exhibitB
Culture

Zoo humain : le racisme pour l'art

 

Cette semaine, les travaux subversifs d’un artiste sud-africain se sont introduits entre les murs d’un grand centre culturel et artistique parisien. Du 7 au 14 décembre 2014, le Cent Quatre accueille l’exposition Exhibit B de Brett Bailey. L’exposition propose aux visiteurs la reproduction d’un zoo humain du 20ème siècle. A travers une douzaine de tableaux vivants, des noirs sont exhibés et mis en scène dans des situations de domination raciale historiques et contemporaines.
Ce spectacle déambulatoire fait l’objet de polémique, notamment en raison de son caractère potentiellement raciste. L’intention artistique de Brett Bailey est d’établir un parallèle entre l’histoire coloniale et la situation actuelle des immigrés noirs, de déclencher des réactions pour mieux dénoncer l’horreur.
En dépit de sa bonne volonté, l’exposition reste un zoo humain, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, notre société permet toujours de voir des individus exposés comme des animaux, des noirs qui se donnent à voir aux blancs. Sans distanciation, la violence symbolique est réelle, actualisée. Un zoo humain qui illustre l’atrocité de la domination blanche est mis en scène pour en faire une expérience. L’argument artistique est dégainé, mais aurait-il été tout aussi artistique, pertinent et tolérable de mettre en scène des camps nazi pour dénoncer les actes antisémites contemporains ?

La blancheur hégémonique
De plus, Exhibit B constitue un exemple plus de l’hégémonie du « mâle blanc cishétéro », la catégorie des individus socialement dominants de la société à l’heure actuelle, celle qui dispose du plus de « privilèges » au sein de la société moderne, dont fait partie Brett Bailey. Ainsi, quelle sorte de légitimité sociale peut-on lui attribuer pour exprimer la voix des noirs opprimés du 20ème siècle et d’aujourd’hui ? Exhibit B, c’est un homme blanc qui tient au nom des noirs et de leur souffrance un discours sur l’oppression et la servitude : l’illustration même du monopole de la parole blanche dans l’espace public et social, de l’appropriation culturelle.
Pourtant, l’artiste ne prend pas en compte sa propre couleur de peau (ce qui est demeure logique, puisqu’elle n’a jamais été objet de revendication) : « Je ne pense pas qu’elle soit importante. On m’a demandé pourquoi moi, un blanc, je racontais des histoires de personnes noires. Mais Exhibit B est une pièce sur l’espèce humaine. La déshumanisation concerne les deux parties. Je suis simplement un homme blanc qui parle. »
La couleur de peau, pas si importante que cela ? C’est une idée paradoxale lorsque ses travaux artistiques et réflexifs traitent des questions coloniales et raciales, qu’il a lui-même vécu dans le camp social des dominants, notamment à travers l’expérience de l’Apartheid. Son parti pris esthétique est de mettre en scène uniquement des noirs bâillonnés et muets. Quelque soit l’intention de Brett Bailey, il s’agit d’une reproduction, d’une duplication des objets racistes sans détournement ni démarquage.

Un dispositif performatif
Les partisans qui luttent en faveur du spectacle de Brett Bailey se refusent presque à parler « d’exposition » pour qualifier cet événement vivant, il s’agirait alors davantage d’une « performance », notamment en raison de la présence de comédiens noirs qui se tiennent immobiles durant une centaine minutes. Lors de ce spectacle, l’artiste insiste sur la partie prenante que constitue le public. En déambulant près de ces douze tableaux, les spectateurs sont contraints à choisir : voir ou ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux.
Ce spectacle présente alors une certaine forme de performativité, mais ce dispositif est-il réellement nécessaire pour dénoncer ? En soi, la réalité historique, qu’il s’agisse de zoos humains ou d’autres abjections de l’histoire de l’humanité, et son archivage suffisent d’ores et déjà à dénoncer la cruauté humaine. Cependant, Brett Bailey a jugé nécessaire de la réactualiser dans une perspective d’art engagé. Cela dit, peut-on parler d’ « engagement » en considérant l’absence de vecteur émancipateur de ce dispositif ?
Depuis quelques semaines, le collectif Contre Exhibit B manifeste pour son interdiction. Pour ces manifestants, cette performance artistique demeure essentiellement une forme d’exploitation et chosification délibérée du corps noir. En réalité, la censure n’a pas lieu d’être mais la question de la légitimité doit se poser.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
altermondes.org
104.fr
slate.fr
Crédits photos :
Franck Pennant / AFP
Jane Barlow

