Société

Les célébrités misent sur une com bourrée d'authenticité

Pour embellir toujours plus leur image les célébrités misent sur une communication originale fondée sur l’authenticité. Le succès de l’émission « Les Recettes Pompettes » qui met en scène des personnalités s’alcoolisant à l’écran est le signe d’une stratégie de communication nouvelle dans laquelle les stars ne montrent plus l’exemple.
Alcool, célébrités et plateaux TV
Alcool, célébrités et plateaux TV font depuis toujours bon ménage. Ce n’est pas un secret: la production met à disposition de l’alcool aux invités en coulisse. Marc-Olivier Fogiel explique « qu’il y a un peu de champagne en coulisses car on sait recevoir convenablement les gens » mais Thierry Hardisson, avec beaucoup moins de tact ou beaucoup plus d’honnêteté affirme que « torcher les invités c’est LE secret des talk-shows. » Il avoue même avoir être ivre au bout d’un quart d’heure sur le plateau des « Enfants de la télé ».
Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) qui veille à ce que les contenus diffusés à la radio ainsi qu’à la télévision n’incitent pas à la consommation d’alcool ou de drogue a voté en 2008 une délibération relative à l’exposition des drogues illicites à la télévision et à la radio. Cependant elle ne mentionne pas les personnalités qui pourraient être sous l’emprise de l’alcool en plateau.
L’alcool en scène
Si l’alcool avait pour habitude d’être présent mais caché, avec les « Recettes pompettes », les personnalités s’alcoolisent devant la caméra. Adaptée de l’émission québécoise « Les Recettes Pompettes d’Eric Salvail » le concept est simple : l’invité tente de réaliser une recette de cuisine en buvant des shots d’alcool proposés par Monsieur Poulpe.

La promesse de ce divertissement est d’obtenir des réactions inattendues, des maladresses, des dérapages linguistiques. Approchant le demi-million d’abonnés sur YouTube, le format plait. Une des clés du succès: l’invité. Bien sur celui-ci doit se prêter au jeu et plus sa notoriété est élevée, plus cela attire l’attention. On pourrait se demander quel est l’intérêt de la personnalité à s’adonner à un tel spectacle, au risque de perdre le contrôle. La réponse est simple, la décontraction est à la mode.
Outre-atlantique nous le constatons avec « The Ellen DeGeneres Show », talk-show américain dans
lequel des célébrités se prennent au jeu et montrent leur visage le plus fou, Adam Devine et sa mère se sont par exemple prêtés au jeu de la pie face.

Avec les « Recettes Pompettes » l’alcool est là pour désinhiber les célébrités. Ainsi en ne contrôlant plus trop leur langue et leur cerveau, des vérités sont avouées et des personnalités sont découvertes. Les dérapages seraient donc le prix à payer pour une communication plus efficace, plus percutante et adressée à un public plus jeune, très actifs sur les réseaux sociaux; cette émission choc assure un relais des extraits sur les réseaux sociaux et une visibilité plus grande pour ces célébrités à la recherche de toujours plus d’influence.

Prenons l’exemple de Stéphane Bern, institution de la télévision française à l’image lisse, l’humour
contrôlé et la communication bien huilée. Sa présence dans cette émission surprend, lui qui est plus familier des maisons royales. D’autant plus qu’il est le premier à se lancer. Aux côtés de Monsieur Poulpe, son image est « écornée » mais c’est un homme plus proche de son public que l’on découvre, drôle et détendu. Le spectateur ressent une forme d’honnêteté de la part de l’invité, ce qui apporte une nouvelle dimension aux interviews traditionnelles.

« Recettes Pompettes »: alcool dans le verre, CSA sur le dos

La mise en scène de l’alcool par les « Recettes Pompettes » n’est pas vue d’un très bon œil ni par le CSA ni par de nombreuses associations notamment l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) qui dénoncent une apologie de la consommation excessive d’alcool. Dans l’émission « C à vous », diffusé sur France 5, les invités ainsi que les animateurs et chroniqueurs sont autorisés à boire du vin autour d’un repas. On voit donc que le problème en soit ce n’est pas la consommation d’alcool mais sa consommation excessive et surtout la mise en scène sous forme de jeu. Il y a dans les « Recettes pompettes » une déresponsabilisation des producteurs et des intervenants vis à vis des dangers de la consommation d’alcool.

