Politique

Les Liaisons Dangereuses

 

« La haine est toujours plus clairvoyante et plus ingénieuse que l’amitié ». Évoqué par Laclos au 18e siècle, ce principe n’a pas pris un pli et les enveloppes envoyées au sénateur Roger Wicker et au président Barack Obama en sont bien l’exemple.
Comment les moyens de communication deviennent-ils des armes destructrices ?
Lorsque Valmont et la marquise de Merteuil correspondent, c’est le contenu des lettres qui est dangereux, leurs actions, leurs secrets, leurs projets. Et déjà la relation épistolaire devient dramatique par les propos qu’elle tient et les conséquences qu’elle implique à leur découverte.
Avec les lettres du 16 et 17 avril dernier, c’est le moyen de communication lui-même qui est empoisonné.
La recette, un peu fantastique mais malheureusement vérifiée, est simple : saupoudrez vos écrits d’une pincée de poison mortel ! En effet, à partir d’une certaine dose, le pouvoir toxique de la ricine, cette macro-molécule, peut être létal.
Alors quand le moyen de communication est empoisonné, il devient difficile de communiquer. Ce ne sont plus les mots qui sont toxiques, ce ne sont plus les manières de les utiliser qui sont néfastes mais c’est la lettre qui devient une arme.
De la peur de l’autre à la peur d’une communication homicide
Les interactions entre les hommes sont souvent compliquées. En effet, les valeurs, les sentiments, le tempérament propre à chacun, amènent à la méfiance de ce qui est autre. D’autant plus que ce qui est méconnu voire inconnu a tendance à attiser cette peur.
La communication reste le moyen pour appréhender et connaître autrui. Cependant lorsque les codes de cette dernière sont corrompus il est difficile de ne pas s’en méfier.
Avec la remise au goût du jour des lettres empoisonnées c’est la peur de la souffrance et de la mort qui entrent dans l’imaginaire de la communication interindividuelle.
En parallèle des attentats à la bombe de Boston, le bioterrorisme et la terreur d’une mort invisible sont de nouveaux éléments à ajouter à ce moyen de communication. L’évolution des usages de la lettre fait aussi évoluer sa conception. Au delà de la lettre de cachet qui vouait arbitrairement à la prison ou à la mort ceux à qui elle était envoyée, la lettre empoisonnée agit sans que celui qui la lit ne s’en rende compte. Et c’est cette invisibilité qui inquiète.
Cette pratique marginale de la rédaction entre dans le champ de réflexion des relations épistolaires.Heureusement, notre indifférence, plus ou moins prononcée, ne nous empêche pas de continuer à vivre.
Par ailleurs, les autorités et les médias n’évoquent ni le contenu des lettres envoyées ni le possible lien entre elles. Cela pourrait être remis en question. Les États-Unis sont ébranlés de toutes parts et les temps sont durs du côté de la superpuissance ; composée d’humains elle reste toujours mortelle. Enfin, le fameux Memento Mori nous rappelle que les liaisons dangereuses sont surtout celles que nous entretenons avec la mort.
 
Maxence Tauril

Politique

L’art de la propagande

 
Nouveau chef, nouveau style. Officiellement au pouvoir depuis avril 2012, Kim Jong-Un compte aujourd’hui asseoir la Corée du Nord dans un monde où ce pays n’existe quasiment pas, en montrant à la communauté internationale qu’elle a affaire à un vrai chef de guerre. Et c’est principalement en déployant l’arsenal militaire du pays qu’il le laisse entendre. Arsenal militaire, mais pas seulement. En bonne dictature communiste, tout ce qui ressort de la Corée du Nord est parfaitement intégré à une stratégie de communication bien ficelée.
Une propagande 2.0
La Corée du Nord est experte dans l’art de la propagande. Elle se déploie assez largement sur le net, où une agence de presse officielle y diffuse des communiqués en anglais, appuyés par Uriminzokkiri, le site de propagande du gouvernement. Mais Pyongyang a également mis en place une com’ 2.0 assez importante : un compte Twitter (suivi par plus de 10 000 personnes !), une chaîne Youtube diffusant plus de 2 400 vidéos de propagande, et même un compte Flickr, où la beauté des paysages, la grandeur du dirigeant et le bonheur au travail dans les usines, sont mis en valeur. On peut en effet parler d’une propagande très moderne, avec une présence numérique forte. Une communication assez développée, mais qui marque un paradoxe puisque le pays est quasiment entièrement coupé d’internet : le web y est plutôt utilisé pour toucher l’extérieur du pays.
Kim Jong-Un, une figure atypique
L’arrivée de Kim Jong-Un sur le devant de la scène nord-coréenne a imposé le nouveau style plus « people » (toutes proportions gardées…) d’un chef d’État posant devant les médias avec sa femme, jeune élégante qui apporte une touche de modernité à l’image du pays. Un style d’ailleurs assez paradoxal : pour la première fois dans l’histoire du pays, un spectacle de Disney, pourtant représentant du grand ennemi américain ô combien honni, a eu lieu sur le sol nord-coréen. Un nouveau souffle ? En apparence. La technique de diffusion de la bonne parole nord-coréenne reste la même ; son leader est dressé au rang de héros, de chef de guerre intrépide, capable d’exploits incroyables. Ce Bob Morane des temps modernes est magnifié dans un documentaire diffusé à la télévision nord-coréenne en janvier 2012 :