booba oklm
Culture

Après OKLM.COM, la tempête

 
En septembre dernier, le site OKLM.COM, élaboré par le rappeur Booba, a fait son apparition sur le net et a donné lieu à de nombreux teasing au sujet de son ouverture « imminente ». Mais depuis trois mois, les « pirates », fans du rappeur que l’on ne présente plus, demeurent dans l’attente. Le site se dédie à la découverte de nouveaux talents: sportifs, cuisiniers, humoristes ou encore musiciens sont invités à envoyer leur vidéo à destination du site dès lors que leur performance est « incroyable » selon les termes du rappeur.
L’objectif de OKLM.COM est bien de devenir un « média » tel que l’annonce Booba dans la vidéo d’accueil du site en reprenant un dispositif similaire au télé­crochet sur certains points.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler l’origine du terme OKLM dans le vocabulaire du représentant des Hauts­-de-­Seine afin de comprendre les enjeux de l’arrivée d’un tel média dans l’univers du rap ainsi que de la communication. OKLM reprend l’expression « Au calme » sous forme d’abréviation désignant le bien­être, l’aise et le confort. Reprise par beaucoup de rappeurs, elle est directement assimilée au langage urbain puisque c’est dans l’argot français actuel qu’elle est née. Or, c’est en chanson que Booba l’a largement médiatisée avec son tube OKLM de sorte qu’il a modifié la prononciation initiale de l’expression désormais épelée sous forme d’abréviation et non plus de manière phonétique.
A cet égard, les jeux de langage mis à l’œuvre dans le rap, et qui en font l’héritier moderne de la poésie, ne semblent plus être de simples moyens de communication mais faire du rap une communication en elle-­même. Le recours à la métaphore très présent dans l’écriture hip-hop souffrirait dès lors d’une mise en abyme c’est-­à-­dire que le rap deviendrait une simple métaphore qui n’exprimerait rien d’autre que de la forme pure. Alors, le rap produit par le dispositif de Booba peut-­il encore représenter le ghetto qui constitue son essence ou est-­il condamné à rentrer dans les cadres de la culture de masse en tant que médiateur de celle­-ci ? S’il se fait pur média de communication, le rap peut-­il encore faire des suggestions créatives qui relèvent de l’art ?
Le rap comme objet de communication
L’ouverture du site OKLM.COM matérialise la transformation progressive du rap en tant que pur moyen de communication autour de la marque « Booba » grâce à différents procédés marketing à la fois innovants et traditionnels.
C’est d’abord la fédération d’une communauté d’internautes autour d’un événement sans cesse repoussé, celui de la mise en ligne des premiers contenus du site. Actuellement, la page d’accueil ne contient qu’une vidéo de présentation du concept OKLM avec Teddy Riner en invité. Le système médiatique de la vidéo est lui­-même travaillé pour générer le désir et la curiosité de l’internaute. Booba y est interviewé furtivement dans un espace bruyant, sans doute afin d’accentuer la dynamique de l’événement, de sorte que l’ouverture officielle fonctionnera comme un rendez­-vous commun à ne pas rater fédérant internautes et nouveaux talents.
C’est d’ailleurs avec un lexique emprunté aux télé­crochets « incroyable » que Booba qualifie et caractérise les artistes qu’il présente sur son site. Oklm.com
Néanmoins, à la différence des télé­crochets que l’on retrouve sur les chaînes de télévision, c’est bien par le rap et par la création métaphorique que la figure de Booba construit le trailer d’OKLM.COM. Si les logos successifs d’OKLM et de Tallac Records fonctionnent comme des marques, ils invitent tout de même à penser une sémiologie du graphisme encore plus évidente sur le corps même du rappeur, véritable objet d’art. De fait, la vidéo qui présente l’interview de Booba s’ouvre par une question où ce dernier est appelé « Kopp » jouant à la fois sur le signe, le marketing et la construction d’une narration autour du personnage qu’incarne Booba.
« Kopp » signifie hélicoptère et renvoie d’une part au vrai prénom de Booba qui est Eli mais également au terme anglais cop (flic). Or, sur la main gauche de Booba figure un tatouage avec inscrit « Kopp » surélevé d’une tête de mort afin de réutiliser l’expression « mort aux flics ». Du reste, ce tatouage est davantage visible dans le clip de la chanson OKLM réalisé par Chris Macari. Cependant, le signe ne s’arrête pas là, puisque « Kopp » désigne également le biopic sur la vie de Booba lui-­même sorti récemment. En ce sens, le moyen de communication devient lui­-même objet de communication à travers des imbrications de sens.
C’est pourquoi, les dispositifs de communication mis en place sur le site OKLM.COM interrogent directement l’essence même du rap et sa nouvelle place dans la société. Certes, le film Kopp a été réalisé par Ange Jisa, à l’origine de la société JisaMedia mais aussi de la websérie Kebab caviar inspirée de South Park. Dans cette série, le réalisateur confronte des personnalités issues du milieu politique, médiatique ou plus généralement d’une élite sociale face à des personnalités issues d’un milieu plus urbain comme des rappeurs. C’est ainsi qu’un des épisodes oppose le polémiste Eric Zemmour au rappeur Youssoupha.
Lors d’une interview pour Streetpress, Ange Jisa entendait assumer ce décalage humoristique qui faisait se rencontrer deux mondes habituellement isolés l’un de l’autre dans les représentations médiatiques traditionnelles.
Or, cet exemple de websérie fait foi d’un véritable changement quant au statut du rap puisqu’elle comptabilise d’une part des millions de vues et qu’elle incarne d’autre part la récupération de plus en plus massive de la culture dite « urbaine » par des couches sociales plus aisées que les classes populaires voire par l’élite économique et/ou intellectuelle, lors même que le rap s’adresse initialement aux minorités exclues des normes sociales dominantes.

La massification d’une sous-­culture
Les exemples d’OKLM.COM ou encore de Kebab caviar permettent en effet de comprendre la récupération de plus en plus massive du rap par les élites telle qu’elle a pu avoir lieu avec le jazz. Toutefois, c’est bien à cause de la finalité communicationnelle à l’œuvre autour de ce genre musical que s’opère davantage cette transition. Faisant appel aux métaphores, au rythme, à l’oral, au clash, aux battles, le rap emprunte également à la rhétorique et apparaît de ce fait comme un outil communicationnel fort et précieux pour une marque. Or, ce qui est en jeu autour du personnage de Booba n’a plus à voir avec la musique mais bien avec la figure de l’entrepreneur avec l’expansion de sa ligne de vêtement « Unkut » et aujourd’hui le lancement de son propre système de production à travers OKLM.COM.
Mais, si la musique sert à développer l’image et cultiver une légende autour du récit proposé par Booba, elle n’est plus une finalité et ne représente plus les populations des « cités ». C’est effectivement en businessman que Booba se présente en suggérant par l’implicite la fin de son parcours musical. « Ma carrière est incroyable » rythme en effet le refrain du morceau OKLM. En conséquence, la sortie de l’album Temps mort 2.0 illustre la volonté d’établir une légende à travers l’implicite, le récit du personnage de B2o. Mais, le vécu de Booba ne sera plus que fictif comme le démontre la sortie du biopic Kopp puisqu’il s’agit bien d’un format 2.0, une version virtuelle et donc revisitée de l’album de 2002 du même nom.
En somme, à mesure que le rap s’appuie sur les nouveaux moyens de communications, il est possible de croire à une capitalisation nouvelle du rap en tant qu’objet de langage, de communication, comme une nouvelle fonctionnalité. A l’occasion d’un autre article Booska P dressait le récapitulatif des trente principales expressions issues du rap et transférées au langage quotidien. Cette peinture générale témoignait de l’influence de plus en plus prégnante de la culture Hip-Hop sur les modes de langage. Ainsi, la performativité des images construites par le rap sur le langage institue un nouveau capital culturel dans la société.
Quel futur pour le rap ?
Si ce capital culturel investi dans l’imaginaire créé autour du site OKLM.COM fonctionne pour faire de Booba une marque rentable, peut-­on malgré cela considérer que cette capitalisation ne nuit pas à l’essence même du rap ?
Né des sous-­cultures urbaines, le rap a certes utilisé la métaphore, le rythme et beaucoup de procédés stylistiques empruntés à la poésie afin de créer des images. Or, c’est bien à travers ces images que le rap s’est attelé à représenter sa différence, à construire un discours à part entière et désintéressé de toute utilitarisme. De ce fait, un paradoxe semble se creuser davantage dans le milieu du Hip-Hop.
D’une part, le rap est réutilisé comme moyen de communication et de rhétorique marketing par exemple chez Booba. D’autre part, le rap dans sa forme la plus artistique c’est­-à-­dire désintéressée de toute récupération médiatique, ne semble pas permettre aux rappeurs qui le pratiquent de vivre de leur art comme en témoigne cet ultime article de Booska P.
Si Booba a enterré le rappeur, peut-­ê-tre peut-­il encore permettre aux nouveaux talents de faire naître un grand producteur. Ainsi, l’attente générée par OKLM.COM n’a qu’une alternative : produire de talentueux artistes ou faire du site un énième média de divertissement.
Marie Vaissette
Sources
Booska-p.com (1), (2)
Streetpress.com
Wikibooba.blogpost.fr
Oklm.com
Jisamedia.com
FastNcurious.fr
Genius.com
Remerciements : Jean­Paul Gagey

