Elections européennes 2014
Politique

Comment vous dire d'aller voter?

 
Lundi 12 mai, la campagne officielle des élections européennes a débuté. L’actualité de ce fait semble pourtant éclipsée par le glamour de Cannes ou par un désintérêt grandissant des Français pour le scrutin européen.
En effet, alors que les 751 futurs euro-députés représenteront 500 millions d’Européens, seules 39% des personnes sondées par l’Ifop le 7 mai dernier (lors d’un sondage réalisé pour Paris Match) comptaient aller voter. Depuis la première élection de députés européens en 1979, ce scrutin est toujours plus délaissé par la population.
Et pourtant, ces élections sont primordiales pour tout citoyen. Des questions phares seront dans les mains des futurs élus : immigration, économie, agriculture et autres sujets sensibles. Il y a en outre une nouveauté de taille : le successeur de José Manuel Barroso, actuel président de la Commission européenne, sera élu par le Parlement européen, donc c’est-à-dire indirectement… par nous-mêmes.
Sans céder au fatalisme ambiant sur l’abstention grandissante ou sur la montée des extrêmes, analysons les axes de communication mis en place : comment intéresser des citoyens toujours plus réfractaires et, plus largement, comment réconcilier les Européens avec l’UE ?
La communication institutionnelle
Plusieurs questions se posent en termes de communication : faut-il évoquer le fonctionnement de l’UE ou des enjeux de fond ? Et quel ton adopter : pédagogique, grave, parodique…? L’enjeu primordial pour le Parlement est de montrer aux citoyens qu’il existe différents projets politiques pour l’UE, afin de sortir du débat pour ou contre l’UE.
L’idée clé de la campagne des européennes se résume en une phrase « cette fois-ci, c’est différent », choisie en raison du contexte de crise, de la défiance envers l’UE, mais aussi des changements institutionnels. Un slogan commun aux 28 Etats membres a été adopté pour la résumer : « Act, React, Impact ». Mais le choix de cette idée-clé est contesté : le choix d’une tonalité alarmante ne donne pas forcément envie de se rendre aux urnes. Il en est de même pour le clip officiel qui alterne images de guerre et regards graves face à la caméra. Mais, et c’est un point positif, le Parlement européen a aussi compris la nécessité de rythmer la vie publique via des débats télévisés entre les candidats à la présidence.
Adopter une posture pédagogique ?
L’enjeu pédagogique est central pour communiquer sur ces élections puisque, par exemple, seuls 41% des Français savent que les eurodéputés sont élus au suffrage direct. Le Monde a ainsi mis en ligne une vidéo de personnages “patates” sur le site internet du journal.
Mais cette posture peut aussi se révéler être un mauvais choix. Il suffit pour s’en convaincre de penser à la série de vidéos “Let’s Rock the Eurovote” réalisées par l’association Européens sans frontières, qui sont un désastre communicationnel. Les vidéos mises en ligne sont surannées, les personnalités mal choisies et les discours creux… Au 17 mai, la vidéo de présentation n’a fait que 1 006 vues et les commentaires sont du  type “vous m’avez ouvert les yeux, j’irai voter FN” : le flop est total.
Faire social à tout prix ?
Les innovations numériques ont démultiplié les possibilités de communication et modifié la politique européenne. Prenons l’exemple des simulateurs de vote, qui permettent aux citoyens de se positionner sur un échiquier politique toujours plus complexe. On peut citer EUProfiler ou VoteMatch, qui se présente sous la forme d’un petit quizz rapide en ligne, d’une trentaine de questions stratégiques. Il ne s’agit pas de dire aux gens ce qu’ils doivent voter, mais leur donner envie de s’informer.
Electio2014 est une autre innovation intéressante (cofinancée par l’Union Européenne), qui permet de projeter la répartition des sièges jour par jour selon les sondages. FastCheckEU, de son côté, joue au vrai/faux avec les déclarations des politiques, permettant aux citoyens de vérifier leurs dires rapidement.
Une application Facebook nommée « I’m a voter », créée par le Parlement, permet d’envoyer un ballon/rappel à ses amis accompagné de messages types (« Come on, show the world you’re a voter too! »). Etant donné que l’application publie en notre nom, il s’agit d’utiliser le pouvoir des réseaux sociaux pour répandre le message, clair et injonctif : « if you care, spread the word ». Il y a un voyage à Strasbourg à gagner pour celui qui diffusera le plus de ballons.
Les réseaux sociaux ont donc été investis, comme Twitter ou même Instagram où l’on peut suivre, avec le hashtag #YaBs2014, le trajet de 28 petites figurines décorées aux couleurs des États-membres qui doivent rejoindre Bruxelles avant les élections.
Fais-moi rire
Pour inciter les gens à se rendre aux urnes, une posture ludique a souvent été adoptée. Le parlement européen a ainsi créé une application ludique nous permettant de remonter dans le temps. On peut comparer un appartement décoré dans le style de 1979 (date de la première élection) et un appartement de 2014, afin de découvrir ce qui a changé et quels impacts a eu le Parlement européen sur ces changements.
Mais ce sont nos voisins danois qui ont fait très fort avec la vidéo de « Voteman »,un superhéros aussi violent que convaincu de sa tâche : faire voter les Danois à tout prix. La vidéo, supprimée 24h seulement après sa publication, avait cependant le mérite de changer par rapport aux autres spots, en préférant la dérision au ton moralisateur.
Tous les moyens seraient-ils bons pour intéresser les citoyens aux élections européennes ? Dans le doute, les stratégies de communication ont été assez diverses. Plusieurs choix ont été faits par le Parlement, puis par les Etats-membres. On remarque l’importance accordée au digital et aux réseaux sociaux, de même que l’effort fait pour intéresser, de manière ludique, les jeunes et/ou les abstentionnistes. On remarque aussi qu’il s’agit souvent de spatialiser l’information, comme pour aider les citoyens à mieux se représenter (et à accepter ?) l’Europe.
Et une vidéo cadeau pour finir :

Si avec tout ça vous n’allez pas voter le 25 mai… !
 
