Pinocchio
Publicité et marketing

Menteurs, vous avez dit menteurs ?

 
Ce 18 novembre, après quelques roulements de tambour et silences suspensifs, Shell, GDF Suez et Samsung se sont vus remporter haut la main les Prix Pinocchio. Pas de quoi se réjouir cependant, il y a fort à penser que ces grands parmi les grands se seraient bien passés de cette distinction. Lauréat de la catégorie « Mains sales, poches pleines », Samsung s’est découvert primé pour avoir été, parmi ses petits copains concurrents, la firme ayant violé le plus gravement les droits humains (notamment par rapport aux conditions de travail indignes des ouvriers de ses chaines de production chinoises). Shell s’est érigé en vainqueur incontesté de la sélection « Un pour tous, tout pour moi » pour sa participation active au saccage des ressources naturelles, via la démultiplication de ses projets de gaz de schiste à l’échelle planétaire. Enfin, GDF Suez a été couronné « Plus vert que vert », non moins ironiquement, pour une campagne de communication jugée abusive quant aux vertus écologiques (inexistantes) attribuées aux activités de la firme.

Ces trois géants, montés sur le podium contre leur gré, ont payé les frais de l’annuel détecteur de « vrais mensonges et fausses vérités » (du titre d’un article de Didier Heiderich) orchestré par les Amis de la Terre France. Cette association indépendante, crée en 1970, s’attache depuis maintenant six ans à dénoncer les mascarades écologiques, financières ou sociétales élaborées par les grandes firmes et cherche à mettre sous le feu des projecteurs ces « Pinocchio du marketing » qui nous mènent en bateau. L’idée de cet anti-prix décerné par les internautes, levier immédiat de bad-buzz pour la marque, est de faire réagir les consommateurs abusés et d’obliger les grandes entreprises à corréler davantage leurs actions réelles et leurs discours médiatiques, souvent en décalage.
Quand les marques tendent « le bâton pour se faire battre »…
Que ce soit de la part des consommateurs, des Etats, des médias ou encore des ONG, une demande de plus en plus insistante est faite aux firmes en matière de morale et d’éthique. Ainsi invitées à communiquer sur le filon de la responsabilité sociale et environnementale (notamment), les marques ont rapidement perçu l’intérêt que cela pouvait leur offrir. A la clé, une jolie image ecofriendly et humaine auprès des actionnaires et des clients et ce, en s’engageant évasivement sur des grandes lignes de conduite pour lesquelles, en cas de non-respect, les chances d’être ennuyées sont minimes.
Si ce type de communication est souvent considéré comme abusif et trompeur, c’est que la prétendue transparence tend généralement à masquer l’absence d’engagements concrets et véritables et/ou à opacifier la situation réelle (détourner l’attention des lobbyings industriels, de la corruption fiscale, des chaines d’approvisionnement…).

Il existe pourtant des institutions destinées à contrôler les engagements et codes de conduite annoncés par les entreprises. Le Bureau de Vérification de la Publicité (BVP), organisme de régulation de la publicité en France, a ainsi émis une recommandation déontologique dans le cadre de la publicité éthique : « Toute publicité, sous quelle forme que ce soit, qui intéresserait le développement durable, doit respecter les principes généraux de véracité, d’objectivité et de loyauté ». La violation récurrente de ces règles basiques comporte un risque majeur, souligné par les ONG et les associations militantes : celui de la désinformation du consommateur. Par l’éclatement et la démultiplication des discours, ces problèmes citoyens risquent d’être minimisés et les efforts de sensibilisation réduits à néant.

… Les consommateurs en redemandent
C’est là que l’on serait tentés de se dire « Ciel, les firmes sont les grands méchants de l’histoire ». Et pourtant ! Il ne faudrait pas croire que nous, anonymes consommateurs, ne sommes pas acteurs de cette grande mascarade à laquelle nous consentons, plus ou moins directement. Sommes-nous entrés dans un système de complicité où le consommateur se complait dans les images douteuses d’irréprochabilité dont l’enveloppe la marque ?
Si l’on en croit l’étude menée en 2013 par Promise Consulting, il semblerait que le consommateur français ait une tendance à la bipolarité : si les trois-quarts de la population indiquent être attentifs au respect des droits de l’Homme et à la protection de l’environnement dans le cadre de la production des produits qu’ils achètent, peu sont ceux qui sont prêts à en payer le prix.
Ce paradoxe est subtilement raillé dans la chanson Green-washing du groupe Tryo, qui souligne que le parfait acheteur d’aujourd’hui « veut pouvoir dire pardon et soulager son esprit » (soit de l’éthique et du responsable) mais « veut moins cher, veut meilleur ». Le tout n’étant pas forcément compatible.

La communication éthique serait-elle alors l’opportunité légèrement hypocrite pour le consommateur de se conforter dans ses décisions d’achat et de légitimer ses choix individuels ?
Ce serait là le moyen permettant moralement à l’afficionado de fourrure de se laisser convaincre d’en acheter après qu’une marque eut vantée le caractère « humain » de ses élevages d’animaux. Le moyen permettant au conducteur sportif aguerri de s’autoriser l’achat d’un 4×4, après qu’une publicité lui ait mis en scène la symbiose de la voiture et des éléments, sur fond sonore de « L’air du vent » de Pocahontas. Car, après tout, l’étude de Promise Consulting le souligne, la consommation responsable se fait au regard de deux motivations : la volonté d’une solidarité planétaire certes, mais aussi le souci de son propre confort et de sa propre santé. Ce serait donc se décharger de notre responsabilité que de présenter le consommateur comme un récepteur passif, abusé et trompé par des communicants peu scrupuleux, prêts à lui vendre monts et merveilles. Il faudrait davantage envisager celui-ci comme un être suffisamment responsable et éclairé pour effectuer ses propres calculs de consommation, selon des paramètres personnels de cœur ou de raison.
Ainsi, la communication éthique et responsable pourrait être envisagée, en se gardant toutefois d’en faire une généralité, comme un consensus brouillé entre les marques et les consommateurs, où chacun tente plus ou moins adroitement de légitimer ses actions et son comportement.
En étant un tantinet fataliste, il s’agirait d’accorder crédit à Nietzche qui nous rappelle que notre monde est « faux, cruel, contradictoire, séduisant et dépourvu de sens » et que, par conséquent, « nous avons besoin de mensonges ». En étant davantage positif, il serait bon de retenir les initiatives désintéressées et sincères qui fleurissent du côté de chacune des parties prenantes : les consommateurs, qui commencent à jouer de leur droit de regard et les entreprises qui réalisent, peu à peu, la nécessité de concilier l’être et l’avoir.
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :
novethic.fr
prix-pinocchio.org
LIENCOURT
developpement-durable.gouv.fr
huffingtonpost.fr
memoireonline.com
Causette N°50
Crédits photos :
prix-pinocchio.org
bartolucci.com
carfree.fr
marketing-etudiant.fr