Culture

Le street, c'est pas automatique

 
S’il y a encore un mariage qui fait débat, c’est naturellement celui de la publicité et du street-art. La tendance à cette association contestée n’est, certes, pas inédite mais elle poursuit sa systématisation et sa normalisation. Loin d’être encore perçu comme une expérimentation originale et périlleuse de la marque, le recours aux codes du street-art est désormais tristement banal. L’underground acéré s’est fondu dans la masse, à grands coups d’édulcoration et de censure. Exit les contenus politiques et sociaux contestataires, bienvenue dans le joli monde marketé du street-art gentillet.
Un mariage arrangé contre-nature
« J’essaie de faire de belles peintures et je m’arrêterai le jour ou la publicité ne m’agressera plus dans les rues » , nous dit le street-artist Lenz. Que penser aujourd’hui quand le street-art prend part au mécanisme de « pollution visuelle » qu’il prétend combattre ?
Le street-art et la publicité entretiennent originellement une relation conflictuelle, aux limites de l’antagonisme. Les Pixadores, groupe de graffeurs de São Paulo, appuient cette idée en présentant le street-art comme « une forme de protestation, de révolte idéologique ! » . Précisons que, ironie du sort ou appât du gain, ces mêmes défenseurs de l’art sauvage finiront par collaborer avec Puma en 2012 (Puma x ASOS dans « OS PIXADORES »).
L’acte originel de la profanation de l’espace publicisé (ou simplement urbain) a aujourd’hui ouvert la voie à son contraire. Le contre-dispositif qui se met en place depuis quelques années investit la publicité non plus comme victime du street-art mais bel et bien comme instigatrice et mécène de celui-ci. Le mouvement audacieux et subversif est devenu un enjeu économique, tombé dans la production à la chaîne et instrumentalisé à des fins marchandes.
Le street-art pour tous ?
La question majeure qui se pose est celle de la légitimé et de la pertinence d’une marque à communiquer via les codes esthétiques et culturels qui sont ceux du street-art. Se dessinent alors plusieurs cas de figure, que l’on peut distinguer en fonction du degré de cohérence entre l’ADN de la marque et les valeurs portées par l’art de rue (la transgression, la contestation…).
Les « vrais » de la street

Keith Haring pour Reebok (à gauche) – Modèle Toki de Nike (à droite)
Ces « vrais de vrais » sont à chercher parmi les marques qui, à l’instar de Reebok ou de Nike, ont fondé leur image même sur cette « culture de la rue ». Les collaborations avec des street-artists ou les featurings avec des rappeurs se justifient par le fait qu’ils coïncident avec la volonté de la marque de se positionner en tant que pseudo « sub-culture » revendicatrice.

Le street-artist Niark à l’œuvre dans le métro pour la campagne
« Shoes are boring, wear sneakers » de Converse
Dans cette même catégorie, on retrouve les marques qui exploitent le filon de la provocation et de l’anticonformisme. Converse, avec sa campagne « Shoes are boring, wear sneakers » , dont les affiches ont été « vandalisées » volontairement par des street-artists, ou avec l’aménagement de son pavillon (au bord du canal de l’Ourcq) par l’artiste Supakitch propose une véritable collaboration entre l’art de rue et la publicité.
Les surfeurs superficiels
Ce phénomène de « street-artification » a particulièrement le vent en poupe chez les marques de boissons : on ne compte plus le nombre de bouteilles collectors en édition limitée issues des collaborations Marque/Street-Artist (Hennessy, Perrier, Malibu, J&B, Kronenbourg…). Le mouvement a également trouvé un écho dans la fashion sphère, où les marques de vêtements de luxe et semi-luxe ont toutes plus ou moins exploité les codes graphiques du street-art (Kongo x Hermès, Honet x Lacoste…).

Le manquement fondamental de ces marques est d’envisager le recours à ces « arts décalés » comme une formule magique à même de satisfaire leur aspiration à s’inscrire dans l’air du temps et à toucher un public jeune et branché.
La directrice marketing France de Perrier souligne en effet, dans le cadre de la collaboration « Inspired by Street-art » , la volonté de « parler à des gens avec lesquels [la marque] ne parle pas d’habitude », entendons « les jeunes urbains ».
Or, dans le monde de la communication, les échecs retentissants provoqués par ce type de raccourcis maladroits sont légion. Si peindre un 4×4 en rose n’en fait pas pour autant une voiture destinée aux femmes, si parler verlan n’est pas la garantie de toucher un public jeune, « faire à la manière» du street-art ne suffit pas à transformer une marque en the brand to be.
Le risque encouru, via ce genre de raisonnement littéral, est de tomber dans la gratuité de l’esthétique et dans l’absence de discours de marque au-delà. Le rapport entre le street-art et la marque devient indéniablement superficiel au sens où cette dernière est davantage dans l’imitation de codes visuels que dans l’incarnation de valeurs fortes.
La journaliste Catherine Cochard le formule clairement : « L’art est soumis aux règles de la tendance et celle-ci est actuellement urbaine » . Les marques, dans leur désir d’actualité et d’attractivité, sont ainsi les premières à surfer sur cette vague.
Les opportunistes illégitimes

La Collection Street-art de Monoprix, lancée en cette rentrée 2014, symbolise la dénaturation et la négation la plus complète du mouvement artistique qu’est le street-art. La marque a banalisé au plus haut point la tendance et a destitué l’œuvre d’art pour en faire une pure marchandise. L’absence de signature d’un artiste en particulier, au profit d’un englobant « Collection Street-art », marque l’apparition de biens de consommation sérialisés et anonymes, dont seule l’esthétique désincarnée évoque vaguement les graffitis urbains. Dans ce lieu de distribution grand public qui propose la customisation de produits domestiques (torchon, gant de cuisine, culotte…), l’art a disparu, le street aussi.
Monoprix, qui s’est démarqué sur d’autres collaborations bien plus réussies, a malheureusement endossé le mauvais rôle cette fois-ci. Alors que le recours au street-art se limitait, jusque-là, à des campagnes publicitaires et des produits de niche, l’initiative malhabile de la marque fait jouer au mouvement artistique urbain son dernier acte : celui de sa néantisation.

Détournement des codes visuels des packagings Monoprix par Martin Parker, adepte
de urban hacking, pour dénoncer la « Collection Street Art »
Le divorce radical entre l’annonceur et l’urban-artist n’est pas nécessairement souhaitable. Il serait simplement bon que certaines marques osent fermer leur porte et laisser le street-art à la rue.
Tiphaine Baubinnec
http://www.linkedin.com/pub/tiphaine-baubinnec/75/76/995
Sources :
slate.fr
digitalhunter.fr
allcityblog.com
fabula.org
midilibre.fr
Crédits photos :
street-rules.com
buzzly.fr
fraisfrais.com
monoprix.fr