Lucie Detrain
Sources
Elections2014
Franceinfo
NotreEurope

Adopte un curé
Société

« Adopteuncuré.com » : une parodie 100% divine !

 
Après « Le calendrier des prêtres les plus sexy du Vatican » et « François le Pape 2.0 », voici la dernière campagne de communication du diocèse de Rouen, « adopteuncuré.com ».
Visiblement au fait des dernières tendances, l’Eglise marche sur les pas de la modernité et cible un public peu familier du denier du culte, les jeunes connectés.

Redynamiser l’image du clergé, encourager la jeunesse à repeupler les églises et, plus pragmatique mais non moins nécessaire, renflouer les caisses des différentes paroisses ; tels sont les enjeux de ce joli buzz médiatique.
En charge du dossier, l’agence lyonnaise Alteriade mise sur l’humour propre au web pour prêcher la bonne parole.
Au placard la retransmission de la messe dominicale par France Télévision ! Parodie du site tendance et ultra-plébiscité par les 18-30 ans « adopteunmec.com », « adopteuncuré.com » met les codes du site de rencontre au service de sa mission !
Le tutoiement, de rigueur, abolit les distances. Léger, et impertinent, le ton d’ « adopteuncuré.com » n’en est pas moins didactique puisque le site explique à ses fidèles internautes les ressorts de la défiscalisation des dons. Refrains grégoriens et voix de femme suave chantant les louanges de son produit « 100% divin », « nouvelle promotion de jeunes séminaristes » ou bien « curé à la retraite encore très actif » comptent quant à eux parmi les offres de ce petit bijou insolite.
Sans surprise, les grands défenseurs de la messe en latin et autres adeptes du conservatisme ont sonné le glas… de la réprobation. Dans une interview donné à Libération, Eric de la Bourdonnaye, paraphrasant le Saint Père, leur répond : « Là où il y a trop de sérieux, il n’y a pas l’esprit de Dieu ».
Quoi qu’on en dise, l’entreprise est une véritable réussite puisqu’au-delà des retombées enregistrées dans les grands médias, plus de 678 012 dons ont déjà été effectués.
 
Marine Bryszkowski

Sources :
Adopteuncure.com
Liberation.fr
Ouest-france.fr
Lefigaro.fr
Lci.tf1.fr
Grazia.fr

eelv
Politique

Quand les verts capotent

 
Alors que les campagnes pour les élections européennes battent leur plein, Europe-Ecologie les Verts (EELV) a cherché une manière originale de se distinguer : distribuer des préservatifs estampillés de leur slogan. L’opération avait très bien marché lors de la campagne présidentielle de 2012 avec « Eva Joly, la candidate qui protège ». Le renouvellement aurait donc très bien pu fonctionner si leur slogan actuel n’avait pas été : « Donnons vie à l’Europe. »
Voulant jouer sur le paradoxe et une communication décalée, EELV a suscité la raillerie des internautes qui ont jugé la facétie ridicule. En effet, bien que l’humour soit en théorie un bon ressort communicationnel, la grossièreté apparait rarement comme une méthode efficace, surtout dans le contexte politique. Ce trait humoristique prête encore plus à sourire quand on sait que le slogan de leurs opposants UDI se trouve être « Faites l’Europe, pas la guerre ». Chacun semblant malheureusement s’être calé sur la communication de l’autre, ce qui peut perdre l’opinion.
Ce buzz a eu un autre effet pervers pour EELV : souligner leurs incohérences de calendrier. La temporalité est une donnée primordiale dans une campagne de communication : une opération d’une telle sorte, avec un slogan différent, aurait sans doute eu plus de sens en début de campagne. Elle aurait créé un petit effet médiatique et aurait attiré le public qui se serait concentré par la suite sur le fond des idées. Mais, en orientant le débat sur les techniques de communication, le programme vivement en faveur de la construction européenne n’est pas médiatisé et le parti semble avoir un discours frivole et creux. Cette image est très négative à l’heure où les intentions de vote se portent vers des partis eurosceptiques ou vers l’abstentionnisme.
A cela s’ajoute les bourdes communicationnelles de José Bové, candidat pour le parti dans la circonscription du Sud-Ouest. Le 30 avril dernier, dans une émission sur la chaine télévisée chrétienne KTO,  celui-ci a revendiqué ses positions en défaveur de la procréation médicale assistée pour les couples homosexuels mais aussi pour les couples hétérosexuels, se disant hostile à « toute manipulation sur le vivant ». Il s’attire ainsi les foudres des parlementaires écologistes qui viennent de déposer un projet de loi pour l’ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes. « Un nouvel adhérent de la Manif pour tous ? Attention à ne pas tomber dans des théories naturistes pas très nettes. A trop suivre la nature on finit par vivre avec des animaux dans une ferme du Larzac », a ironisé durement la sénatrice Esther Benbassa à propos du candidat.

