Quand « la voix de la Russie » s’infiltre dans le paysage médiatique français
A compter de mi-Décembre, les chaînes de télévision françaises devront composer avec un petit nouveau tout droit venu de Russie : RT, anciennement nommé Russia Today. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’accueil qui lui est réservé n’est pas des plus chaleureux.
Au même titre que d’autres médias étrangers, il se donne pour objectif de proposer un point de vue alternatif sur l’actualité internationale. Seulement, RT, se voulant moins virulent dans le traitement de l’information que son petit frère Sputnik, est un média russe financé en totalité par le pouvoir central de Vladimir Poutine et au cœur de nombreuses polémiques. Largement critiqué, notamment par Emmanuel Macron qui n’a pas hésité à le qualifier « d’organe de propagande mensongère » devant le président russe en personne, le site internet francophone du groupe a décidé d’adopter une stratégie de communication particulière pour réfuter les accusations dont il se dit injustement victime.
Un accueil glacial suscité par une image très controversée.
Ce média russe créé en 2005 est déjà diffusé en anglais, en arabe et en espagnol. En s’implantant dans le paysage médiatique français, il se donne la possibilité de parler aux francophones du monde entier, et ainsi potentiellement compter jusqu’à 270 millions auditeurs de plus. Bonne nouvelle ou mauvaise nouvelle ?
Ce qui pose problème, ce n’est pas tellement que la chaîne soit financée par l’Etat Russe. Les chaînes internationales comme France 24, la BBC ou Al Jazeera respectivement financées par l’État Français, Britannique ou du Qatar, ne pâtissent pas d’une réputation aussi sulfureuse. Le problème réside dans le fait que la chaîne propose une vision du monde très orientée, dans laquelle toute remise en question des actions de Vladimir Poutine est inenvisageable.
L’objectif revendiqué ? « Oser questionner » les idées avancées par les médias occidentaux.
Jusqu’à présent, le site internet de RT et ses réseaux sociaux sont surtout connus pour avoir été mêlés à de nombreuses controverses, notamment pour être à l’origine de la diffusion de « fake news ». Lors des élections présidentielles françaises, Emmanuel Macron a reproché au groupe de vouloir nuire à sa campagne en divulguant de fausses informations à son sujet. RT avait entre autres publié un article sur la prétendue homosexualité de ce dernier en ajoutant qu’il était soutenu par « un riche lobby gay » et qu’il était possible qu’il soit un « agent américain » faisant du lobbying dans l’intérêt des banques.
La défiance exprimée par rapport à ce média a été renforcé le 26 Octobre dernier, date à laquelle Twitter a interdit à RT d’afficher de la publicité sur sa plateforme. Ce célèbre réseau social soupçonne le média russe d’être mêlé à l’ingérence de Moscou dans les élections américaines. Le site est en effet accusé d’avoir favorisé la diffusion d’informations destinées à soutenir la candidature de Donald Trump face à celle de Hillary Clinton.
Attaquer pour mieux se défendre : une stratégie de communication offensive.
Pour en apprendre plus sur ce que la chaîne va nous proposer, un petit tour sur leur site internet s’avère nécessaire.
Au premier abord le site ressemble à tous les autres sites d’informations : les articles portent sur les actualités de plusieurs pays, la charte graphique est soft, les rubriques sont claires… L’une d’entre elles attire toutefois l’attention : « RT vous parle ». Dans celle-ci, RT répond directement aux accusations qui lui sont adressées en reprenant les propos utilisés par ses détracteurs. Loin d’essayer de cacher qu’elle est la cible de nombreuses critiques, elle adopte une stratégie de communication intéressante qui consiste à décrédibiliser les arguments qui sont utilisés contre elle. Dans un article datant d’avril 2016, la rédaction souligne l’incohérence de Libération qui accuse ce média russe de faire « du bourrage de crâne » ou encore d’être « l’équivalent de France 24, l’indépendance en moins », et qui en même temps reprend à son compte une vidéo filmée par les reporter de RT.