Culture

Rising star : quand l'émission déchante

 
Lancée en 2013 par la société de production israélienne Keshet Broadcasting, l’émission HaKokhav HaBa – repris sous le nom de Rising Star – a très vite gagné sa place dans le monde des télé-crochets. Ce programme innovant remporte rapidement l’adhésion du public israélien – atteignant jusqu’à 49% de parts de marché – et devient alors le nouveau succès convoité des diffuseurs internationaux. En France, c’est M6 qui se montrera la plus persuasive pour remporter le contrat.
Un concept innovant où l’immédiateté règne
Avec un format reposant sur la gratuité du vote, le direct continu et une interaction plus qu’active avec le téléspectateur qui décide du sort des candidats, Rising Star rompt avec les codes classiques des télé-crochets, ces concours de chant télévisuels. Chantant derrière un mur, les candidats, sélectionnés par un jury ou bien sur Instagram, doivent recueillir 70% de votes positifs via l’application Rising Star afin de faire lever le mur et ainsi poursuivre l’aventure. C’est donc sur le principe d’immédiateté que repose cette émission, où le téléspectateur, friand du direct, peut détenir les pleins pouvoirs du déroulement d’un prime.
Des audiences en chute libre
Le 15 septembre dernier M6 diffuse un kick off* de l’émission : un succès avec 3,7 millions de téléspectateurs. Un score très encourageant qui se reproduira 10 jours plus tard pour la première avec 3,8 millions et 16,9% de parts de marché et surtout M6 première sur les cibles jeunes et féminines, les cibles recherchées. Mais voilà, ce succès n’aura pas duré puisque la deuxième émission ne rassemble que 2,7 millions pour 12% de part de marché ; la troisième chute encore en atteignant seulement 9% d’audience et la quatrième ne fait guère mieux, peinant à atteindre les 2 millions de téléspectateurs.
Des bugs techniques, un jury irritant qui sonne faux, une présentation en duo qui se cherche, un manque de souffle et de surprise : la presse, tout comme le public, sont critiques. Les réseaux sociaux, plus particulièrement Twitter deviennent des défouloirs où la moindre erreur n’est pas pardonnée. Un comble pour cette émission musicale interactive.
« @Mauraneofficiel : « En résumé, pour moi #RisingStar c’était la première et la dernière fois » »
« @neige2407 : « Avis très mitigé sur cette 1ere de #risingstar, présentation tres en deçà et le surf sur la vie privé des candidats me dérange bcp » »
Un coup dur pour la chaîne qui partait pourtant confiante avec notamment Nicolas de Tavernost qui annonçait en mars dernier : «  Je vais vous faire une confirmation, un aveu, Rising Star ça va être un immense succès, voilà. »…raté.
Malgré des améliorations, le public n’adhère pas. En conséquence, la régie publicitaire de la chaîne doit revoir à la baisse ses tarifs, le coût des écrans passant de 60.000 à 30.000 euros les 30 secondes. Avant d’être un pari risqué pour la chaîne, Rising Star reste surtout un programme très onéreux.
Rising star : le télé-crochet où la voix est oubliée
Autre critique de l’émission : la focalisation sur l’histoire des candidats. « Je veux prouver à mes parents qu’ils se sont trompés », « j’ai abandonné l’école pour réaliser ce rêve », « je veux prendre une revanche sur la vie » : Ces phrases-là ne sont que des échantillons parmi tant d’autres. Pathos et sob stories** sont mis au premier plan et la prestation même du candidat au second. Avec les codes de la téléréalité, l’histoire du candidat est alors rabâchée encore et encore par la présentation ou par une Cathy Guetta larmoyante. Le cliché supplante alors la musique et faire le buzz semble alors être l’objectif principal. Nous sommes loin du concept de The Voice où la voix est au cœur de l’émission. Une volonté de la production ? Malheureusement cela ne paye pas et engendre moins de sympathie que d’agacement.
Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias, relève également le concept du mur comme repoussoir. Ce  « mur virtuel » peut « donner l’impression de quelque chose d’un peu désincarné, ou du moins dont on n’a pas l’habitude visuellement », annonçait-elle sur BFMTV. Cette dernière ajoute qu’il faudrait «laisser du temps au téléspectateur pour qu’il s’habitue. » Mais les téléspectateurs pros du zapping auront-ils assez de patience ?
Un échec du genre
Petite dernière sur la liste, Rising Star arrive dans une période où les télé-crochets sont assez contestés.
Serait-elle donc la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Là où The Voice est parvenue à se faire une place grâce à son concept novateur, Rising Star semble avoir manqué la marche et entretient cette lassitude des télé-crochets chez le public français. Les récentes déprogrammations de X Factor, Star Academy et Popstars ou la baisse d’audience de Nouvelle Star annoncent-elles déjà une fin prématurée de Rising Star ?
Si M6 assure ne pas vouloir diminuer son nombre de prime, la rude concurrence de TF1 avec la série Profilage attirant plus de 30% d’audience, la pression économique ou encore des crises internes comme la récente mort d’un participant, peuvent sonner la fin de ce programme. Rising Star parviendra-t-elle à échapper à une déprogrammation en France, là où l’Angleterre n’aura même pas attendu une première diffusion ?
*coup d’envoi
**histoires larmoyantes
Félix Régnier
Sources :
BFMTV
Europe 1
RTL
Le Tube (Canal +)

Ozap.com

Culture

No Ad: l'art, un danger pour la publicité?

 
 Deux mots, une idée:
NO AD c’est la nouvelle application smartphone pour iOs et Android lancée par deux américains, Jordan Seiler et Jowy Romano, artistes militants qui utilisent l’espace public comme nouveau lieu d’expression. La rencontre de deux esprits rebelles, passionnés d’art a donné naissance à cette application (en réalité augmentée) qui permet de remplacer les prints du métro new-yorkais par des œuvres d’art du Centre International de la Photographie en utilisant ces derniers comme des QR codes. Une initiative audacieuse puisqu’elle fait du métro de New-York un nouvel espace d’exposition pour les artistes partenaires, posant ainsi la problématique des champs d’expression possibles pour l’art et les marques. Néanmoins, une question subsiste : dans quel but?
3 000, c’est le nombre moyen de messages publicitaires auxquels nous sommes confrontés tous les jours! Les transports en commun, la radio, Internet : que l’on soit chez soi ou encore dans la rue, les marques sont omniprésentes voire « intrusives ». Il apparaît alors pertinent de se demander: et si trop de pub tuait la pub?
Assurément, les champs d’expression des marques n’ont plus aucune limite : si l’on peut tourner les pages d’un magazine ou zapper la chaîne de télévision qui diffuse notre série préférée pour la quatrième fois en une heure, il semble difficile de ne pas prêter attention aux panneaux publicitaires format 4×3 dans les rues ou dans les transports en commun, tout comme les pop-ups qui apparaissent sur tous les sites Internet que l’on visite. Et c’est précisément ce processus qui fait aujourd’hui l’objet d’une violente critique : cette communication envahissante, presque agressive, qui ne cesse de se perfectionner par le biais de stratégies de plus en plus ciblées et omniprésentes.
En effet, si le nom de cette application est si explicite, c’est qu’il y a aujourd’hui et depuis quelques temps déjà un rejet de la publicité, une indifférence face à tout ce « bruit publicitaire». On remarque ainsi, qu’un véritable courant anti-pub prend forme : contestataire et parfois violent, il s’exprime au travers du « brandalism » (le vandalisme des panneaux publicitaires), du boycott de certaines marques mais aussi des revendications moins agressives mais plus impactantes auprès des publics, comme le street-art. A la manière de Keith Haring dans les années 80 qui fit des rues de New-York sa toile XXL ou encore de Banksy, l’anonyme anti-système par excellence qui continue à faire des murs des plus grandes villes du monde de véritables œuvres dénonciatrices et provocantes, les partisans du « no-ad » s’emparent de l’espace public pour y exprimer leur message.

