JK Rowling vs Romain Gary
Culture

J.K Rowling, ou le syndrome Romain Gary

 

Au printemps dernier, le livre The Cuckoo’s Calling, ou L’Appel du Coucou, du soi-disant Robert Galbraith paraissait en Grande-Bretagne et n’obtenait pas un grand retentissement. Bien que salué par quelques critiques, le roman n’engendre guère un enthousiasme intarissable, ne cumulant ainsi que 1500 ventes.

Or, quelle n’est pas la surprise générale des médias et lecteurs (potentiels) de découvrir, via un simple post Twitter, le pot aux roses : le dénommé Galbraith n’est tout autre que Maman Harry Potter. Ben ça alors ! Joli tour de magie ?

Pourquoi tous ces mystères ? R n’assumerait-elle plus son succès, ou cherchait-elle un moyen de communication pour le moins extra-ordinaire ? Et que nous dit ce phénomène, à une échelle bien plus large, de la littérature aujourd’hui ?

JK Rowling L'Appel du Coucou Fnac

Beauté de l’écriture ou peur de l’étiquette ?

Rowling cherchait-elle un point de vue impartial sur son écriture afin de revenir aux débuts du lancement d’Harry Potter – pour lequel elle s’était longuement battu, ou bien dans le but de se relever du malheureux échec de son dernier livre, Une Place à Prendre ?

Changer de nom permettait à l’œuvre d’être appréciée pour ce qu’elle était, et de ne pas être propulsée en tête des ventes par le simple usage de sa signature. L’aura d’un écrivain – que l’on peut ici qualifier de star internationale, incontestablement, – influe considérablement sur son chiffre de vente. Sinon, quelle raison y’aurait-il à ce que les mêmes personnalités se retrouvent sans cesse dans les Hits de toutes les librairies ? Et ce bien malheureusement.

Mais, paradoxalement, peut-être est-ce également pour fuir les mauvais côtés de « l’étiquette » que Rowling a pris la peine d’arracher celle qu’elle arborait jusqu’alors. Car son passé Voldemorien, bien qu’ayant séduit une majorité du public mondial, ne l’a pas pour autant aidée à obtenir les faveurs des critiques. Bien au contraire. Aussi, le nom d’un auteur nous influence-t-il sur la perception même de son œuvre. Un immense héritage culturel pèse sans cesse sur notre lecture, et/ou l’élève.

Dans son livre Et si les œuvres changeaient d’auteur, Pierre Bayard démontre bien le changement de perspective de l’étude d’une œuvre selon l’auteur qui la réalise. Il prend notamment l’exemple de Dom Juan : si Corneille avait écrit la pièce, l’on pourrait relever dans cette dernière la présence fondamentale d’une multitude de dilemmes, d’importance chez le dramaturge mais peu pertinente dans un cadre moliérien.

Quoiqu’on en dise, un nom influe toujours sur une perception, et construit des a priori sur un sujet considéré.

Coup de Comm’ ou projet artistique ?

Il est évident que l’on pense d’emblée ici à une stratégie communicationnelle. En effet, c’est un tweet à l’origine suspecte qui a averti le Sunday Times du subterfuge, propulsant, sans surprise, le livre de la 5076e place à la 1e place des ventes d’Amazon en une journée.  Nous ne pouvons que saluer un énorme coup de pub qui n’a engendré aucun coût. Tous les médias parlent désormais du livre, gratuitement. Et comme le précise bien Julien Gracq dans La Littérature à l’estomac, une fois que la critique installe un auteur dans le doux cocon du succès, il est difficile de l’en déloger.

Pourtant, Rowling demeure multimillionnaire, et la recherche d’un profit financier de sa part semble peu probable. Peut-être pourrait-on penser, à la limite, au désir ardent d’une remontée en haut de l’affiche, maintenant que la fièvre Harry Potter paraît bel et bien révolue.

Autre image (3)

Ce phénomène ne peut que nous rappeler l’emprunt par Romain Gary du pseudonyme Emile Ajar, il y a de cela des dizaines d’années ; mystère révélé dans la lettre de suicide de l’auteur. Mais il s’agissait là de retrouver une liberté d’expression que la conservation de son identité, des plus populaires, ne permettait plus. Gary voulait, semble-t-il, adopter un regard nouveau, un style ne répondant pas nécessairement au précédent, et aborder des thématiques délicates et polémiques. La Vie devant soi, par exemple, dénonçait tout à la fois la ghettoïsation des immigrés en France, le rejet des prostituées, ou encore l’interdiction de l’euthanasie.