Son arrivée au pouvoir a donc été nettement marquée par une rhétorique belliqueuse. Depuis quelques jours, il promet un « combat total », une « guerre nucléaire » ou encore une « mer de flammes » à ses ennemis américain et sud-coréen. En quinze jours, l’armistice de 1953 est annulé, les exercices militaires sont multipliés et les unités d’artillerie placées en position de combat. Symbole suprême de ce message belliqueux, la coupure du téléphone rouge avec la Corée du Sud, qui permettait aux deux pays de discuter la gestion du parc industriel de Kaesong, l’un de leurs rares projets de collaboration.
La belligérance, un état permanent
Cette opération de communication vise également les Nord-Coréens eux-mêmes, en cherchant à maintenir le pays dans un état de menace permanent, afin de renforcer le sentiment nationaliste, et convaincre la population que la prospérité n’existe pas au delà des frontières. Par ailleurs, le renforcement de l’image de puissance du pays contribue à construire la figure de leader de Kim Jong-Un. L’atout nucléaire apparaît comme un moyen supplémentaire d’asseoir sa puissance, et d’exercer une pression sur la communauté internationale en se donnant un pouvoir de négociation.
Entre petites ouvertures à la civilisation occidentale et renforcement de l’hostilité envers l’extérieur, les décisions de Kim Jong-Un paraissent assez paradoxales. Ses intentions réelles font débat entre les experts, mais tous s’accordent à dire que la finalité de cette agitation est le renforcement de sa figure de chef dur et intrépide. Certains, plus rares, ajoutent à cela l’hypothèse que tout ceci ne serait qu’une communication du dirigeant à l’encontre des têtes pensantes du régime, afin de se légitimer à leurs yeux et d’affirmer son leadership, dans le but à long terme d’emmener son pays dans une voie plus moderne, à laquelle il a pu prendre goût durant ses études en Suisse.
Quelles que soient ses intentions, Kim Jong-Un peut se vanter d’avoir suscité l’inquiétude dans la communauté internationale. Inquiétude, mais aussi réactions : la communication du régime a été tout récemment malmenée par le groupe Anonymous. Celui-ci, dans la veine de l’opération #OpFreeKorea, a pris le contrôle de ses comptes Twitter et Flickr et s’est emparé des mots de passe de 15 000 utilisateurs de uriminzokkiri.com.
Avant la guerre nucléaire, le régime doit d’abord s’attaquer à la guerre de communication.
 
Bénédicte Mano
Sources :
Francetvinfo.fr
HuffingtonPost
Lefigaro.Fr

Politique

Jacques a dit : « le silence est d’or »

 
Combler le vide
Le 2 mai 2012, les quinze « moi président » prononcés en trois minutes et vingt-et-une secondes ont rendu célèbre son orateur. Le 28 mars 2013, le candidat, devenu président,  reprenant la même recette qui avait fait ses preuves, parsème son discours de dix « je suis le président. »
Jeudi dernier, en effet, François Hollande a décidé de faire une intervention télévisée afin de rassurer les Français… et se rassurer lui-même après la baisse inquiétante de sa cote de popularité. Il est venu chercher les Français afin leur expliquer son action et ainsi regagner leur confiance. Un beau projet de communication qui ne se résume pas à cette seule intervention sur France 2. En effet, il semblerait bien que le président de la République veuille occuper la scène médiatique pour quelques semaines encore. Selon son entourage, « le président sera amené à s’exprimer dans les prochaines semaines, avant sa conférence de presse du 15 mai. »
(Cette soudaine volonté d’occuper l’espace médiatique ne serait-elle pas, en outre, un moyen de centraliser les regards, les pensées des Français ? Les détourner d’autres luttes qui ébranlent la société ?)
Un dialogue inexistant
Toutefois, même si Monsieur Hollande souhaite parler jusqu’à être entendu, je doute que des paroles suffisent à regagner la confiance, l’estime du peuple qui l’a élu. Notons que, parce que David Pujadas interroge François Hollande, il y a, de prime abord, un dialogue. Mais il s’agit en réalité d’un dialogue mis en scène, factice donc. Hollande ne quitte guère Pujadas des yeux… lui qui est pourtant venu parler aux Français. Le visage de biais, jamais il ne se retrouve de face. Fuite ? À moins que David Pujadas ne soit censé incarner l’ensemble du peuple français, tout dans le dispositif médiatique indique comme un refus d’entrer en relation avec les téléspectateurs.
En outre, les « je suis le président » semblent montrer que François Hollande a conscience de la charge qui lui incombe. Pourtant, la prédominance des pronoms personnels de la première personne souligne aussi une focalisation du président sur lui-même. Rassurer les Français devient synonyme de défendre sa fonction.
L’invitation au dialogue devient monologue.
Un rendez-vous mondain
Le président avait pourtant choisi un beau créneau horaire : il est venu au journal télévisé de France 2 et a réussi à rassembler huit millions de téléspectateurs (moins nombreux qu’en septembre dernier tout de même). Une belle réussite semble-t-il. On peut d’ailleurs se demander s’ils sont tous restés jusqu’au bout : 1h15 d’intervention, c’est long, surtout pour un public habitué au zapping.
Au-delà de la quantité, intéressons-nous à la qualité de l’auditoire : selon un sondage BVA, 66% des téléspectateurs n’ont pas été convaincus. Chiffre à prendre avec distance bien sûr… surtout lorsque l’on sait que les Français sont râleurs ! L’auditoire, qui connaît désormais François Hollande depuis un an, était plus critique, plus méfiant. Il connait déjà les belles paroles, la mise en scène simple voulue par un président, qui se définit comme un « homme normal » avant tout. Il lui faut quelque chose de plus percutant… Hollande, à vous de jouer !
En France, cette intervention ne fut finalement positive qu’aux yeux des socialistes. Dans ce contexte difficile, rester solidaire est une nécessité. Que ce soit de la part de François Copé (UMP) ou de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), les critiques sont nombreuses et se retrouvent même à l’étranger (notamment en Allemagne).
Clothilde Varenne
 
Source :