Ils entendent donc dénoncer « un système publicitaire agressif », palier à la « manipulation des esprits » et à « une pollution du paysage » qui poussent désormais une grande partie des consommateurs à ignorer ces nombreux messages. Voire, à y être complètement indifférent.
C’est donc dans l’optique d’une réappropriation des espaces publics, actuellement pris d’assaut par les marques, et de la collaboration de ces deux artistes, Jordan Seiler (un graffeur anti-pub) et Jowy Romano (le blogger/artiste du métro de la Big Apple), que No Ad est née.
Jordan Seiler parle, pour sa part, de « sensibilisation à l’environnement qui nous entoure, qui est à la fois un espace de vie et un espace d’expression ». Il réaffirme cependant, qu’en aucun cas ce projet ne veut « encourager quelque dégradation que ce soit ou n’importe quelle autre forme d’art illégal dans les espaces publics ».
Si l’application n’est pas totalement au point et ne sert aujourd’hui qu’à admirer les œuvres d’art au travers de l’écran de nos smartphones, elle est certainement l’une des plus prometteuses en la matière: No Ad ne pourra en effet pleinement montrer son efficacité qu’avec le système des Google Glass, par exemple. Pour les deux instigateurs du projet, il s’agit davantage d’une preuve de concept (POC) à développer en parallèle des nouvelles technologies à venir.
Enfin, en attendant l’arrivée de l’application dans les stations du métro parisien, la RATP ouvre, dès ce mois-ci, ses quais au photographe américain Garry Winogrand qui fait en ce moment l’objet d’une exposition au musée du Jeu de Paume. Vous pourrez admirer ses photographies dans seize stations et gares de la RATP jusqu’au 8 février prochain.
Prise de conscience ou simple initiative au profit de l’art de la rue? A suivre…
A tous les Curious, qui voudraient essayer l’application No Ad: malheureusement la démo du site ne fonctionne pas mais je vous invite à faire un essai sur la photo ci-dessous (qui se trouve déjà être une œuvre de l’artiste Poster Boy) pour vous donner un petit aperçu.

Et pour ceux qui veulent faire un petit tour sur le site de l’application, c’est par là !
En bonus, une petite vidéo qui lèvera le voile sur cette appli futuriste !
Alizé Grasset
Sources
Noad-app.com
Subwayartblog.com
Vimeo.com
Nytimes.com
Animalnewyork.com
Crédits photos:
noad-app.com
blogspot.com
lifeproof.fr

Culture

Place Vendôme VS Tchétchénie aux Rencontres d’Arles

 
Le 7 juillet 2014, les Rencontres d’Arles se sont ouvertes en « Parade »* pour leurs 45ème édition, mettant à l’honneur les photographes du sérail (Martin Parr, Raymond Depardon, David Bailey…) ayant accompagné depuis une dizaine d’années le directeur du festival international de la photographie, François Hebel.

Des sponsors liés à l’histoire même des Rencontres
Alors qu’elles sont à 48% financées par le Ministère de la Culture et de la Communication et les différentes institutions locales**, les Rencontres arborent fièrement sur les affiches une liste de prestigieux sponsors, de Gare&Connexions à l’Occitane. Certaines marques placent leurs produits au Parc des Ateliers, comme les grosses voitures BMW. Pourtant, d’autres entreprises s’intègrent intégralement dans le festival, en soutenant la création photographique par l’organisation d’expositions  et par des initiatives désormais incontournables. On peut citer parmi eux la sélection des SFR Jeunes Talents qui possède, pour la première fois depuis 9 ans, son propre lieu indépendant dans la programmation In, ou encore le projet Olympus qui met en lien des grands photographes professionnels avec des étudiants de l’Ecole Nationale de la Photographie. Pour SFR et Olympus, le message est clair : une visibilité de premier plan avant tout. Partenaire d’autres grandes institutions consacrées à la photographie (le BAL, festival Circulation(s), Paris Photo…), SFR soutient les jeunes photographes qui, selon eux, devraient être vus et reconnus. Recevant entre 500 et 1500 candidatures, SFR se positionne comme un acteur majeur des révélateurs de talents. Mais il s’affiche aussi comme le leader des nouveaux outils digitaux par le développement d’outils numériques (applications mobiles par exemple). Olympus quant à eux, il en va de l’identité même de leur marque que le soutien à la création photographique contemporaine. Plus que le placement de produit, la célèbre marque d’appareils photo est devenue un acteur essentiel de la rencontre entre les maîtres et les élèves et leur présence sur les lieux du festival n’est évidemment pas étonnante.
La banque Pictet et la société de gestion Carmignac, les nouvelles entreprises (culturelles) au cœur des Rencontres
Pourtant, sur la liste des entreprises présentes sur le festival, certaines peuvent étonner par la dissociation de leur cœur de métier avec la photographie. Deux attirent particulièrement le regard, et pourtant font désormais partie intégrante de l’activité culturelle européenne. Il s’agit d’une part du Prix Pictet, et de l’autre, du Prix Carmignac pour le Photojournalisme.
La banque Pictet a su saisir une bonne combinaison. Alors que les budgets mécénat consacrés à la culture baissent cruellement d’années en années en faveur de l’environnement et du social, cette banque suisse a trouvé le moyen de concilier ces domaines en récompensant chaque année un photographe dont le projet est orienté vers les défis écologiques et le développement durable, à travers des grands thèmes universels : l’eau, la terre, la puissance, la croissance et cette année, la consommation. Présidé par son excellence Kofi Annan, la banque Pictet se dit investie de la mission de responsabilité envers ses collaborateurs et la société. Si son engagement philanthropique s’est inscrit dans l’identité même de l’entreprise, c’est parce qu’elle entend, grâce à ce biais-ci, pérenniser ses relations clients et ainsi de maintenir la stabilité  de ses finances et de ses ressources humaines.  Le message est manifeste: « Dans toutes ces activités, c’est la fierté de nos collaborateurs d’appartenir à Pictet, la fierté de nos clients d’entretenir avec leur banque une relation privilégiée, et la fierté de notre maison d’être utile à la collectivité qui nourrit notre volonté d’agir en entreprise responsable”. Investie dans ces missions, le prix Pictet ne peut aucunement être blâmé. Par le bien-fondé des sujets traités singulièrement et pertinemment par les photographes, le prix Pictet réussit indéniablement son objectif : celui d’informer le public des defis environnementaux auxquels nous sommes tous confrontés, et ceci à travers des oeuvres photographiques. Et dans le même temps, s’insérer dans les Rencontres pour une visibilité nouvelle auprès d’un public nouveau, expert et avisé.

A côté de Pictet, c’est la société de gestion Carmignac qui a étonné à Arles à travers une exposition indépendante dans un très bel hôtel particulier en face des Arènes. Le sujet : un regard esthétique et fort sur la quête d’identité de la Tchétchénie d’aujourd’hui par le photo-journaliste Davide Monteleone. “En harmonie avec les valeurs de courage et d’indépendance, de transparence et de partage qui animent ses équipes, Carmignac Gestion a pris le parti de défendre un regard personnel et engagé, par définition minoritaire et pour cette raison même indispensable.” Carmignac en profite ainsi pour collecter certaines oeuvres des photographes afin d’augmenter sa propre collection d’art contemporain.*** Au delà de la programmation officielle, Carmignac s’associe à Voies Off, le festival Off des Rencontres et un laboratoire professionnel (lui-même soutien de la jeune creation photographique contemporaine), pour réaliser son exposition qui n’est aucunement à envier à celle du In.  En offrant une exposition à la portée de tous, gratuite et esthétiquement irreprochable, Carmignac se place au plus près des Arlésiens, du public, et des professionnels presents lors de ces évènements.
* La 45ème édition a pour titre « Parade »
** Chiffres pour 2011
*** La Collection Carmignac est présentée dans les bureaux du siège social Place Vendôme, mais ouvrira sa Fondation sur l’île de Porquerolles en 2015.
 