ferguson
Société

Ferguson : du choc des médias mainstreams et de l’Internet

Ferguson, un évènement médiatique généré par les nouveaux médias
En bref rappel des faits, Michael Brown, jeune afro-américain de 18 ans a été abattu par un policier le 9 août 2014 dans la ville de Ferguson, Missouri. La violence des six coups de feu tirés par un représentant des forces de l’ordre blanc contre cet adolescent noir non armé, selon les témoins, a réveillé le passé raciste des Etats-Unis et soulevé des vagues d’émeutes. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais à mesure que la répression policière s’intensifie – toutes les forces de police du comté environnant (Saint-Louis) étant réquisitionnées – la situation déborde de l’espace public au cyberespace. Le Web devient le seul refuge à la liberté d’expression et une avalanche de commentaires référencés, sous le hashtag #Ferguson, fusent sur Twitter pour dénoncer cet usage excessif de la force. Ces commentaires, tenant lieu de journalisme citoyen, sont partagés sur toute la Toile et finissent par attirer les regards de toutes les rédactions occidentales. Sarah Seltzer, écrivaine, essayiste et journaliste freelance écrit dans Flavorwire « A Ferguson comme dans le comté de Saint-Louis, les réseaux sociaux étaient là pour [documenter] ces épisodes scandaleux, petits ou grands, depuis les affreuses conférences de presse jusqu’aux nuits de terreurs entre les gaz lacrymogènes, les arrestations et les armes pointés sur les manifestants. »
Ces évènements datent du mois d’août mais le 24 novembre dernier, la justice a décidé de ne retenir aucune charge contre l’officier Darren Wilson, responsable de la mort de l’adolescent. En l’espace de quelques heures, après le verdict, pas moins de 3,5 millions de tweets furent postés pour critiquer cette décision de justice. La cybercitoyenneté et le cyberactivisme ont beaucoup de détracteurs : il est si facile de s’engager en ligne lorsque l’on est confortablement installé derrière son écran que la transposition et l’action dans la rue sont souvent rares. Cela est vrai, nombre de collectifs créent des évènements sur Facebook pour annoncer une marche citoyenne qui, finalement, ne compte que la moitié des inscrits. Vous-mêmes vous pouvez en faire l’expérience, créez un évènement, retenez le nombre d’internautes qui ont répondu positivement et comptez le nombre de personnes qui seront alors présentes. Mais l’exemple de Ferguson montre que le passage à l’acte peut être bien réel. Les twittos n’ont pas oublié Michael Brown, ils ont repris leur hashtag mais ils ont aussi recommencé à descendre dans les rues, et cela plus de deux mois après les évènements déclencheurs.
Glissement de pouvoir entre médias traditionnels et nouveaux médias
Force est de constater qu’une nouvelle forme de « journalisme Web » envahit la Toile. Toutefois, il n’est pas à confondre avec le journalisme numérique. Ce dernier comporte toutes les formes de journalismes transposées sur les supports numériques. Tandis qu’un journalisme Web est une forme de journalisme spécifique qui n’utilise pas seulement Internet comme un support de diffusion, mais comme un outil de production de l’information. Internet désigne la mise en réseau du monde, tandis que l’appellation Web désigne l’avènement du feedback et de l’interactivité dans le système Internet.
Jon Henley est un exemple de ces nouveaux journalistes web, dans la mesure où il utilise Twitter comme levier d’action pour effectuer son travail de terrain. Il y annonce son prochain lieu de reportage et invite qui le veut à lui proposer une rencontre. Mais plus largement, les réseaux sociaux couvrent désormais de grands évènements avant même que les médias classiques s’en emparent. Et dans certains cas, c’est la couverture médiatique faite par les réseaux qui poussent les médias traditionnels à s’y intéresser. Ainsi, en juin 2013 des manifestations se multiplient sur la place Taksim à Istanbul, pour prendre la défense du parc Gezi contre un grand projet immobilier qui visait notamment à le détruire. Pourtant aucun journaliste n’était présent pour couvrir l’évènement. Ce n’est que par le biais des réseaux sociaux que l’information a pu circuler, amenant de plus en plus de manifestants. Et à terme, c’est en faisant connaître les manifestations sur Internet, en dehors du pays, que les chaînes de télévisions turques ont fini par couvrir l’évènement. L’exemple de Ferguson, comme celui du parc Gezi, illustrent ce tournant dans la création et la production de l’information à l’ère numérique, dont parlait récemment Mouloud Achour. Dans les deux cas, les petits gazouillis des twittos se sont transformés en forces capables de s’attaquer aux médias traditionnels, comme les Oiseaux d’Hitchcock se sont attaqués à la population de l’île de Bodega Bay. Et derrière, l’image des twittos, on pourrait presque parler d’une révolution marxiste, puisque les individus lambda ont influencé l’agenda médiatique, contre l’establishment traditionnel.
Dans tous les cas, il s’agit d’une forme de journalisme plus proche de la population. Si ce journalisme séduit c’est qu’il représente un empowerment du lecteur sur la production de l’information, mais qu’il se joue du désamour mythique qui existe entre les lecteurs et les journalistes. Un désamour dont les arguments consistent bien souvent en un décalage entre les sujets médiatisés et les sujets qui préoccupent la majorité des individus. Des sujets médiatisés qui n’intéresseraient finalement que la caste de l’intelligentsia et les journalistes dont ils font partie. En définitive, une critique des journalistes qui écrivent avant tout sur les sujets qui les intéressent eux plutôt que sur les sujets qui intéressent le plus grand nombre.
Marie Mougin
@MelleMgn
Sources:

France Inter – L’Instant M 01/12/2014
Medium – Is the Internet good or bad? Yes.
The New-York Times – What Ferguson Says About the Fear of Social Media
Flavorwire – Ferguson: When Social Media Changes the Conversation But Not the Power Structure
Flavorwire – Why We Should Applaude Ferguson Protesters for Interrupting Last Night’s NFL Game
 

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Formats spéciaux

Héros et antihéros, les figures symboliques de notre société

Dans la lignée des dossiers présentés sur le blog depuis 3 années, FastNCurious vous propose aujourd’hui un dossier spécial, dont l’aboutissement sera la conférence Buzz Off organisée au CELSA le mardi 6 janvier 2015.
Notre équipe de Curieux vous a concocté une série d’articles qui analyseront différents aspects de notre sujet, Héros et antihéros, les figures symboliques de notre société…
Inspirations esthétiques, figures structurantes de la sphère politique et personnages typiques des séries télévisuelles qui nous entourent au quotidien, ce sujet est d’une grande richesse, et saura à coup sur vous épater.