Pourtant le groupe est loin de jouer le jeu de la transparence jusqu’au bout : Il n’est en effet précisé nulle part que ce média d’information est entièrement financé par le Kremlin. Cette information ne figure pas non plus sur le site internet de Sputnik. En effet, lors de l’émission de France Inter l’« instant M » présentée par Sonia Deviller, l’un des journalistes de Spuntik France, Edouard Chanot, avait répondu que ce n’était certainement que le résultat d’une simple omission, sans conséquence d’ailleurs puisque « tout le monde sait que c’est un média public russe. ». Certes, il est clair que les articles visent à présenter une vision russe des évènements. Mais est-ce une raison pour ne pas l’écrire noir sur blanc ? Éclipser le nom de Russia Today pour se nommer plus sobrement RT serait-il un moyen pour eux de brouiller les pistes quant à leur provenance ?
Face à ces accusations, RT revendique être victime d’un réel acharnement de la part des autres médias français. Xenia Fedorova (présidente de RT France) estime en effet que RT, tout comme le régime russe, fait l’objet d’une campagne de dénigrement constant. A ce titre, les journalistes du groupe n’hésitent pas à utiliser un ton virulent pour pointer du doigt tous les défauts des autres chaines françaises qui, dans cette « guerre de l’information », défendraient injustement la vision américaine selon eux.
Un autre regard sur l’actualité pour remettre en perspective notre façon de voir le monde.
Cependant, RT a l’avantage de présenter une tout autre manière de traiter l’actualité internationale. Que l’on soit d’accord ou non avec son point de vue, sa diffusion à l’étranger permet de rappeler qu’il y a différentes façons de présenter une information : tous les médias par lesquels nous nous renseignons adoptent une grille de lecture particulière, formée à partir de nombreux critères variables selon le contexte social, économique, culturel dans lequel ils s’inscrivent. Dans ce cas, la diversification des positions permet aux lecteurs de se forger eux même leur propre opinion sur les informations qui leur sont transmises, et de s’émanciper d’un quelconque contrôle qui pourrait être exercé par l’un ou l’autre des médias.
En proposant de prendre le contre-pied des idées défendues par les médias occidentaux, RT France peut nous permettre de prendre une certaine distance par rapport à ce que nous aurions pu considérer comme « normal » ou que nous n’aurions même plus remarqué. La preuve : son arrivée en France remet à l’ordre du jour des débats qui avaient une moindre importance sur la scène publique. Par exemple, la question de l’influence exercée par des chaînes complètement intégrées dans le paysage médiatique français, comme France Info ou France 2.
Il s’agit bien de rappeler que toutes les chaînes d’informations internationales sont bien des organes d’influences puisqu’elles cherchent à influencer l’opinion publique en faisant valoir leur point de vue sur les affaires du monde.
Enfin n’oublions pas que la CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuelle) sera là pour veiller au grain au respect de l’indépendance de l’information, conformément à une convention que RT avait signée en 2005.
Sources :
Site officiel de RT France
« Médias russes en France, comment travail sputnik ? », émission de France Inter, « L’instant M » 6 juin, 2017
Le Monde, 16 octobre 2017 : « La chaine Russe RT prépare son lancement en France »
WebTV de l’université de Nantes, « Les médias sont-ils vraiment objectifs ? »
Les Inrockuptibles : « Russia Today est l’instrument le plus emblématique et efficace du soft power russe »
Crédits photos et vidéos :
Photo sputnik France, le 28 Janvier 2015
Photo valeursactuelles.com, le 12 Décembre 2017
Une des Inrokuptibles, publiée le 20 Septembre 2017
Page d’accueil du site internet de RT France, le 12 Décembre 2017
Vidéos youtube publiée par RT en Octobre 2016 (« Les mensonges de France 2 par Russia Today »)