boutique éphémère adopte un mec
Culture

La dure vie du romantisme français

 
« A l’âge où apparaît souvent le (la) prince(sse) charmant(e), l’important est-il encore de se marier et d’avoir beaucoup d’enfants ? », telle est la question que s’est posée France 2, il y a environ un mois, dans son enquête sur la « Génération Fleur-bleue » des 18-34 ans. Ainsi 52% des jeunes interrogés déclarent que les relations amoureuses sont « importantes ». Ceci démontre que l’imaginaire des relations amoureuses, ou dit autrement, de « l’amour », perdure. Et il serait même l’un des fondements du couple, puisque, toujours selon ces mêmes interrogés, la notion d’Amour serait au centre de la relation conjugale.
Cependant, ces déclarations se réfèrent bien plus à une nouvelle définition de la notion de couple qu’aux structures conjugales traditionnelles. Le couple d’aujourd’hui se fonde en effet davantage sur une promesse mutuelle qu’un contrat officiel tel que le mariage. Et c’est sur cette image du couple « sans contrainte » que semblent jouer les sites de rencontre pour célibataires avec leurs promesses de trouver l’homme ou la femme idéal(e). Pour preuve l’utilisation par Meetic, la référence à l’échelle européenne, de témoignages et expériences amoureuses réussies de ses (anciens) membres pour parfaire son identité. Cette image exclusivement positive et surtout libre du couple, portée notamment par ce type de site, s’inscrit dans les représentations individuelles et semble alimenter une vision du couple modernisée mais toujours rattachée à un fort romantisme et au Saint Graal social qu’est l’Amour.
Qu’en est-il alors de cette tendance paradoxale à l’infidélité ? Que signifie cette fleuraison sur les réseaux mondiaux de ces sites de rencontre extra-conjugale, structurant l’infidélité et encensant l’adultère ? Le précurseur, Ashley Madison, et son arrivée en fanfare en France il y a environ un an (on se souvient des publicités reprenant les quatre derniers Présidents de la République marqués d’un baiser de rouge à lèvre), le français Gleeden, fondée en 2009, qui se veut plus féminin et plus glamour, et les petits derniers, comme EntreInfidèles depuis 2012, fondent ainsi leurs profits sur ce « pêché » de manière assumée et libérée de toute accusation morale. « Fonder une relation sur un mensonge, on va vers l’échec, déclare le site français. Sur Gleeden on ne se ment pas, la transparence est de mise, l’hypocrisie n’a pas lieu d’être. La couleur est affichée dès le départ. ». Certes, Internet et les réseaux sociaux possèdent un pouvoir décomplexant et ont un « effet désinhibant » selon le docteur en psychologie Yann Leroux, mais ce que certains réduisent à un simple outil de marketing surpuissant se base en réalité sur de solides statistiques : parmi les inscrits sur Meetic, plus de 30% seraient en couple et donc à la recherche de simples aventures plutôt que de l’amour de leur vie (déjà prétendument trouvé).
Comment notre imaginaire romantique de la relation amoureuse peut-il alors se constituer parallèlement à cette vision moderne des relations interindividuelles ? Relations qui apparaissent par ailleurs de plus en plus pragmatiques : venus d’outre atlantique, des sites de « rencontre pour hommes riches et femme cherchant à se faire dorloter » voient aujourd’hui le jour comme SugarDaddy depuis 2011 ou SeekingArrangement, lancé en 2005 aux Etats-Unis, qui arbore la place de site numéro un dans le monde « pour les relations mutuellement avantageuses entre les hommes généreux et les Sugar Babies ». Le principe est simple : l’inscription y est la même que pour les sites de rencontre « classiques », sauf que Monsieur se doit de renseigner l’état de son compte en banque. Comme le soulignait l’hebdomadaire gratuit Stylist, dans son numéro du 3 Octobre, les « michetonneuses » sont « ces femmes intéressées et fières de l’être, disposées à accorder leurs faveurs à des hommes aux portefeuilles bien remplis. » Il s’agit alors de « se laisser gâter comme une princesse ». De l’autre côté, c’est la motivation, un fois encore, de l’absence de faux-semblants et d’hypocrisie qui semble pousser ces hommes riches, mais pas nécessairement sexy, avouons-le, à s’inscrire. La polémique est néanmoins évidente : bien qu’exigeant des abonnés « qu’ils expliquent sans détour ce qu’ils cherchent et ce qu’ils offrent », ces sites apparaissent très borderline, la frontière entre « arrangement » et prostitution étant mince, ou du moins fragile. Certes, la promesse sexuelle (évidente) n’apparaît nulle part de manière explicite, ce qui différencie d’ailleurs ces sites de ceux d’Escort Girl, et la contrepartie ne prend a priori que la forme de cadeaux divers et luxurieux.
Cependant, malgré l’absence de toute obligation et engagement d’ordre sexuel, il apparaît difficile, passé un certain stade de « relation » et de « cadeaux », de ne pas rencontrer ce genre de demande, et surtout délicat de ne pas y répondre, étant donné l’engrenage du « toujours plus » et le cercle vicieux que peut constituer cet échange de « bons procédés ». Dans une version plus crue et moins subtile, ce pragmatisme se retrouve au niveau de sites de rencontre aux allures de « supermarchés », où l’objectif des inscrits y est, si toujours pas textuellement explicité, connu et très clair. Et la version réelle a ainsi abouti, il y a un an à Paris, à la boutique physique, mais éphémère, du site AdopteUnMec, où des hommes posaient dans des boîtes transparentes tels des Ken dans leur emballage plastique.

En somme, l’individu lambda doit aujourd’hui construire sa propre représentation du couple au milieu d’injonctions et de tendances paradoxales coexistantes. Perdure d’un côté l’image mythique et romantique du couple fondé sur l’Amour, sentiment presque « indémodable », et ce tout en suivant les évolutions sociales qui tendent clairement à un affaiblissement des structures traditionnelles de la relation, avec un mariage moins automatique, à l’inverse du divorce. Mais parallèlement, cette destructuration du couple et de ses valeurs d’antan aboutit à un total renversement et semble prendre le contre-pied du couple de nos grands-parents, voire de nos parents. Face à une institutionnalisation du libertinage, à la limite parfois de la prostitution, sommes-nous en mesure de répondre à cette question qui nous brûle les lèvres : pourquoi ce choix ? Revendications libertines, féminisme exacerbé, véritable nécessité économique, rejet du modèle dominant, déception amoureuse ou encore désillusion romantique… La liste est longue et la réponse complexe.
 
Eugénie Mentré
Sources :
Stylist de la semaine du 3 au 10 Octobre 2013
Cosmopolitan.fr
Huffingtonpost.fr
Lemonde.fr
Francetv.fr
Rfi.fr

Culture

Burlesquoni

ou le jeu de mots subtil entre « stripteaseuse » et « performeuse burlesque »
 