Politique

L'euroscepticisme à l'heure du selfie

 
Le 23 septembre dernier, après avoir fait peau neuve, le billet de 10€ est mis en circulation. Afin d’en assurer la promotion, la Banque Centrale Européenne (BCE) lance une campagne sur les réseaux sociaux. Elle invite les internautes à se prendre en photo avec cette nouvelle coupure. Les changements apportés sont minimes : une couleur qui tend davantage vers le orange et une matière plus résistante sont les seules nouveautés à signaler. Rien de bien révolutionnaire, en somme. Rien qui puisse expliquer le déchaînement des internautes et la manière dont Twitter et Instagram se sont enflammés. Pire, la BCE n’a pas su mobiliser les foules et a essuyé un échec cuisant ; le hashtag créé : #mynew10 n’a été repris que 1600 fois. A l’échelle européenne, c’est une catastrophe et un désaveu explicite. Néanmoins, ce drame communicationnel aurait pu être évité.
Une campagne marketing qui prend l’eau
Alors oui, il y a bien quelques personnes, quelques irréductibles Européens, qui ont pris l’initiative au sérieux, certainement attirées par la possibilité de remporter un des 5 iPads mis en jeu. Elles restent malgré tout marginales.

Ce jeu anodin à l’allure lisse a surtout permis de mettre en exergue le ressentiment des Européens à l’égard de leurs institutions. La BCE a sans doute vu dans cette opération le moyen de se moderniser, de toucher un public plus large et plus jeune. Elle désirait certainement surfer sur le succès des autres défis mettant à profit les internautes comme l’Ice Bucket Challenge qui permet de lever des fonds pour lutter contre la maladie de Charcot. Mais, cette attitude frivole dénote particulièrement dans le contexte économique ambiant et le moins que l’on puisse dire c’est que les Européens ne se sont pas privés pour le faire savoir à Mario Draghi. Les réactions sont souvent violentes : on se rappelle tous du geste contestataire de Gainsbourg qui brula un billet de 500 Francs à la télévision pour signifier ce qui lui restait après avoir payé ses impôts. Il semblerait qu’il ait suscité des vocations, certaines personnes se photographiant un billet en feu dans les mains.

L’Europe et ses institutions dans le collimateur des internautes
Les difficultés économiques sont réelles, les prix augmentent, les taux de chômage ne se résorbent pas et même si des pays comme la Grèce, l’Espagne ou encore l’Irlande sont plus touchés que d’autres, aucun n’est vraiment épargné. Difficile d’imaginer, dans ce contexte d’austérité généralisée, que les citoyens se prêtent docilement au jeu du petit selfie demandé par la BCE. Il était évident que les eurosceptiques, anti-européens et autres trolls profiteraient de cette estrade en or pour condamner son action et remettre en cause l’Union européenne. On pense à cette femme qui exhibe son porte-monnaie vide au lieu du billet exigé, ou cet internaute qui symbolise la baisse de son pouvoir d’achat : avec 10€ il ne peut se payer qu’un paquet de cigarettes et un demi. L’euroscepticisme est de plus en plus prégnant et de nombreux partis défavorables à l’Europe siègent au Parlement : c’est le cas de l’United Kingdom Independence Party et du Front National. L’un de leurs leitmotivs concerne l’abandon de la monnaie commune, l’Euro, et le retour à la monnaie nationale. C’est d’ailleurs ce qu’ont semblé demander certains internautes.

Europe, une princesse fédératrice ?
Et pourtant, ce nouveau billet symbolisait la volonté prononcée de la BCE de ne créer aucune polémique et même plus, de rassembler les Européens. En effet, vous l’aurez remarqué, les coupures sont désincarnées au sens où aucun illustre personnage n’est représenté. Cela contraste fortement avec les dollars américains où des figures tutélaires (Pères Fondateurs et Présidents) apparaissent. La BCE ne veut pas de « querelles de clochers entre Etats » (Libération) et opte pour un habillage plus neutre, moins identifiable, moins conflictuel : des constructions architecturales. Sur ces nouveaux billets de 10€, un visage apparaît, celui de la princesse Europe, celle-là même qui donne son nom au continent. L’appel du pied pour un sentiment d’appartenance partagé, pour une cohésion ne pouvait être plus explicite. Mais de fait, ce clin d’œil fédérateur en devient presque grossier. Il n’aura pas empêché la polémique d’enfler sur les réseaux sociaux.

Notons, pour finir, que la BCE s’est installée le 29 novembre dans ses nouveaux bureaux : une tour flambant neuve en plein cœur de Francfort. Selon Le Figaro, ce nouveau siège de la Banque Centrale est, de toutes les institutions, le plus spectaculaire. C’est aussi celui qui aura coûté le plus cher. Les bureaux auront vu le jour pour la somme d’1,2 milliard d’Euro (comme ils paraissent loin les 850 millions d’Euro initialement prévus !). Ces dépenses, que certains jugent déjà superflues, ne font que renforcer le sentiment de défiance à l’égard de l’Union Européenne.
La polémique aura néanmoins assuré la communication du lancement de ce nouveau billet, même s’il est difficile d’envisager pire publicité. Outre la crise et le climat austère qui règne actuellement, cette campagne a eu le mérite de mettre au jour l’humour que partagent les Européens ainsi que leur imagination débordante.
Jules Pouriel
Sources :
lesechos.fr (1)
lesechos.fr (2)
liberation.fr
lefigaro.fr
Crédits photos :
lci.tf1.fr

BrigitteBardot
Société

Que reste-t-il de nos amours ?