Cet indicent révèle plus que des tensions internes, à un mois du scrutin, il met en avant les contradictions inhérentes au mouvement, il détruit devant les électeurs la crédibilité et la légitimité de la tête de liste. Il ternit davantage le blason de Bové déjà jugé rustique dans son allure, ses idées et ses méthodes comme le fauchage des champs d’expérimentation de culture d’organismes génétiquement modifiés. Mauvaise pioche pour EELV, l’image un peu rustre de leur candidat entre en totale opposition avec celle que le parti cherche à promouvoir : un parti moderne aux valeurs progressistes.
Enfin, la dernière erreur de communication du parti, et non des moindres, aura été la sur-médiatisation de Daniel Cohn-Bendit. En effet, ancien député européen et figure de proue d’EELV, ce dernier a souhaité apporter son soutien aux candidats. Toutefois, la presse s’est concentrée sur lui au point d’effacer les véritables intéressés méconnus du grand public. Un effet contreproductif au vu du résultat.
Mais que les écologistes se rassurent, ils sont loin d’être les seuls à avoir fait mauvaise figure pendant la campagne. Les tensions visibles à l’UMP, le manque de cohérence du PS, la guerre des chefs à l’UDI et le climat europhobe n’ont fait qu’augmenter la défiance de leurs concitoyens et semblent responsables de l’ascension déjà fulgurante des partis extrémistes.
Caroline Dusanter
Sources :
Eelv.fr
Lemonde.fr
Crédit photo :
20minutes.fr

Société

Heureux qui, comme le stagiaire

 
J’aurais pu vous parler de la non-fusion de Publicis et d’Omnicom ou de la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision, deux sujets dont la sous-médiatisation évidente ne laisse pas de marbre. Mais il n’en sera rien, et tel un Eric Zemmour survolté, je prends la plume et décide de revenir aux fondamentaux. Parlons donc de choses qui fâchent. Parlons du salaire des stagiaires.
Heureux qui, comme le stagiaire, gagnera plus
Le ton est grave mais essuyez cette goutte de sueur sur votre front car les nouvelles semblent bonnes. Mardi dernier, le Sénat a adopté plusieurs amendements sur le sujet dont la mesure la plus marquante prévoit une revalorisation de l’indemnisation mensuelle de stage : exit les 436,05 euros – parce que oui, à ce niveau chaque centime compte -, les stagiaires devraient désormais toucher 523,26 euros chaque fin de mois, soit une augmentation non négligeable de 20%.
Dans la même optique, un second amendement prévoit l’indemnisation obligatoire de tout étudiant de l’enseignement supérieur effectuant un stage de plus d’un mois dans l’entreprise, contre huit semaines actuellement.
Si le collectif Génération précaire se réjouit d’ores et déjà « des avancées obtenues », les réactions sur la toile restent mitigées et beaucoup craignent un revers de la médaille. Et si ces mesures ne venaient finalement que diminuer le nombre de stagiaires et, de facto, augmenter la difficulté qu’auront les étudiants à trouver un stage ? Et si, de cette réelle intention d’amélioration, ne résultait qu’un amassement de laissés-pour-compte, composé principalement d’étudiants bac +1/+2 à la recherche d’un stage d’un ou deux mois dans une petite entreprise ?

 
 Ces quelques prises de paroles sauvages au beau milieu de notre Galaxie Internet ne devraient cependant pas changer le cours des choses, et ces amendements seront bien étudiés par la Commission Mixte Paritaire les 14 et 27 mai. Ils devraient ensuite être validés puis adoptés.
Heureux qui, comme le stagiaire chez Facebook, fait des envieux
Mais j’en conviens, opérer une quelconque généralisation n’est jamais bon. Optons donc pour la nuance. Car si la France compte plus d’1,6 million de stagiaires dont la plupart doivent pour l’instant se contenter des minces mais précieux 436,05 euros, certaines multinationales, elles, n’hésitent pas à offrir aux étudiants des sommes plus que conséquentes. Outre-Atlantique par exemple, les stagiaires de la firme de Mark Zuckerberg gagnent en moyenne 5 622 dollars par mois, soit 4 274 euros. Néanmoins, gardez pour vous vos soudaines envies de poke, il ne s’agit là que de très rares exceptions.
Heureux donc qui, comme le stagiaire, est épicurien.
Céline Male
Sources :
Leparisien.fr
Challenges.fr
Latribune.fr