Joséphine Dupuy Chavanat

Eddy Bellegueule
Culture

En finir avec Eddy Bellegueule : petit aperçu d’une littérature polémique

 
Tel est le titre du premier roman d’Edouard Louis, paru aux Editions du Seuil en février 2014.
Qui est Eddy Bellegueule ? Comment en finir ?
Âgé de 21 ans lorsqu’il fait paraître ce premier titre, Edouard Louis, étudiant à l’Ecole Normale Supérieure, ne pense guère au succès. Ce dernier, victime de nombreuses injustices, ainsi qu’il le décrit dans son roman, ne semble d’abord écrire que pour figer et enterrer définitivement la vie qui l’a précédé. Et le titre, à cet égard, apparait révélateur. Qui est, originellement, cet Eddy Bellegueule, sinon Edouard Louis lui-même ? L’infinitif du verbe « finir » n’est pas sans dévoiler la finalité de l’ouvrage, à savoir confiner au passé l’identité d’Eddy Bellegueule. Car Eddy Bellegueule n’est plus. A présent, il est Edouard Louis. En témoigne l’épigraphe de l’ouvrage, tiré d’un roman de Marguerite Duras, Lol V Stein : « Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas ». Le jeune écrivain peut alors s’exprimer ainsi : « Eddy Bellegueule, c’était moi. Je l’ai tué. » Le roman en ce sens a une visée performative bien que nous ne soyons plus tout à fait dans le « quand dire c’est faire » de Austin, mais dans le « quand écrire c’est faire ». En effet, ici, écrire c’est faire mourir. Ecrire, c’est tuer.
La question qui se pose alors est la suivante : si Edouard Louis enterre, par l’écriture, son passé, quelle en est la raison ? Quelle est cette injustice subie ?
Tensions
Certes, le sujet de l’ouvrage peut sembler polémique (récit d’une enfance malheureuse, d’une sexualité reniée et moquée avant d’être affirmée). Néanmoins, c’est plus la réception de l’ouvrage qui semble problématique. Et précisément, la réception du livre par la famille de l’écrivain. Le jeune Edouard Louis, bien qu’il n’ait plus de lien fort avec les membres de sa famille, ne fut pas sans susciter l’indignation et la tristesse de ses proches, et notamment celle de son petit frère : « Je n’ai pas pu lire jusqu’au bout », raconte Andy. « Mon frère, c’était mon héros, mon exemple, je ne comprends pas pourquoi il nous a fait ça. » A cet égard, deux faits semblent pour le moins importants : d’une part, la correspondance entre la famille Bellegueule et le courrier Picard, qui n’est pas sans exposer la colère et le désarroi de la famille face à un ouvrage jugé « mensonger » ; d’autre part la venue de Madame Bellegueule à Paris, lors de la dédicace de l’ouvrage par Edouard Louis à la Fnac Montparnasse. Voyant sa mère se dresser dans l’assistance, le jeune homme prend peur. Après avoir quitté la salle, l’écrivain accepte finalement de rencontrer sa mère en privé. Sans surprise, sa mère l’accuse d’avoir ridiculisé sa famille et refuse d’accepter l’idée que cet ouvrage soit un roman, le percevant davantage comme un témoignage mensonger.
Entre roman et témoignage : une communication polémique
Si l’ouvrage n’est pas sans susciter la colère familiale, c’est bien parce qu’il se situe à la charnière entre le roman et le témoignage. L’individu écrivain communique en tant que sujet mais également en tant que représentant d’une enfance difficile. Dès lors que l’on perçoit le texte comme un témoignage, l’on peut penser qu’Edouard Louis révèle les travers de son existence personnelle, les travers d’un individu en tant que sujet distinct des autres individus. A contrario, dès lors que l’on considère le texte comme un roman, l’on peut affirmer qu’Edouard Louis communique sur l’universel par le biais du particulier. En effet, son histoire personnelle ne peut que contribuer à la dénonciation d’injustices plus générales. Ici, le genre littéraire qu’est le roman devient un outil de communication presque public. Il sert à mettre au jour une réalité partagée par de nombreux individus. Cette dichotomie, entre roman et témoignage, conduit à poser une question : à quoi sert ici l’écriture ? Est-elle un moyen de communiquer, puis par là-même de dévoiler et, plus encore, d’alerter ? Est-elle un outil de performativité, agissant sur l’individu lui-même, enterrant une identité pour en façonner une autre, tuant Eddy Bellegueule pour faire naître Edouard Louis ?
Autant de questions qui peuvent trouver réponse grâce à la lecture de ce roman, En finir avec Eddy Bellegueule.
 
Juliette Courtillé
Sources :
Courrier-picard.fr
Bibliobs.Nouvelobs.com
www.seuil.com/livre-9782021117707.html
LePoint.fr
Crédit photo :
« En finir avec Eddy Bellegueule », aux éditions du Seuil. © John Foley/Éditions du Seuil / Montage Le Point.fr

Culture

Coachella fille du désert

 
Le Coachella Valley Music and Arts Festival se tient tous les ans depuis 1999 à la fin du mois d’avril, dans la vallée qui porte le même nom, dans le désert sud-californien. Ce festival se présente désormais comme une référence dans le domaine de la musique actuelle. Le gigantisme est au cœur de cet événement, avec une fréquentation estimée à 225.000 personnes sur les trois jours. Le festival rayonne à tel point qu’il se tient désormais sur deux week-ends, avec les mêmes artistes qui dupliquent donc leur performance. Cependant, cette affluence record n’est pas ce qui fait de Coachella un festival unique en son genre.
Une programmation alléchante
Cette année encore les moyens colossaux du festival ont permis de rassembler les plus grands noms de la musique actuelle. Ainsi, au cours des trois jours, il était possible d’aller écouter la reformation d’Outkast, Muse ou encore Arcade Fire en tant que têtes d’affiche. Le reste de la programmation était également très prestigieux, avec des découvertes qui n’en sont plus, comme Queens of the Stone Age, Ellie Goulding, Lana Del Rey, ou encore Pharell Williams. Avec six scènes dans tout le site du festival, chacun pouvait y trouver son compte musicalement parlant. Mais là encore, cette accumulation de têtes d’affiches n’est qu’un des éléments du succès de ce festival.
 
