rosetta
Société

28 minutes plus tard

 
Le 12 novembre dernier, l’atterrisseur Philae s’est posé avec succès sur la surface de la comète Tchourioumov-Guérassimenko, l’objectif de la mission Rosetta, débutée en mars 2004.
Le projet de l’Agence spatiale européenne était de taille et le grand public a pu en mesurer l’importance à travers le déploiement d’un large dispositif de communication, digne d’un évènement scientifique historique. À l’approche et à la suite de l’atterrissage, Rosetta a bénéficié de la couverture médiatique classique dans la presse écrite, à la radio, à la télévision et ce à un rythme de plus en plus régulier. Mais c’est pour l’internaute que la campagne de communication sur le long terme a été la plus passionnante, sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou encore Flickr. Le support de la communication digitale semblait assez inhabituel pour une mission scientifique. Chaque réseau social représentait en fait un niveau de communication différent, chacun possédant ses propres codes sémiologiques et son public. Sur Instagram et Flickr, la légende est réduite au minimum, la photographie véhicule son propre sens, en tant que code universel elle s’adresse ainsi au plus grand nombre. Sur le Facebook de l’ASE, la mission Rosetta se positionne sur le registre de l’humoristique et de l’entertainment, à l’instar de nombreuses marques sur le réseau social. La chaîne Youtube propose à elle seule une communication du divertissement (reconstitutions 3D, créations sonores), une communication sérieuse de vulgarisation scientifique destinée à un public plus averti et disposé à s’informer sur format long (des vidéos de plus d’une heure autour d’intervenants de l’ASE) et une communication publicitaire (la campagne Ambition).

 
Ce court-métrage donne par ailleurs l’impression de vouloir réunir les ingrédients de la recette miracle du succès : les codes visuels du blockbuster de science-fiction et une personnalité en vogue (Aidan Gillen alias Little finger dans Game of thrones) présentant Rosetta comme le premier pas vers un futur évolué. Enfin, le compte Twitter agit comme un flux RSS centralisant les données de tous les autres réseaux sociaux et l’on y retrouve alors la totalité des publics et des niveaux de communication. La stratégie a été construite d’une part sur un temps étiré : comme la sonde Rosetta, la communication était en veille. Par l’intermédiaire des comptes Facebook et Twitter, l’ASE a essayé au fil des mois de diluer avec une certaine régularité le teasing de l’objectif final. Puis pendant les dernières semaines, c’est-à-dire dans le temps de l’immédiat, de l’imminent, la communication a pris de l’ampleur, en partie grâce à la transmission de photographies inédites de la comète dès la fin septembre sur Flickr. Un dialogue s’est instauré entre le compte Twitter de l’atterrisseur et celui de la sonde : personnifiés par l’utilisation de la première personne, les deux engins spatiaux ont par exemple joué le drame de la séparation alors que Philae se détachait de Rosetta pour descendre sur la comète. Ravivée, la communication sur les réseaux sociaux est parvenue à recréer une interactivité entre les scientifiques et les internautes malgré l’absence de progression de la mission en terme de contenu informatif. Cette événementialisation permanente a dynamisé la phase d’approche monotone de la comète. Le jour J, le dispositif de communication s’est décliné dans une mise en abîme de l’information. Premièrement, un chat twitter a été mis en place avec des responsables de la mission Rosetta, sur le site un live stream captait la salle de contrôle et la salle de conférence où défilaient en direct les intervenants et en dernier lieu les caméras de télévision retransmettaient l’ensemble de ces installations.
Pourtant ce dispositif complexe a souffert d’une vraie faille : la communication différée. Un évènement est ancré dans le temps présent, dans l’immédiat même, ce que sont censés appuyer le fil Twitter et le live stream. Or le signal émis par Rosetta voyageait pendant 28 minutes avant d’atterrir sur nos écrans. Le contrat de la communication en temps réel est comme rompu, les temps d’attente entre une commande et sa réponse sont interminables et le live s’étire pendant plusieurs heures. Cette rupture de l’instantanéité, habitude induite par les communications modernes, atténue rapidement l’excitation du moment historique. Ce support du direct était-il alors réellement adapté aux exigences du public d’une société de communication moderne ? En somme, le temps de la science est-il compatible avec notre perception du temps au XXIe siècle ?
Il ne l’est certainement pas pour les détracteurs d’une science qui communique et qui profite des outils modernes. C’est une science qui, par tout ce dispositif communicationnel, trahit l’idéal d’une vérité sans rabaissement à la vulgarisation voire pire, à la publicitarisation. Quoiqu’il en soit, la science évolue trop rapidement pour notre système d’enseignement, seule la vulgarisation scientifique est assez souple pour suivre le rythme du progrès. Toutefois, même simplifié, le langage scientifique technique constitue la véritable et première barrière pour le grand public. Celui-ci a en effet la particularité d’être monoréférentiel, par opposition au langage courant qui peut renvoyer à plusieurs sens, les termes scientifiques obéissent à la règle de biunivocité, c’est-à-dire que chaque concept est désigné par un seul signe et un signe ne peut renvoyer qu’à un seul et même concept. D’où la difficulté à communiquer avec un système de références inconnu du destinataire. Pourtant, il est bien nécessaire que ce dispositif communicationnel instauré autour de la mission Rosetta soit décliné dans tous les autres projets scientifiques d’importance, le progrès doit être diffusé et chaque citoyen doit trouver son compte dans un des niveaux d’information, du plus imagé aux discours les plus techniques.
Marc Blanchi
@mrcblki
Sources:
Les faces cachées du discours scientifique (dans la revue Langue française, numéro 64, 1984), Yves Gentilhomme
Rosetta.esa.int
flickr.com
Twitter.com
Facebook.com
Crédits images :
Instagram.com