Eddy Bellegueule
Culture

En finir avec Eddy Bellegueule : petit aperçu d’une littérature polémique

 
Tel est le titre du premier roman d’Edouard Louis, paru aux Editions du Seuil en février 2014.
Qui est Eddy Bellegueule ? Comment en finir ?
Âgé de 21 ans lorsqu’il fait paraître ce premier titre, Edouard Louis, étudiant à l’Ecole Normale Supérieure, ne pense guère au succès. Ce dernier, victime de nombreuses injustices, ainsi qu’il le décrit dans son roman, ne semble d’abord écrire que pour figer et enterrer définitivement la vie qui l’a précédé. Et le titre, à cet égard, apparait révélateur. Qui est, originellement, cet Eddy Bellegueule, sinon Edouard Louis lui-même ? L’infinitif du verbe « finir » n’est pas sans dévoiler la finalité de l’ouvrage, à savoir confiner au passé l’identité d’Eddy Bellegueule. Car Eddy Bellegueule n’est plus. A présent, il est Edouard Louis. En témoigne l’épigraphe de l’ouvrage, tiré d’un roman de Marguerite Duras, Lol V Stein : « Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas ». Le jeune écrivain peut alors s’exprimer ainsi : « Eddy Bellegueule, c’était moi. Je l’ai tué. » Le roman en ce sens a une visée performative bien que nous ne soyons plus tout à fait dans le « quand dire c’est faire » de Austin, mais dans le « quand écrire c’est faire ». En effet, ici, écrire c’est faire mourir. Ecrire, c’est tuer.
La question qui se pose alors est la suivante : si Edouard Louis enterre, par l’écriture, son passé, quelle en est la raison ? Quelle est cette injustice subie ?
Tensions
Certes, le sujet de l’ouvrage peut sembler polémique (récit d’une enfance malheureuse, d’une sexualité reniée et moquée avant d’être affirmée). Néanmoins, c’est plus la réception de l’ouvrage qui semble problématique. Et précisément, la réception du livre par la famille de l’écrivain. Le jeune Edouard Louis, bien qu’il n’ait plus de lien fort avec les membres de sa famille, ne fut pas sans susciter l’indignation et la tristesse de ses proches, et notamment celle de son petit frère : « Je n’ai pas pu lire jusqu’au bout », raconte Andy. « Mon frère, c’était mon héros, mon exemple, je ne comprends pas pourquoi il nous a fait ça. » A cet égard, deux faits semblent pour le moins importants : d’une part, la correspondance entre la famille Bellegueule et le courrier Picard, qui n’est pas sans exposer la colère et le désarroi de la famille face à un ouvrage jugé « mensonger » ; d’autre part la venue de Madame Bellegueule à Paris, lors de la dédicace de l’ouvrage par Edouard Louis à la Fnac Montparnasse. Voyant sa mère se dresser dans l’assistance, le jeune homme prend peur. Après avoir quitté la salle, l’écrivain accepte finalement de rencontrer sa mère en privé. Sans surprise, sa mère l’accuse d’avoir ridiculisé sa famille et refuse d’accepter l’idée que cet ouvrage soit un roman, le percevant davantage comme un témoignage mensonger.
Entre roman et témoignage : une communication polémique
Si l’ouvrage n’est pas sans susciter la colère familiale, c’est bien parce qu’il se situe à la charnière entre le roman et le témoignage. L’individu écrivain communique en tant que sujet mais également en tant que représentant d’une enfance difficile. Dès lors que l’on perçoit le texte comme un témoignage, l’on peut penser qu’Edouard Louis révèle les travers de son existence personnelle, les travers d’un individu en tant que sujet distinct des autres individus. A contrario, dès lors que l’on considère le texte comme un roman, l’on peut affirmer qu’Edouard Louis communique sur l’universel par le biais du particulier. En effet, son histoire personnelle ne peut que contribuer à la dénonciation d’injustices plus générales. Ici, le genre littéraire qu’est le roman devient un outil de communication presque public. Il sert à mettre au jour une réalité partagée par de nombreux individus. Cette dichotomie, entre roman et témoignage, conduit à poser une question : à quoi sert ici l’écriture ? Est-elle un moyen de communiquer, puis par là-même de dévoiler et, plus encore, d’alerter ? Est-elle un outil de performativité, agissant sur l’individu lui-même, enterrant une identité pour en façonner une autre, tuant Eddy Bellegueule pour faire naître Edouard Louis ?
Autant de questions qui peuvent trouver réponse grâce à la lecture de ce roman, En finir avec Eddy Bellegueule.
 
Juliette Courtillé
Sources :
Courrier-picard.fr
Bibliobs.Nouvelobs.com
www.seuil.com/livre-9782021117707.html
LePoint.fr
Crédit photo :
« En finir avec Eddy Bellegueule », aux éditions du Seuil. © John Foley/Éditions du Seuil / Montage Le Point.fr

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Qui veut épouser ma banque ?

