitatif et peut représenter une certaine menace linguistique. Cette pratique tend à dévaloriser le français et apparait même susceptible de l’appauvrir ou de le pervertir par des mutations de structures grammaticales ou par l’apparition insidieuse d’anglicismes. Le diagnostic de cette nouvelle maladie endémique contaminant le marketing français étant tombé, il s’agit désormais de trouver un traitement choc pour endiguer la contamination !
Mais si cette épidémie mérite d’être décriée en France, que doivent donc penser les témoins anglophones des multiples mutilations de leur langue proférées par les usages barbares qu’en ont des peuples étrangers ?
Les exemples sont si nombreux que l’on peut s’amuser à les collectionner. En voici quelques-uns encore, pour votre bon plaisir :
La carte So music ! de la Société Générale
La carte bancaire access mastercard du Crédit Mutuel
Le unexpected shopping accompagné de son unexpected cadeau
Le concours Get up et fais ton truc de Carrefour
Le forum de l’Autonomy à Paris
le We want GIGAS de SFR qui nous demande si l’on est 4G ready
…sans oublier la promo des Xmas days de Virgin Mobile
Si ce n’est pas déjà too much, libre à vous de poursuivre cette liste !
Maïlys Vyers
Sources :
- ARPP, le 19 décembre : Bilan 2009 Publicité et Langue française
- France Info, Marie Pujolas, le 19 décembre : Les anglicismes envahissent la pub et l’entreprise ! What else ?
- le figaro, le 19 décembre: Des pubs épinglées pour leurs anglicismes
- Libération, le 19 décembre : Une campagne pour défendre la langue française contre les anglicismes et l’orthographe SMS
- Le Devoir, Christian Rioux, le 19 décembre : Publicité en France – Peu d’anglicismes, mais l’environnement tend à s’angliciser
- Les Echos, Nicholas Grenier, le 19 décembre: Le bureau des anglicismes
- Christiane Imsand, le 19 décembre: unifr sur les anglicismes
- eMarketing, Mégane Gensous, le 20 décembre: Télécoms, médias et publicité : SFR opte pour la convergence
- Il était une pub, le 20 décembre:#M4GIC débarque pour nous faire vivre un incroyable Noël avec Orange !
- bienchoisirmonelectromenager.com
- autonomy
Crédits :
PHOTO1: Crédit photo Bouygues
PHOTO2: Crédit photo Darty
PHOTO3: Crédit photo Orange
PHOTO4: Crédit photo Société Générale
PHOTO5: Crédit photo Crédit Mutuel
PHOTO6: Crédit photo Unibail Rodamco
PHOTO7: Crédit photo Carrefour
PHOTO8: Crédit photo Autonomy Paris
PHOTO9: Crédit photo SFR
PHOTO10: Crédit photo Virgin Mobile