froosties
Société

Société de consommation et symbolique des objets quotidiens

La symbolique des produits issus de la grande consommation est de plus en plus puissante et omniprésente dans notre quotidien, notamment en raison d’un processus de »dépublicitarisation ». Il s’agit d’une nouvelle forme de publicité qui « avance masquée », se fait plus discrète et s’immisce désormais à tous les niveaux de notre société. Si elle était déjà présente dans l’espace public elle investit à présent les institutions culturelles à l’instar du musée Haribo.
Mais comment expliquer cette ode contemporaine aux objets du quotidien, si longtemps négligés? Pourquoi mettons-nous aujourd’hui ces objets sur un piédestal ?Zoom sur une nouvelle tendance des plus étranges : la glorification des objets du quotidien.
Un phénomène déjà mis en évidence par A.Warhol et J.Baudrillard
Andy Warhol, artiste new-yorkais des années 1960, organisa une exposition autour des célèbres conserves de Campbell’s Soup. Grâce à la répétition d’images jusqu’à épuisement, le « pape du pop art » mettait en scène le pouvoir symbolique des objets du quotidien. Une manière innovante et efficace de jouer avec la société de consommation et ses excès pour en faire de véritables œuvres d’art.
Dix ans plus tard, Jean Baudrillard, sociologue et philosophe français, publiait deux ouvrages : Le système des objets et La société de consommation devenus des références dans les sciences de l’information et de la communication. L’auteur y analysait notamment le sens nouveau des objets du quotidien.
Malgré la justesse de leur vision, ces personnalités pouvaient-elles prévoir l’ampleur que prendrait ce phénomène ? Pouvaient-elles concevoir que nous collectionnerions un jour les objets du quotidien comme de véritables objets fétiches ? Le phénomène prend une ampleur telle, que la collection des objets triviaux est aujourd’hui parfaitement intégrée dans les stratégies des marketeurs et distributeurs.
Vers une mise en scène des objets du quotidien ?
Cette tendance semble être due à la manie 2.0 de mettre en scène notre quotidien sur les réseaux sociaux, et illustre bien le phénomène d’ »extimité de soi » décrit par Serge Tisseron qui consiste à mettre en avant une partie de son intimité.
Attention cependant : il n’est pas question d’afficher son quotidien tel quel : pas de photos montrant notre vaisselle qui s’amoncèle ! Il s’agit plutôt de partager des photos retouchées pour donner une touche vintage au dernier café branché déniché par nos soins. Bref, on magnifie notre quotidien et les objets qui nous entourent.
Dès lors comment expliquer l’importance grandissante que l’on accorde à des objets que nous jetions auparavant sans même un regard?
La chercheuse du GRIPIC, Caroline Marti de Montety, apporte un élément de réponse, en montrant dans l’essai nommé « La fin de la publicité ? » comment les marques sont impliquées dans les processus de productions médiatiques et culturelles. Elle énonce que « cette institutionnalisation de la muséification des marques est en cours ». Son étude lui permet de mettre en lumière le fait que les marques s’insèrent de plus en plus dans notre culture et sont omniprésentes dans notre société spectaculaire. Il semble donc normal que les produits que nous vendent les marques s’immiscent à leur tour dans notre vie, jusqu’à ce qu’on les affectionne, les chouchoute et les « starifie ».
L’impertinence du luxe : une nouvelle étape dans l’affirmation de cette tendance
Preuve que cette tendance existe, les marques de luxe, investissent à leur tour cette mouvance et la mettent à l’honneur dans leurs dernières collections.
En effet, Chanel a récemment organisé un défilé dans un faux supermarché; évènement analysé ici même dans un précédent article

Peut-on penser qu’avec une empreinte de marque forte, tout peut se vendre ? Suffirait-il d’apposer le miraculeux logo Chanel pour que des objets du quotidien prennent une valeur ajoutée ? Il semble que les marques aient décidé de surfer sur ce nouveau phénomène en intégrant les objets de la grande distribution dans leurs créations. Un processus qui magnifie encore plus ces objets jusqu’à les ériger au statut d’œuvre d’art consommable.
Cela n’aboutit pas pour autant à une démocratisation du luxe, bien au contraire ! Il se joue des codes, flirte de façon éhontée avec nos habitudes et avec notre modeste quotidien ! Ce n’est plus pour dénoncer la société de consommation mais définitivement pour la sublimer et nous provoquer! Warhol le visionnaire, avait proclamé dès 1975:  » tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins ». Une prédiction qui semble désormais, s’être bien tristement réalisée !
Analyse de cas : co-branding Anya Hindmarch et Kelloggs

Une illustration de cette tendance pourrait être le cas de co-branding entre les marques Anya Hindmarch et Kelloggs. En effet, la marque de maroquinerie Anya Hindmarch , reprend, dans sa nouvelle collection les motifs de la marque de céréales Kellogg’s. On observe ici un double phénomène: Anya Hindmarch reprend le motif des paquets de corn flakes et les boîtes de céréales vendues en magasin mettent en scène ses sacs. On ne sait presque plus faire la différence entre la boite de céréales et le sac en cuir haut de gamme. Ceci est donc la preuve que ce phénomène brouille la limite entre objet du quotidien et objet de mode.
Parfait ! Demain j’achète un paquet de Froosties que j’utiliserai en sac à main : économies à l’horizon !
Enfin, avant de vous débarrasser de vos objets du quotidien, songez que vous pourriez tenir entre vos mains, les reliques des musées de demain.

Clara Duval
Sources:
La fin de la publicité ? – Caroline Marti de Montety, Valérie Patrin-Leclère et Karine
Berthelot-Guiet
La société de consommation – Jean Baudrillard
Le système des objets – Jean Baudrillard
Wikipédia.fr
Instagram
Anya Hindmarch
Colette.fr
Leparisien.fr
Crédits photos:
Leparisdunechicfille.com
Amazonaws.com
beachpackagingdesign.com
joyana.fr

kama sutra
Société

De l'art, du sexe, du buzz : la débandade cul-turelle ?

 
Entre les performances d’art contemporain massivement relayées sur les réseaux sociaux et les expositions dont la promotion crée le buzz, les événements culturels puisent généreusement dans le registre du sexe pour aguicher le public et semblent ainsi utiliser un ressort publicitaire éculé pour se faire connaître. L’art serait-il destiné à devenir une marchandise comme une autre ?
Le boom des expositions cul-turelles
Comment prendre le métro parisien sans remarquer les innombrables affiches pour les expositions sulfureuses de la saison Automne-Hiver 2014 ? Au programme : le marquis de Sade au musée d’Orsay, le Kâma-Sûtra et l’amour au temps des Geishas à la Pinacothèque. Evidemment, la nudité et la sexualité sont loin d’être des sujets artistiques nouveaux. Et il n’est pas question dans ces expositions de choquer. Au contraire, l’exposition « Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien » vise à faire découvrir cet ouvrage du IVe siècle sous un jour nouveau, à éclairer son approche de la spiritualité, loin de l’image d’un traité pornographique et salace, comme le souligne Alka Pande, le commissaire de l’exposition. La rétrospective sur le marquis de Sade est quant à elle composée d’extraits de son œuvre, illustrés par des toiles de Goya, Picasso, Rodin, Ingres… Point de subversion scandaleuse, en somme.

En fait, c’est davantage la communication mise en place autour de ces événements qui pose question. Les deux expositions de la Pinacothèque laissent entrevoir leur postulat : le sexe attire. Mais c’est sans doute le musée d’Orsay qui joue le plus sur cet attrait, en réalisant une vidéo de promotion érotique. Dans celle-ci, des corps nus s’étreignent. Cette vidéo ne laisse personne indifférent : on est choqué, sidéré, touché. Le buzz généré par celle-ci, sanctionnée sur YouTube par l’interdiction aux mineurs, montre que le musée a vu juste en jouant sur le caractère mobilisateur du sexe, comme il l’avait fait pour son exposition Masculin/masculin dont la vidéo avait elle aussi été censurée. Ce qui dérange, c’est l’utilisation par une institution culturelle de ressorts intimement liés à la publicité. Le procédé est gros, énorme, même. Or le fait d’utiliser des procédés communs à la publicité fait entrer l’art dans le commercial, le transforme en marchandise.

L’art et la manière de faire le buzz
L’art contemporain et notamment les « performances », fonctionnent par l’étonnement, le choc ou la perplexité d’un public. On pense par exemple au sapin aux airs de plug anal exposé sur la place de la Concorde pendant la FIAC, la Foire d’Art Contemporain à Paris. Mais quand Milo Moiré assure «évoquer la création de la peur», nous, nous voyons avant tout une femme nue en train de pondre, avec son vagin, des œufs remplis de colorant qui s’éclatent mollement sur une toile blanche. Cette artiste suisse a marqué les esprits avec sa performance à l’Art Cologne 2014 et ce qui est sûr, c’est que même si on n’est pas passionné d’art expérimental ou voyeur, il a été difficile d’échapper à ses vidéos qui ont circulé sur tous les réseaux sociaux. Dans la même veine, l’australienne Casey Jenkins avait fait le buzz après avoir tricoté avec de la laine préalablement introduite dans son vagin et imbibée de sang menstruel.