 
« Ca y est, aujourd’hui ils l’ont fait. Elle aussi l’a fait, ce matin. Eux, viennent de le faire. Elle, elle l’a fait hier soir, avec lui. Eux vont le faire, mais là tout de suite euh… Lui l’a fait tout seul, comme un grand. Eux aussi l’ont fait, à l’instant. » Mais quoi ? Qu’ont-ils fait ? Si chacun a une petite idée, beaucoup en rougissent déjà. Et pourtant, honnis soit qui mal y pense.
En effet, déjà en 2011, ce qui émoustillait ces jeunes – et moins jeunes – gens, euphoriques sur des affiches gris-orangées, n’était autre que le passage à la banque en ligne. Grâce à cette campagne pour le moins surprenante, la banque en ligne ING direct s’était alors offert un joli coup de publicité, porté par un effet de buzz savamment orchestré. Très bien, et alors ? Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts me direz-vous.
Oui mais voilà, le numéro un de la banque en ligne a choisi de récidiver, jouant une fois encore la carte de l’ambiguïté entre relation d’un client à sa banque et relation amoureuse. C’est ainsi que depuis quelques semaines on découvre une nouvelle campagne de publicité dont le titre explicite a le mérite d’annoncer la couleur : « Vivez une belle histoire avec votre banque ». La caméra suit alors un élégant jeune homme, attirant, image type du cadre trentenaire prêt à s’engager sans pour autant renoncer aux charmes d’un bel amour. Sur le ton de la confidence, tout en scrutant le spectateur de son regard charmeur, il nous explique : « on a tous nos petits secrets, je sais, mais elle… Elle en avait un petit peu trop pour moi. C’est pour ça que je l’ai quittée. Et depuis j’ai fini par trouver celle qu’il me fallait. Et elle ne me cache rien. » Alléluia, l’histoire semble bien se terminer.
Etrangement, ce discours nous rappelle quelque chose… Et pour cause. La ligne directrice ressemble sans conteste à celle adoptée par la banque concurrente Fortuneo. Pas si étonnant lorsque l’on sait que ces deux campagnes ont été pensées par la même agence DDB. « J’aime quand c’est simple. J’aime quand c’est moi qui décide. Et surtout, j’aime quand c’est offert par la maison. » « J’aime quand ça va vite. J’aime éviter les risques. Et surtout, j’aime gagner. » « J’aime ma banque ». Toutes ces belles paroles sont accompagnées par des images pour le moins claires, montrant par exemple un couple se rendant au restaurant pour un dîner aux chandelles. Mais ce n’est pas tout. Dans leur construction, les spots publicitaires d’ING direct et de Fortuneo se rapprochent fortement des stratégies de communication déployées par des sites de rencontre tels que Meetic pour ne citer que lui. On se souvient de Johann (« 30 ans, inscrit sur meetic ») qui, comme notre cher trentenaire d’ING direct, se confiait en 2013 à la caméra : « Finalement je ne rencontrais plus grand monde autour de moi, j’avais mon petit train-train métro-boulot-dodo… » Et cætera et cætera. D’ailleurs, ING direct pousse le vice plus loin et file la métaphore de la relation amoureuse sur Internet. En témoigne le site nouvellerelation.fr (page lancée par ING direct pour promouvoir ses nouveaux produits) qui clame : « vous n’imaginez pas vivre de belles histoires en ligne ? » Comment dès lors ne pas faire une nouvelle fois le parallèle avec les publicités Meetic qui annoncent d’emblée « 1 nouvelle histoire sur 3 commence sur Internet » ?
Mais alors pourquoi ? Quel intérêt les banques trouvent-elles à se travestir en site de rencontre ? L’agence de communication DDB prétend : « La confiance, la simplicité et la transparence sont des ciments à la fois rares et indispensables pour ces deux types de relation, c’est pourquoi nous avons décidé de faire de ce parallèle le fil conducteur de notre campagne ». Certes, de ce point de vue le lien semble évident. Dans un communiqué de presse, ING direct affirme quant à elle utiliser « un ton volontairement audacieux et décalé ». L’on sait en effet combien l’effet de surprise est appréciable dans toute stratégie de communication. Cette mise en scène inattendue d’une relation amoureuse entre un client et sa banque permettrait donc de dynamiser et dépoussiérer l’image du monde de la banque, souvent considéré comme trop stricte, rigide, ennuyeux et ainsi d’attirer et de séduire une cible plus jeune.
Mais après ING direct et Fortuneo, combien de banques encore auront cette idée lumineuse ? Car à y regarder de plus près, l’on se rend compte que les doubles sens, si ce n’est l’humour sexuel, ne sont pas nouveaux dans le monde de la publicité. Si même les égéries de Liligo, site comparateur de prix pour les voyages aériens, sont « capable[s] de [s]’envoyer en l’air en quelques secondes » ou ont « trouvé le moyen le plus économique pour [s]’envoyer en l’air », on peut craindre que ces effets de buzz ne deviennent, paradoxalement, communs.
 
Margaux Putavy
Sources
Nouvellerelation
Cbanque
Ilétaitunepub

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Un faux porno en peer to peer : un (Bit)torrent de succès pour Diesel!

 
Difficile d’imaginer comment une marque telle que Diesel, dont les campagnes de publicité sont le plus souvent provocantes et irrévérencieuses, pourrait s’exporter en Chine, où la censure demeure l’une des plus restrictives au monde. Et pourtant, la marque italienne a réussi à contourner la censure en se livrant à un exercice inédit : proposer au téléchargement la campagne Erotica Spring Summer 2014 sur…. BitTorrent.
La marque, célèbre pour ses jeans et ses campagnes scandaleuses, a fait appel à l’agence Fred & Farid pour mettre en place cette opération qui frôle l’illégalité. L’agence a décidé d’esquiver la réglementation chinoise, très stricte en ce qui concerne la pornographie, en utilisant comme plateforme de lancement de sa campagne le logiciel de téléchargement peer to peer Bitorrent, mine d’or des films pornographiques. Et puisque les italiens sont ceux qui passent le plus de temps sur Youporn, c’était l’occasion de passer de l’autre côté de la caméra. La vidéo, au nom plus que suggestif apparaît à première vue comme un film porno italien. De quoi déchaîner les téléchargements des chinois en quête de sensations exotiques et maximiser l’exposition de cette campagne ultra-sexy au pays du soleil levant.

La vidéo met en scène la rappeuse Brooke Candy, qui s’avère être une ancienne danseuse érotique, ainsi que le mannequin Tessa Kuragi. Les deux beautés torrides jouent de leur charme autour d’une barre de pole dance, arborant des sous vêtements sexys, qui font référence au vestiaire bondage ou sado-masochiste. L’esthétique noir et blanche ainsi que la lumière rasante et tamisée, créent une atmosphère en clair-obscur de club de strip-tease lynchien. Et pourtant, la vidéo n’est en rien un film pornographique, un clip erotico-fashion tout au plus. Alors comment expliquer cet engouement qui a entraîné 60 000 téléchargements, 5000 reposts et 2000 commentaires ?