Politique

Le Triduum pascal de Sarkozy

 
Sarkozy a-t-il envie de revenir ou le fera-t-il par devoir ? Sera-t-il le dernier recours pour redresser la France, ou finira-t-il de l’achever ? Les convictions de chacun répondront à ces questions et l’histoire jugera ces réponses. Mais quelque soit l’avenir ou le non-avenir politique de Nicolas Sarkozy, il est intéressant d’observer la manière dont le récit de son retour se met en place… Un récit quasi « christique » si on en croit la dernière Une de Charlie Hebdo. Une caricature qui fait écho à l’entrée des chrétiens dans le « Triduum pascal » dès ce jeudi. Risquons-nous à pousser l’analogie de Charlie Hebdo jusqu’au bout, et regardons d’un peu plus près le « Triduum » de Nicolas Sarkozy.
Jour 1 : le dernier repas ou le discours de la mutualité
Pour les chrétiens, le premier jour du Triduum pascal est la célébration de “l’ultime repas du Christ avec ses disciples, où il leur annonce le don qu’il va faire de sa vie, librement et par amour.”[1] Jésus, lors de son dernier repas, lave les pieds de ses disciples et nous montre par ce geste l’image d’un Dieu au service de son peuple [2]. Nous pouvons donc distinguer trois messages-clés de ce passage de la vie du Christ : le don de soi, le service des autres et l’amour.
Le discours de Nicolas Sarkozy le soir de sa défaite se construit lui aussi autour de ces trois axes majeurs. D’abord le don de soi :  « je me suis engagé totalement, pleinement. » [3] Ensuite le service : « cela fait dix ans que chaque seconde, je vis pour les responsabilités gouvernementales au plus haut niveau. » Et à ce moment, il redevient un « français parmi les français. » Enfin, l’amour. L’amour pour la France : « j’ai l’amour de notre pays inscrit au plus profond de mon cœur. » et l’amour pour les français : « vous êtes la France éternelle, je vous aime ! »
Concernant son avenir politique, il nous livre un mystérieux message : « Une autre époque s’ouvre. Dans cette nouvelle époque, je resterais l’un des votre. […] Mais ma place ne pourra plus être la même. » Alors que Jésus, en son temps, expliquait à son apôtre Pierre : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. » (Jean, 13).
Ainsi, en 10 minutes de discours, Nicolas Sarkozy a posé les bases sur lesquelles pourront s’appuyer le récit de son retour…
Jour 2 : la passion du Christ ou l’acharnement politico-mediatico-judiciaire
Le deuxième jour est celui de la passion du Christ… L’humiliation publique et la souffrance physique de Dieu fait homme, jusqu’au sacrifice ultime : la crucifixion. « Dans ce geste radical d’humilité, qui renverse la vision païenne d’un dieu dominateur, les chrétiens reçoivent la révélation d’un Dieu qui n’est qu’amour. » [4]
Nicolas Sarkozy renverse aussi son image. Avant sa défaite, et de plus en plus aujourd’hui, il se présentait comme une « victime » : « Et puis, regardez comment j’ai été traité ! » [5] Victime de l’acharnement de ses adversaires politiques qui ont surfé sur la vague du « tout sauf Sarko ». Victime de l’acharnement médiatique « sans précédent » pour un président de la République. Victime aujourd’hui d’un acharnement judiciaire à travers sa mise en examen, une « accusation infamante, insultante » [6] selon Henri Guaino. Nicolas Sarkozy déclare lui-même qu’il fait  « face à l’épreuve d’une mise en examen injuste et infondée. » [7]
L’analogie entre le récit christique et le récit sarkozien se poursuit. Jésus a été crucifié alors que son juge Ponce Pilate ne voyait lui-même aucun élément justifiant une quelconque condamnation. Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour expliquer que la seule motivation du peuple de France à choisir François Hollande était le rejet de Nicolas Sarkozy, de la même manière que la foule a préféré libérer Barabas à la place de Jésus. Non par sympathie pour ce criminel, mais par rejet de Jésus. Nombreux sont les supporters de Nicolas Sarkozy et les analystes politiques qui ont déjà franchi ce pas [8] et qui décrivent l’accession de François Hollande comme un « accident de l’histoire ».
Jour 3 : la résurrection d’entre les morts ou la reconquête
Le dernier jour du Triduum pascal « est un jour de silence et de recueillement, un jour d’attente », juste avant la célébration de Pâques : « la résurrection de Jésus, son « passage » de la mort à la vie. » [9]
Nicolas Sarkozy entretient méthodiquement la présence médiatique de son absence et s’attache à conforter le récit christique de sa reconquête : le nouveau président accueilli comme un Roi en 2007 (l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem) ; le rejet virulent d’un homme jusqu’à l’humiliation publique (la passion du Christ) ; ses amis qui, soit le renieront (plus de trois fois), soit témoigneront de ses bienfaits jusqu’au bout (les apôtres)…
La partie la plus importante de cette histoire reste à écrire : celle de la reconquête, celle de la victoire de la vie sur la mort, l’histoire de la résurrection, de l’homme descendu au plus bas pour remonter au plus haut et promettre la vie éternelle à chacun. Une histoire qui passionne déjà les journalistes qui sont impatients d’en écrire la fin. Mais l’élément le plus central de l’histoire du Christ est surement l’élément que Nicolas Sarkozy aura le plus de mal à obtenir : la Foi. Les français, au moment venu, auront-il encore foi en lui ?

Pierre-François Jan
[1] : http://www.croire.com/Definitions/Fetes-religieuses/Semaine-sainte/Qu-est-ce-que-le-Triduum-pascal
[2] : http://viechretienne.catholique.org/meditation/10077-le-lavement-des-pieds
[3] : Discours de Nicolas Sarkozy à la Mutualité – 6 mai 2012
[4] : http://www.croire.com/Definitions/Fetes-religieuses/Semaine-sainte/Qu-est-ce-que-le-Triduum-pascal
[5] : http://www.atlantico.fr/rdvpresse/sarkozy-dans-valeurs-actuelles-qu-dit-exactement-marcela-iacub-au-tribunal-nouvel-obs-accusee-levez-revelations-mag-liaison-avec-659669.html#hCKEG3pyZWvrk6pP.99
[6] : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/03/25/01016-20130325ARTFIG00460-henri-guaino-le-juge-gentil-salit-la-france.php
[7] : Communiqué de Nicolas Sarkozy sur sa page Facebook, le 25 mars 2013
[8] : “Cette dimension de vote de «rejet» est sensible, 55 % des électeurs de François Hollande disent qu’ils sont allés voter en sa faveur pour «barrer la route à Nicolas Sarkozy»”
[9] : http://www.croire.com/Definitions/Fetes-religieuses/Semaine-sainte/Qu-est-ce-que-le-Triduum-pascal