Phénomène à la mode, la décontraction et le lâcher prise poussent les personnalités à se conformer à cette nouvelle mode et pour cela ils s’adonnent à des activités qui peuvent les pousser au dérapage. Le public veut de l’authenticité; avec les « Recettes Pompettes » les spectateurs se sentant plus proches de l’invité arrivent mieux à s’identifier à eux; « TPMP » sur C8 en est la preuve puisque malgré les procès et mises en garde du CSA, l’audience n’a jamais été aussi élevée. On peut donc dire que les « Recettes Pompettes » sont le symptôme d’une communication décontractée, à la recherche de buzz et d’authenticité qui alertent cependant sur les dérives d’une communication sensationnelle.
Xuan NGUYEN MAZEL
LinkedIn

Sources :

• CW, Stéphane Bern réagit à la polémique sur les «Recettes pompettes». 20minutes.fr. Mis en ligne le 07/04/2016. Consulté le 03/01/2017.

• Le rôle et les missions du CSA. CSA République Française. Consulté le 03/01/2017.
 
• Franceinfo avec AFP, Une nouvelle émission diffusée sur YouTube provoque la colère d’une
association anti-alcool. francetvinfo.fr. Mis en ligne le 04/04/2016. Consulté le 03/01/2017.
 
• 20minutes, L’alcool coule-t-il à flots sur les plateaux de télévision ?.
jeanmarcmorandini.com. Misen ligne le 20/03/2008. Consulté le 03/01/2017.
 
• Henri Poulain, STUDIO BAGEL PRODUCTIONS. Séphane Bern – Les Recettes Pompettes.
youtube.com. Mis en ligne le 13 avril 2016. Consulté le 02/01/2017.
 
Crédits :

© Salvail & Co 2014
© STUDIO BAGEL PRODUCTIONS 2016
© theellenshow 2016

 

Société

L’association Promouvoir – entre protection et censure, il n’y a qu’un pas.

On a fini 2016 avec un article sur la polémique autour de la sortie de Sausage Party (film retraçant le périple initiatique d’une saucisse entre deux ou trois connotations pornographiques). On commence donc 2017 en s’intéressant à André Bonnet, figure de proue de l’association « Promouvoir », déboutée le 14 décembre dans sa charge judiciaire contre le film controversé. Ou comment un seul homme fait trembler tout le cinéma français actuel.

Société

Lancer son application : le parcours d’Honi

Alexandre Le Boucher, 24 ans, a co-fondé avec Pierre Delannoy l’application Honi – Défis en couple, qui propose aux couples de pimenter leur quotidien avec des défis. Avec 30 000 utilisateurs et une forte croissance, Honi est l’exemple d’une start-up qui monte. Mais au fait, comment se lance-t-on aussi jeune dans une aventure entrepreneuriale ? Comment se faire connaître sans argent ? Et surtout, comment rendre son application rentable ? Alexandre a accepté de répondre à nos questions.
Le goût du  risque
Il n’y a pas qu’un seul profil d’entrepreneur. Ce qui les lie est peut-être une chose : le goût du risque. Se lancer jeune, sans expérience, peut faire peur. Mais la jeunesse permet aussi de s’engager dans une aventure sans le poids des responsabilités familiales et des crédits (si l’on est chanceux). Pour certains l’expérience salariale permet d’acquérir la maturité nécessaire au développement d’une entreprise. Même si l’expérience est un échec, un employeur sera aussi bien attiré par le profil d’une personne ayant tenté, innové et créé.
Le risque, c’est donc le moteur de l’innovation, de la création. Lancer une application plutôt qu’une entreprise classique permet cependant de limiter considérablement les risques financiers. En effet, le codage informatique peut s’apprendre grâce à des cours en ligne. La plateforme internet UDEMY¹ propose par exemple des cours dont les prix peuvent atteindre quelques dizaines d’euros, moins risqué que d’engager un développeur dont la facture se comptera en milliers.
Une stratégie de lancement déterminante
Les coûts de lancement limités d’un format digital permettent de développer plusieurs versions. [Effectivement, une fois l’application lancée sur une plateforme de téléchargement (Apple Store, ou Google Store pour Android), les critiques des utilisateurs peuvent être virulentes, mais constructives. Elles permettent d’améliorer l’application, mais peuvent aussi effrayer de potentiels nouveaux utilisateurs. À noter que les captures d’écran de l’application sont aussi de redoutables outils marketing : en deux images seulement, qui se doivent d’être pertinentes et révélatrices, c’est l’esprit de l’application qui apparaît au grand public.
De même, le choix de la catégorie dans laquelle est rangée l’application doit être réfléchi. Pour Honi par exemple, il aurait été peu efficace de la classer dans les « réseaux sociaux ». En la faisant appartenir aux « divertissements », l’application fait face à la concurrence moins directe des autres applications de couple.