Si Diesel n’a pas eu besoin de montrer des scènes de sexe crues et explicites pour attirer l’attention de l’internaute chinois, c’est car la marque s’est appuyée sur la solide réputation et la culture liée au format. Il a suffit à l’agence Fred & Farid de frapper au bon endroit pour déclencher la viralité de la campagne. Excitant et illégal, télécharger sur BitTorrent est, pour un chinois, un moyen de vivre malgré la censure,et tout simplement, un moyen d’avoir accès à une bibliothèque idyllique de sexe en tout genre. Alors même si l’ingrédient « sexe » n’est pas réellement explicite dans Erotica, la plateforme BitTorrent a parlé d’elle même aux internautes qui ont fait le reste du cheminement mental!
Mais cette campagne revêt une dimension plus profonde qu’un simple coup de pub. Elle s’inscrit involontairement dans une dynamique de lutte contre la censure de la pornographie chinoise. De fait, en Chine, la pornographie est tout simplement interdite. Face à cela, on voit émerger le porno « made in China », une culture alternative du sexe en ligne, entre description des activités sexuelles de chacun et vidéos pornographiques amatrices. C’est ce sur quoi les recherches du professeur Katrien Jacobs, ont porté dans son livre « Pornographie du peuple : sexe et surveillance sur l’Internet chinois ». Et oui, le cyberactivisme pour défendre les droits de l’homme, ça peut aussi passer par le porno!
Ce qui est certain, c’est que Diesel a réussi un tour de force avec cette campagne de publicité. Habituée de puis toujours à jouer la carte de la provocation à travers des campagnes toujours plus choquantes les unes que les autres, la marque avait déjà , par le passé, eut affaire au registre de la pornographie. On se souvient entre autre de cette vidéo parodique (extralink :)qui croisait avec humour film porno vintage et dessin animé.
Si ces opérations ne sont pas au goût de tous, elles ont le pouvoir d’attirer les regards et de faire le buzz. C’est pourquoi, malgré les critiques et le accusations, Diesel, depuis 1991, ne cesse de nous provoquer en diffusant l’image d’une femme facile, stupide… mais sexy. Hier, la marque revendiquait la stupidité avec sa campagne « Be stupid », aujourd’hui elle utilise un logiciel illégal pour diffuser du faux porno, jusqu’où sera-t-elle prête à aller ?
Hélène Carrera
Sources
Rue89
LADN
Darkplanneur

digital detox
Société

Jacques a dit : A la recherche de l'intimité digitale perdue

 
On nous annonçait il y a quelques jours que Snapchat s’était fait pincer : bye-bye les photos éphémères, et bonjour l’archivage massif.
Pourtant, malgré les failles de sécurité et de confidentialité qui se succèdent, le nombre de réseaux sociaux et d’applications perso continuent leur ascension. Pour longtemps ? Car les bugs répétés ont effectivement eu vocation à éveiller chez l’utilisateur l’aspiration à une expérience différente. Une tendance qui s’est illustrée lors de la publication par Influencia de l’Observatoire des tendances 2014 d’M6 : d’un côté l’homme bionique, porté par l’arrivée des Google Glass, les avancées M2M, mais également les séries d’anticipation comme Black Mirror et Real Humans ; le tout confronté à une envie significative de déconnexion, de « retour à la patience », à l’état « undigitalised ». Un véritable grand écart, en somme, lequel s’observe à travers différents phénomènes.
Pour partager mieux, partageons cachés
Lequel n’a d’entre nous n’a jamais songé à disparaitre définitivement de la surface des réseaux sociaux (de la surface seulement, inutile de se fourvoyer sur un complet nettoyage de nos données sur le web). Une tendance qui ne date pas d’hier, puisque dès 2013, l’application Social Roulette nous enjoignait à mettre en jeu la vie de notre compte Facebook, et par là-même d’une partie de notre identité virtuelle : une réaction hypodermique à la place qu’avait pris la communauté Zuckerberg dans nos vies. Mais qui peut se targuer d’en avoir réellement été sevré ? Au contraire, chaque réseau additionnel s’est évertué à devenir indispensable. Twitter, LinkedIn, Instagram, Pinterest, Foursquare… et même Google+ ; une horde de réseaux à l’émergence rapide, lesquels ont fini par s’agglomérer dans l’éventail d’applications du smartphone de l’utilisateur. Une dépendance chronophage, néfaste pour certains, et qui pousse le marché à trouver des alternatives digitales.
Adieu présentations de profil, expérience, groupes d’amis… L’anonymat, nouvelle promesse des applications dites « anti-Facebook », antres de la parole libérée et des données – prétendument – dissimulées. Whisper et Secret, pour n’en citer deux, font partie de cette liste. Pas grand-chose de plus que des photos et des phrases cinglantes, brèves, drôles, pour confesser ses petites zones d’ombre, secrets honteux, ou amuser la galerie. Le partage et le like demeurent, mais l’utilisateur ne saura (jamais ?) qui a professé ces dires. Une solution qui semble avoir trouvé son public aux Etats-Unis. « A place where you can be yourself » comme se présente l’application Whisper, lancée en France fin avril, et qui se targue déjà d’afficher dans son pays natal un nombre de publications mirobolant.
Veuillez patienter, déconnexion en cours…
Une montre qui mesure votre pouls, des colliers qui déterminent l’état de santé des animaux qui les portent, des caisses de vins connectés pour garantir leur conservation… Il faut l’avouer, la technologie et les objets connectés ont du bon. Pour certains en revanche, le burn-out est proche. Comment alors réussir à retrouver la valeur du temps, le plaisir d’une minute hors de l’exaspérante vitesse de notre environnement ? On connaissait les voyages proposant un break digital, les cures de « désintoxication » au numérique. Aujourd’hui ce sont les marques que l’on retrouve à l’origine de ces initiatives, l’exemple en est de KitKat, qui a instauré à Amsterdam le temps d’une campagne en 2013 des « Free No-Wifi Zones », grâce à l’utilisation de brouilleurs, permettant ainsi aux passants de profiter d’une pause déconnectée, loin de l’agitation de leurs appareils électroniques.
Un engouement qui séduit son public, comme le montre la vidéo « Look Up », publiée récemment sur Youtube par un anglais, Gary Turk, véritable critique contemporaine d’un monde où l’homme est trop obnubilé par son téléphone pour saisir l’essence de sa vie, et qui comptabilise aujourd’hui près de 39 millions de vues.