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Politique

La motion de censure : un duel institutionnel

 
« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. » écrit le Général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. En déposant une motion de censure à l’Assemblée Nationale le 15 Mars dernier, JF Copé, Président de l’UMP, ne contredit pas l’ancien chef de l’État, le seul dont le gouvernement avait dû démissionner après une motion de censure votée contre lui en 1962. A l’époque, une majorité de députés s’opposaient au référendum pour valider l’élection du président de la République au suffrage universel direct.
Cette initiative, parfaitement symbolique, permet à Jean-François Copé d’affirmer son autorité à la tête d’une opposition dont la cohésion et la force ne sont pas encore tout à fait évidentes. Mercredi dernier, le Président de l’UMP s’est exprimé dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, s’offrant ainsi une tribune pour sa « reconquête » tout à la fois personnelle et électorale. Bien entendu, la motion a été rejetée, seuls 228 députés ayant voté pour (tous de la droite, de l’extrême droite et du centre), alors que la majorité requise était de 287 voix. Aussi, il semble évident de traduire cette critique du gouvernement officialisée au moyen de cette motion de censure comme la volonté de l’opposition de mettre en scène une parole subversive contre l’exécutif, soutenue par une rhétorique apocalyptique. En témoignent les termes employés par JF Copé lors de son discours lorsqu’il évoque la situation actuelle de la France : « la défaite de notre pays », « message d’alerte », « spectacle insupportable », « sentiment de gravité », « déclin économique et social de la France ». Il n’avait pas été plus nuancé lors de son intervention télévisée au JT de TF1 le dimanche 17 mars pour évoquer la motion de censure, dénonçant un « gouvernement aux abois », responsable de « la ruine du pays ». Il propose d’ailleurs de résoudre cette catastrophe politique et économique par un « big-bang économique », pour rester dans la métaphore apocalyptique.
Une motion de censure, sous la Ve République, c’est un peu comme un drame au théâtre : les rôles et les péripéties sont déterminés, la fin de l’histoire est connue de tous. Cette mise en scène de l’action de l’opposition, plus symbolique que réelle, invoquant une dramaturgie héroïque, est un message de communication politique plus qu’un geste patriotique. Et cela, même si M. Copé en appelle au devoir de désapprobation civique et morale pour dénoncer le gouvernement, en souhaitant « faire de ce débat un moment démocratique, un moment de vérité, l’une de ces circonstances rares ou il est donné à l’exécutif si puissant dans nos institutions à nos jours d’écouter l’opposition ». La gauche détient en effet la majorité à l’Assemblée Nationale, et jamais les Verts ni les partis de gauche auraient accepté de former une coalition avec la droite pour déroger le gouvernement actuel. Une seule issue était donc possible : celle d’une parole politique suspendue et sans effet, suite à un affrontement entre Copé et Ayrault. La majorité a donné raison au gouvernement, même si celui-ci avait été fragilisé la veille par la démission de Jérôme Cahuzac.
Mais ce drame classique se transforme au fil des ans en boulevard redondant : la motion de censure, tente-cinq fois déposée sous la Ve République, devient une tradition politique dont la légitimité s’effrite à mesure qu’elle perd le sens de sa finalité réelle : la dissolution du gouvernement. Or, en cas de présidentialisme absolu, c’est-à-dire en cas de concordance des majorités présidentielle et législatives, cette menace ne peut être que symbolique et se réduit à un coup de communication incroyable pour l’opposition (au même titre que les amendements qu’elle dépose). Impossible de blâmer cet opportunisme politique : il est la conséquence de nos institutions et des rapports de force politiques qui s’en dégagent. Les retombées médiatiques de cette motion de censure ne sont pas négligeables pour l’UMP : interview du Président de l’UMP au JT de Claire Chazal et à la matinale de France Inter avec Patrick Cohen, une retransmission intégrale du débat parlementaire sur LCI, des articles quotidiens dans la presse écrite depuis le 15 mars. D’autant que cette motion de censure arrive au moment de la défaite de la candidate PS aux élections législatives partielles et d’un mini remaniement ministériel improvisé.
 
Une dyarchie grammaticale et politique
Cette motion de censure a également été l’occasion de rappeler la confusion qui règne autour de l’exercice du pouvoir de l’exécutif, confusion parfaitement retranscrite dans le langage politique et médiatique. En effet, on a pu remarquer la critique très virulente de JF Copé contre François Hollande, le Président de la République, lors du JT de TF1 : « François Hollande a pris deux décisions qui sont à mes yeux irresponsables et que je veux dénoncer à l’AN. » Or, la motion de censure concerne l’action du gouvernement et pas celle du Président, comme le précise l’article 49 de la Constitution  : « L’assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure. » Ainsi, c’est le premier ministre, chef de la majorité parlementaire, qui est venu défendre l’action et la politique de son gouvernement. « Je sais où je vais, je sais comment y parvenir, et je sais ce que doit être la France à la fin de ce quinquennat, et c’est à cela que depuis le premier jour je me suis attaqué » a affirmé fermement Jean Marc Ayrault mercredi dans l’hémicycle, avec une détermination qui a été le seul coup de théâtre de ce rituel politique. Ayrault a défendu avec éloquence son gouvernement dans un discours dominé par le « je » qui remplaçait le « nous » (nécessaire dans son rôle de chef de file de la majorité parlementaire). Les références au Président de la République se sont raréfiées. M. Ayrault semble enfin assumer sa fonction ainsi que ses choix politiques. Et pourtant, le premier ministre s’est fait indirectement l’avocat du Chef de l’Etat mercredi, en n’ayant pas d’autre possibilité que de défendre la politique et les actions de François Hollande dans cette plaidoirie vigoureuse, sous couvert de l’emploi du « je » plutôt que du « il ». Cette motion de censure aura au moins eu le mérite d’interroger la responsabilité de la politique de la nation. « Le président fixe le cap, le Premier Ministre dirige le gouvernement », avait révélé Ayrault sur le JT de David Pujadas en mai dernier.
Au travers d’une confusion grammaticale non-intentionnelle, la motion de censure aura révélé la confusion institutionnelle de l’exercice d’un pouvoir exécutif bicéphale.
 