 
« Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » demande ingénument Brigitte Bardot à Michel Piccoli dans Le Mépris. Et si une telle question, accompagnée de son rendu visuel, se voyait détournée de son innocence aguichante pour servir des élans revanchards ? Tel est le cas aujourd’hui avec la nouvelle tendance qui sème la panique sur la toile : le Revenge Porn ou porno vengeur.
La cybervengeance : une vendetta 2.0
Le Revenge Porn consiste à se venger d’un amour déçu en publiant des photos en petite tenue – voire carrément sans tenue – de son ex sur les réseaux sociaux. Le phénomène concerne surtout les femmes qui voient leurs « preuves d’amour », impunément photographiées, détournées de leur sens premier qui était d’exciter leurs partenaires.
Les hommes trouvent désormais leur place sur le banc des accusés, de même que les mineurs : le Revenge Porn défie l’ensemble de la société qui riposte aujourd’hui avec des mesures judiciaires. Certains états des Etats-Unis ont déjà légiféré sur cette pratique considérée comme une infraction sexuelle. En France, les condamnations s’enchaînent sans donner lieu à une loi précise mais cela ne saurait tarder.
On doit la naissance de cette nouvelle pratique à Hunter Moore reconnu par Rolling Stone comme « l’homme le plus détesté d’internet » pour avoir créé le tout premier site de Revenge Porn : isanyoneup.com. Le site, alors entré dans des logiques marchandes, rémunère grassement son propriétaire et a donné naissance à une prolifération de sites similaires : le Revenge Porn est partout.

Réseau mon beau réseau, dis-moi qui est la plus humiliée ?
Ce nouveau phénomène nous dit beaucoup de choses quant aux nouveaux rôles que peuvent jouer les réseaux sociaux aujourd’hui. Tout d’abord, ils servent l’instrumentalisation de la rupture et permettent de toucher fortement un public : le Revenge Porn ne serait rien sans une réception véhémente. Ici les hommes délaissés de leurs compagnes communient autour de la répulsion, la haine et le rejet. Le but premier de tout Revenge Porn qui se respecte est d’exhiber, en plus d’une anatomie, un profil et ainsi d’inciter toute une communauté à rejeter l’identité dudit profil, à le mettre au ban des réseaux et a fortiori de la société et ce de façon violente. Les commentaires qui complètent la publication de la photo sont là pour insulter et révéler des informations personnelles (métier, adresse, nationalité par exemple) de la personne exhibée, donnée en pâture et sujette à l’opprobre.

Les réseaux sociaux seraient donc devenus un moyen de créer une double communauté qui s’articule autour d’une logique clivante : les inclus d’un côté et les exclus de l’autre. Les inclus : la communauté punitive composée de juges sentencieux qui imposent leurs propres lois. Les exclues : les femmes qui doivent répondre de leurs actes en subissant les revers d’un érotisme jadis amoureux.
Les réseaux sociaux servent ce « slut shaming », (« l’humiliation des salopes »), cette tendance hautement répressive qui s’acharne sur un individu jusqu’à en faire un bouc émissaire. Si on se penche sur l’origine biblique de cette expression, le bouc fût cet animal chargé d’expier tous les péchés dont on le charge afin d’en dépourvoir les hommes. S’acharner sur un individu afin de créer du lien, de rapprocher les hommes entre eux et de les soulager de leurs fautes. Faut-il voir le Revenge Porn comme l’actualisation d’un vieux mythe biblique ?
Le Revenge Porn ou la face cachée de la délation
Il y aurait donc, à travers le Revenge Porn, une instrumentalisation du corps : on utilise des photos de corps pour dénoncer une identité que l’on veut désigner comme corrompue. Le corps n’est donc pas mis en scène de la même manière que dans les publicités ou les magazines qui s’évertuent à le montrer comme objet désirable, idéal et idéel. Avec le Revenge Porn au contraire, on consomme le corps dans sa crudité matérielle et celui-ci sert seulement de moyen pour sacrifier la personne qu’il représente et inciter au rejet. Il n’est donc plus le lieu de l’investissement fantasmatique mais il devient le signe d’une personne dépravée, et le lieu d’un investissement tout particulier : celui de la liquidation de la personne que le corps matérialise.
De même qu’il interroge le rapport au corps, le Revenge Porn questionne le rapport à l’intime. Il semble ici que le privé déborde sur le public mais de manière imposée. Le Revenge Porn oblige l’intime à passer la rampe et à se déverser dans ce qu’il y a de plus public et de plus ouvert au monde : les réseaux. Le corps, la nudité, l’érotisme sont les dignes représentants de l’intimité d’une personne qui sont ici ouvertement et publiquement dénoncés.
Avec le Revenge Porn, il y a certes volonté de vengeance mais surtout volonté de rendre cette vengeance publique. On ne peut s’empêcher de penser à l’essai autobiographique de Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment comme d’une forme certes atténuée du Revenge Porn, mais tout aussi violente parce-qu’il repose sur le principe même qu’est la dénonciation d’un intime que l’on souhaite rendre public afin d’en montrer l’abjection. A méditer.
Jeanne Canus-Lacoste
 
Sources :
 
fredericjoignot.blogspirit.com
konbini.com
lesinrocks.com
europe1.com
lenoubelobservateur.com
 
Crédits images :
 