Aujourd’hui, laissons la place à Marta Brodzinska, spécialiste du Burlesque, qui nous éclaire sur l’enjeu des différentes représentations médiatiques et sociales de ce mouvement artistique, dont on a pas fini d’entendre parler.
Avril 2012, Milan, Italie : Silvio Berlusconi est inculpé pour avoir payé une jeune femme mineure pour des services sexuels et abusé du pouvoir de sa fonction en exigeant de la police de la libérer, après avoir été accusée de vol. Durant le procès, l’opinion publique découvre que l’ex premier ministre organisait des soirées privées dans une de ses résidences, impliquant la présence de nombreuses stripteaseuses et possiblement de prostituées déguisées notamment en bonnes sœurs, ou encore portant des masques représentant des joueurs de football célèbres. Les médias appellent l’affaire « Bunga Bunga » et le scandale provoque l’indignation et le dégoût de l’opinion publique. Mais l’hédoniste numéro un de l’époque rejette toutes les accusations. Quand on l’interroge sur la présence de jeunes femmes déguisées lors de ses soirées privées, il admet qu’il organisait simplement des « jeux de burlesque ». Pourquoi a-t-il choisi cet argument parmi un tas d’autres pour défendre sa cause, comme s’il espérait qu’une représentation d’une forme d’érotisme légitime était socialement partagée et pouvait par extension lui « sauver la face » ? Et s’il avait raison, si celle-ci existait réellement, pourquoi la société considérerait-elle le « striptease pur » comme quelque chose de « bas », donc illicite, quelque chose que l’on cache des autres, et placer le burlesque de l’autre côté, comme quelque chose de « haut », permis, voir digne de montrer aux autres, et conforme à une norme, qui vaut le coup d’être définie. Enfin, comment une « effeuilleuse burlesque » se différencie-t-elle d’une stripteaseuse ?
Depuis le début des années 1990, on peut observer un retour phénoménal d’un ancien genre du show-business américain, adapté par l’Europe et très vite par les autres parties du monde, appelé burlesque. Après avoir défini un genre littéraire et cinématographique, le mot « burlesque » appartient désormais à une forme de spectacle qui naît à la fin du XIXème siècle et qui connaît un fort succès jusqu’aux années 1950. Aujourd’hui, le « nouveau burlesque » a su reprendre les codes de l’ « ancien » représentant une danse légère, sensuelle et glamour ou la danseuse finit par enlever son costume pour dévoiler son corps. Mais pour donner sa forme moderne, le burlesque a du s’imprégner aussi des idéologies post féministes qui lui donnent une toute nouvelle allure. Ainsi se créent deux formes actuelles du burlesque – distinction contestable car suggérée par certains « performeurs » alors qu’elle est considérée comme infondée pour d’autres : le burlesque classique, reprenant tous les codes de la forme ancienne et le « new burlesque », parfois appelé aussi le « neo burlesque » qui est sa version déjantée et souvent comique, où les codes de la sexualité comme de la sensualité sont fréquemment détournés. Aujourd’hui le phénomène « burlesque » touche tous les pays occidentaux et est devenu une véritable mode. En France, chaque grande ville compte au moins une association chargée d’organiser des cours et des spectacles de burlesque. Son public grandit très vite, souvent proportionnellement à l’intérêt que les médias y portent, intérêt qui est très important depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, la plupart des métropoles occidentales comme New York, Toronto, Berlin et Paris, compte son festival international du burlesque. Jacki Willson explique le caractère et donne une définition à ce phénomène dans son livre The Happy Stripper (2010), où elle rappelle la naissance de la Jo King’s London School of Striptease, la première école de striptease en Europe, dédiée aux étudiantes âgées de 18 à 76 ans :
King (Jo) a fondé cette école parce qu’elle voulait que les femmes aient confiance en elles-mêmes et en leurs corps. Le phénomène du burlesque est connecté à cette mode du striptease et « pole/lap dance » par son affirmation de l’expression sexuelle des femmes. Mais contrairement au striptease pur, le burlesque a une pique. C’est un genre parodique et érotique fondé sur le second degré et le décalage. La  performeuse burlesque se retourne vers son public, elle sourit et à travers son sourire, elle interroge son audience, autant qu’elle interroge sa propre performance. Performance qui est comique, excentrique, coquine et provocatrice mélangée à une esthétique du vintage. Le burlesque c’est le « bas » envahissant le « haut ». Le burlesque intègre d’une manière provocante et insolite la culture de masse en  adoptant ses formes-le théâtre, le cabaret, le spectacle vivant, la comédie, le crique, la danse moderne, sans jamais en prendre l’une de ces formes trop au sérieux.
Si l’on revient aux accusations de Berlusconi, ses explications peuvent paraître spontanément ridicules, mais la construction de son argumentaire relève d’une tentative de légitimation plutôt réfléchie. Car si le burlesque n’est pas censé être pris trop au sérieux, les « jeux de burlesque » contrairement aux « orgies » imaginées par l’opinion publique ne devraient pas l’être non plus. Le Burlesque ne se donne pas à voir, ni l’est d’ailleurs par les médias,  comme le striptease « traditionnel », étiqueté comme un geste sexiste, immoral, voir impur. Le burlesque est en fait une forme d’art et se définit comme le prolongement des mouvements post féministes valorisants la femme et l’expression de sa sexualité. L’ex premier ministre italien peut donc librement considérer que rien n’est mal dans l’organisation des « jeux du burlesque », bien au contraire.  Il aurait pu organiser « La France a un incroyable talent » dans sa cave, la gravité des faits aurait été du même poids.
La comparaison avec un talent show n’est pas uniquement ironique. En réalité, la société italienne a brillamment intégré la mode de l’art du burlesque au sein de ses médias. L’Italie a été le premier pays du monde à créer une version burlesque des talent shows comme « The Voice », ou « American Idol » appellé « Lady Burlesque ». Il s’agit d’un programme ou un jury spécialement constitué pour l’occasion se déplace dans tout le pays pour trouver la meilleure performeuse de l’Italie. Silvio Berlusconi, si bien connu pour sa relation intime avec les médias aurait simplement su suivre la vogue, entre les murs de sa résidence privée. Mais comment le monde du burlesque lui-même réagit-il à cette confusion, cette frontière incertaine, entre le burlesque et le striptease ? Est-ce que les performeuses se décrivent toutes comme des « stripteaseuses heureuses » pour reprendre le terme utilisé par Willson ?
La réponse varie énormément selon quel performeur, quel média, ou encore quel public choisit-on d’interroger, mais surtout selon la culture du pays où ce nouvel-ancien genre de l’industrie du spectacle se développe depuis la « folie burlesque » que l’on peut identifier dès les années 2000. Jo Weldon, performeuse mondialement célèbre, directrice de la New York School of Burlesque et auteure du premier manuel du burlesque, affirme sans gène ces origines dans le striptease « traditionnel ». Jacki Willson de son côté assume fermement le terme « striptease burlesque ». Dita Von Tease, celle qui a sans doute le plus médiatisé le burlesque de nos jours à l’échelle mondiale, consacre une page de son livre Burlesque and the art of tease à toute une liste de synonymes plus adaptés que le mot « stripteaseuse », en même temps rappelant que Gypsy Rose Lee, l’icône du burlesque à l’ancienne a en fait préféré le mot « stripteaseuse ». Juliette Dragon, la directrice de l’Ecole des Filles de Joie, dit parfois à ses étudiantes, qu’elle ne devraient pas vouloir à tout prix fuir le mot « striptease », et montre par ses cours que leur striptease a elles est quelque chose de tout à fait digne et socialement désirable. Ce qui importe n’est pas le fait d’enlever ses vêtements ou pas, mais la manière dont on le fait et l’intention qu’on y donne. Ses propos, souvent rappelés durant les spectacles de l’école, donne à voir une approche post féministe du mouvement. Le nouveau burlesque a ses propres codes concernant l’effeuillage. Par exemple, on ne peut jamais montrer ses tétons sans les couvrir de « nippies ». Certaines performeuses refuseront de montrer leurs jambes sans collants résilles pour des raisons tantôt idéologiques, tantôt esthétiques. La « stripteaseuse burlesque » décide avant tout elle-même si elle veut s’effeuiller et si c’est le cas, ce qu’elle a envie de montrer à son public. Beaucoup de performeurs diront que dans le burlesque on a droit de ne pas le faire du tout ou bien d’enlever seulement un gant, si selon l’artiste cela est suffisant pour sa visée artistique du spectacle. Il existe également des normes assez universelles que l’on peut remarquer lors des spectacles du burlesque en France. J’ai pu voir des spectacles, ou, si un homme se met à crier « à poil » lors de l’effeuillage d’une des artistes, son numéro est interrompu immédiatement pour laisser la place à l’homme en question, qui sera demandé de s’effeuiller à son tour, sur scène, devant le même public, sinon il est invité à quitter la salle.
Certains médias diffusent des programmes qui se servent du mot « burlesque » en excluant entièrement de son contexte le geste d’effeuillage. J’ai récemment regardé un épisode de The best : le meilleur artiste, un nouveau talent show sur TF1 où l’on pouvait entendre l’animateur décrire comme « cabaret burlesque » le numéro de l’artiste de cirque Polina Volchek. Si elle a présenté un numéro bel et bien impressionnant de hoola-hop, elle n’a toutefois ôté aucun de ses vêtements. Ce qui a été présenté au public comme « cabaret burlesque » était en fait une expression de l’esthétique du numéro : l’artiste portait un corset et dansait sur la musique du film « Moulin Rouge ». Il a suffit d’inclure ces deux références qui font appel à l’imaginaire commun du burlesque pour que le numéro puisse être classifié comme tel. L’expression « burlesque », adjectif qui décrit une esthétique plutôt qu’il ne désigne une mise à nu, a été repris par l’industrie de la mode, où l’on a classifié comme « burlesque » le défilé de la créatrice Betsey Johnson pour sa collection printemps/été 2012. Mais l’exemple le plus frappant du burlesque « puritain » est le film Burlesque, réalisé par Steve Antin en 2010, où à aucun moment on ne fait intervenir de l’effeuillage. Le réalisateur a décrit visuellement, et donc donné à voir aux spectateurs du film le genre « burlesque » comme « cabaret burlesque », donc sans nudité, par opposition au « striptease burlesque » . De l’autre côté de l’océan, Mathieu Amalric propose la même année le film Tournée, qui met en scène une troupe de burlesque américain, le Cabaret New Burlesque. En engageant dans son film de vraies performeuses qui pendant le film jouent les mêmes numéros que dans la vraie vie, Amalric propose une vision beaucoup plus réaliste de ce qu’est le genre aux Etats-Unis, en y incluant naturellement la nudité avec tous ses aspects, artistiques, comme idéologiques. Pourtant les deux films, proposant une vision très différente du burlesque sont aujourd’hui souvent cités à la même échelle comme ceux qui ont participé à la médiatisation du burlesque moderne.
En France de nombreux articles, et formes télévisuelles présentent des femmes, bonnes mères de famille, femmes au foyer, ou travailleuses qui performent le burlesque dans leur temps libre dans le but d’accepter leur corps, de stimuler leur féminité ou simplement pour le « fun ». Le burlesque est mis alors en scène comme une thérapie. Mais en Pologne, en 2012, les médias révèlent un scandale : une école d’enseignement supérieur organise un concours de beauté lors duquel les candidates se promènent sur scène en lingerie avec une gestuelle à connotation sexuelle forte. L’école parle d’une « performance burlesque », mais l’opinion publique en décide autrement. Les médias décrivent l’événement comme un dérapage, mais impossible de savoir à quel moment la limite entre la vulgarité et le burlesque « noble », donc post féministe a été transcendée. La Pologne n’a pas su supporter l’hyper sexualisation de cette compétition, car une miss ne peut pas évoquer une « stripteaseuse » rappelant toute une symbolique de la domination masculine, dont la miss moderne, dotée elle aussi d’une lourde histoire, doit à tout prix se distinguer.
Le phénomène burlesque souligne la tension dans notre société entre le « bas » et le « haut » de la sexualité, et inspire de nombreuses questions sur la libération sexuelle des femmes. Les médias participent sans doute grandement au phénomène de « mainstreamisation » de la sexualité, mais quelle sexualité est en réalité socialement acceptable et légitime ? L’ « attitude burlesque » est mise en scène comme « assumer sa sexualité de femme », « aimer son corps », ou encore « être maitresse de soi-même». Mais le mot « striptease » est parfois dissimulé par les médias pour souligner le jeu de mots subtil entre « stripteaseuse », mot du stigmate, et « performeuse burlesque », mot d’artiste.
 