La débandade culturelle ?
En fait, selon la sociologue de l’art Nathalie Heinich, « l’utilisation du vocabulaire de la transgression, et notamment de la culture pornographique […] rend ces œuvres accessibles aux néophytes. » On observe ainsi un engouement sans précédent pour l’art contemporain, en particulier pour les performances. Mi-octobre, par exemple, 500 000 visiteurs se sont pressés dans les espaces dédiés à la performance de la FIAC. Et tout au long du mois d’octobre, d’innombrables sites d’informations et journaux ont publié des articles intitulés « Comment parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? ». La question ne serait-elle pas plutôt « Pourquoi vouloir parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? » ? Cette popularisation de l’art contemporain est, en réalité, biaisée. Car si la transgression exposée un peu plus haut est suffisante pour faire le tour de YouTube, ces performances n’intéressent pas véritablement le monde de l’art. Elles sont périphériques et n’ont d’ailleurs fait parler d’elles que sur les sites d’information généralistes et les réseaux sociaux. Difficile de croire donc à un art mis en danger par une « publicitarisation » d’événements marginaux…
 
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
Le Monde, « Le Kama-sutra, lointain souvenir du désir », samedi 15 Novembre 2014
konbini.com
Stylist n° 067, « Quand la performance étouffe l’art », 30 octobre 2014
Crédits images :
amessagetoindia2.wordpress.com
offi.fr
Crédit vidéo :
DailyMotion

booba oklm
Culture

Après OKLM.COM, la tempête

 
En septembre dernier, le site OKLM.COM, élaboré par le rappeur Booba, a fait son apparition sur le net et a donné lieu à de nombreux teasing au sujet de son ouverture « imminente ». Mais depuis trois mois, les « pirates », fans du rappeur que l’on ne présente plus, demeurent dans l’attente. Le site se dédie à la découverte de nouveaux talents: sportifs, cuisiniers, humoristes ou encore musiciens sont invités à envoyer leur vidéo à destination du site dès lors que leur performance est « incroyable » selon les termes du rappeur.
L’objectif de OKLM.COM est bien de devenir un « média » tel que l’annonce Booba dans la vidéo d’accueil du site en reprenant un dispositif similaire au télé­crochet sur certains points.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler l’origine du terme OKLM dans le vocabulaire du représentant des Hauts­-de-­Seine afin de comprendre les enjeux de l’arrivée d’un tel média dans l’univers du rap ainsi que de la communication. OKLM reprend l’expression « Au calme » sous forme d’abréviation désignant le bien­être, l’aise et le confort. Reprise par beaucoup de rappeurs, elle est directement assimilée au langage urbain puisque c’est dans l’argot français actuel qu’elle est née. Or, c’est en chanson que Booba l’a largement médiatisée avec son tube OKLM de sorte qu’il a modifié la prononciation initiale de l’expression désormais épelée sous forme d’abréviation et non plus de manière phonétique.
A cet égard, les jeux de langage mis à l’œuvre dans le rap, et qui en font l’héritier moderne de la poésie, ne semblent plus être de simples moyens de communication mais faire du rap une communication en elle-­même. Le recours à la métaphore très présent dans l’écriture hip-hop souffrirait dès lors d’une mise en abyme c’est-­à-­dire que le rap deviendrait une simple métaphore qui n’exprimerait rien d’autre que de la forme pure. Alors, le rap produit par le dispositif de Booba peut-­il encore représenter le ghetto qui constitue son essence ou est-­il condamné à rentrer dans les cadres de la culture de masse en tant que médiateur de celle­-ci ? S’il se fait pur média de communication, le rap peut-­il encore faire des suggestions créatives qui relèvent de l’art ?
Le rap comme objet de communication
L’ouverture du site OKLM.COM matérialise la transformation progressive du rap en tant que pur moyen de communication autour de la marque « Booba » grâce à différents procédés marketing à la fois innovants et traditionnels.
C’est d’abord la fédération d’une communauté d’internautes autour d’un événement sans cesse repoussé, celui de la mise en ligne des premiers contenus du site. Actuellement, la page d’accueil ne contient qu’une vidéo de présentation du concept OKLM avec Teddy Riner en invité. Le système médiatique de la vidéo est lui­-même travaillé pour générer le désir et la curiosité de l’internaute. Booba y est interviewé furtivement dans un espace bruyant, sans doute afin d’accentuer la dynamique de l’événement, de sorte que l’ouverture officielle fonctionnera comme un rendez­-vous commun à ne pas rater fédérant internautes et nouveaux talents.
C’est d’ailleurs avec un lexique emprunté aux télé­crochets « incroyable » que Booba qualifie et caractérise les artistes qu’il présente sur son site. Oklm.com
Néanmoins, à la différence des télé­crochets que l’on retrouve sur les chaînes de télévision, c’est bien par le rap et par la création métaphorique que la figure de Booba construit le trailer d’OKLM.COM. Si les logos successifs d’OKLM et de Tallac Records fonctionnent comme des marques, ils invitent tout de même à penser une sémiologie du graphisme encore plus évidente sur le corps même du rappeur, véritable objet d’art. De fait, la vidéo qui présente l’interview de Booba s’ouvre par une question où ce dernier est appelé « Kopp » jouant à la fois sur le signe, le marketing et la construction d’une narration autour du personnage qu’incarne Booba.
« Kopp » signifie hélicoptère et renvoie d’une part au vrai prénom de Booba qui est Eli mais également au terme anglais cop (flic). Or, sur la main gauche de Booba figure un tatouage avec inscrit « Kopp » surélevé d’une tête de mort afin de réutiliser l’expression « mort aux flics ». Du reste, ce tatouage est davantage visible dans le clip de la chanson OKLM réalisé par Chris Macari. Cependant, le signe ne s’arrête pas là, puisque « Kopp » désigne également le biopic sur la vie de Booba lui-­même sorti récemment. En ce sens, le moyen de communication devient lui­-même objet de communication à travers des imbrications de sens.
C’est pourquoi, les dispositifs de communication mis en place sur le site OKLM.COM interrogent directement l’essence même du rap et sa nouvelle place dans la société. Certes, le film Kopp a été réalisé par Ange Jisa, à l’origine de la société JisaMedia mais aussi de la websérie Kebab caviar inspirée de South Park. Dans cette série, le réalisateur confronte des personnalités issues du milieu politique, médiatique ou plus généralement d’une élite sociale face à des personnalités issues d’un milieu plus urbain comme des rappeurs. C’est ainsi qu’un des épisodes oppose le polémiste Eric Zemmour au rappeur Youssoupha.
Lors d’une interview pour Streetpress, Ange Jisa entendait assumer ce décalage humoristique qui faisait se rencontrer deux mondes habituellement isolés l’un de l’autre dans les représentations médiatiques traditionnelles.
Or, cet exemple de websérie fait foi d’un véritable changement quant au statut du rap puisqu’elle comptabilise d’une part des millions de vues et qu’elle incarne d’autre part la récupération de plus en plus massive de la culture dite « urbaine » par des couches sociales plus aisées que les classes populaires voire par l’élite économique et/ou intellectuelle, lors même que le rap s’adresse initialement aux minorités exclues des normes sociales dominantes.