La médiagénie de Coachella
Quand on pense festival de musique, on peut avoir assez facilement en tête l’image peu glamour de la boue anglaise notamment à Glastonbury, qui est la version britannique moins outrancière de Coachella. Or, prévoir un festival dans le désert californien, c’est à la fois l’assurance d’avoir du beau temps – rien de tel pour des photos sous le soleil avec des tenues estivales – et une foule de jeunes californiens plus ou moins connus, ou qui désirent l’être et s’habillent donc en conséquence. Les photographies de ce festival présentent un caractère idyllique, avec les traditionnels couchers de soleil roses en fond sur les scènes où se produisent des artistes renommés. Elles viennent ajouter une image de carte postale dont beaucoup rêvent, à la réputation déjà positive du festival.
Mais en parcourant les actualités et photographies liées à l’édition 2014 du festival, il semble bien que les artistes dont tout le monde parle soient plus présents dans la foule que sur scène. En effet, la presse people fait étalage des différentes stars présentes dans le public, allant de Leonardo di Caprio à Justin Bieber en passant par Johnny Hallyday ou encore Beyoncé, qui a rejoint sa sœur Solange sur scène. Ces quatre noms ne sont pas représentatifs des célébrités qui se déplacent, puisque dans la majorité des cas il s’agit de jeunes acteurs et actrices ou célébrités issues de la télé réalité. Les photos d’eux sont reprises sur les réseaux sociaux, et désespèrent beaucoup de fans qui souhaitaient s’y rendre, entrevoyant ainsi la chance de les croiser.
Ce que ces fans ne prennent cependant pas en compte, c’est que, la plupart du temps, ces stars se rafraîchissent dans les espaces VIP et les pool party organisées par les marques, qu’il s’agisse des magazines Nylon, Harper’s Bazaar ou des marques de vêtements H&M ou Lacoste. Les stars y passent quelques instants au calme. Le contact avec la foule est donc limité au profit d’une véritable opération de communication. Les marques y trouvent du crédit – Lacoste aurait payé Lea Michele, la star de Glee, 20 000 dollars pour sa présence – et les stars paraissent quant à elles plus décontractées, ainsi qu’une certaine crédibilité artistique en affichant un tel intérêt pour la musique. Mais celle-ci demeure bien au second plan, notamment lorsque la présence d’une starlette fait le buzz, comme ce fut le cas cette année à l’occasion d’une photo volée de Justin Bieber et Selena Gomez ensemble.

La viralité est également bien au cœur du festival. L’organisation a même prévu des « social checkpoints » pour que chacun puisse à l’aide d’un bracelet affirmer sa présence sur les réseaux sociaux (Spotify ou Facebook). Les marques ne pouvaient pas se tenir à l’écart du phénomène. Ainsi, Forever 21 se lance en créant le hashtag #ForeverFest pour mettre en valeur les tenues qui relèvent de l’esprit du festival. La festivalière type est un brin hippie avec les éternels headbands à fleurs, les shorts ou encore les longues robes. Surfant sur le phénomène, la marque s’attache les valeurs de Coachella, devenant, dans l’esprit des consommateurs ciblés, aussi cool que les starlettes qui y assistent, sans qu’aucun partenariat explicite ne soit revendiqué, même si la marque a pu organiser une pool party privée comme les autres. Cette communication situationnelle, liée à l’événement que constitue le festival permet de faire vivre les réseaux sociaux de la marque et la marque elle-même, démontrant ainsi son adaptabilité, et en faisant de l’achat chez Forever 21 un événement à son tour.
Coachella se place donc, encore plus aujourd’hui, comme un festival de musique attirant les plus grands artistes du moment, mais aussi un festival de la viralité. Arcade Fire, groupe canadien qui faisait la clôture de l’édition 2014, l’a bien compris, faisant intervenir sur scène un duo casqué, répondant au nom de Paft Dunk (vous avez bien compris à qui ils font référence) et jouant un très court extrait en version ralentie de Get Lucky. Le public n’en savait rien, et s’est interrogé sur la présence réelle du duo si attendu. Comme un symbole, avec ce buzz relatif, la performance du groupe canadien a été légèrement éclipsée, masquée par l’aspect people et viral : les gens auraient adoré dire avoir fait partie des privilégiés qui ont vu les Daft Punk – si rares sur scène – à Coachella
 
Astrid GAY
Sources
20minutes
Coachella

Fondation van gogh
Culture

Fondation Van Gogh Arles : une nouvelle source d'énergie pour la ville

 
Les Rencontres Internationales de la Photographie, Actes Sud, la Fondation Luma… depuis son ouverture le 7 avril 2014 s’ajoute à cette liste la toute nouvelle Fondation Vincent Van Gogh Arles.

Le symbole est fort : alors que Van Gogh n’y a pas passé plus de deux ans de sa vie, il a pourtant produit à Arles un série d’oeuvres aujourd’hui monuments de l’histoire de l’art. Accueillir de nouveau Van Gogh à Arles permet à la ville d’asseoir encore un peu plus son assise dans le monde culturel et de s’affirmer comme place forte, voire incontournable de la scène artistique mondiale. L’exposition Van Gogh Live ! commissionnée par Sjaar van Heutgen met subtilement en exergue les peintres qui ont influencé Van Gogh et des créations contemporaines directement influencées par l’artiste hollandais.

Le pari est à la fois pertinent et risqué : si le choix d’une installation monumentale de Thomas Hirschorn répond aux objectifs muséaux de s’inscrire dans le sérail de la créativité contemporaine jusqu’ici appréciée et connue, la fondation se place toutefois comme le moteur de la jeune scène artistique, en exposant notamment Guillaume Bruère, un jeune artiste époustouflant, méconnu jusqu’alors.
C’est encore une réussite pour Maja Hoffman, mécène des Rencontres, fondatrice de la Fondation Luma dont le bâtiment dessiné par Frank Gehry devrait ouvrir en 2018, et aujourd’hui présidente de la Fondation Van Gogh Arles. Elle a su s’entourer d’acteurs majeurs, comme Bice Curiger, rédactrice en chef de la revue Parkett et commissaire de la Biennale de Venise en 2011. L’ouverture de la Fondation Van Gogh souligne encore une fois le contexte extrêmement fertile et l’énergie dans laquelle se trouve la ville d’Arles.
 
Joséphine Dupuy-Chavanat
Sources :
Le site de la Fondation Vincent Van Gogh Arles
Le Monde.fr
Giom.info

Culture

Les Fantômes de la Fantasmagorie selon Pierre Delavie, ou comment les tremblements de l’histoire s’exposent sur les pierres augustes du Grand Palais