Les pulsions antagonistes donc, d’un monde à l’évolution étourdissante, où l’on s’imagine déjà vivre l’expérience d’un épisode de la série britannique Black Mirror (diffusée actuellement sur France 4), en recréant l’humanoïde d’un proche disparu, grâce à son utilisation des réseaux sociaux alors qu’il était encore en vie. Une perspective fascinante autant qu’effrayante, dans une réalité qu’il nous est désormais possible de toucher du doigt.
 
Eléonore Péan
Sources :
Influencia.net.net
LeMonde.fr
Digitalbuzzblog.com
Crédits photos :
SoWhatFace.com
HerCampus.com
DesignTaxi.com

Société

La guerre des réseaux sociaux, ou l'éveil de Snapchat

 
Depuis une semaine, les utilisateurs de la célèbre petite application ont pu constater une nouvelle évolution dans le fonctionnement de cette dernière: en effet, il est désormais possible de parler à ses contacts Snapchat par un système de messagerie instantanée, mais aussi de les voir avec un outil de discussion vidéo en temps réel. Un pas de géant pour Snapchat, qui, jusque là, ne servait “qu’à” envoyer des photos plus ou moins intéressantes à ses amis.
Car Snapchat, au départ, c’est l’application sans prétention, qui se veut amusante et qui rentre parfaitement dans la culture de l’image que nous avons aujourd’hui: elle cumule à la fois l’attrait contemporain pour le cliché (au sens propre comme figuré: avec des applications comme Instagram, on s’est rendus compte d’abord de l’importance grandissante de la photo dans notre société, qui voit foisonner de nombreux “artistes” en herbe, armés de smartphones et de quelques filtres un peu rétro, mais aussi, et par là même, de stéréotypes et de catégorisations liés à l’image, avec des hashtags spécifiques qui rangent les photos dans des cases pré-définies et qui conditionnent le photographe) et l’éphémère. Le fait que ces photos “fantômes” disparaissent au bout de quelques secondes peut être rassurant et pousse à envoyer toutes sortes de situations mises en images plus ou moins drôles par l’application (mais gare au “Screenshot”).
En soi, Snapchat n’était donc jusqu’à présent qu’une application ludique et assez unique en son genre, qui ne faisait de l’ombre à personne. Forte de son succès, elle faisait son petit bonhomme de chemin toute seule, sans jamais vraiment menacer ses congénères. La seule exception fut peut-être l’apparition de filtres photo qui n’étaient pas sans rappeler Instagram, mais rien de bien méchant.
Et voilà que Snapchat se jette à l’eau. Après un snap vidéo envoyé par la Team Snapchat à tous ses utilisateurs en guide de teasing, où les Snapchatteurs ont pu découvrir une conversation par messagerie instantanée avec vidéo entre deux personnes, Snapchat a rendu disponible une mise à jour qui, on s’en doute, va révolutionner l’utilisation de l’application.
Car avant, Snapchat, c’était simplement raconter en images ce qu’on faisait, une excuse marrante pour prendre des selfies, une décomplexion de l’outil photographique tant utilisé mais aussi beaucoup critiqué à l’heure actuelle. On comptait sur le caractère évanescent des photos, sur la petite mention “screenshot” pour se dire que de toute manière on saurait si on avait été immortalisé.
Maintenant, avec l’apparition de cette nouvelle mise à jour, Snapchat ne sert plus uniquement à ça, mais aussi à communiquer par vidéo et par messagerie instantanée, ce qui représente un changement considérable.
Avant, le seul semblant de “discussion” mis à disposition par l’application se limitait aux 45 caractères que l’on pouvait insérer sur une image. A présent les utilisateurs peuvent réellement chatter, avec toujours cette logique de l’éphémère (les messages disparaissent si l’on n’appuie pas dessus pour les sauvegarder). Autre changement: Snapchat met une nouvelle limite à son culte de l’éphémère en rendant maintenant possible le fait de pouvoir utiliser les photos déjà présentes dans la bibliothèque photo de l’utilisateur: une option qui vient nuancer le côté “instantané” des photos échangées par le biais de l’application.
La communication par vidéo, également, est une avancée importante: si avant, l’application permettait d’envoyer des petits clips vidéo de 9 secondes maximum (un peu sur le modèle des Vines), il est désormais possible d’avoir une vraie conversation en images, comme sur Skype ou FaceTime (à la différence près qu’il faut garder le pouce maintenu sur l’écran, ce qui peut être contraignant).
Alors, comment cette avancée est-elle justifiée par l’entreprise? « Jusqu’à présent, nous avons estimé qu’il manquait à Snapchat une partie essentielle de la conversation : la présence. Il n’y a rien de mieux que de savoir que vous avez toute l’attention de votre ami lorsque vous chatez” ont posté des représentants de l’application sur un blog.
Ce qui est intéressant cependant face à ce changement, c’est qu’il survient quelques jours à peine après une importante mise à jour de Facebook[1], qui impose à ses utilisateurs de passer par l’application Messenger pour envoyer des messages privés sur la version mobile. Ladite application a à son tout tenté d’innover en mettant à disposition une « selfie cam », permettant de prendre rapidement un autoportrait et de l’envoyer directement.
Snapchat s’inscrit donc dans la lignée de Facebook en développant à son tour ses fonctionnalités. L’avenir nous dira quel sera le prochain coup dans cette guerre des réseaux sociaux, menée par l’image.
 