Margaux Le Joubioux
Sources :
LCI replay : le débat parlementaire du Mercredi 22 mars
« Ayrault s’efforce de reprendre sa majorité en main » Le Monde
« Copé mise sur sa motion de censure pour relancer l’UMP » Les Echos
« À l’UMP, la motion de censure « ne fait pas l’unanimité » » Le Figaro
« Motion de censure : l’opposition quasi-unie face à Ayrault » Le Jdd

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Politique

Quand Hessel n'est plus là, les souris dansent

 
Disparu fin février, à 95 ans, Stéphane Hessel aura eu une existence peu commune : né à Berlin de parents allemands (ceux-là mêmes qui ont inspiré le film « Jules et Jim », de François Truffaut), il acquiert la nationalité française en 1937 et s’engage dans la résistance. Il est capturé, torturé et déporté pour finalement, à la Libération, participer à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme au sein d’une institution récemment créée, les Nations Unies. Une vie de lutte incessante, contre les Occupants, puis contre les injustices, qu’elles soient économiques, sociales ou géopolitiques.
On pouvait lui attribuer de nombreuses étiquettes : résistant, diplomate, ambassadeur, écrivain. Le terme qui le résumerait mieux serait peut-être celui de militant. Dans son manifeste publié en 2010, intitulé « Indignez-vous! », véritable succès planétaire, il écrivait : « La pire des attitudes est l’indifférence ». Les récents mouvements populaires – Occupy Wall Street aux Etats-Unis, le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, le parti Syriza en Grèce, mais aussi dans une certaine mesure le renouveau de la gauche française et européenne – ont finalement démontré que les hypothèses de Stéphane Hessel étaient justes.
Pourtant sa mort, le 27 février dernier, a provoqué un grand chassé-croisé dans les médias. L’espace public s’est enflammé, pour un homme dont on avait jusqu’à présent si peu parlé (et ce jusqu’à la publication de son manifeste), et que l’on avait relégué à des postes honorifiques. De tous les bords, ont emané un concert de louanges et d’hommages, dont la presse, française comme étrangère, se sont rapidement fait l’écho.  À droite comme à gauche, on a célébré la « grande figure », le « penseur du progrès » ou encore l’ « immense patriote ». Il faudra attendre quelques jours pour que des voix s’élèvent, et dénoncent l’hypocrisie ambiante, notamment celle de Hervé Bentégeat, qui publie à cet effet son opinion sur le site de Slate.
En effet, de son vivant, Stéphane Hessel ne fit jamais l’unanimité. Ses positions en faveur de la paix en Palestine et  son hostilité face aux méthodes et à l’idéologie de l’état d’Israël lui ont attiré les foudres du CRIF. Dans un communiqué récent, l’organisation confessionnelle parle de lui comme d’ « un maître à ne pas penser », et évoque clairement leur intention de faire un « travail de déconstruction » de sa pensée. À droite, on le critiquait volontiers en parlant de lui comme d’un idéaliste naïf, porteur d’un message de bonne conscience et de solidarité universelle.
Il faut dire qu’il ne mâchait pas ses mots, et affirmait clairement sa volonté de voir le conflit israélo-palestinien résolu, comme dans cette interview accordée à Serge Moati en 2008 :

Pour autant, sa mort fit l’objet de nombreuses récupérations médiatiques : le 13 mars, Lemonde.fr annonce le lancement d’une application payante qui lui rend hommage, dans le cadre d’une collection qui retrace la vie et les œuvres des grandes personnalités de l’histoire contemporaine. De même, il fut question de savoir s’il serait intronisé au Panthéon. Pour défendre cette idée, une proposition, signée par des personnalités diverses (de tous bords et de tous métiers) paraît dans Libération, mais Richard Prasquier, le président du CRIF, ne veut pas en démordre.
La République lui rendra tout de même cet hommage qu’il semblait mériter, au cours d’une cérémonie qui a eu lieu à l’Hôtel des Invalides. Le Président de la République, inspiré, prononça un discours qui ne fit pas l’unanimité : certain y virent une distance et une restriction inopportunes au moment de dire adieu à un grand homme. Edwy Plenel, co-fondateur du site d’information Mediapart, n’y va pas de main morte dans un article publié sur le site de l’Association Solidarité France Palestine. Il épingle notamment une phrase du Président qui démontre selon lui la méconnaissance voire l’inculture de François Hollande :
 
«  Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple pales­tinien, sus­citer, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sin­cérité n’est pas tou­jours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui dis­puter le courage. »
 
Plenel récuse l’idée d’une erreur de la part d’Hessel, rappelant que sa vie, tout comme celle de ses mythiques géniteurs, s’inscrivait sous le sceau de la foi en la liberté, le droit et la justice. Ce sera Edgar Morin, dans un émouvant hommage à son ami, qui aura cette répartie cinglante : « Les mal­heureux qui ne comprennent pas que sa position de vérité pour la Palestine est due à son humanisme, à sa compassion, à sa bonté, ceux-​​là errent complètement. »
Cependant, mon but n’est pas tant de déterminer qui a raison et qui a tort dans l’histoire. Il est intéressant de noter, néanmoins, que la disparition soudaine de Stéphane Hessel a délié les langues et ravivé les passions au sein de l’espace public, de la même façon que lors de polémique qui a suivi la publication d’ « Indignez-vous ! » Il est triste de constater que sa mort aura plus fait parler de lui en quelques jours que ses actions et son histoire pendant les dizaines d’années qui ont précédé sa révélation au grand public.
 