Marta Brodzinska
Sources :

Jacki Willson, “Tha Happy Stripper: Pleasures and Politics of the New Burlesque”(I.B Tauris, 2007)

Lady Burlesque: su Sky Uno il talent show… si svela!


Jo Weldon, “ The Burlesque Handbook” (It Books, 2010)
http://www.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/153557-cabaret-new-burlesque.html
« Tournée », Mathieu Amalric (2010)
Ditta Von tease, “Burlesque and the art of tease” (It books, 2006)
http://www.telleestmatele.com/article-video-the-best-le-meilleur-artiste-23-aout-2013—numero-de-hula-hoop-avec-polina-volchek-119676530.html
http://www.dailymotion.com/video/xl2s06_betsey-johnson-s-burlesque-show_news
http://plejada.onet.pl/mam-talent
http://warszawa.gazeta.pl/warszawa/1,34889,13806044,SGGW_przeprasza_za_polnagie_wybory__Naganne_zachowania.html
Crédits photos :
Photo 1: Performeuses du cabaret Burlesque Babylone lors du spectacle Babylone Circus http://www.burlesque-babylone.com; photo : © Hervé Photograff
Photo 2: Performeurs Seb Zulle et La Môme Patchouile, au Pretty Propaganda de Louise de Ville ; photo : © Gilles Rammant http://www.gillesrammant.com

Culture

Jacques a dit "La tour Paris 13, ou l'intégration bien pensée du digital et du collaboratif"

 
Depuis le 1er octobre, la tour Paris 13, un ancien immeuble d’habitations de 9 étages voué à la démolition, est accessible au public.
Il a été entièrement envahi par 100 street artistes du monde entier qui ont pu laisser libre cours à leur créativité, et nous sommes invités à aller visiter gratuitement le lieu pendant un mois avant que le bâtiment soit détruit. L’idée parait déjà intéressante, mais elle l’est d’autant plus qu’elle se double d’un dispositif digital et collaboratif pensé dans ses moindres détails.
En effet, un site Internet avec une version déclinée pour les tablettes permet une visite interactive de la tour dans ses moindres détails et d’obtenir des informations et témoignages inédits sur les artistes. Un hashtag #tourparis13 a été créé pour l’occasion, et un documentaire de 52 minutes est déjà prévu sur France Ô en 2014 pour témoigner de cette opération de grande ampleur.
Mais ça ne s’arrête pas là, puisque les internautes sont invités à participer de manière plus importante dans le projet.

Le collaboratif au cœur du dispositif
Le collaboratif est maintenant remixé à toutes les sauces, avec plus ou moins de succès, et cette opération n’a donc pas échappé à cet incontournable.
Il sera donc proposé aux internautes pendant dix jours après la fermeture du site de cliquer pixel par pixel sur les œuvres qui leur auront plu. Le bâtiment étant voué à la démolition, les œuvres sélectionnées garderont une existence digitale sur le site Internet de la Tour Paris 13. Alors que l’avenir des expositions est généralement un poster dans sa chambre ou un beau-livre à afficher dans sa bibliothèque, il s’agit cette fois d’un moyen astucieux de pérenniser l’expérience de la visite, en impliquant réellement les internautes. C’est d’autant plus intéressant qu’il s’agit ici de street art, un art particulièrement éphémère.
Toutefois on ne peut manquer de noter le côté légèrement hypocrite de cette opération, qui transparaît notamment à travers l’expression employée dans le communiqué : « venez sauver la Tour Paris 13 ». On joue ici sur l’ambiguïté avec le vrai sauvetage d’un monument voué à la destruction. Aller jusqu’au bout de l’opération aurait été permettre aux internautes de décider (ou non) de la sauvegarde de cet immeuble comme un nouveau lieu dédié au street art, mais celui-ci sera de toute manière détruit, pour construire quoi à la place ? On se garde bizarrement bien de nous le dire.
En définitive, une opération culturelle innovante et de grande ampleur pour ceux qui pourraient accuser la « ville-musée » d’être à la traîne. Paris affirme son inventivité dans le domaine artistique, et l’on espère que ce genre d’initiatives ne sera pas isolée !
 