 Camille Gross
Sources
LePoint
LeMonde
 

 

[1] http://tempsreel.nouvelobs.com/vu-sur-le-web/20140429.OBS5539/pourquoi-facebook-vous-demande-d-installer-messenger.html

L'ennui
Société

La bataille contre l'ennui continue …

 
Notre capacité d’attention est actuellement estimée à huit secondes. Or, si notre capacité d’attention diminue, cela signifie en creux que nous nous ennuyons plus rapidement. Si au bout de huit secondes, l’orateur ne nous a pas séduits, sa présentation est fichue. Chacun commence à scruter son iPhone avec envie, vérifie ses mails voire joue à Candy crush. Mais ces activités complémentaires ne nous satisfont pas vraiment non plus. Souvent un malaise s’installe ; préférant être ailleurs qu’ici, bien que si nous fussions ailleurs nous nous désintéresserions aussi vite de ce qu’on nous y proposerait. Partout nous emportons l’ennui, il nous colle à la peau.
L’ennui apparaît ainsi comme le mal du siècle, alors qu’on ne cesse d’en repousser les limites grâce aux nouvelles technologies. L’espace est désormais saturé d’objets qui sollicitent notre attention et nous incitent à ne jamais « décrocher ». Pourtant, face à une offre de divertissement pléthorique, notre spleen ne tarit pas. Le manque suscite l’envie ; l’abondance le dégoût.
Néanmoins, la perversion est poussée jusqu’au vice lorsque l’on constate que la majorité de nos divertissements actuels ont l’ennui pour fondement, ou du moins sa représentation. Succès de librairies, films cultes ou chansons en vogue, l’ennui fait vendre. Moins que zéro d’Easton Bret Ellis fait état de la décadence d’une génération qui n’a plus goût à rien. Cette même génération est dépeinte de façon récurrente par Sofia Coppola à travers des personnages tels que Marie-Antoinette, Charlotte (Lost in translation), les sœurs Lisbon (Virgin suicides) ou une bande d’adolescents de L.A (The bling ring). Enfin, les paroles des Nuits fauves, d’infirmière ou de Zoé du groupe parisien Fauve remplissent les salles.  L’ennui enchante.
L’essayiste Georges Lewi diagnostique, lui, une extension du bovarysme à l’échelle sociétale. Bercée par l’illusion que tout peut arriver, la « génération Bovary » a réussi à tuer le monstre de l’ennui. Nous vivons de plus en plus en réseaux. Nous ne détachons plus les yeux de notre smartphone comme si notre vie dépendait des messages reçus en « non-stop». Qu’attendons-nous, sinon la surprise de l’instant ? Les messages reçus sont clairement une parade à l’ennui, un moyen de faire l’autruche pour éviter de se confronter aux questions métaphysiques qui torturaient Pascal. Au lieu de prendre conscience de la finitude et de l’absurdité de la condition humaine, nous préférons vivre dans l’illusion de la simplicité. Un monde illusoire dans lequel nous avons beaucoup d’amis et vivons en transparence ! Le bovarysme serait devenu l’un de nos principes de vie ; pour le meilleur comme pour le pire.
Chacun de nous pourrait donc reprendre à son compte ces phrases de Flaubert : « Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement… Elle ne savait pas quel serait ce hasard… Mais, chaque matin, à son réveil, elle l’espérait pour la journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s’étonnait qu’il ne vînt pas… ».
Un autre paradoxe nous apparaît au cours de cette réflexion. Comme le résume le groupe hollandais Mozes and the Firstborn, la confusion et l’ennui règnent alors même que tout devient divertissement. En effet, l’heure est aux badinages ; dans les médias, au bureau ou en famille. Le petit journal, c’est Canteloup, les tweets, ou encore l’exécrable humour de la presse féminine en sont le reflet. La parade contre l’ennui devient le rire, mais sous sa forme la plus standardisée, la plus automatique, la plus fausse. Faire des jeux d’esprit, sortir la bonne vanne… telles sont désormais la croix et la bannière de tout orateur s’il souhaite être entendu, ce qui irrite au plus haut point le philosophe Finkielkraut (Un cœur intelligent).  Certains médias parlent ainsi d’une « dictature du rire ». La norme est non seulement à l’hyperactivité tant réelle que virtuelle mais aussi aux bonnes blagues. Elles sont deux conditions sine qua non de la reconnaissance sociale de nos jours.
Toutefois, tel Finkielkraut, je reste persuadée que le divertissement est vain quand il n’a pas son contrepoids l’ennui.  La machine tourne à vide et ne conduit qu’à l’affadissement de la vie dans son entier. Alors ennuyez-vous !

 
Miléna Sintic