La massification d’une sous-­culture
Les exemples d’OKLM.COM ou encore de Kebab caviar permettent en effet de comprendre la récupération de plus en plus massive du rap par les élites telle qu’elle a pu avoir lieu avec le jazz. Toutefois, c’est bien à cause de la finalité communicationnelle à l’œuvre autour de ce genre musical que s’opère davantage cette transition. Faisant appel aux métaphores, au rythme, à l’oral, au clash, aux battles, le rap emprunte également à la rhétorique et apparaît de ce fait comme un outil communicationnel fort et précieux pour une marque. Or, ce qui est en jeu autour du personnage de Booba n’a plus à voir avec la musique mais bien avec la figure de l’entrepreneur avec l’expansion de sa ligne de vêtement « Unkut » et aujourd’hui le lancement de son propre système de production à travers OKLM.COM.
Mais, si la musique sert à développer l’image et cultiver une légende autour du récit proposé par Booba, elle n’est plus une finalité et ne représente plus les populations des « cités ». C’est effectivement en businessman que Booba se présente en suggérant par l’implicite la fin de son parcours musical. « Ma carrière est incroyable » rythme en effet le refrain du morceau OKLM. En conséquence, la sortie de l’album Temps mort 2.0 illustre la volonté d’établir une légende à travers l’implicite, le récit du personnage de B2o. Mais, le vécu de Booba ne sera plus que fictif comme le démontre la sortie du biopic Kopp puisqu’il s’agit bien d’un format 2.0, une version virtuelle et donc revisitée de l’album de 2002 du même nom.
En somme, à mesure que le rap s’appuie sur les nouveaux moyens de communications, il est possible de croire à une capitalisation nouvelle du rap en tant qu’objet de langage, de communication, comme une nouvelle fonctionnalité. A l’occasion d’un autre article Booska P dressait le récapitulatif des trente principales expressions issues du rap et transférées au langage quotidien. Cette peinture générale témoignait de l’influence de plus en plus prégnante de la culture Hip-Hop sur les modes de langage. Ainsi, la performativité des images construites par le rap sur le langage institue un nouveau capital culturel dans la société.
Quel futur pour le rap ?
Si ce capital culturel investi dans l’imaginaire créé autour du site OKLM.COM fonctionne pour faire de Booba une marque rentable, peut-­on malgré cela considérer que cette capitalisation ne nuit pas à l’essence même du rap ?
Né des sous-­cultures urbaines, le rap a certes utilisé la métaphore, le rythme et beaucoup de procédés stylistiques empruntés à la poésie afin de créer des images. Or, c’est bien à travers ces images que le rap s’est attelé à représenter sa différence, à construire un discours à part entière et désintéressé de toute utilitarisme. De ce fait, un paradoxe semble se creuser davantage dans le milieu du Hip-Hop.
D’une part, le rap est réutilisé comme moyen de communication et de rhétorique marketing par exemple chez Booba. D’autre part, le rap dans sa forme la plus artistique c’est­-à-­dire désintéressée de toute récupération médiatique, ne semble pas permettre aux rappeurs qui le pratiquent de vivre de leur art comme en témoigne cet ultime article de Booska P.
Si Booba a enterré le rappeur, peut-­ê-tre peut-­il encore permettre aux nouveaux talents de faire naître un grand producteur. Ainsi, l’attente générée par OKLM.COM n’a qu’une alternative : produire de talentueux artistes ou faire du site un énième média de divertissement.
Marie Vaissette
Sources
Booska-p.com (1), (2)
Streetpress.com
Wikibooba.blogpost.fr
Oklm.com
Jisamedia.com
FastNcurious.fr
Genius.com
Remerciements : Jean­Paul Gagey

jeu video
Politique

Le jeu vidéo, un média politique ?

 
A la sortie du dernier opus de la saga Assassin’s Creed, Unity, la voix bien connue de Jean-­Luc Mélenchon s’est élevée pour dénoncer le scandaleux avilissement que le dernier ­né d’Ubisoft infligeait à l’Histoire, et, plus précisément, à « la grande et splendide Révolution de 1789 ».
Le jeu vidéo, un média comme les autres
Pour peu qu’on s’intéresse à la désinformation et au détournement d l’histoire, il y a de quoi hausser le sourcil. Que révèle ce haro sur un jeu vidéo qui n’a jamais eu de prétentions pédagogiques, alors que les romans historiques se multiplient, eux et leur cortège d’anachronismes et de pures inventions, depuis des années ? Le jeu vidéo est un média qui semble affronter les mêmes reproches que ses précurseurs à mesure qu’il se développe. Mais l’inquiétude qu’il suscite lorsqu’il s’empare d’un contexte historique indique peut­-être qu’on a sous ­estimé son potentiel impact idéologique – sauf à considérer qu’Ubisoft, seul leader français du jeu vidéo, ait un devoir d’alignement patriotique. Le jeu vidéo peut-­il être un vecteur d’influence ? Peut-­il véhiculer un message politique sous le divertissement? Peut-­il manipuler, engager, défendre ? Pourquoi la communication de Unity semble-t-elle battre en retraite devant les problématiques historiques ? Il convient de garder à l’esprit qu’aucun langage n’est neutre, le jeu vidéo pas plus qu’un autre : de la même façon qu’un film recèle des partis pris, le jeu a une personnalité signifiante. Néanmoins, beaucoup de jeux dépassent effectivement le simple divertissement pour transmettre des idéologies, des messages, ou tout simplement des valeurs.
Un peu de politique, mais surtout des idéaux flous
Dans Final Fantasy VII, le message écologique est transparent : un groupe de rebelles éco-terroristes affrontent une impitoyable corporation, la Shinra, qui exploite l’énergie terrestre sans considération pour l’impact environnemental que produisent ses agissements. Rien qui ne tende la joue à un réel débat d’idée, contrairement aux manigances polémiques de Robespierre. De même,le joli jeu Proteus propose une balade contemplative dans une nature­ cartoon, où le joueur est invité à explorer sans se presser. Peut­-on qualifier cette visée de politique ? Si aucune idéologie n’échappe à la politique, probablement. Bioshock met en scène une guerre civile faisant rage au sein d’une ville détenue par le camp conservateur, qui refuse d’ouvrir ses portes aux étrangers, et qui s’oppose aux révolutionnaires plus libertaires. Fallout présente un monde post-­apocalyptique dévasté par la radio­activité et la négligeance des autorités sanitaires et politiques. Skyrim développe les idéologies antagonistes d’un peuple nationaliste occupé par un Empire, partisan du droit du sang et réfractaire à la présence d’étrangers, fussent­-ils pacifiques, sur son territoire; l’Empire étant de son côté un envahisseur pacificateur mais régnant sans aucun droit sur sa colonie. On imagine difficilement des sujets plus politiques, mais la réponse n’est jamais clairement définie. Le jeu vidéo se contente souvent d’un paysage politique diffus parsemé de fragments idéologiques : la liberté versus l’administration glacée; l’intransigeance contre la corruption…
Le jeu vidéo a­-t­-il vocation à se politiser?