 Laura Garnier
Sources :
Le Monde lance une application payante en hommage à Stéphane Hessel
Le retour sur les obsèques de Stéphane Hessel par Edwy Plenel
Wikipédia
Stéphane Hessel, le bal des hypocrites
Hessel, un « maître à ne pas penser » pour le CRIF

Politique

Jacques a dit : les marques, nos futurs représentants politiques ?

 
Les affiches humoristiques de Virgin Mobile reprenant le scandale de l’exil fiscal de Depardieu ont été particulièrement remarquées. Mais au delà du simple buzz, cette affaire, comme la question du mariage pour tous, fut l’occasion en France pour certaines marques de s’insérer dans le débat public, que ce soit par des pointes d’humour ou dans le cadre d’une vraie prise de position. Cette nouvelle tendance est révélatrice d’un tournant pour les marques, qui pourraient bien devenir de véritables acteurs publics… Tentative de décryptage.
 
Des marques identitaires pour plus de légitimité
Pour séduire des consommateurs freinés par un contexte économique difficile (une étude Insee indique une baisse de 0,2% de la consommation des ménages en 2012, une tendance qui semble se poursuivre sur 2013), les marques jouent en effet toujours davantage sur l’aspect identitaire qu’elles apportent. On observe donc de nombreux phénomènes de dépublicitarisation (voir l’interview de Caroline de Montetypar Effeuillage) avec notamment l’essor du brand content et la place de plus en plus importante d’une vraie stratégie sur les réseaux sociaux. Les marques se font de plus en plus actrices de leur histoire et de leur image, et le « storymaking » viendrait même à remplacer le storytelling : les marques ne se contentent plus de raconter une histoire mais la construisent de toute pièce, en utilisant par exemple le sponsoring personnel.
Des marques engagées aux côtés de leur communauté
Toutes ces activités des marques leur donnent donc un nouveau rôle de plus en plus actif dans la société. D’autant plus que grâce aux réseaux sociaux, elles fédèrent et animent des communautés dont elles peuvent obtenir des données très précises. Et l’interaction facilitée par ces réseaux leur permet de recueillir les avis et réactions de cette communauté bien identifiée sur les sujets qui les touchent. Cela irait même dans le sens d’une certaine démocratie participative. Par exemple sur Facebook de nombreux votes sont proposés aux internautes, qui peuvent ainsi exprimer un avis sur des sujets liés directement à la marque (tel que le choix d’un nouveau logo) mais également sur des préoccupations de leur vie de tous les jours. C’est une proximité que les citoyens ne retrouvent plus avec leurs représentants politiques.
Et afin de conserver cette identité, il est important pour les marques de réagir à ces intérêts afin de conserver cette proximité avec leurs consommateurs. Dès lors, le pas est vite franchi vers un vrai engagement de ces marques face aux problématiques qui touchent leur communauté. L’exemple récent le plus marquant fut l’engagement de nombreuses marques en faveur du mariage pour tous.
Une responsabilité publique et sociétale ?

 
Les marques seraient-elles peu à peu investies d’une responsabilité ? La lettre adressée à Arnaud Montebourg par le PDG de Coca-Cola France Tristan Farabet est révélatrice d’un vrai tournant emprunté ces dernières années par les marques. Il écrit le 21 février dernier : « Profondément convaincus de l’intérêt, de l’opportunité mais aussi de la responsabilité sociétale qu’implique le fait de produire en France, nous souhaitons aujourd’hui participer encore plus activement à la promotion de l’attractivité du territoire français auprès des entreprises étrangères ». Cette lettre ouverte, diffusée largement dans les médias, tend donc à placer Coca-Cola comme un vrai acteur public, attaché à la France et impliqué dans son développement. La prise de position médiatique de l’entreprise rejaillit directement sur l’image de la marque.
Ainsi, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), qui demande aux entreprises de prendre en compte des préoccupations de type social, économique et environnemental dans leurs activités est devenu au-delà d’une obligation ou d’un simple objet de communication, un vrai enjeu stratégique pour les marques elles-mêmes. En effet, dans un article sur Influencia.net début 2012 intitulé Quand les marques deviennent des acteurs politiques, Alain Renaudin explique que « les marques […] ont plus que jamais des responsabilités publiques et politiques en tant que parties prenantes totalement intégrées et co-responsables de nos enjeux de société ». Et cela aurait notamment pour raison le désaveu des personnalités et mouvements politiques.
En fédérant une communauté autour d’elle, dont elle recueille les avis et les intérêts, les marques deviendraient-elles petit à petit mieux placées que les politiques pour représenter les citoyens ? La question se pose alors de la frontière entre stratégie marketing et réel engagement…
Judicaëlle Moussier

Politique

Moniteur d'une nouvelle féminité ?