Judicaëlle Moussier

Culture

GTA leur fait perdre la tête

 
Avec une sortie tumultueuse, le cinquième opus de la saga GTA aura fait couler beaucoup d’encre cette année. Depuis le premier épisode déjà, les discordes vont bon train entre les pros et les antis GTA, mais elles atteignent réellement leur paroxysme en cette rentrée 2013. En couverture du Parisien, comme sujet de Des Clics et Des Claques sur Europe 1, dans la chronique de Jean Zeid sur France Inter, sur RTL, dans Libération, Le Figaro, Le Monde etc. GTA 5 est partout ; imaginé, produit, vendu et débattu comme un vrai blockbuster. Nous éviterons d’entrer dans le débat réducteur consistant à prouver que GTA est un jeu violent où prostitution, meurtre et banditisme sont les maîtres mots. Et nous ne feront pas non plus l’apologie de cette violence fictivement réelle. Cependant il est important de revenir sur ce qui se cache tout de même derrière cette violence afin de comprendre les enjeux médiatiques et communicationnels du jeu vidéo, particulièrement de GTA 4 et 5.
Plus qu’un jeu vidéo où la violence, la prostitution, le meurtre et le vol ne seraient que des réponses aux pulsions humaines, GTA porterait un regard critique sur notre société contemporaine ; sur le rêve américain, les médias et la promesse du tout possible, un récit critique du self-made man (comme l’explique Olivier Mauco, auteur de GTA IV : l’envers du rêve américain). En ce sens on peut parler du jeu vidéo comme une œuvre culturelle. Le jeu renoue ainsi avec les grandes fresques sociales de la littérature et du cinéma en proposant de vivre les errances d’un jeune voyou, d’un père de famille ex-taulard ou d’un marginal alcoolique relativement instable. Le jeu vidéo, et en particulier GTA, devient un média à part entière capable de tenir des discours socio-critiques sur les grands mythes fondateurs contemporains des sociétés occidentales. Il devient un média à la fois en tant que support et que message. Il semble évident qu’enjeux commerciaux et satyres trouvent finalement bien leurs comptes et font plutôt bon ménage puisque GTA 5 qui aura coûté environ 200 millions d’euros est déjà prévu à la vente à plus de 75 millions d’exemplaires et 1 milliard de dollars en un mois. Le jeu le plus cher de tous les temps, plus qu’un blockbuster américain, presque aussi cher que Pirates de Caraïbes, et le plus contesté aussi. Ce qui ne fait qu’attiser la flamme. Tant de superlatifs que l’on retrouve dans tous les articles et émissions en ce moment au sujet de GTA 5.
GTA fascine, c’est la force de cet objet culturel moderne. C’est la promesse d’un monde libre où tout devient possible, où l’on peut tout faire et donc faire n’importe quoi ; dans le spectaculaire et la violence, dans des graphismes poussés et dans la satyre. Tellement réaliste que pour ce cinquième opus des policiers, sociologues, historiens et d’anciens membres de gangs ont apportés leur contribution à la construction de la carte de la ville du jeu (Los Santos, double fictif de Los Angeles et de ses environs). Le réalisme du jeu est également un point qui le différencie d’autres jeux de science-fiction ou de guerre (par exemple) qui n’en sont pas moins violents. En effet, il s’avère que ces jeux ne sont pas moins une reproduction du réel et de notre évolution, toujours dans des schémas et des algorithmes prédéfinis. Un peu comme le cinéma, les jeux vidéo retracent ou reproduisent nos angoisses, notre histoire et les idéaux qui les accompagnent. De l’idéal démocratique, républicain ou anarchique à la peur du communisme. GTA quant à lui a fait passer le jeu vidéo dans un nouveau rapport au jeu et à la réalité, paradoxal au premier abord, mais qui nous permet de vivre une vie parallèle avec tout ce qu’elle comporte d’immoral. « On ne devient pas plus psychopathe en jouant à GTA qu’en regardant un Tarantino » Vanessa Lalo, psychologue des médias numériques.
De plus, on peut tout à fait le comparer à un blockbuster américain, porteur d’un (plusieurs) véritable(s) scénario(s), mais aussi dans la communication qui accompagne l’objet culturel : affiches dans le métro, annonces dans la presse, articles dédiés, trailer diffusé sur le web et même dans les cinémas !
GTA 5 est un blockbuster tant sur le plan économique que scénaristique et communicationnel. On attend d’ailleurs beaucoup plus d’un jeu vidéo une bonne écriture scénaristique, que de la bagarre et du sexe. Elle est devenue un point essentiel du succès et de la qualité d’un jeu. GTA a contribué à accentuer ce positionnement avec GTA 4 et l’histoire de son héros, un immigré débarquant à Liberty City (comprenez New York) pour rejoindre son cousin qui trempe dans des affaires peu claires avec pour but de se faire une place au soleil des malfrats.
Mais avant de s’imaginer que le jeu vidéo pourrait devenir le nouvel Hollywood il ne faut pas oublier que le secteur reste encore considéré comme une sous culture ou du moins un culture parallèle, pas encore tout à fait assumée en tant que telle dans les médias, notamment dans la presse et les grands médias télévisuels et radiophoniques. Rares sont les chroniques ou émissions dédiées à la culture des jeux vidéo, pourtant riche de mythes et symboles de notre société actuelle (pour voir plus en détails ce qui se cache derrière l’écriture et l’impact des jeux vidéo : L’imaginaire des jeux vidéo par John Crowley). Jean Zeid, seul journaliste à tenir une chronique quotidienne consacrée aux jeux vidéo dans un média généraliste national (sur France info), en fait le constat :
  » Il y a un profond manque de compréhension du phénomène de la part de ceux qui sont à la tête des médias. Ils sont de la génération du cinéma qui est très largement traité chaque semaine dans chaque média. Mais beaucoup voient encore les jeux vidéo comme une activité pour ados introvertis, pas du tout un sujet sérieux qui mérite d’être traité journalistiquement… Et lorsqu’ils acceptent, du bout des lèvres, de traiter un peu la question, le jeu vidéo est presque systématiquement intégré aux rubriques « multimédia » ou « technos » et non pas culture, alors même qu’il s’agit du premier bien culturel . »
GTA 5 nous offre une nouvelle fois un fascinant récit fictif et médiatique empreint de violence, d’immoralité et de débats qui nous permettent de nous arrêter un instant sur ces objets culturels, leur évolution et leur place dans les médias.
 
Margot Franquet
Sources :
Libération
Le Monde
Le Monde, Serge Tisseron
RageMag
France Info
Europe 1
The New York Times

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Culture

Une nouvelle saison de "festivalités"

 
C’est parti ! Les festivals de musique fleurissent un peu partout en France, et leurs succès ne faiblit pas. Chaque région veut son festival. Plus qu’une mode, c’est une véritable institution qui a de nombreuses raisons d’exister.
Les festivals représentent d’abord une grande opportunité pour l’industrie de la musique, toujours à la recherche d’un modèle économique viable. Si le marché du disque est en crise, les ventes de places de concerts se portent très bien. Les festivals d’été représentent un bénéfice important en terme de droits d’auteurs auprès de la SACEM. Ils sont aussi un outil très intéressant pour les régions. Leur mise en place participe au dynamisme touristique durant cette période et leur donne une image jeune et ouverte à la culture.
La foire aux artistes
On pourrait résumer la programmation des festivals de cette façon : il y a les artistes naissants qui viennent pour se faire connaître et les les têtes d’affiches, qui sont pour beaucoup dans le succès de la vente des billets du festival. Les scènes de tailles différentes permettent la programmation de plusieurs artistes à la fois, donc de toucher un public large. Chaque saison de festival a ses stars. Ainsi cette année, Asaf Avidan et Wax Tailor, vont chacun se produire dans 5 des 10 plus gros festivals français. Tryo gagne la première place en terme de quantité avec 25 dates cet été.

