
Les images et la spontanéité forcée
Avant la guerre du Vietnam, pour des raisons surtout techniques, les images mettaient plus de temps à arriver devant les yeux des citoyens occidentaux que maintenant. Certaines étaient mêmes censurées par les autorités.
Depuis, et ce de manière toujours plus affirmée, les images débordent et s’offrent à la vue des citoyens en même temps qu’à celle des gouvernants.
Pendant la guerre du Vietnam, les autorités n’ont pas pu museler les appareils de presse comme elles l’avaient fait dans les guerres précédentes. Les photos et les reportages effectués in situ ont embarrassé le pouvoir et provoqué bien des émois dans les populations du monde entier. La photo d’une petite fille en larmes fuyant dans l’ardeur des flammes est gravée dans les mémoires et imprimée sur tous les livres d’Histoire. Cette photo avait été prise par un journaliste professionnel de l’agence Assiociated Press, elle avait ensuite été transmise par avion au bureau de l’agence pour être publiée dans les journaux.
Faisons un saut dans le temps. Au début de l’année 2004, l’opinion publique mondiale est choquée par les photos d’humiliations infligées aux prisonniers d’Abou Graïb par des soldats américains. La diffusion de ces clichés repose sur un tout autre ressort. Ce sont les tortionnaires eux-mêmes qui produisent les images et décident de les partager avec leur famille (via CD ou Internet) et c’est un citoyen comme un autre qui a augmenté leur diffusion à l’ensemble de la population et des médias. La diffusion est alors beaucoup plus rapide.
Avec les réseaux sociaux et tout ce que permet Internet, les gouvernements n’ont plus les images et les informations les premiers. Pire : ils n’ont plus de « moment tampon » pour réfléchir et ils doivent réagir aux productions médiatiques au moment-même où les lecteurs de journaux et les internautes les découvrent.
Quelques exemples ? Et bien, rappelez-vous de la gêne occasionnée par la circulation des images de la pendaison de Saddam Hussein. Ou bien cette année, une heure après la mort de Kadhafi, le fait que l’on ait pu voir sa dépouille pleine de sang relayée sur un nombre incalculable de sites en a gêné plus d’un.
Comment réagir à ce genre d’images ? Difficile à dire, quoi qu’il en soit, les informations circulent librement dans la plupart des pays occidentaux, et les médias d’aujourd’hui ainsi que notre manière de les utiliser forcent à plus de spontanéité dans la communication des gouvernants.
Thomas Millard
Sources :
Rémy Rieffel, Que sont les médias ?, Folio, p 115
Jaquette du film sur James Nachtwey « War Photographer » par Christian Frei