 
Ecrire un article sur la vision de la femme dans le monde de la publicité comporte souvent deux risques : être trop féministe, à l’image des clichés actuels, jambes poilues et glaviots à la bouche, ou bien être machiste, plutôt version vernis à ongle et mise en pli pour aller au McDo. Mais il est souvent difficile de résister à l’appel des carottes que l’on tend aux ânes que nous sommes.
Pourtant, il n’a pas fallu grand chose. En fait, seulement deux pubs m’ont poussée à comprendre comment la femme était aujourd’hui vue et comment elle-même se voyait. La première, celle de Kärcher, met une jolie famille en scène, un homme, une femme, deux ravissants bambins. Le bon père de famille occupe ses enfants, tandis que l’adorable ménagère, et néanmoins épouse et mère, nettoie le sol avec le nouvel appareil Kärcher. Ne faisons pas les difficiles, il aurait été délicat de faire tenir le manche aux deux époux, mais tout de même – surtout que la félicité du couple tient à leur sol propre et à ce que leurs enfants puissent manger des cookies à même le sol.
Mais c’est surtout une autre publicité, nettement plus ambiguë pour la condition féminine, qui a attiré mon attention. Clearblue lance un nouveau produit, délicieusement appelé « moniteur de contraception ». Le nom en lui-même est tout à fait trompeur, car il ne s’agit absolument pas d’une méthode contraceptive. La petite machine de Clearblue est en fait un test d’urine que la femme peut faire chez elle et qui lui indique son taux d’hormones, lié aux chances de tomber enceinte. Si le test indique rouge, elle est dans la période de son cycle où les chances de tomber enceinte sont grandes. Si le résultat est vert, au contraire, celles-ci sont moindres. Donc rien à voir avec la contraception, il ne s’agit en fait qu’un outil pratique pour les femmes un peu tête en l’air, qui ne comptent pas les jours de leur cycle comme on le leur a pourtant appris à l’école ou celles qui ne souhaitent pas prendre la pilule.
Pas de mauvaise foi, Clearblue indique sur la page de son site web, un peu tard certes, que la fiabilité de l’appareil est de 94%, que la petite bête ne protège pas des MST et n’empêche pas de tomber enceinte. Mais revenons à nos moutons, c’est à dire à notre femme test, imaginée dans la publicité de Clearblue, utilisatrice du moniteur de contraception. Revenons aux symboles du rouge et du vert. Revenons à ce que signifie cette invention pour la condition féminine.
Le vert indique clairement que le bon moment pour faire l’amour est celui où l’on ne risque pas trop de tomber enceinte. Un parti pris qui va complètement à rebours de la politique de Clearblue, marque plutôt accoutumée aux tests de grossesse ou de fertilité. Une marque utile donc aux femmes qui espèrent fonder une famille, pas à celles qui cherchent à l’éviter. A quoi est dû ce revirement ? Changement de cible marketing ou changement des envies de la femme ?
Le fait que la femme ait des rapports sexuels en dehors d’une logique de reproduction et pour son propre plaisir est aujourd’hui de plus en plus admise, notamment depuis l’arrivée de la loi Veil, depuis l’apparition de la pilule et celle plus ancienne du préservatif. Elle n’est pas acceptée dans tous les milieux, mais concerne tout de même une majorité de femmes. Jusque là, donc, pas de problème pour le féminisme. Mais la publicité télévisuelle, introuvable pour l’instant sur le net, que propose Clearblue fait grincer des dents. Bien sûr, je ne peux parler que de mes souvenirs, mais il me semble que la jeune femme ayant utilisé le moniteur de contraception sourit à la fin de la publicité à son jeune amant pour lui dire d’un air mutin que c’est bon, c’est vert ; sous-entendu « aujourd’hui, portes ouvertes au sexe sans conséquences mon chéri ».
Là se trouve le malaise. Peut-on vraiment donner cette image à la femme, aux relations sexuelles et à la contraception ? Je n’arrive pas à trancher. Outre le mauvais goût de l’aspect code de la route du rouge/vert, les deux couleurs établissent inconsciemment un nouveau système de valeur. Le test signale rouge, tomber enceinte devient donc quelque chose de mauvais, de négatif. Il indique une jolie couleur verte, le sexe sans conséquences (à 94% de probabilité) est positif, plus en tout cas que les relations sexuelles « fructueuses ». La gamme de produit relativement large de Clearblue permet de contrebalancer l’image transmise par la publicité, celle d’une femme sujet sexuel, loin de la future mère de famille à laquelle renvoient celles des tests de grossesse. Mais tout de même, le malaise subsiste, peut-être à cause d’une certaine mécanisation du désir et du plaisir sexuel, du manque de spontanéité que suggère l’utilisation d’un test d’urine avant les rapports intimes. Ou peut-être est-ce parce que l’homme devient peu à peu objet sexuel de la femme, contrairement aux conceptions tenaces et ancestrales ? Qui sait…
 
Noémie Sanquer
Sources :
Clearblue

Politique

Women make the news

 
La journée de la femme fait polémique. Elle est à la fois un symbole du combat pour l’égalité mais entraîne un conflit des genres, une guerre de statuts et de pensées éthiques. Les avis sont alors partagés sur cet événement maintenant incontournable du mois de mars.
En effet, les femmes n’ont pas seulement des droits un seul jour dans l’année. On les a reconnues comme êtres humains, on leur a concédé le fait qu’elles pouvaient penser et agir, qu’elles pouvaient voter, et même travailler sans l’accord de leur mari. On n’arrête pas le progrès ! Bon, l’excision leur empêche encore le plaisir sexuel, le viol les brise, le travail leur impose un budget minoré ou une inégalité arbitraire d’accès à certains postes. Le progrès s’arrêterait-il tout seul ? Et c’est sur ce dernier aspect d’inégalités professionnelles que l’action « Women make the news » s’applique.
Jusqu’au 30 mars, l’UNESCO met en place une plate-forme permettant aux hommes et femmes de la société civile de partager leur opinion ou expérience sur l’alliance entre genre et média.
Les sciences et techniques de l’information et de la communication (TIC) offrent un nouveau panel de possibilités d’emplois à travers le monde. Certes des fractures numériques divisent déjà les pays entre eux, mais au sein même des États les inégalités salariales subsistent. Et les femmes sont souvent les premières exclues des opportunités économiques et sociales, ainsi que des effets bénéfiques des TIC.
C’est pourquoi la démarche de « Women make the news » s’inscrit dans une volonté d’accessibilité aux métiers médiatiques, essayant d’attirer l’attention sur le rôle de décision et de leadership des femmes, tout en tenant compte des situations locales. L’accent est mis sur le respect des genres, leur égalité en droit et leur représentation.
Et l’initiative « des femmes font l’info » s’étend après le 8 mars. En novembre 2013, un forum « Genre et Médias » aura lieu. L’action défend des objectifs internationaux qui vont de pair avec un bon fonctionnement démocratique, la place professionnelle des femmes est un véritable enjeu politique qui doit être prise en compte et protégé.
Cependant la question de l’accessibilité des femmes aux métiers de l’information et de la communication n’est pas indépendante de la place personnelle et familiale qui leur est accordée. Le statut de la femme a besoin d’être revalorisé dans les sphères publiques mais aussi privées. Il est peut-être déjà plus facile d’initier ce changement professionnellement.
Pourtant quand bien même les femmes travaillent, elles ne sont pas exemptées des inégalités de la sphère intime. C’est notamment le cas de la présentatrice télé saoudienne Rania al-baz, défigurée par son mari en 2004 ; ou celui des femmes françaises dont une meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint.
Si les femmes font la Une ou alimentent la rubrique « faits divers », elles ne font que trop rarement l’info. Let women make the news.
 