Une communication très graphique
Il ne s’agit pas seulement de musique mais aussi de participer à un événement, d’adhérer à une culture, et cette culture est aussi visuelle.
Les plus gros festivals de l’été (Les vieilles charrues, les Solidays, Hellfest, Rock en Seine et Eurockéennes…) bénéficient tous d’une communication très graphique. Chaque année, ils dévoilent une nouvelle identité visuelle qui leur donne de la valeur ajoutée. Les festivals deviennent alors de véritables marques. Les affiches et produits dérivés sont vendus sur place, on les rapporte comme des souvenirs de vacances.
Lier art graphique et musique, c’est le projet de Rock’art de Rock en Seine. Cette exposition rassemblera des affiches, réalisées par de grands illustrateurs, à l’effigie d’artistes programmés lors du festival. La RATP en diffuse en avant première à la station de métro DUROC rebaptisée DU ROCK pour l’occasion.

L’esprit Woodstock
Le temps estival est parfois incertain, mais l’été reste la période la plus appropriée pour festoyer en plein air. Quand on pense festival on pense aussi à un champ, et quoi de plus dépaysant pour des citadins qu’une grande étendue d’herbe à fouler en dansant ? Le plein air permet des concerts géants et leur donne un air de vacances. Les campings sont aussi une des grandes raisons du succès de ces immenses manifestations. La fête peut durer jusqu’au bout de la nuit et le festival devient un village éphémère. Dans ce village vit la communauté des festivaliers qui arborent les bracelets du festival à leurs poignets.
On entend souvent dire que nous vivons dans une société très individualiste. En réalité, les hommes sont sans cesse à la recherche de moyens de vivre ensemble. L’essence même du festival est le rassemblement autour d’une passion commune pour la musique. Dans ce genre de manifestation, chacun perd son statut social habituel pour devenir l’infime portion d’un public immense. Un concert est un moment qu’on passe entouré de milliers de personnes, serrés comme des sardines. La proximité avec les autres, le partage d’émotions et l’euphorie de la foule sont des valeurs très hippies qui n’ont pourtant pas pris une ride.

 
Agathe Laurent
Sources :
Les sites internet des festivals
Challenges
Mybandmarket.com
La Croix
Communes.com
Les Inrocks
Sourdoreille.net
Sacem.fr
Le Mouv’

clip stromae
Culture

Un Formidable coup ?

 
Existe-t-il une recette magique pour faire le buzz en 2013 ? De Nabilla à Daft Punk en passant par les pains au chocolats de Copé, pour faire entendre sa voix aujourd’hui faut-il faire le buzz ? Cette phrase a un goût amer d’une émission de « décryptage » de la télé, type Morandini. Buzz ou bruit médiatique, c’est ce que les artistes, politiques et entreprises recherchent, tant qu’elles ont le vent en poupe.
Pour Stromae, habitué aux techniques de communication et plus encore, qui nous a habitués à la surprise avec ses vidéos, il a s’agit de teaser. À moindre échelle que les Daft Punk certes, mais il s’agit là d’un teasing efficace pour un artiste qui revient après une période plutôt calme.
Il y a quelques jours, une vidéo tournée en caméra cachée montrait un Stromae titubant dans les rues de Bruxelles, déchaînant d’emblée les commentaires sur internet. « Stromae bourré ! » Quelques jours plus tard, le musicien diffusait le clip de son nouveau single, Formidable (ceci n’est pas une leçon) et l’internaute de comprendre que tout ça n’était que traquenard. Pourtant le débat continue, les commentaires se multiplient et le nombre de vues augmente de manière fulgurante : environ 7 000 000 en une semaine. Un débat alimenté aussi par son passage, à quelque jours de ce fameux clip, dans l’émission Ce Soir ou Jamais, pendant laquelle il a interprété son titre dans la même ambiance, en rentrant dans son rôle de « faux bourré », amenant les médias et le public à s’interroger sur son état d’alcoolémie et de santé.
 

Pourtant, dès les premières images de Formidable (ceci n’est pas une leçon), on le voit sortir du métro avec un plan impeccable en HD et en plongée, avec une caméra qui semblait vraisemblablement avoir senti sa venue : petite chemise jaune fluo qui ressort bien dans le cadre, clin d’oeil et saut de cabri à la fin du clip…
Tout ce bruit autour de cet événement n’est pas sans rappeler un autre fait médiatique récent : l’affaire Carambar. L’histoire se répète plus ou moins, il s’agit du même cycle : Stromae et Carambar ont créé la surprise en faisant grimper le suspens à leur manière. Lorsque le suspens atteint son paroxysme, c’est le choc et le moment où les commentaires fusent sans aucune retenue (de « Stromae bourré ! » à « Carambar arrête les blagues ! »). On révèle ensuite très vite le pot aux roses et le public est soulagé. Pour l’affaire Carambar les journalistes se sont sentis « baffoués », utilisés pour faire un beau coup de pub. Mais comme le montre le belge, la mayonnaise prend et les commentaires alimentent ce nuage de bruit médiatique qui se forme autour du chanteur et facilite la sortie de son dernier titre. Une stratégie bien menée pour lui ; et moins polémique que le teasing mégalo mené sur plusieurs semaines par Daft Punk. Il réussit à maîtriser les codes de la communication digitale et ainsi se passe de la nécessité de faire entendre sa voix par des mois de concerts dans des petites salles afin de se faire connaître. Stromae dompte si bien les techniques de l’internet qu’il fait partie de ceux qui bousculent les codes du monde artistique et musical. Aujourd’hui un artiste qui veut se faire connaître peut difficilement se passer d’internet, de Youtube ou des réseaux sociaux. Encore faut-il en maîtriser les techniques qui évoluent sans cesse et semblent presque insaisissables. On n’est peut être pas « Dans le port d’Amsterdam » mais à la sortie du métro de Bruxelles, si Jacques Brel sortait une chanson en 2013, il n’aurait peut-être pas fait preuve de la même maîtrise de ces outils de communication.

 
Margot Franquet
Sources :
Le Plus du Nouvel Obs
L’Echo
Le Monde 
http://www.stromae.net

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mucem marseille
Culture

Inauguration du MuCEM : une communication en béton ?

Désormais, les voyageurs qui arrivent par les flots à Marseille ne seront plus emprunts de tristesse provoquée involontairement par le Fort Saint-Jean, dévasté il y a un demi-siècle par les bombardements. A tribord, ils peuvent admirer le Fort entièrement rénové, à côté duquel se dresse sur l’esplanade du J4 le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), habillé d’une fine dentelle de béton. Ce cube minéral, admirable geste architectural de Rudy Riccioti, fait face à la mer ainsi qu’au mistral et côtoie le Vieux-Port qui ne perd pas de son charme face à la modernité apparente du MuCEM. Révélé à la presse mardi dernier avec comme invité d’honneur le président de la République, puis ouvert officiellement au public le vendredi, le MuCEM ouvre la seconde saison du programme des festivités proposées dans le cadre de Marseille-Provence 2013.
Quel rôle peut jouer l’inauguration très médiatisée du MuCEM dans la promotion des manifestations culturelles qu’accueille Marseille, Capitale Européenne de la Culture 2013 et sa région ? Comment ce nouvel espace culturel a-t-il été promu au sein du territoire régional et national ?
Le MuCEM en campagne
« Les Marseillais sont enchantés par ce lieu qui masque une sensibilité territoriale, (qui) exprime un autre horizon plus marin. C’est un lieu qui est poreux à l’imaginaire » déclare Rudy Riccioti à propos du MuCEM. Reste à savoir si les responsables chargés de la campagne de communication pour l’inauguration du MuCEM ont été aussi sensibles à cet imaginaire que ne le prédit l’architecte.
« Vous aussi, rejoignez la campagne du MuCEM ! »
Le MuCEM était entré en campagne dès Décembre 2012, sous l’égide de l’agence Dream On. A cette période, les Marseillais ont pu voir les rues de leur ville envahies par des affiches sur lesquelles figuraient des portraits de Marseillais accompagnés d’un slogan qui résumait ce que le MuCEM représente pour eux. Ainsi, Paul, photographe de La Plaine, déclarait « En Juin 2013, on arrête de mettre les grands musées à Paris » ou Fabrice, poissonnier-restaurateur, annonçait qu’« En juin 2013, la Méditerranée sera un vrai bouillon de culture ».