Comme n’importe quel microcosme social, le jeu vidéo est un formidable observatoire des opinions et des façons d’être. Et comme n’importe quel média, il peut façonner une expérience sociale, qui diffère d’un jeu à l’autre, du communautarisme à l’individualisme, de l’extrême violence à la contemplation, en passant par la réflexion économique. N’oublions pas que nous réfléchissons, comme le métaphorisait Nietzsche, juchés sur notre propre montagne : l’immense majorité des systèmes économiques présents dans les jeux vidéos suivent le modèle libéral, ignorant les autres systèmes. Ce parti pris de ne représenter qu’un modèle unique est éminemment politique, et cette position n’a reçu que peu de critiques. Le jeu vidéo est déjà politique parce qu’il s’empare de problématiques sensibles – mais il échoue à apporter des réponses claires. Mais il ne semble pas exclu de le voir se développer comme un média instrumentalisé : après tout, certains jeux sont interdits dans certains états, en fonction de leur sensibilité (Dead Island en Allemagne, Pokémon en Arabie Saoudite) et de leur…politique.
Pour conclure, une citation de Martin Lefevre, à propos des expériences psychosociologiques qui ont été réalisées à partir d’expériences de jeu, semble s’adapter à cette problématique de l’intérêt politique des jeux vidéo : « (…) C’est aussi et surtout une preuve du potentiel d’évocation de ces merveilleux et terrifiants bacs à sables, où s’inscrivent les grandes questions contemporaines. »
Marguerite Imbert

Sources:

Jeuxvideo.com
News.bbc.co.uk
Gamekult.com
Merlantfrit.net
Franceinfo.fr
Crédits images:
Technobuffalo.com
Merlantfrit.net

beyonce-selfie
Société

Art selfie : de l'Art à l'Arrière-plan

 
De passage à Paris en octobre dernier, Jay-Z et Beyonce se sont offert le luxe de poser devant la Joconde. On ne compte plus les likes et les retweets de cette photo, caractéristique du mouvement « Art Selfie » : il s’agit simplement de faire un selfie devant une œuvre d’art. D’après le New York Times, cette pratique tirerait son origine de la Frieze, foire londonienne d’art contemporain, en 2012. Depuis, elle ne cesse de s’ériger en tendance de fond : le collectif new-yorkais DIS en a même fait un livre, intitulé #ArtSelfie, paru le 27 octobre dernier. A l’heure où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le caractère esthétique de nos selfies, le Art Selfie pose de nouvelles questions. De quels enjeux l’Art Selfie est-il porteur ? Quelles sont les conséquences de cette pratique sur l’œuvre d’art d’une part, et sur le concept même de selfie d’autre part ? Faut-il voir dans l’Art Selfie la dilution de l’œuvre d’art dans la représentation instrumentalisée de celle-ci, ou au contraire une nouvelle forme esthétique, caractérisée par une alliance entre art contemporain et culture populaire ?
« La culture, c’est fun »
La pratique de l’Art Selfie remonte déjà à quelques années. Mais elle ne s’est érigée en tendance de fond que suite à la création, le 22 janvier dernier, du « Museum Selfie Day », à l’initiative de Marlène Dixon. Cette passionnée de musée voulait « montrer que la culture, c’est fun ». Il s’agit en fait de « dédramatiser » les musées, comme l’explique la directrice de la communication du musée de Cluny dans un article paru dans Libération. Le récent succès du Art Selfie de Beyoncé et Jay-Z, ainsi que la sortie du livre #ArtSelfie montre que cette tendance semble s’imposer. Tendance encouragée par les musées eux mêmes, qui y voient un moyen de faire interagir les visiteurs avec les œuvres d’art, et ainsi de favoriser leur communication : « nous voulons encourager la participation des gens qui nous suivent sur les réseaux sociaux » explique la directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon, dans Libération. Mais que nous dit en réalité le succès de cette tendance sur la nature même de l’Art Selfie ? De quoi ce succès, qui se traduit par un regain d’intérêt pour les musées, est-il le nom ?
L’œuvre d’art à l’arrière-plan
La nature même de la pratique de l’Art Selfie pose un certain nombre de problèmes quant à la valeur de l’œuvre d’art. Il suffit d’ouvrir le livre récemment paru intitulé #ArtSelfie pour s’en convaincre : les gens qui se prennent en selfie ont le dos tourné à l’œuvre. Le musée devient un lieu où l’on se promène en tournant le dos aux œuvres d’art. L’œuvre d’art n’est plus regardée, elle n’existe plus pour elle-même. Ce phénomène opère donc une redéfinition du rapport entre l’œuvre et le spectateur. Michael Fried, dans La place du spectateur, explique que l’œuvre d’art n’existe que par la présence du spectateur. En ce sens, faire un Art Selfie, et donc tourner le dos à l’œuvre, c’est nier son rôle de spectateur, et par conséquent c’est nier à l’œuvre son statut d’œuvre d’art. Le véritable spectateur, c’est celui qui observe le résultat : non pas une œuvre d’art, mais la représentation de celle-ci, reléguée au rang d’ornement d’un selfie qui se donne ainsi une caution arty. Le seul art de l’Art Selfie, c’est « l’Art de se montrer » (Stylist).

La violence de l’ArtSelfie
Ainsi, l’Art Selfie semble démontrer une volonté d’instrumentalisation de l’art pour donner une valeur ajoutée au simple selfie. Mais que nous dit cette volonté de donner une caution arty au selfie sur le selfie lui-même ? Si le preneur de selfie ressent le besoin d’associer à son selfie une œuvre d’art, c’est peut-être parce que celui-ci n’existe pas en soi. Le selfie, pour exister ( au sens de sortir –de) de son image d’autoportrait narcissique, recherche un prétexte qu’il trouve en la présence de l’œuvre d’art. Le selfie, recherchant cet appui, témoigne d’un manque; manque s’opposant cependant à la plénitude de l’œuvre. Tout se passe comme si le selfie avait besoin de ce qui n’a pas besoin de lui pour exister. L’Art Selfie est un mariage forcé entre un selfie et une œuvre d’art. En ce sens, l’Art Selfie est porteur d’une charge très violente : la représentation de soi devant l’art est capable de tuer le caractère esthétique de l’œuvre.
Du spectateur au spect’acteur
Au-delà d’une simple critique esthétique de la notion d’art selfie, le fait que la pratique de ce dernier se soit érigée en tendance invite à se poser d’autres questions. L’Art Selfiene témoigne-t-il pas de ce que Walter Benjamin appelait dès 1935 dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, la déperdition de l’aura de l’œuvre d’art ?
Mais il faut aller plus loin qu’une simple critique. Peut-être peut-on voir dans l’Art Selfie une nouvelle forme esthétique, un changement du statut de l’œuvre d’art : si celui qui se prend en selfie devant une œuvre d’art n’est plus spectateur, il devient spect’acteur. Marcel Duchamp disait que le spectateur complète le travail de l’artiste. C’est peut-être parce qu’il illustre bien ces propos que l’Art Selfie a autant de succès et s’érige en tant que nouvelle forme d’art contemporain.
 
Alexis Chol
Sources :
artselfie.com
news.artnet.com
news.artnet.com
tmagazine.blogs.nytimes.com
jean-boite.fr
francetvinfo.fr
newt.liberation.fr

mannequinHM
Société

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle

 
Face à la dénonciation croissante de l’utilisation de la maigreur comme égérie de la mode, la marque suédoise H&M a créé l’événement en introduisant des mannequins taille réelle dans le rayon lingerie d’un de ses magasins en Suède. Par cette action symbolique, le pays a ainsi démontré son ouverture d’esprit et son émancipation face aux diktats de la mode. En effet, si la Suède a sauté le pas, la majeure partie du monde de la mode ne semble toutefois pas encore disposée à valoriser une image de la femme et de la beauté dont le critère majeur serait autre que la minceur. De cette façon, l’initiative de la marque a eu immédiatement son effet sur les réseaux sociaux et nombreux sont les internautes (hommes et femmes) à saluer cette action :
« Enfin des personnes qui savent apprécier ! Beauté ne rime plus avec maigreur … »
« Enfin ! Si cela pouvait arrêter cette folie anorexique chez nos adolescentes ! »
En effet, cette image de la beauté véhiculée par l’ensemble des médias n’est pas anodine et sans conséquences, notamment concernant les adolescentes, qui seraient plus enclines à sombrer dans l’anorexie. Nombreuses sont ainsi celles qui ripostent sur les réseaux sociaux pour dénoncer ce diktat d’une beauté uniforme, valorisant un type unique de morphologie plutôt que les spécificités de chacune.
The perfect body
Cependant, si le géant du vêtement semble vouloir changer peu à peu les choses en matière de représentation féminine, il n’en est pas toujours de même ailleurs. La célèbre marque américaine de lingerie Victoria’s Secret s’est en effet récemment illustrée dans un scandale lié à sa dernière campagne de communication, The Perfect Body, illustrant toute une ribambelle de femmes prenant la pose en sous-vêtements. Jugée comme inacceptable par bon nombre d’internautes, la campagne fait alors un tollé et provoque la création d’une pétition, qui récolte plus de 14500 signatures. Victime d’un véritable bad buzz, la marque s’est ainsi retrouvée assaillie de critiques négatives, à tel point que cette dernière a dû faire marche arrière, préférant « A body for everybody » à son précédent slogan, jugé trop polémique.

« Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt »
Dans le même registre, on se souvient de Brooke Birmingham, cette jeune illinoise de 28 ans, ancienne obèse, ayant réussi le pari de perdre durablement plus de 80 kilos. Jeune femme désormais épanouie, fière de son nouveau corps et bien dans sa peau, son histoire a tout d’une success story comme en raffolent les médias. Lorsque le magazine Shape la contacte pour raconter son histoire, la jeune femme y voit alors l’occasion d’y partager son histoire, porteuse d’optimisme. Et pourtant. Brooke déchante rapidement lorsque le magazine décide de censurer la photo où elle pose en bikini, les mains sur les hanches, fière d’un corps portant les signes de sa métamorphose. « Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt ». La jeune femme comprend alors rapidement la triste réalité à laquelle elle fait face : même avec 80 kilos de moins, son corps ne correspondra jamais à l’idéal prôné par les médias.

Face à ce diktat de l’apparence, l’actrice Keira Knightley s’est récemment insurgée contre cette maladie de la retouche Photoshop dont elle a de nombreuses fois fait les frais. « J’ai vu mon corps être malmené tant de fois et pour tant de raisons différentes, que ce soit par des paparazzi ou sur des affiches de films. Je suis d’accord pour faire des shootings topless, tant qu’on ne me retouche pas, moi ou mes seins. Parce qu’il me semble important de dire que ce n’est pas la forme qui compte ». L’actrice, qui ne semble visiblement pas apprécier de voir son physique retouché à maintes reprises sans raisons valables si ce n’est pour les besoins du marketing, a ainsi accepté de poser topless pour le magazine Interview à la seule condition que son corps ne soit absolument pas retouché par la suite. Magazines, vous voilà prévenus.
« I want to show that average is beautiful » : making Barbie a real woman
Prenant le contrepied de ces dérives de la presse magazine, le designer américain Nickolay Lamm s’est récemment lancé dans la création d’une poupée aux proportions plus réalistes que celles de notre chère copine Barbie. Avec sa silhouette élancée et ses longs cheveux blonds platine, la Barbie avec laquelle nous avons grandi est en effet loin de ressembler à la majorité des femmes. C’est la raison qui a poussé Nickolay Lamm à créer Lammily, un équivalent de Barbie version réaliste, qui a été conçue selon les mensurations moyennes d’une jeune fille de 19 ans établies par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (la principale agence gouvernementale américaine en matière de protection de la santé et de la sécurité publique).

Pour le côté réaliste de sa poupée, Lamm a dans un second temps créé une palette de stickers qu’il est possible de coller et d’enlever à sa guise : taches de rousseur, cicatrices, boutons, pansements adhésifs, tatouages, blessures, ou encore piqûres de moustiques, à vous de customiser comme il vous plaît votre poupée. Avec ce nouveau modèle, Lamm espère montrer que les différents types de morphologies sont à la fois naturels et beaux. Il dénonce la forte ressemblance de toutes les poupées, raison pour laquelle il souhaite leur donner une touche réaliste.
Si l’ensemble de ces revendications ciblant le diktat d’une beauté féminine uniforme encouragent visiblement l’évolution des mentalités, les médias – et particulièrement les magazines – s’inscriront-ils également dans cette voie du changement ? On peut espérer que les défenseurs d’une beauté non standardisée finiront par obtenir gain de cause, mais il est cependant encore trop tôt pour l’affirmer. Affaire à suivre.
Pauline Flamant
Sources :
express.be
thecreatorsproject.vice.com
facebook.com/minutebuzz
buzzfeed.com
journaldesfemmes.com
dailymail.co.uk
huffingtonpost.fr
Crédits photos :
Victoria’s Secret
brookenotadiet.com
nickolaylamm.com

movember
Société

No Shave November: une tendance au poil!

 
Si le mois d’octobre est rose le mois de novembre, lui, sera poilu !
En effet, depuis quelques années, le trend du mois de novembre, c’est le #NoShaveNovember. Si l’expression parle d’elle-même, un petit rappel s’impose: il s’agit d’inciter les hommes à se laisser pousser la barbe durant tout le mois de novembre, pour la bonne cause. Enfin si cette tendance ne change pas uniquement le physique de ces messieurs, elle aspire surtout à sensibiliser les publics aux cancers masculins dont on parle trop peu souvent.
La moustache et le financement participatif
A l’origine de cette tendance, il y a l’organisation Movember, née au début des années 2000. Sur la simple initiative d’un groupe d’amis qui se laissent pousser la barbe pendant un mois, le mouvement Movember devient rapidement une façon de se mobiliser pour la lutte contre les cancers masculins, notamment le cancer de la prostate. Le mouvement rencontre alors un franc succès et devient un organisme à part entière, la « Movember Foundation Charity ».
Dès lors, d’autres organisations voient le jour, notamment la No Shave November, soutenue par l’American Cancer Society. Cette organisation résulte d’un double objectif : sensibiliser à la « santé masculine » tout en prenant plaisir à le faire, comme le dit Rebecca Hill, l’une des fondatrices de No Shave November.
Par le biais de dons ou en participant à de nombreux événements; à l’université, au travail, ou encore sur les réseaux sociaux, toutes les formes d’implications sont bonnes pour devenir un Mo Bro ou une Mo Sista et ainsi lever des fonds destinés à la recherche sur les maladies qui touchent exclusivement les hommes. Jusque-là, Movember a levé plus de 409 millions de dollars aux Etats-Unis et près de 322 000 (dollars) en France et continue de mobiliser les différents publics autour de cette cause. On notera cependant que la France reste le « plus mauvais élève » alors qu’elle enregistre le taux le plus élevé de cancers masculins au monde (835 hommes sur 100 000).
Fortes de ce succès, ces organisations sont soutenues par des figures médiatiques et sportives, à l’image de Fabien Chivot (chef du restaurant Moustache) ou encore du Top 14. Une belle initiative qui mêle sensibilisation, humour et virilité !