brigittebardot.canalblog.com
stevenkowalskiphotography.com
zdnet.com/
europe1.fr

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hajjselfieharam
Société

Le Hajj 2014 à la mode selfie

 
*haram : péché
Cet automne, le Hajj, rassemblement annuel à La Mecque, pèlerinage que tout bon musulman doit faire au moins une fois dans sa vie, est devenu l’un des événements les plus retweetés sur les réseaux sociaux. Si d’ordinaire cette cérémonie massive pour la communauté musulmane ne fait pas l’objet d’un grand rendez-vous médiatique c’est qu’aucune caméra professionnelle n’est autorisée à l’entrée des lieux. Pourtant, cette année, le Hajj s’est rendu très visible sur Internet.
Les appareils photos ainsi que les caméscopes ont toujours été interdits dans les lieux saints, que ce soit pour un usage professionnel – couvrir médiatiquement le 5ème pilier de l’Islam – ou pour un usage personnel – figer dans le temps une expérience fondamentale pour sa foi. Les téléphones portables aussi y étaient interdits afin de ne pas troubler le recueillement des pèlerins. Mais depuis quelques temps cette restriction n’a plus cours pour des raisons de sécurité, afin que chacun soit en mesure d’appeler les secours pour un problème de santé personnel, ou celui d’un tiers. Or, l’évolution ne vous aura pas échappé, de nos jours les téléphones portables font beaucoup plus que téléphoner. Entre autres, ils prennent des photos et sont même capables de filmer. Et c’est ainsi que la mode du selfie est subrepticement entrée dans les lieux de culte de l’Islam au grand dam de certains pèlerins et ulémas (théologiens, garants de la tradition musulmane, hommes de référence pour l’interprétation de la loi coranique).
Le selfie comme insulte au hajj
Pour ces derniers, prendre des photos de soi est un acte fondamentalement narcissique et irrespectueux envers la religion. Pour défendre cette position, le savant Cheikh Abdul Razzaq Al-Badr cite le Prophète qui lors de son premier pèlerinage implorait « Oh Allah, je te demande un Hajj démuni de toute vanité et ostentation. » Mais il n’est pas le seul à penser cela ; du haut de ses 27 ans, Zahra Mohammed, professeur de Sciences islamiques à Riyadh témoigne « A Médine, j’ai remarqué une famille, face au soleil, levant les mains comme s’ils faisaient une invocation (doua). Je ne comprenais pas ce qu’ils faisaient, jusqu’à ce que je vois qu’une personne en face d’eux était en train de les prendre en photo. J’ai vu des pèlerins au Masjid al-Haram (la Mosquée sacrée) prendre des photos d’eux avec la Kaaba en arrière-plan (cube au coeur de la mosquée abritant la Pierre Noire) pour ensuite les publier sur Facebook, transformant leur adoration (ibadah) en événement social. »
Pour toutes ces personnes, le Hajj est un dépassement de soi dans lequel la prise de selfies n’apporte rien. Au contraire, comme Zahra Mohammed, ils voient dans cette attitude une glorification de soi : en se prenant en photo en attitude d’humilité, ces musulmans seraient en réalité en train de s’en vanter. Ce comportement est également qualifié de touristique, comme si le but ultime de ces musulmans étaient de prendre des photos de leur pèlerinage au lieu de le faire et de s’adonner à leur culte. En définitive, la prise de selfie est condamnée pour la distraction qu’elle apporte sur les lieux saints – ceux qui prennent des selfies ne prient pas pendant ce temps-là mais aussi dérangent les autres dans leur prière.
Le hajj dans un monde en mouvement
Toutefois, les adeptes du #hajjselfie, tag utilisé sur Twitter, Facebook et Instagram pour référencer leurs photos, ne se voient comme tels. Selon eux, leurs pratiques ne remettent en rien la spiritualité de leur pèlerinage. Ali Mohammed Ali a 24 ans, est Koweitien, porte une barbe et est vêtu de manière décontractée avec un pantalon de survêtement et une paire de sandales. « Comme c’est mon premier Hajj il est important d’enregistrer ce qui se passe autour de moi. Partout où je vais je prends des photos. » Derrière ses 65 ans, son père pourrait faire partie de la branche anti-hajjselfie, mais ce n’est pas le cas : « Ceux qui prennent ces photos immortalisent un événement rare, une expérience unique dans la vie d’un musulman. »
Pour Amar Lasfar, recteur de la mosquée Lille-Sud et président de l’Union des organisations islamiques de France : « On ne peut pas échapper à certaines choses. Les pèlerins veulent immortaliser et partager leur joie. » Il va même jusqu’à considérer que le voyage à la Mecque « c’est aussi du tourisme. On peut avoir en tête l’esprit du pèlerinage tout en étant un petit peu cool. » Il est également bon de rappeler que pour Pamela Rutledge, responsable du Media Psychology Research Center à la Fielding Graduate University, les selfies servent à créer un sentiment d’appartenance, ils créent une communauté, comme l’illustre très bien Mehmet Dawoud est étudiant turc : « Je fais un selfie avec la Kaaba en arrière-plan pour le diffuser sur mon profil Facebook afin que ma famille et mes amis puissent me voir. C’est comme ça qu’on communique aujourd’hui, pas besoin de téléphoner. »
Combattre son ennemi sur son propre terrain
Toutefois, être réfractaire au hajjselfie n’est pas systématiquement le signe d’un Islam rétrograde et éloigné des évolutions sociales. En effet, beaucoup de conservateurs se sont approprié le hashtag #hajjselfie sur les réseaux sociaux pour l’accoler à leurs messages réfractaires, contrecarrant ainsi son référencement. Tandis que le blog Muslim Matters a ouvert un débat sur Twitter sur la légitimité de telles photos.
L’image a toujours posé problème au sein de la religion islamique. Mais dans le cas des selfies, le problème est beaucoup plus la diffusion d’une image que sa production. Par définition un selfie n’est pas destiné à un usage personnel, mais à un usage social, il est fait pour être partagé, et en ce sens le pèlerin se montre. Ainsi une partie des musulmans jugent cet acte narcissique et contradictoire avec la démarche d’humilité et de tranquilité qu’imposent les actes d’adoration propres au Hajj. Pour eux, cela relève d’un comportement de touriste et non de croyant. Affaire à suivre pour le Hajj 2015…

 
Marie Mougin
@MelleMgn
 
Sources – Pour aller plus loin
Comment le #hajjselfie fait office de journalisme citoyen ?
BBC NEWS hajj selfie craze bemuses Islamic clerics
THE TELEGRAPH hajj selfies cause controversy among conservative muslims
HUFFPOST infamous hajj selfie is one more thing transforming mecca, and not everyone is happy about it
QUARTZ selfie fever is taking the hajj by storm
CBC NEWS the hajj selfie craze that never was
L’OBS la mecque : populaire au hajj, le selfie irrite les conservateurs
L’EXPRESS selfies à la mecque : cela pourrait me détourner de mon objectif
FRANCE 24 le selfie du pèlerin est-il haram ?
REUTERS la mode des selfies n’épargne pas le pèlerinage de la mecque
HUFFPOST MAGHREB le #hajjselfie la nouvelle mode pèlerinage de la mecque
TELQUEL à la mecque, les pèlerins aiment le selfie, les religieux condamnent
INFO HALAL le selfie à la mecque suscite l’indignation
MEJLISS les selfies au hajj font polémique cette année
Crédits
Twitter, Facebook, Instagram