Dream on a souhaité impliquer les marseillais dans ce projet culturel en mettant en scène leur propre parole délivrée dans l’espace public. Cette campagne s’est faite à l’issu d’un concours qui proposait aux Marseillais de personnaliser leur photo au moyen d’une application Facebook dédiée, pour ensuite proposer un slogan individuel qui traduisait la façon dont ils percevaient le MuCEM. Les dix photos qui ont obtenues le plus de like sur le réseau social ont été sélectionnées pour participer à la campagne.
Ainsi, les Marseillais se sont fait les portes paroles de leur cité. Une parole souvent irrévérencieuse, humoristique et même polémique, avec un accent toujours marseillais. “Nous avons fait ce choix car nous souhaitons que les Marseillais s’approprient le MuCEM” explique Julie Basquin, responsable du département Communication et du Mécénat du musée.
En souhaitant privilégier le marketing participatif, cette campagne a au moins eu le mérite d’investir les habitants de Marseille et de la Provence dans ce chantier phare de MP 2013, duquel ils avaient pu se sentir exclus lors des débats concernant sa construction. On peut également parler de crowdsourcing, c’est-à-dire de la mobilisation d’un grand nombre de personnes pour favoriser une certaine forme de créativité dans l’argumentation publicitaire. L’intérêt de cette campagne est qu’elle ait stimulé une parole, consensuelle ou non, autour de ce lieu. Dans un premier temps, il était nécessaire que le MuCEM soit l’occasion de « faire parler » avant de « faire agir », d’autant plus que son inauguration en juin laissait le temps à cette campagne de pouvoir fonctionner. Bien évidemment, la campagne empreinte également quelques caractéristiques au story-telling, avec l’idée majeure que le MuCEM délivrerait un récit mythique, social, historique sur les civilisations européennes et méditerranéennes. Cette parole est toujours fortement encrée dans un cadre spatio-temporel, en étant sans cesse accompagnée du leitmotiv « en juin 2013 ».
« Toute la Méditerranée se raconte au MuCEM »

En ce moment même et depuis quelques semaines, une seconde vague d’affichage est destinée à exposer le positionnement de l’institution, en mettant en scène des figures qui incarnent les peuples du bassin méditerranéen. Etendue au territoire national, la campagne montre tantôt une femme d’un certain âge coiffée d’un hijab, tantôt un enfant habillé d’une tunique. En arrière plan se distingue des paysages méditerranéens, et les portraits sont accompagnés de slogans comme « Toute la Méditerranée s’émerveille au MuCEM », « Toute la Méditerranée se raconte au MuCEM », ou encore « Toute la Méditerranée s’expose au MuCEM ». L’usage de verbes pronominaux, qui permettent de faire des peuples méditerranéens les acteurs de ce musée avant l’institution elle-même, reste pertinent. En revanche, on ne peut qu’être déçu face à la pauvreté esthétique des visuels, qui reposent essentiellement sur un imaginaire populaire archétype et ne délivre rien du véritable « imaginaire » dont parlait Riccioti à propos du MuCEM.
On ne peut également que regretter le fait que la campagne ne réinvestisse pas l’incroyable effet visuel qu’offre l’architecture du MuCEM (et celle de ses collections), notamment la résille de béton aux formes sensuelles et poétiques. En France, il y a quelques jours encore, le MuCEM ne bénéficiait pas d’une grande visibilité. Cette campagne n’aura certainement pas encouragé la population ni à s’y intéresser ni à venir découvrir ce lieu si incroyable, cet événement à ce point majeur pour la ville de Marseille et MP 2013 qu’est l’inauguration de cet espace culturel.
Mais quoi qu’on puisse penser de la campagne, l’ouverture du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, fortement relayée dans les médias, aura réactualisé les manifestations de Marseille-Provence 2013, et constitue à elle seule un levier médiatique et communicationnel incroyable pour Marseille et la Provence, qui n’ont pas fini de nous faire rêver.
Sources :
Site officiel du MuCEM
Site de la campagne de communication du MuCEM 
Site de l’Agence Dream on
Article sur le Monde.fr
Margaux le Joubioux
Annexe :
 
Le MuCEM en quelques chiffes :
167 millions d’euros pour construire ce monstre architectural
44000 m2 pour partager la Méditerranée
250000 œuvres exposées
300000 curieux et passionnés attendus pour l’année 2013
12 ans de discussions, débats, polémiques pour arriver à l’ouverture de cette incroyable bâtisse.
4 années de construction, travaux, études de terrain pour parvenir à ce cube minéral.
3 sites : le Fort Saint-Jean rénové, le Centre de Conservation et de Ressources dans le quartier La Belle de Mai et l’espace construit sur le J4, dessiné par Rudy Riccioti
1 ville : la Cité Phocéenne pour accueillir ce fabuleux espace culturel

Culture

JR, ni vu ni connu… Quoi que !