Maxence Tauril
Sources :
Unesco.org
Libération

Politique

Les couacs de la communication de guerre

 
Communication de guerre et guerre de communication
L’article de Maxence Tauril, « La guerre de la communication », du 6 février, a montré les liens entre journalistes et armée : obtenir des informations sur le conflit est difficile. Pourtant, en période de guerre, la communication est d’autant plus importante qu’elle permet l’adhésion des citoyens à l’action voulue par le gouvernement et menée par l’armée. Et on sait qu’une guerre qui n’est pas soutenue par les citoyens est vouée à l’échec.
Alors en cas de contrecoups comme les prises d’otages actuelles en Afrique, une communication erronée, la diffusion de fausses informations, non vérifiées, peuvent s’avérer dramatiques.
L’exemple le plus marquant et le plus récent est la fausse annonce de la libération des sept otages français au Cameroun. Petit historique du cafouillage :
« Les otages sont sains et saufs et sont aux mains des autorités nigérianes » expliquait un officier de l’armée camerounaise  à l’AFP, jeudi 21 février au matin. Rapidement, une dépêche « urgente » est envoyée à toutes les rédactions, annonçant la nouvelle et l’information est relayée partout.
A peine une demi-heure plus tard, le ministre français des Anciens Combattants, Kader Arif, en pleine session à l’Assemblée, prend alors spontanément le micro pour annoncer cette libération, dont il nuance la légitimité dans les minutes qui suivent…
Après quelques heures, l’information est démentie par le quai d’Orsay, trop tard pour que le journal Le Monde ne retire l’information de sa Une…
Via Twitter, l’ambassade de France au Cameroun et le ministère des Affaires étrangères français ont également démenti l’information, suivis par l’armée nigériane.
La confusion autour du sort des otages a donc été totale pendant plusieurs heures. Confusion contre laquelle Didier Le Bret, directeur de la cellule de crise du quai d’Orsay, a mis en garde le soir même sur France 24. « Il faut être extrêmement vigilant sur la diffusion d’informations. Imaginez l’état dans lequel se trouvent les familles de nos otages qui ont appris, même au conditionnel, que leurs proches avaient été libérés et réalisent au fil des heures que l’information n’a pas été recoupée. C’est une responsabilité collectives des médias. »
Comment une telle situation peut-elle être possible ?
Plusieurs problèmes se posent : avant tout, comme le dénonce D. Le Bret, la question de la vitesse de l’information. La guerre, c’est aussi le règne de l’événement, du moindre rebondissement à saisir au vol. L’empressement de transmettre la « bonne nouvelle » prend parfois le dessus sur l’analyse, la patience, et la mesure. Dans ce cas précis, l’annonce spontanée de Kader Arif a évincé les règles du temps dans la communication.
Enfin, outre la question de la coordination au sein du gouvernement sur laquelle on ne s’arrêtera pas ici, cette affaire pose surtout le problème de la crédibilité des informations recensées, et par là, de la coordination entre les sources et les acteurs communiquant.
Une redéfinition de la communication internationale par la guerre
En effet, la complexité due à la présence d’une multitude d’acteurs explique cette guerre d’information entre les différentes sources, ce manque de cohérence communicationnelle entre les gouvernements et représentants français, camerounais et maliens, et entre leurs armées respectives.
Quels relais pour de telles informations ? Quelle crédibilité leur porter ? Quelle validation par les gouvernements respectifs ? Comment gérer le lien entre des armées et une presse étrangères l’une à l’autre ?
Toutes ces questions sans réponse montrent la difficulté de la gestion de la communication de guerre. Le malheureux exemple des otages au Cameroun est l’illustration des couacs issus de cet imbroglio de sources d’informations qui ne communiquent pas entre elles. Imbroglio d’autant plus complexe que d’autres acteurs se jettent dans cette guerre de communication : Ansar Eddine, mouvement islamiste radical actif sur Twitter, contredit régulièrement les informations données par les médias, notamment français, et répond aux communications de l’armée française et de la présidence malienne.
Ces problèmes de communication occupent de plus en plus l’espace, et certaines initiatives montrent la volonté d’y apporter une réponse. Au Mali, les citoyens qui se plaignaient depuis le début du conflit de l’absence totale de communication de leur ministre de la Défense, le général Yamoussa Camara, ont salué sa première initiative le 11 février dernier. Côté français, c’est une première pour l’armée qui vient de lancer un blog, à destination de la population malienne. Mali-Cikan.fr permettra aux journalistes maliens de récupérer des images, des textes et des sons sur l’opération Serval et d’en faire bénéficier le plus grand nombre. Com’ d’influence, propagande même, diront certains. Quoi qu’il en soit, la volonté d’améliorer les communications entre les acteurs du conflit est là.

La bataille pour la communication a pris une autre dimension. Il ne suffit plus d’établir de bonnes relations avec les journalistes sur le terrain. Elle doit faire avec cette multitude d’acteurs aux objectifs et intérêts souvent distincts, parfois opposés. La lutte se développe aussi en amont, dans la préparation, la justification, l’argumentation et le cadrage de la guerre. Elle se poursuit en aval dans la circulation et l’interprétation, dont les États et leurs grands médias n’ont plus nécessairement le monopole.
 
Bénédicte Mano
Sources :
Huffington Post
Ozap
Le JDD
Maliweb
Jeuneafrique.com