 
Qu’est-ce qu’une « fantasmagorie » ?
 Pour le savoir, il convient (comme souvent quand on se pose une question fondamentale en termes d’études visuelles) de se retourner vers Walter Benjamin. Celui-ci la considère comme cet art pré-cinématographique qui consiste, par un jeu de lumière particulier, à faire apparaître les entités fantasmatiques, ectoplasmiques, fantomatiques d’une époque. C’est la version temporalisée du kaléidoscope, mais c’est également la version heuristique des spectacles de foire et de l’usage « sensoriel » des images. Aussi la « fantasmagorie » deviendra-t-elle, pour le philosophe, l’objet et la méthode, par excellence, dont la Modernité s’est dotée pour actualiser au passé la vérité de la Marchandise, de la Ville, de l’Argent ou de l’Accès.
Loin de se réduire à un jeu d’ombres, la fantasmagorie produit alors une connaissance à travers le choc de la rencontre entre les différentes strates d’une Histoire et de ses objectivations. Toute la théorie postmarxiste va mettre ses pas dans ce cheminement fantomal : le « spectre » du capitalisme et du marxisme, ou encore « les spectres de Marx », voient défiler une « hantologie » (Derrida) des textes et des figures d’un passé révélateur – comme dans un bain « échographique » (Derrida encore) – de corps et de corpus voués à revenir nous parler.
La fantasmagorie est une phénoménologie dansée
Mais la fantasmagorie peut également se voir comme une pratique qui trouve une formule expressive parfaite – technique (comme média), spirituelle (comme outil médiumnique) et artistique (comme medium d’expression) – dans la danse. L’agorie des phantasmes s’apparente alors à une chorégraphie de fantômes. Walter Benjamin ne s’y trompe pas :
« Il faut penser aux tableaux magnifiques d’Ensor où des spectres emplissent les rues des grandes villes : des petits bourgeois affublés de déguisements de carnaval, des masques enfarinés déformés, des couronnes de paillettes sur des fronts virevoltent à perte de vue. Ces tableaux ne sont peut-être rien d’autre que l’image de cette renaissance effrayante et chaotique en laquelle tant de gens placent leurs espérances. »
 Des tableaux d’Ensor à la mode des zombies (de Romero à Cosmopolis ou au comics-mis-en-série The Walking Dead), la peinture sociale continue au 21ème siècle d’afficher sa prédilection esthétique pour les motifs de la foule, de la « mobilisation » et de la procession de morts-vivants. Sauf que, accès et participation numériques obligent, la fantasmagorie 2.0. prend volontiers les habits de la mascarade et du carnaval cathartiquement gore que l’on appelle les « Zombie Walk ». Dans une sophistication électronique de la séance seventies du culte The Rocky Horror Picture Show, le spectacle fantomagorique se fait grandeur nature, au sens où les artères des métropoles déversent le flux symbolique des cortèges aux couleurs « emo dark » et aux ralliements « hémo-pride ».
Pierre Delavie et la « Néo »-fantasmagorie
Villes qui marchent ; rues qui s’étalent en corps-marchandises ; espaces marchands. Plus que jamais en 2014, la fantasmagorie désigne la culture du marché et le règne des industries culturelle. La salle de spectacle se fait spectrale, le magasin se fait magazine et la rubrique se fait rayon. Le Grand Magasin confond les lois du marché et du Musée.
 Pierre Delavie s’inscrit dans cette jeune tradition des transformations plastiques qui investit l’histoire attestée ou fantasmée des tectoniques urbaines et de leurs images. Manipulant les lieux à la fois comme un poète des matériaux et des murailles – citant la mythologie (Amphion) -, comme un analyste des rêves enfouis dans la pierre – citant la psychanalyse – et comme un conteur des fictions encapsulées dans les objets – citant la tradition des affabulations vraies, des trompe-l’œil et des grandes illusions -, Pierre Delavie rend vives et dansantes les pierres en les confrontant à leurs propres spectres intimes.
 Après le détournement de la Canebière (Marseille Capitale de la Culture 2013) et le chamboulement de l’Hôtel des Postes (Lille 3000 Fantatisc 2012), voilà que Pierre Delavie s’attaque au Grand Palais à l’occasion de la nouvelle grande exposition consacrée à Auguste, le premier Empereur romain.
Les Fantômes du Grand Palais
Et il est peu de dire que la fantasmagorie y est multiple. Elle décline tout le spectre des couches historiques, archéologiques et figurales qui traversent ce Monument de la Monumentalité qui s’appelle le Grand Palais. Alors que les forums (dont les agoras sont les spectres) de Rome sont directement évoqués au sein de l’exposition, l’œuvre de Pierre Delavie nous rappelle in foro externo l’influence « néo »-romaine de son édification à la fin du 19ème siècle. « Capitale du 19ème siècle », Paris est alors traversé par les avant-gardes de l’Art Nouveau qui triomphent sous l’Arc industriel et marchandisé des Expositions Universelles. En 2014, la nuit qui tombe sur la façade en fait refléter tous les fantômes :

Présenté sous la forme d’un « rapt architectural », ce tremblé facial révèle à la fois la parenté néo-romaine (voire néo-pompéienne) d’un palais feignant de s’ébouler et de s’ébrouer. Mais ce n’est pas tout. Pleinement benjaminienne, l’œuvre fantasmagorique arrête le temps de sa propre marche pour nous mettre face au réveil faussement immobile du bâtiment. Le rapt n’est pas qu’un enlèvement, fût-ce celui des Sabines, qui se cachent dans les creux de l’œuvre.

Le rapt est également un apport de sens. La fantasmagorie prend la forme d’une épiphanie,  d’une agoraphanie, pourrait-on dire pour faire trembler à notre tour la notion. L’espace public se révèle comme une place autre, traversée par les fantômes de l’histoire, les fantômes du pouvoir, les fantômes de la représentation elle-même :

De l’empereur Auguste à Charles De Gaulle, le Grand Palais devient un document et non plus seulement un monument. Dessiné à nouveaux traits par Pierre Delavie, le Palais s’offre dans les reflets d’une histoire de la Nation : visitée par l’événement originaire de son éternelle Révolution et du spectre de sa Libération, elle est travaillée par l’autre histoire qui ne passe pas, celle de sa puissance industrielle et coloniale.
Et Auguste dans tout ça ?
C’est là que s’accomplit le réveil sourd que contient toute fantasmagorie. En l’occurrence : à la fois Temple de la culture, de l’industrie, de la marchandise et de la machine, le Grand Palais hérite des Expositions Universelles parisiennes un sens de l’histoire dont le ressort politique était « mythique », « féérique » et « mystique », ici directement rapporté à la res gestae d’Octave.
La campagne de publicité affichée dans le métro est passionnante alors, qui met en « ombres » énigmatiques la figure de l’empereur exposée :

Au centre d’une arène agorique, le fantôme s’étoile comme un avatar qui revient du passé. Se voulant pop et geek, la campagne repose sur le teasing d’un self-tweet, à moins que ce soit Auguste qui lève son pouce face à Octave. Toujours est-il que le spectre du « like » se présente explicitement ici comme le doigt levé dans l’arène.
Sur la façade aérienne du Grand Palais, la fantasmagorie delavienne s’élève en écho avec cette campagne souterraine. Elle fait scintiller les enjeux encryptés dans les surfaces et révélés, non par quelque magie de la profondeur, mais par les vertus plastiques d’un tremblement ou d’un rapt des images : le Grand Palais célèbre la Puissance comme une « réserve » (Louis Marin) de sens multiples dont l’une des interprétations pourrait s’actualiser – ici et maintenant en 2014 – sous le nom provisoire de la « crise ».
Ictus plastiques et ectoplasmes
La crise est l’hypertrophie du choc. La fantasmagorie est la traduction esthétique du choc. Le vertige psychique du « mensonge urbain » devient ainsi avec Pierre Delavie la version plastique du fantôme de l’Histoire.
Et revoici Benjamin à nouveau, notre Ange de la nouveauté :
Une toute nouvelle pauvreté s’est abattue sur les hommes avec ce déploiement monstrueux de la technique. Et l’envers de cette pauvreté, c’est la richesse oppressante d’idées qui filtrent chez les gens – ou plutôt qui s’emparent d’eux – à travers le réveil de l’astrologie et de la sagesse yoga, de la christian science et de la chiromancie, du végétalisme et de la gnose, de la scholastique et du spiritisme. Car ce n’est pas un véritable réveil qui se produit, mais une galvanisation.
Dans le contexte de l’hémorragie financière et des économies exsangues, la fantasmagorie retrouve pleinement ici sa valeur benjaminienne de liquidation, de dynamitage, de déconstruction salutaire. Pierre Delavie nous montre ainsi que le rapt est avant tout un processus « galvanisateur » : c’est une émotion électrique au cœur de la Machine. Ghost in the shell…
Dialectique de la splendeur et de la décadence, du haut et des bas, du vrai et du faux, du vivant et du pétrifié, le montage photographique tente de fixer le mouvement du temps et de l’histoire dans les trémulations de la pierre dressée. Le « rapt » du Grand Palais peut ainsi se lire comme la fantasmagorie de la « Puissance » en crise.
Olivier Aïm
Maître de conférences au CELSA