 
Il existe un artiste qui ne passe pas inaperçu… Et pour cause ! Il expose partout dans le monde des œuvres toutes plus grandes les unes que les autres… Sa galerie ? C’est la rue. Et comme il le dit lui-même, c’est bien « la plus grande galerie d’art du monde ». Son nom ? JR. Oui, JR, c’est tout. Des initiales, un chapeau et des lunettes de soleil : voilà le personnage. Petit rappel pour ceux qui n’auraient pas encore entendu parler de celui qui fut, pourtant, élu l’artiste le plus populaire sur Internet en 2012…
Son projet semble simple : coller ses images en noir et blanc sur les murs, les ponts, les toits… Faire vivre le street art à l’échelle mondiale. En flirtant sans cesse avec l’interdit, il repousse les limites de la nature intimiste de l’art en proposant à tout un chacun de participer à cet engagement en collant sa propre photographie quelque part. Apporter sa pierre à l’édifice et construire son chapitre dans le grand livre de JR…
En effet, si au départ, il affichait ses tirages à travers des projets plus personnels, comme 28Millimètres ou Face2face, c’est en 2011, lorsqu’il reçoit le Ted Prize, que son art prend un nouveau tournant. Ce prix lui offre la possibilité de formuler « un souhait pour changer le monde ». De là, il concrétise ses valeurs et ses aspirations à travers Inside Out, un projet d’art participatif international. Désormais, les personnes du monde entier peuvent recevoir leur portrait puis le coller pour soutenir une idée, une action et partager cette expérience. Pour ceux qui voudraient en apprendre davantage, je vous laisse découvrir son site internet, son dossier de présentation ou encore sa revue de presse.
Car aujourd’hui, je me penche donc sur ce projet précis, Inside Out, et tout ce qu’il implique en matière de communication, d’image, d’identité et de revendications.
Mondialisation ou délégation ?
Dans cette nouvelle conception de l’art à grande échelle qui rassemble des centaines de personnes, une première critique brûle alors les lèvres… Qui est JR et qu’est-ce qu’il est ? Car lui-même ne se voit ni comme un photographe, ni comme un street artiste… Mais plutôt comme un pratiquant de « l’art infiltrant ». Mais il ne prend plus toutes les photographies, ne peut pas être présent sur tous les sites, et délègue finalement à de nombreuses petites mains un travail désormais complètement collectif… Alors, JR est-il toujours un « artiste » ?
Cependant, cette idée de « délégation », mais surtout de « partage », s’inscrit dans la logique d’anonymat que conserve et revendique JR : il ne s’agit pas de signer ses photographies ni de crier son nom sur tous les toits, mais bien de créer un mouvement, un rassemblement, derrière un message, un projet qui montre, somme toute, un aspect positif de la mondialisation. Ainsi, si l’artiste est critiquable pour certains, le projet lui, n’en reste pas moins admirable.
L’anonymat… Un aspect sur lequel JR ne plaisante pas, déclarant notamment pour Le Supplément sur Canal +, qu’il peut aller à son propre vernissage sans qu’on le reconnaisse et que cela reste « un luxe assez incroyable ». JR est donc insaisissable. Et lorsqu’une grande partie de son « exposition » se fait de manière sauvage, sans autorisation et dans certains pays plutôt restrictifs, cet anonymat apparaît comme une solution efficace.
Pourtant, en 2012, il reçoit donc le Grand Prix de la e-réputation, attribué par l’agence de production de contenu éditorial Smiling People, qui récompense la popularité des artistes sur la Toile, en France et dans le monde. Alors, pas si anonyme que ça ?
JR, artiste ou communicant ?
Il faut donc bien se concentrer sur l’ampleur que prend Inside Out, aspect qui apparaît comme remarquable au regard d’un combat pour la liberté d’expression à une telle échelle. Mais si l’on poursuit le questionnement sur l’artiste que serait JR en avançant que finalement, il est désormais une « star » pour un projet qui rassemble les artistes qui sommeillent en chacun de nous. Alors, que représente-t-il ? Une autre réponse possible : un excellent communicant !
À tel point qu’il nous faut préciser un certain nombre d’enjeux qui reflètent cette idée : JR est mondialement connu et réussit un peu plus chaque jour à faire grandir son projet par la transmission de ses idéaux. Et tout ça, sans aucun sponsor, en série limitée et en finançant lui-même ses projets… Chapeau bas tout de même !
Car c’est principalement un discours bien formulé et qui parle à notre société, qui se cache derrière ces collages : créer le lien entre les gens, faire en sorte qu’ils aillent chercher l’histoire de ces photographies, partir de l’intime, de l’identité personnelle pour créer une œuvre d’art. Voilà ses mots d’ordre. À ce titre, JR serait « porteur d’avenir » pour ceux qui participent à Inside Out, devenant acteurs de ce projet par leur propre histoire et contribuant à son étendue toujours plus grande.
« In your hand it has more meaning than in mine, so do it ! »*
JR est donc un très bon communicant et cette idée est tout à fait visible dans ses interviews ou même dans son discours du Ted Prize : charisme, prestance et sensibilité sont au rendez-vous. Cet aspect se double d’une très forte présence dans les médias et sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, Canal +, GQ, Le Monde Magazine, The New York Times Magazine… et j’en passe ! Il envahit les médias comme il le fait dans les rues.
De plus, il ne choisit pas ses lieux par hasard. Outre le fait qu’il aime jouer avec les limites du possible, JR vise quand même des sites précis et symboliques : du trottoir et des écrans publicitaires de Times Square à New York en passant par le Pôle Nord avec le mouvement (et le hashtag) #savethearctic, il s’infiltre dans des lieux-clés, marquant de manière efficace les esprits.
Le succès est lui, véritable, puisque si JR reste habituellement ferme quant à ses financements et sa « liberté » sur le plan marketing, sa dernière intervention à Marseille fût entièrement prise en charge et valorisée par la ville, capitale européenne de la culture. Celui qui a commencé dans la rue et qui n’a jamais voulu la quitter est désormais une personnalité phare du XXIème siècle.
Entre omniprésence et censure ?
Pourtant, s’il est partout sur la toile et sur les murs, cette omniprésence se double d’une dimension paradoxale quant à l’utilisation de ses images. Si tout le monde peut voir ses œuvres et les immortaliser, JR émet une restriction sur les photos qu’il fait lui-même de ces collages. Et oui, les photographies de JR sont soumises à conditions : on ne peut les publier seulement si l’on parle de son travail !
La vision de JR en tant que communicant prend ici toute son importance : on peut tout à fait découvrir et faire découvrir son univers mais uniquement s’il est au centre des discussions. En effet, pour la distribution de ses images, c’est par l’Agence VU’ à Paris qu’il faut passer, mais l’on se trouvera confronté à cette instruction : « Ces images ne peuvent pas être utilisées en illustration, mais uniquement dans le cadre du travail de JR ». Alors si je veux montrer les favelas de Rio ou bien les façades de Berlin, ça sera sans les collages de JR. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai pu mettre que des captures d’écran pour cet article. Toujours aussi anonyme que ça ? Toujours aussi altruiste que ça ?
Mais oui, ne l’oublions pas, ce projet est collectif : ce n’est finalement plus de JR dont on parle mais bien de l’Histoire (avec un grand H) qu’il est en train d’écrire avec les petites histoires de chacun. Ces restrictions renvoient finalement au statut de l’artiste qu’il faut protéger : l’agence photographique est bien là pour faire valoir les droits sur les images des photographes et artistes qu’elle représente. Si JR est véritablement partout, cette omniprésence se trouve, non pas censurée, mais limitée. Serait-ce pour accentuer l’impact de son travail, qui transcende justement la définition de l’artiste – qui cherche à se faire reconnaître comme tel – pour atteindre des concepts plus révolutionnaires, novateurs et marginaux ? Ne serait-ce pas justement, pour se construire une identité qui transcenderait le personnage pour devenir une véritable aventure humaine ?
 
Laura Lalvée
* JR dans son trailer du film Inside Out : « Dans vos mains, cela a plus de sens que dans les miennes, alors faites le ! »
Sources :

/jr
http://www.lesinrocks.com/inrocks.tv/le-street-artiste-jr-retourne-time-square/

Culture

Parce que Toulon !

 
Après 20 années plutôt médiocres, le Rugby Club Toulonnais a refait surface dans l’élite du rugby français en 2007 et est sur le point d’accomplir l’impensable (ou « l’impossible » pour Guy Novès, l’entraîneur français le plus titré) : gagner la coupe d’Europe et le Top 14 (championnat de France). Pour autant, si le RCT fait parler de lui, ce n’est pas seulement pour ses qualités sportives actuelles. C’est aussi un modèle communicationnel particulier dans un monde rugbystique qui éprouve encore des difficultés à assumer les conséquences de sa professionnalisation.
Le RCT : un OVNI communicationnel dans le rugby français ?
L’arrivée de Mourad Boudjellal n’est pas innocente dans la transformation de ce vieux club de rugby provençal. Fort de son succès dans le monde de l’édition (il est le créateur de Soleil Productions -maison d’édition à laquelle on doit notamment Rahan et Lanfeust de Troy), cet homme a tout d’un génie marketing et a construit ce qu’il aime appeler un véritable « modèle économique ». Dans le sport il s’agit d’abord de construire une « grande émotion et une grande passion » avant de construire des stades. Après avoir injecté toutes ses économies, soit tout de même 6 millions d’euros, Mourad Boudjellal affirme être parvenu à faire du RCT une entreprise auto-suffisante, en se proclamant « vendeur de rêve ». L’arrivée très critiquée de Jonny Wilkinson en est l’exemple le plus flagrant. Pour Toulon, ce n’est pas un investissement, « c’est un cadeau, c’est du bénéfice, il nous coûte zéro ». Au RCT le rêve est la source du revenu, ce n’est pas la dépense puisque sa recette est toujours supérieure au coût. Comme il le résume lui-même sur BFM : « j’ai développé une marque basée sur l’émotionnel et le passionnel ».

Tout ce modèle économique se double d’une stratégie communicationnelle plus ou moins voulue et travaillée. Les années Boudjellal au RCT seront aussi celles de la révolution. Il a su donner une nouvelle dimension à l’image du rugbyman, plus moderne, et créer ainsi un véritable style de vie toulonnais. De la coupe de cheveux jusqu’aux couleurs des chaussures, aux tatouages et aux chants, rien n’est laissé au hasard.