je suis passé chez sosh
Publicité et marketing

« Je suis passé chez Sosh » : quand la communauté fait vendre

 
C’est un bien étrange casting que l’opérateur de téléphonie mobile met en scène dans sa nouvelle campagne, lancée il y a quelques semaines. En effet, on peut y voir (ou y entendre, la publicité se déclinant également à la radio) des clients de la marque tenter vainement d’articuler le virelangue « je suis passé chez Sosh », entre deux éclats de rire. Les petites scènettes s’enchainent, mettant en avant des clients de tous âges, de toutes nationalités et de tous sexes. Les participants croient participer à un vrai casting, et se retrouvent mis en difficulté au moment de prononcer cette phrase. Tout cela donne des scènes que les réalisateurs affirment « spontanées » et « naturelles ». Cette publicité, qui ressemble finalement plutôt à un bêtisier invitant le spectateur à rire avec les protagonistes, se termine d’ailleurs par un jeu de mots percutant : « Passer chez Sosh, c’est plus facile à faire qu’à dire ».

 
Au-delà de l’aspect comique et engageant de cette publicité, on peut analyser la volonté affichée de Sosh de mettre en avant sa communauté, et de la consolider en donnant envie de la rejoindre à ceux qui n’en font pas encore partie. En effet, tous les figurants sont également clients chez Sosh dans la réalité : le simple fait qu’ils aient accepté de se prêter au jeu (et avec bonne humeur s’il vous plait) est déjà un argument pour l’opérateur, qui prouve ainsi à quel point ses clients sont satisfaits et au-delà, investis dans la marque. Car le but ici, c’est bien de montrer qu’en s’engageant chez Sosh, il ne s’agit plus seulement de signer un contrat par téléphones interposés avec un opérateur dont on ne connait que le nom, et de craindre d’avoir affaire aux longues minutes d’attente d’un service après-vente déshumanisé. Ce que promet l’opérateur au client qui fait la démarche de le rejoindre, c’est de l’accueillir, presque de l’accepter au sein de cette grande communauté solidaire et joyeuse qu’il met en scène dans cette campagne. La phrase «Il y a plein de bonnes raisons de passer chez Sosh, et c’est vous qui le dites » est d’ailleurs une parfaite illustration de la stratégie mise en œuvre: la marque n’a même plus à vanter ses mérites, puisque les clients le font eux-mêmes. Dans un marché ultra concurrentiel, Sosh a donc décidé de se démarquer, en ne jouant plus sur les prix, mais sur la communauté.

Car Sosh, c’est avant tout la réponse de l’opérateur historique Orange à l’attaque du challenger Free Mobile. En proposant des prix défiant toute concurrence, celui que l’on qualifie souvent de « quatrième opérateur » a ainsi tout misé dès le départ sur l’argumentaire du prix. Et avec quelques années de recul, il semble possible d’affirmer sans trop s’avancer que Free reste imbattable dans ce domaine, malgré les efforts des autres opérateurs pour s’aligner. Il fallait donc trouver une autre manière d’attirer des clients, et Sosh a choisi le fun, le décalé, bref, de se présenter comme une marque accessible et « amie » des consommateurs. La charte graphique utilisée en est déjà un indice, avec des couleurs pétillantes et des caractères ronds et épais. Les anciennes campagnes avaient déjà posé les jalons de cette stratégie communicationnelle : on peut penser notamment au « social rush », une initiative de Sosh mêlant téléréalité et médias. Les internautes étaient invités à voter pour leur candidat préféré sur les réseaux sociaux, et à la fin de la campagne, un prime time avait été organisé (en partenariat avec Direct Star) au cours duquel les candidats sélectionnés par les votants devaient réaliser des défis. Tout cela a permis à la marque de se constituer une véritable communauté, qu’elle met désormais clairement en avant comme un argument de vente.

Tous les ingrédients étaient donc réunis pour lancer une campagne comme celle que nous analysons ici. Mélangeant subtilement une pointe de storytelling (elle s’inspirerait d’une private joke qui se serait diffusée dans les bureaux de Sosh) à un peu de la tendance des vidéos sur internet (avec un making of dans lequel les réalisateurs du spot avouent eux-mêmes avoir eu du mal à prononcer cette phrase, tout en échangeant des blagues complices avec les participants), elle utilise tous les procédés efficaces pour construire une véritable symbolique autour de Sosh. On notera d’ailleurs que l’opérateur a un onglet spécial « communauté » sur son site internet, en plus du traditionnel espace client. Chaque abonné peut ainsi se créer un « profil communautaire » qui lui permettra d’interagir avec les autres clients, du simple conseil à la discussion plus personnelle. A l’ère des réseaux sociaux et de l’émergence des communautés dans tous les domaines, Sosh ancre donc sa stratégie de communication dans une tendance plus qu’actuelle. Des questions demeurent cependant: entre les promesses d’une campagne de publicité et la réalité de la complicité entre un individu et une marque, quelle distance demeure ? Et surtout, en intégrant les sentiments dans la relation vendeurs/clients, le risque n’est-il pas d’altérer l’esprit critique de ces derniers ? Voilà les problématiques profondes sur lesquelles cette campagne semble nous inciter à méditer.
Sarah Revelen
Sources:
La réclame
Sosh
Il était une pub
Crédits photo :
La réclame
La réclame
Mode-digital.fr

UBER FNC
Publicité et marketing

Les scandales peuvent-ils freiner Uber ?

 
Après moins de six ans d’existence, Uber est valorisée à plus de 30 milliards d’euros et opère dans 50 pays et plus de 250 villes. L’entreprise de transport de personnes, qui fait concurrence aux taxis en proposant notamment à des chauffeurs non-professionnels de conduire des particuliers, utilise des technologies récentes (paiement par Internet, géolocalisation) pour moderniser un marché très régulé. Mais ce n’est pas son succès fulgurant qui attire le plus l’attention des médias depuis quelques mois. Les méthodes de l’entreprise sont fréquemment critiquées, aussi bien par ses concurrents que par les pouvoirs publics et ses propres chauffeurs. Citons seulement les accusations d’espionnage des utilisateurs, de concurrence déloyale, de non-respect des lois sur le transport de personnes : la croissance d’Uber ne se fait pas sans heurts.