Les Racingmen mobilisés pour Movember par racingmetro92

Une tendance qui dépasse l’enjeu caritatif

Si la barbe et la moustache font agir pour la bonne cause, elles servent aussi les stratégies des marques et inspirent de nouveaux concepts.
La moustache revient donc à la mode après être longtemps tombée dans l’oubli et associée à l’archétype du « ringard ». Désormais déclinée sur tous les supports, les objets publicitaires, la décoration, le prêt-à-porter, la moustache est perçue comme « le petit plus » branché qui donne leur côté « preppy » aux pseudo-hipsters. Rien à voir avec la moustache de Salvador Dali ou celle d’Hulk Hogan! Aujourd’hui, la moustache est incontestablement « in »: des noms d’agences, aux restaurants en passant par le retour en force des barber shops, elle est désormais devenue incontournable. Peut-être même trop. Des « giftbox » dédiées à l’art du rasage aux conseils mode de la rubrique Style Académie du dernier GQ, la moustache est bichonnée, soignée et surtout bien taillée.
Même le digital se l’approprie: on pense, entre autres, à Lumia qui a tout récemment, lancé une campagne de « Selfie Stach » sous forme de concours, qui consiste à poster des photos de soi, paré de sa plus belle moustache.
Pour mieux comprendre le phénomène, l’infographie ci-contre fait la lumière sur cet attribut typiquement masculin ! (donc Messieurs, aucune d’excuse pour ne pas vous mettre aussi au Movember!)
Une mobilisation éphémère ?
Le seul obstacle au succès que rencontre Movember pourrait être le caractère éphémère de ce genre de phénomènes ; on pense alors au « Ice Bucket Challenge », à la campagne « Kony 2012 » ou encore au récent «#WakeUpCall » qui ont vite lassé les internautes. Cependant, Movember reste, par définition, une mobilisation relativement ponctuelle et s’inscrit alors dans une dynamique récurrente sans pour autant être omniprésente.
Si cette tendance de l’homme à la pilosité faciale abondante et/ou maîtrisée au millimètre près est aujourd’hui un phénomène en plein essor, elle est aussi un moyen de faire passer un message fort et fédérateur autour d’une cause très peu souvent
médiatisée qu’est la santé masculine. Barbant ou dans le vent? A vous de trancher !
Alors Messieurs, à vos barbes, prêts, rasez!

 
Alizé Grasset
@: Alizé Grasset
 
Sources :
Lhommetendance.fr
No-shave.org
Neo-sapiens.fr
ca.november.com
Lerugbynistere.fr
Journalmetro.fr
Menlook.fr
Goodmorningcrowdfunding.com
Crédits images:
blog.briteskies.com
cdn.movember.com
Menlook.fr
Journalmetro.fr
9buz.com

Consommation collective
Société

La consommation collective ou le Human to Human

 
Qu’elle concerne la mutualisation des biens, ou des savoirs, la consommation collaborative, autrement dit le human to human, pèserait aujourd’hui plus de 3 milliards d’euros, d’après une estimation annuelle de Forbes en 2013. Fort d’une croissance de près de 25% en 2013, ce phénomène porte désormais un nom: la consommation collaborative (la sharing economy). Et en voici le nouveau messie : il s’appelle Jeremy RIFKIN, et avec son dernier ouvrage La nouvelle société du coût marginal zéro, il poursuit son œuvre sur « la troisième révolution industrielle ».
Aujourd’hui, un marketing hyper-puissant, des informations envahissantes et une publicité omniprésente nous incitent à nous remettre en question : qu’est-ce qui au juste, compte vraiment à nos yeux?  Posséder était, jusqu’il y a quelques années, le moyen ultime de manipuler les univers de signes véhiculés par les objets, ce qui nous permettait de nous affirmer au sein de notre société. Mais en remettant en question cette échelle de valeurs, beaucoup d’entre nous, dépassés par ce dictat fétichiste, avons reconsidéré nos priorités. Oui, nous sommes de plus en plus nombreux à considérer  que l’expérience prévaut sur la possession en tant qu’accomplissement ultime de notre singularité. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que peut-être il avait été nécessaire de remettre en question nos modes de consommation affolés, pour se rendre compte que d’autres possibilités s’offraient à nous.
Emmène-moi, aidons nous, partageons nos projets
Tous les domaines de notre vie quotidienne sont touchés, depuis la consommation la plus basique de biens alimentaires (réseau des AMAP, La Ruche qui Dit Oui), en passant par les transports (Blablacar), au financement de projet (KissKissBankBank, Ulule, Kickstarter…), aux services, et à la remise en cause des institutions et des monopoles du marché. Pour des exemples concrets de projets collaboratifs, c’est ici que ça se passe.
L’émergence de cette économie s’accompagne d’un nouvel élan dans les métiers de la communication. Il s’agit désormais de recréer du lien entre les humains, de remettre en avant les qualités et les avantages des objets : oui, ces derniers ont le droit à une deuxième vie, et grâce à eux, nous aspirons à de nouveaux contacts humains.
La fin du gratuit ?
Attention cependant ! La consommation collaborative reste avant tout une nouvelle manière de consommer. Le futur envisagé est fondamentalement différent de celui que notre génération et celles qui nous ont précédées  ont, jusqu’alors, imaginé. Mais certains penseurs nous mettaient déjà en garde : pourrait-on envisager que dans une société où tous les services sont optimisés, connectés et payants, les gens ne soient plus capables de se rendre service gratuitement ? C’est une interrogation intéressante. A moins que l’évolution de  l’économie ne laisse place à une autre forme de monnaie d’échange ou de troc (comme c’est déjà le cas dans des réseaux spécifiques ou il s’agit d’échanger des biens et des services similaires), les discriminations purement d’ordre financier n’en seraient que prolongées. Et la problématique de l’accès à cette nouvelle forme d’économie deviendrait la principale barrière à l’ouverture de ces méthodes de consommation au plus grand nombre.
Comment s’adaptent les industriels face à ce nouveau pan de l’économie ?
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est la réaction des industries actuelles face à la menace que constitue pour elles l’économie du partage. En encourageant la mise en commun des connaissances et des savoirs cette économie du partage  créé de nombreuses opportunités, mais du même coup, réduit les débouchés sur le marché du neuf. A court terme, le constat est alarmant pour les entreprises installées, et il faut réagir vite. C’est pourquoi, les firmes ont d’ores et déjà commencé à riposter, parfois en encourageant les start-up prometteuses (Start’inPost à La Poste), ou en constituant au sein de leur entreprise un laboratoire d’innovation, comme pour l’entreprise Castorama avec Les Troc’Heures . C’est donc un nouveau défi dont les marques se sont saisies.

Des thinks-tanks spécialisés dans le conseil stratégique et l’accompagnement de ces firmes dans leur transition vers cette nouvelle économie (tel que Crowd Compagnies) sont apparus. Ce bouleversement concerne tant les produits et leur distribution que les méthodes de recrutement au sein des entreprises, le management – qui tend à devenir plus participatif-, les nouveaux modes de communication et l’expression positive de la marque envers les consommateurs. En effet selon les sondages, beaucoup de consommateurs pensent avoir trop de matériel, et se sentent encombrés par pléthore d’objets inutiles. En somme, nous voulons consommer en accord avec nos valeurs.
En ce qui les concerne, les marques n’ont pas seulement à faire face à un changement au niveau des débouchés, mais elles doivent se légitimer au sein de la Cité, auprès des consommateurs, qui cherchent désormais à donner du sens à leurs actes d’achat.
Cela passe essentiellement par la promotion de leur démarche environnementale au cœur de campagnes publicitaires grand public, au prix d’un green washing général … La marque Le Chat a justement récemment fait les frais de cet excès de respect envers la nature, accusée de promettre des vertus écologiques non tenues.