Or, JK Rowling conserve, dans The Cuckoo’s Calling, un univers assez similaire aux précédents. Elle reste très loin de la dénonciation politique, ou de la réflexion sociale et idéologique, comme l’effectua sublimement Gary. Ce qui nous montre, quelque part, l’immense distance entre l’emprunt d’un faux nom au regard d’un projet littéraire d’un côté – création d’une œuvre – et le faussement d’une identité ayant, très probablement, un rapport avec le monde de la communication – création d’un livre, dans le sens commercial du terme.

Cet évènement ne manque pas de nous dire quelque chose de grandement inquiétant sur la littérature aujourd’hui. La dictature du nom semble bel et bien installée, incitant à la réflexion communicationnelle plus qu’à la qualité de l’écriture.

« Je me suis bien amusé, au revoir et merci. »
Romain  Gary

 
Chloé Letourneur
Sources :
Firstpost.business
The Sunday Times
L’Express
Crédits photos :
Image de Une : JK Rowling et Romain Gary (t-as-vu-ma-plume.over-blog.com)
Image 2 : Hypable.com
Image 3 : OneMinuteNews

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4 thoughts

  • Ton article est agréable à lire, une jolie plume.
    Quelques remarques cependant.. S’il est judicieux de ta part de faire le rapprochement Rowling/Gary en ce qui concerne le jeu de masque de l’auteur par un faux pseudo, je comprends moins la comparaison qui suit. Pourquoi comparer The Cuckoo’s Calling à La Vie devant soi ? Le premier se présentant comme un roman policier tandis que le second est tout sauf une intrigue policière. Sans pour autant défendre Rowling devant Gary – cette mise en parallèle me semble de toute façon improbable sur le plan romanesque même – je trouve que tu es un peu trop partiale.. « comme l’effectua sublimement Gary. » certes, mais pourquoi comparer cela à Rowling ? De plus, si tu considères que The Cuckoo’s Calling, The Casual Vacancy et la série des Harry Potter sont des « univers similaires » alors pardonne-moi mais tu parles sans doute de Galaxie.

  • En parlant de The Casual vacancy, tu l’évoques comme « échec ». Or pour un article qui met en avant l’opposition littérature/commerce je le trouve bien expéditif.. En effet, si ce roman de Rowling a été un « échec » commercial il n’est pas pour autant un échec littéraire. De là, je dois aussi dire que ton article s’est dirigé dans la mauvaise direction en imposant ce jeu de couverture avec le pseudo de Robert Galbraith comme un enjeu de communication et de marketing. Les questions à se poser ne seraient-elles pas : et si Rowling voulait se détacher du Harry qui lui colle à la peau et qu’elle a pensé ne pouvoir le faire que sous un pseudo ? Et si The Casual vacancy n’a pas bien fonctionné parce qu’il est écrit par J.K.Rowling, la mère de Poudlard ? Et si elle voulait que l’on lise The Cuckoo’s Calling sans chercher du Rowling-gryffondor-serpentard-Bellatrix entre chaque ligne, chaque mot, chaque virgule ?

  • Parce que ce que ton article a le mieux pointé c’est bien cette difficulté de l’image de l’auteur. Alors pourquoi ne peut-on pas penser qu’un auteur aussi médiatisé ne puisse pas éprouver le simple désir littéraire d’être lu pour le texte ? C’est paradoxalement ce que tu expliques très bien, mais pourquoi exclure Rowling ? Parce qu’elle est Rowling et que sa première oeuvre s’est transformée en une machine à sous ? De ce côté-là Balzac ne vaut pas mieux..
    Enfin, le dernier point qui me titille c’est ça : « Elle reste très loin de la dénonciation politique, ou de la réflexion sociale et idéologique, comme l’effectua sublimement Gary. »
    Alors oui, J.K.Rowling n’est pas Gary, c’est certain. Mais balancer de cette façon en une phrase que son œuvre n’apporte aucune réflexion politique ou sociale, ça c’est de la bêtise. Sans être désagréable et ce n’est qu’une réaction à cet article, je ne sais pas si tu as vraiment lu Rowling.

  • Parce qu’en admettant que tu n’aies pas lu The Casual vacancy qui est une critique sociale profonde, tu as sûrement lu Harry Potter, et si tu ne vois rien d’idéologique ou de politique dans ces livres, alors je t’invite à les relire en y songeant et tu verras ô combien elle dénonce, politiquement et idéologiquement.
    Mais c’est peut-être tout ce que tu expliques sur l’aspect commercial et communicationnel du monde du livre d’aujourd’hui qui te brouille la vue sur Rowling et qui te mène à mettre Gary dans la case « littérature » et Rowling dans la case « fric ».
    C’est un peu dommage.. « […] et on vous comprend » diraient certaines.

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