Une communication défaillante
Uber, en quête de respectabilité, tente d’améliorer son image. Mais l’entreprise est au cœur d’une nouvelle controverse. Le 18 novembre dernier, un des vice-présidents de l’entreprise, Emil Michael, a suggéré d’engager une équipe de relations publiques ayant pour but spécifique de décrédibiliser des journalistes perçus comme trop hostiles. Un journaliste de Buzzfeed a entendu ces propos (censés être tenus en off, au cours d’un dîner) et les a publiés ; ils ont ensuite été relayés par la presse en ligne et traditionnelle.
Un détail a cependant pu échapper aux observateurs : le président exécutif de Buzzfeed est également un investisseur de Sidecar, l’un des principaux concurrents d’Uber. Ce fait, de nature à provoquer un conflit d’intérêts dans la couverture effectuée par Buzzfeed, n’a pourtant pas été soulevé par l’entreprise. La gestion de cette crise par le PDG d’Uber, Travis Kalanick, a d’ailleurs été assez malhabile : il a publié pas moins de 13 tweets pour s’excuser, la forme du message correspondant mal au réseau social employé.

Une croissance envers et contre tout ?
La multiplication des scandales ne semble pas, pour l’instant, entraver la croissance d’Uber, dont le service est suffisamment performant pour continuer à attirer conducteurs et utilisateurs. Il semblerait donc que, forte de sa capacité à innover, l’entreprise puisse faire passer la communication au second plan de ses priorités.
Pour autant, il est surprenant d’observer à quel point la couverture médiatique d’Uber est critique. Sa décision de ne pas utiliser la publicité dans sa stratégie de communication n’est peut-être pas tout à fait étrangère à cette hostilité : l’entreprise ne peut pas agiter la menace d’un retrait de ses opérations publicitaires, comme l’a fait Bernard Arnault après la Une controversée de Libération à son sujet en 2012. Compter seulement sur le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux -une stratégie qui s’est par ailleurs révélée d’une efficacité redoutable- prive ainsi Uber d’un levier d’influence.
La mauvaise réputation de l’entreprise est également susceptible de nuire à sa capacité d’action auprès des pouvoirs publics. En effet, Uber rencontre une opposition législative presque dans chaque pays où il souhaite s’implanter et a besoin du soutien de ses utilisateurs pour convaincre les élus de modifier les lois, le cas échéant en luttant contre le lobby des taxis. Une mauvaise presse risque dans ces conditions de faire pencher la balance du mauvais côté.
Cette controverse met enfin en lumière l’intrication et l’interdépendance des acteurs économiques de la Silicon Valley : la plupart des entreprises prometteuses sont soutenues par des fonds de capital-risque, dont les dirigeants se trouvent parfois en situation de conflit d’intérêts : ainsi de Peter Thiel , célèbre investisseur, qui déclare sur CNN qu’Uber est l’entreprise à l’éthique la plus douteuse de la Silicon Valley… avant de révéler qu’il a lui aussi investi dans un de ses concurrents.
Emmanuel Bommelaer
Sources:
Buzzfeed.com
Businessweek.com
Thefederalist.com
Usatoday.com
Growthhackers.com
Crédits images:
Twitter.com
Blog.uber.com

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Société

Face à la bande : le défi de France 2

 
Top ! Nouveau jeu de culture générale créé le 28 juillet 2014, je suis diffusé quotidiennement sur France 2… Production originale de la Grosse équipe je suis présenté par Jérémy Michalak… Me plaçant dans l’horaire pré-access, mon objectif est d’obtenir une moyenne d’audience d’environ 10%… Objectif jusqu’à présent non atteint… Je suis-je suis ?

Face à la bande.
Un concept réellement innovant ?
Vous l’avez compris, Face à la bande est le dernier jeu de culture générale de France 2 ayant comme principal objectif de redonner des couleurs à la case horaire de pre-access, une case qui a connu bien des difficultés avec ses programmes précédents comme On n’demande qu’à en rire. Son concept est, à première vue, plutôt innovant notamment par son interactivité avec les internautes de la chaîne : ils s’inscrivent sur le site france2.fr et proposent des questions qui seront alors sélectionnées par la production. Ces questions sont ensuite posées au hasard à une bande de personnalités réputées incollables présentes en plateau. Si l’internaute parvient à coller la bande, il gagne 300 euros, dans le cas contraire, cette somme s’accumule dans une cagnotte qui sera peut-être remportée par un téléspectateur en fin d’émission. Un concept qui parait original dans la forme mais dont le fond est assez proche des jeux déjà existants, à tel point que Julien Lepers, interviewé sur le plateau du Buzz TV, critiquait les ressemblances avec Questions pour un champion en proclamant : « On préfère l’originale à l’imitation ! »
Le pari risqué de l’after-school
Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, avait promis lors de sa nomination de rajeunir en moyenne de 10 ans l’audience de France 2. Un défi ambitieux qui en 2014 ne s’est toujours pas fait sentir. Le pré-access, aussi nommé after-school (case s’étendant de 17h à 18h30) et l’access représentent des enjeux de taille pour France Télévisions, deux tranches où le groupe peut engranger de la publicité en cas de programme à succès. Pour se donner le plus de chances possible, France 2 a donc fait appel à la Grosse équipe, société de production ayant fait ses preuves sur plusieurs chaines avec des programmes « jeunes », les plus marquants étant Les Anges de la téléréalité ou Allô Nabilla sur NRJ 12. Malheureusement, dès son lancement Face à la bande ne rencontre pas le même succès, son format jeune ne se mariant pas avec le fond qui demeure un sujet davantage destiné à un public âgé. Le verdict tombe : ni le public jeune ni les personnes âgées ne se sentent concernés par cette émission qui ne parvient donc pas à relever les audiences en déclin. D’une moyenne de 8,5% de part de marché à son lancement, l’émission descend à 5% en fin novembre. Une véritable contre-performance puisque Face à la bande fait deux fois moins d’audience en part de marché que l’émission qui la précède comme celle qui lui succède.
La patience est l’art d’espérer
Le 22 novembre, malgré une nouvelle dynamique de l’émission, est annoncé l’arrêt de Face à la Bande pour cause d’audiences inférieures à celles escomptées. Si le programme sera remplacé par le Joker, nouveau concept de jeu télévisé, l’hypothèse du retour de la bande n’est pas à écarter. Là où des chaines privées comme NRJ 12 ou D8 ne prendraient pas le risque de continuer une diffusion, France 2 pourrait réitérer sa stratégie souvent payante de la continuité. En effet, même si l’émission ne marchait pas à ses débuts, celle-ci pourrait rencontrer son public au fur et à mesure des mois, gagnant peu à peu son audience. C’est ce que précisait en août dernier Nathalie André, directrice des divertissements de France 2, laissant une chance à Face à la bande. Une stratégie du « lentement mais sûrement » qui s’est notamment fait sentir sur certains des programmes phares de France Télévisions. Le meilleur exemple demeure Plus Belle la vie qui aura pris un an pour trouver son public et qui rassemble aujourd’hui 4,5 millions de téléspectateurs. Comme quoi, parfois, tout vient à point à qui sait attendre.
Félix Régnier
Sources :
lefigaro.fr
Europe 1, Le Grand Direct des Médias
ozap.com
bfmtv.com
Crédits photos :
purepeople.com
img.tvmag.lefigaro.fr