Quoiqu’il en soit, l’économie collaborative serait un bon pas à franchir vers une économie plus respectueuse de l’environnement et socialement plus généreuse. Cependant, nous devons veiller à ce que les valeurs de départ ne soient pas systématiquement instrumentalisées, et détournées pour masquer une finalité mercantile. L’économie collaborative, c’est encore un système d’hyperconsommation qui marquera, dans le meilleur des cas, une étape vers l’autonomisation des citoyens. Affaire à suivre…
 
Lucie Jeudy
 
Sources :
 
Jean Baudrillard, La société de consommation, Folios, collection Essais, 1970, 316 pages.
Rachel Bosman What’s mine is yours: the rise of collaborative consumption.
Anne-Sophie Novel, La vie share mode d’emploi : consommation, partage et modes de vie collaboratifs, Manifestô, 2013
liberation.fr
legroupe.laposte.fr
observatoiredelapublicite.fr
influencia.net
influencia.net
 
Crédit photos : 
 
web-strategist.com
2.bp.blogspot.com
observatoiredelapublicite.fr
Pour aller plus loin :
Reportage « Global Partage » :

please don't wait
Politique

Touche pas à mon net!

 
« La neutralité du Net est l’essence même d’Internet depuis sa création, mais c’est aussi un principe que nous ne pouvons pas prendre pour acquis. » C’est en ces mots que s’est exprimé Barack Obama le lundi 10 novembre. Face à la Federal Communications Commission, – autorité de régulation du marché des télécommunications aux États-Unis – le président américain a tenu un discours sans équivoque en faveur d’un internet ouvert et des libertés individuelles, pressant la FCC d’appliquer des règles strictes pour préserver le web.

Le gendarme américain des télécoms change les règles du jeu
Pour comprendre la raison de ce rappel à l’ordre, il faut revenir en mai 2014, le 15 plus précisément. L’autorité de régulation a alors approuvé un texte qui prévoit la mise en place « d’un traitement préférentiel » entre les différents maillons constituant Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui. Pour résumer, les opérateurs pourront faire payer les sites web pour assurer un débit de connexion optimal à leurs utilisateurs. Ceux qui refusent de payer se verraient attribuer une vitesse de connexion bien plus lente. Alors qui se cache derrière ces décisions ? Qui met la neutralité du net en danger ? Pour ceux qui ne seraient pas tout à fait familier avec le concept de neutralité, l’article « Internet sous péage : entre voies express et chemins de terre » devrait vous aider à y voir un peu plus clair.
Barack Obama poursuit: «ni les câblo-opérateurs ni les opérateurs télécoms ne devraient se comporter comme des gardiens de passerelle, en restreignant ce qu’il est possible de voir ou de faire sur Internet.» Cette volonté de réglementation émane de fournisseurs d’accès très imposants sur le marché des télécoms comme Verizon, AT&T ou Comcast. Ces trois entreprises ont d’ailleurs été incriminées dans l’affaire de la NSA suite aux données d’utilisateurs qu’elles auraient communiquées au gouvernement via le fameux programme informatique PRISM. La démocratie paraît presque contre-productive pour leur modèle économique. En plus d’interdire toute forme de priorisation, la neutralité du net passe également par l’exigence d’une transparence accrue, possible avec un internet respectueux de l’anonymat de ses utilisateurs. Pourtant, la conjoncture actuelle campe à des kilomètres d’une vision éthique du web…

« La loi, c’est moi. »
La position de force revient avant tout aux fournisseurs d’accès qui ont su faire entendre leur voix dans le cadre de la législation, bien plus que les utilisateurs ou leurs représentants politiques. TAFTA, c’est sous ce doux nom que se cache la potentielle mort programmée du net libre. Cet accord commercial transatlantique de libre-échange entre l’Union Européenne et les États-Unis, qui est en discussion depuis 3 ans maintenant, pose les fondements du net idéal – pour les multinationales. Peu médiatisé, les réglementations qu’il contient ont de quoi faire pâlir plus d’un défenseur des cyber-libertés.
Parmi les acteurs les plus influents de ces négociations, les multinationales, dont la coalition du commerce numérique (Digital Trade Coalition) qui regroupe des industriels du net et des hautes technologies. Cette coalition – ou plutôt ce lobby, bouscule les négociateurs pour qu’ils abolissent les barrières empêchant une circulation fluide des flux de données personnelles de l’Europe vers les États-Unis. L’USCIB, le conseil américain pour le commerce international, qui réunit des sociétés similaires à Verizon va plus loin. Il affirme que cet accord de libre- échange chercherait « à circonscrire les exceptions , comme la sécurité ou la vie privée afin de s’assurer qu’elles ne servent pas d’entraves au commerce déguisées ». Cette tendance qui vise à libéraliser l’Internet à outrance s’inscrit dans une tradition politique « récidiviste ». TAFTA est le fruit de propositions précédentes similaires, très mal accueillies par la société civile.
Ainsi, entre 2007 et 2010, ACTA, l’accord commercial anti-contrefaçon imposait aux acteurs du net des sanctions pénales et des mesures répressives pour les forcer « à coopérer » avec les industries créatives (cinéma et musique principalement), dans le but de surveiller et censurer les informations délivrées sur la toile, sans passer par l’organe judiciaire. Négocié secrètement, il regroupait 39 pays dont les 27 de l’Union Européenne, les États-Unis et le Japon. Ce traité a été massivement refusé par le Parlement Européen.

Une fois la machine infernale des traités lancée, elle ne s’arrête plus. 2012 marque la naissance du projet SOPA (Stop online Piracy Act) qui permet au procureur d’imposer aux entreprises américaines de « cesser toute activité avec un site accusé de violer les droits d’auteur. » Dans la pratique, cela se traduirait par l’interdiction pour Google de référencer tout site proposant du contenu piraté. La mesure principale du texte imposait aux fournisseurs d’accès américains de rendre inaccessibles les sites incriminés. Il a été refusé par la majorité des entreprises du net…
Le mode opératoire est le même d’un traité à l’autre : des négociations tenues dans l’opacité, avec une tentative quasi-systématique d’écarter l’appareil démocratique. L’ennemi reste le même : la culture du partage. Les mises en garde de la société civile face à ces textes de lois n’ont visiblement pas été suffisantes, puisque les membres européens du parlement ne sont pas opposés au manque de transparence de ces dites négociations, et n’ont même pas exigé leur suspension pendant l’affaire d’espionnage des hauts responsables européens par la NSA…
La confusion est donc totale pour la population. Difficile de s’opposer à une machine aussi bien huilée en tant que simple individu, même si, depuis 2009, l’Union Européenne possède le droit de veto contre ce genre de traité. Le recours politique reste le seul levier que les citoyens européens aient entre les mains pour faire entendre leur mécontentement – mais encore une fois l’opacité des négociations complique la donne. Une solution serait d’adapter la nature des discussions dans un cadre démocratique, loin des pratiques actuelles, qui alimentent la désinformation et les fantasmes autour de ces textes de lois.
Ces conflits d’intérêts montrent à quel point les frontières qui définissent l’Internet sont floues. S’agit-il d’un média, d’un instrument de pouvoir, d’un espace supplémentaire aux luttes géopolitiques ? Un accès démocratisé ou régi par les lois du marché ? Une réglementation plus stricte en faveur d’un Internet considéré comme un service public ferait considérablement avancer les choses, mais la nonchalance des parlementaires ne favorise en rien un avancement dans ce domaine.

Karina Issaouni
Sources
Lemonde.fr
Nytimes.com
Laquadrature.net
Obsession.nouvelobs.com
Crédits Images
Revolution-news.com
Whitehouse.gov
Cagle.com
Oneworldsee.org