Le fameux « Pilou-pilou » est à son apogée, les joueurs se prennent au jeu, et participent à la création de cet univers si particulier. Ce sont les plus présents sur les réseaux sociaux, et on a pu voir à l’occasion de quelques matchs le nom de leur compte Twitter inscrit sur le dos de leurs shorts (ce qui a valu au RCT de nouveaux ennuis avec la Ligue Nationale de Rugby). De même, les représentants du RCT sont présents sur tous les médias, et non uniquement ceux réservés au rugby. Mourad Boudjellal était récemment au grand journal pour présenter son livre Ma mauvaise réputation, accompagné du joueur Frédéric Michalak et de l’entraîneur Bernard Laporte.

En somme, l’image du RCT est plus jeune, plus connectée, mais aussi plus contestée. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas ce Toulon 2.0, Mourad Boudjellal a bien compris que ce qui compte, c’est qu’on en parle (quasi credo de la com depuis le début des années 2000).
Le revers de la (double ?!) médaille
Ce rugby de « mercenaires » est évidemment amplement critiqué dans le cadre de la planète rugby, tant par ses acteurs que ses spectateurs. Pour eux, le rugby est avant tout une société à part, où il fait bon vivre, où l’on mange du cassoulet, et l’on boit beaucoup lors des troisièmes mi-temps. C’est aussi une société où la morale a une grande importance, notamment dans le respect des adversaires, des supérieurs et surtout de l’arbitre. Or le président de Toulon n’a pas respecté ces valeurs (cf. la polémique sur la « sodomie arbitrale »). Mourad Boudjellal propose un rugby décomplexé, qui assume l’argent et le business. En d’autres termes, il renvoie au rugby français une image de ce qu’il a longtemps cherché à éviter : un sport professionnel et ses conséquences capitalistes. Les polémiques autour du RCT ne sont en réalité que des aspects d’une guerre entre la modernité et la tradition, l’argent et la préservation des valeurs de ce rugby de clocher.
Il faut savoir que les dites « valeurs du rugby » ne sont pas totalement propres au rugby, mais relèvent d’une éthique sociale et d’une morale rurale. Elles ressemblent à peu de choses près à la morale du XIXème siècle définie par Durkheim : esprits de discipline, d’abnégation et d’autonomie. Même si elles sont parfois formulées autrement aujourd’hui, l’idée reste la même. Pour Daniel Herrero, le rugby est bien « l’abnégation, la rigueur, le rudoyant ».
Ainsi le RCT pourrait incarner une sorte de « postmodernité populaire », dans la mesure où il cherche à réactualiser ces valeurs. Et si le rugby plaît autant aujourd’hui, c’est peut-être grâce à ce contexte de repli sur soi général, auquel il répond par la fierté régionale, presque rurale. L’attachement à la terre propre de ce sport obtient un écho important dans la société actuelle, d’autant plus que certains clubs comme le RCT savent se moderniser et apporter de l’espoir, là où le football reste parfois dans la nostalgie, le « c’était mieux avant » ou « c’est mieux ailleurs ».
 
Camille Sohier
Avec la très grande aide d’Isaac Lambert

Culture

Versailles, plus voltairien que Voltaire ?

 
Voltaire n’a qu’à bien se tenir, « en 2013, Versailles cultive son jardin. »
La qualité Le Nôtre
S’il était encore vivant, André Le Nôtre fêterait cette année son quatre-centième anniversaire, battant ainsi au passage tous les records de longévité. Mais le créateur des jardins du Château de Versailles-a-t-il jamais cessé de vivre ? Les siècles n’ont pas altéré la renommée de celui qui a poussé au plus haut l’art du « jardin à la française ».
Le Château de Versailles a donc décidé de lui rendre hommage en faisant de 2013 l’«année Le Nôtre ».  L’occasion de mettre en lumière l’œuvre  de cet architecte et paysagiste de génie, également fin collectionneur d’art et confident de Louis XIV. Des expositions, restaurations, événements et spectacles sont prévus tout au long de l’année sur l’ancien domaine royal.
Le vert saillant
« L’année Le Nôtre », c’est tout l’objet de la nouvelle campagne d’affichage qui a été lancée en mars 2013 par le Château de Versailles. Sur les visuels, le château s’efface au profit des jardins verdoyants mis en lumière sous un ciel estival. Et dans ce décor champêtre, les statues à l’antique reprennent vie, presque à la façon de la Vénus d’Ille fantasmée en son temps par Prosper Mérimée.
Cette mise sous silence du château sur les affiches n’est pas anodine : elle donne à appréhender le lieu d’une façon différente et originale.
En effet, à travers les perspectives de ses jardins à la française, Versailles se donne finalement avec plus de profondeur et de poésie que jamais. Loin des dorures des intérieurs et de la Galerie des Glaces (victimes malgré elles de leur « débris d’aura »[1]) c’est un appel à la verdure, à la contemplation des paysages, et à la réflexion qui est ici lancé au visiteur.
« Et si la véritable beauté du lieu résidait ailleurs que dans les fastueux salons du Château ? » semble nous interroger cette affiche, avec un petit sourire en coin. (Si tant est qu’une affiche puisse sourire !)
Avec la représentation des statues en action dans le jardin, c’est comme si tout le patrimoine et le passé de Versailles reprenaient vie, s’actualisaient, et se mettaient à l’ouvrage pour s’offrir au visiteur sous un  jour nouveau, inattendu et inédit. Le passé renouerait donc avec le présent pour se construire un nouvel avenir.
« En 2013, Versailles cultive son jardin »
Mais le plus marquant sur les affiches reste sans doute  cette formule : «  En 2013, Versailles cultive son jardin ». Au-delà de l’humour, comment ne pas y voir un clin d’œil à la dernière phrase de Candide,  par laquelle le héros éponyme conclut toutes ses (més)aventures en déclarant  qu’« il faut cultiver notre jardin »?
A ce petit jeu, il semble que le Château – pourtant symbole emblématique d’une monarchie absolue critiquée en leur temps par les philosophes des Lumières – se montre paradoxalement plus voltairien que Voltaire en 2013.
En effet, en cette « année Le Nôtre », Versailles ne se contente pas de retravailler (cultiver) au sens propre son (ou plutôt ses) jardin(s),  et de vouloir nous (cultiver) apporter un éclairage nouveau sur son histoire et son patrimoine. Non !
C’est à une remise en question bien plus profonde que le Château de Versailles nous invite sans doute si nous daignons l’écouter : au-delà l’éclat de ce qui brille, ne serait-ce pas finalement dans l’expérience pure et simple d’un « jardin », où l’homme renoue contact avec la (sa) nature, que serait à chercher la véritable beauté ?
L’historien Pierre Gaxotte avait déjà décrit cette vocation élévatrice propre au Château de Versailles, dès 1958 :
« Union de la civilisation antique et de la civilisation moderne, symbole d’humanisme, modèle d’art de vivre, Versailles représente ce qu’il y a de plus universel dans notre patrimoine. Il ravit les sens. Il comble l’esprit. Il ennoblit les âmes qui veulent bien écouter sa leçon. »
Ses quelques mots valent bien tous les articles que je pourrais écrire à ce sujet.
 
Grégoire Noetinger
Sources et références :
Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.
Franck Ferrand, Versailles après les rois.
Marie Peigné, Olivia Traub, Hugo Sénécat, Benjamin Gastaud, et Grégoire Noetinger, tutorés par M.Olivier AÏM,  Enquête de terrain sur « Le château de Versailles »
Pour plus d’informations, consulter le site internet du Château de Versailles.

 

[1] Pour Walter Benjamin, une œuvre bénéficie pleinement de son aura lorsqu’elle est saisie dans son contexte (spatial, temporel, etc.). C’est alors qu’elle s’exprime dans sa toute puissance. Mais lorsqu’elle est extirpée de son contexte, et ce d’autant plus à l’heure de la « reproductibilité technique», une œuvre ne jouit plus que d’une aura affaiblie, ou débris d’aura, qui peut s’exprimer notamment à travers l’expérience du kitsch. (Pensons notamment à la Galerie des Glaces, utilisée récemment dans le jeu « Château de Versailles » de la Française des Jeux)

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