google
Publicité et marketing

Ces boîtes qui veulent coucher avec vous

 
Tout comme les marques qu’elles représentent, les entreprises ont de plus en plus tendance à élargir leurs fonctions.
Expliquons nous : de même que les marques ont cessé de cantonner leurs domaines d’activités à la vente et à la publicité pour se créer une identité à travers une action digitale soutenue, des jeux, des contenus et des courts métrages, l’entreprise n’a plus vocation à demeurer une entité neutre où l’on vient simplement travailler le matin.
Après les lovebrands, bienvenue dans le monde doré des « lovefirms ».
C’est un monde nouveau où l’austère tour de la Défense voit ses employés troquer leurs costards contre des tee-shirts à messages. Une « culture d’entreprise » s’y développe ; des salles de sports, des poufs roses sont installés et des afterworks sont organisés le soir, pour renforcer la solidarité entre salariés.
Ce fonctionnement a pour vocation, fort louable, d’éviter les épidémies de suicides comme ce fut le cas chez France Télécom il y a quelques années. Seulement il semblerait qu’entre la nanyfirm et la lovefirm la frontière soit mince… L’entreprise a-t-elle vocation à s’immiscer autant dans le privé ?

PwCool : Attention, ceci n’est pas (seulement) un salon de beauté luxueux.

Non, non, contrairement aux apparences, la photo que vous regardez n’a pas été prise dans un salon de beauté luxueux mais dans les locaux d’un géant international du conseil en audit ; j’ ai nommé PWC. Preuve que dans le conseil, on ne manque ni de moyens ni d’humour, le centre de relaxation répond au doux nom de PwCool. On y croit tous. Ce centre de relaxation fait partie d’une vague corporate qui encourage les siestes dans les entreprises françaises : ces siestes rendent plus alerte, plus performant et elles sont bonnes pour la santé !

GoogleCare
Google est depuis longtemps réputé pour être un endroit où il fait bon travailler, c’est donc sans surprise que nous avons assisté cette année à sa consécration par l’institut Great Place to Work. Google figure en tête de leur classement mondial. Au sein de ses locaux, l’entreprise abrite – bien entendu – des salles de sports, des piscines à contre courant, des restaurants, des cafés, des naproom (pièce à sieste).
Mais Google est passé à la vitesse supérieure depuis bien longtemps puisque l’entreprise ne se contente plus d’offrir des piscines à ses employés vivants, mais continue d’en prendre soin après leur mort ! Pendant 10 ans, 50% du salaire est reversé à la famille du défunt, si celui ci est décédé durant son activité chez Google. Mieux que le ObamaCare, le GoogleCare !
En effet, on s’en rapproche : dans notre premier exemple, des commodités sont installées pour que vous n’ayez plus besoin de rentrer dormir chez vous. Dans le second, l’entreprise endosse le rôle de la sécurité sociale.
Privé / Public : le dépassement des frontières
Exit les patrons irascibles et les néons jaunes. Aujourd’hui, une entreprise se doit d’avoir une âme ! Mais de quel type d’âme parle-t-on ? C’est parfois l’âme d’une maman poule voire d’un conjoint très possessif.
Et oui, votre lovefirm bien aimée vous a donné un nouveau téléphone : c’est pour mieux vous joindre partout, chers employés.
Elle vous a donné une carte bleue : c’est pour mieux contrôler vos dépenses, chers employés.
Elle vous a donné des afterworks : c’est pour mieux infiltrer vos cercles d’amis, chers employés.
Elle vous a donné des salles de siestes : c’est pour mieux remplacer votre maison, chers employés.
Crédit Agricole par exemple, pousse le zèle jusqu’à bâtir des campus pour ses salariés. Evergreen, le campus du crédit Agricole est une véritable micro-ville dotée de salons de coiffure, de concierges, de restaurants, de bibliothèques, de crèches, de salles de billard et de toutes formes de commodités. La vidéo de présentation stipule même que l’on peut y découvrir des races d’arbres et de poissons. Les cyniques diront que décidément, tout est fait pour que l’employé ne quitte jamais son lieu de travail.

Finalement, est il souhaitable de parvenir à créer une « lovefirm » ? Est il possible d’entretenir un rapport privilégié voire intime avec une société sans qu’elle ne devienne étouffante ?
Même s’il est nécessaire de se sentir à l’aise dans son lieu de travail, les problèmes générés par une culture d’entreprise poussée à l’extrême se font rapidement sentir.
En effet le concept de l’entreprise sympathique n’est pas récent et les limites ont déjà été éprouvées à maintes reprises depuis le XIXème siècle. Le campus Evergreen nous rappelle doucement les projets d’Étienne Cabet (L’Icarie), de Robert Owen (New Harmony) et d’autres socialistes romantiques dont le but était de trouver un système de travail parfait. Etienne Cabet et Robert Owen formalisèrent leurs systèmes en créant des cités-entreprises ou les employés cohabitaient. Leurs tentatives se sont soldées en majorité par des échecs : Étienne Cabet, par exemple, fut expulsé de sa propre colonie.
Même si l’on voit mal Marc Zuckerberg se faire expulser de Facebook, concentrer les liens sociaux d’un individu au sein d’une entreprise peut sans aucun doute s’avérer dangereux pour lui et pour l’entreprise.
Flore de Carmoy
Sources :
news.efinancialcareers.com
bourse.lefigaro.fr
lefigaro.fr
http://levillagebyca.com/
archive.wikiwix.com
carrieres.pwc.fr