Pour accroître le nombre d’utilisateurs, une seule solution : communiquer. Comme le montre Honi, les réseaux sociaux y sont propices. L’application doit avoir sa propre identité, son propre univers pour atteindre la cible. Il est donc primordial que le développeur se détache de son univers personnel, or cette distance est parfois difficile à appréhender quand on crée de toutes pièces un produit. Le choix des réseaux sociaux doit aussi être en lien avec le contenu de l’application.
Pour Honi, Twitter semble peu opportun, puisque c’est surtout par Facebook que les couples communiquent. Posséder une page Facebook est alors indispensable, mais il faut savoir la gérer. Alexandre a par exemple constaté que publier des défis à réaliser sur la page Facebook entraînait des conversations en commentaire entre les couples et aboutissait à de nouvelles adhésions, alors que relayer des articles n’avait pas d’impact. Sur Instagram, le système de hashtag permet de cibler des contenus en rapport avec le thème de l’application. Aussi, en aimant des photos tagguées « amour », par exemple, l’application se fait connaître efficacement chez les couples grâce à des outils gratuits simples à paramétrer, comme Instagress.com qui permet d’automatiser ce processus en ciblant les photos d’un hashtag choisi.

Enfin le community manager (le porte-parole de l’application) se doit d’être exemplaire pour fidéliser et conquérir de nouveaux utilisateurs. C’est un des outils de croissance principal des jeunes start-ups, et il est gratuit. À la différence des grandes entreprises qui l’utilisent davantage comme un système de SAV, le CM est un rôle clé de la communication puisque il est capable d’interagir directement avec les utilisateurs par le biais des réseaux sociaux. Si cette gestion peut prendre du temps, certaines plateformes comme Mailchimp permettent également d’automatiser le mailing à bas coûts.
Communiquer, c’est bien. Gagner de l’argent, c’est mieux.

Un point commun chez toutes les start-up à succès du digital : le recours au growth hacking. En d’autres mots, le « détournement de la croissance ». Ce sont des manières créatives d’accroître le nombre d’utilisateurs, de les pousser à lire, ou encore à signer un contenu, en dépensant le minimum de budget. Hotmail a par exemple inclus la proposition de parrainage (moyen principal d’adhésion au réseau) directement dans l’e-mail. Avec son son “PS : I love you. Get your free e-mail at Hotmail », l’entreprise s’est ainsi démarquée de toutes les autres boites mail du marché et en est devenu le leader en 1996.
Mais Andy Johns, chez Facebook, reste le maître incontesté du growth hacking. Après avoir réuni une « équipe de croissance », testé de nombreuses idées et récolté les impacts de chacune d’entre elles sur le nombre d’adhérents Facebook, Johns et son équipe ont trouvé le hack le plus efficace. C’était le système du badge personnalisé (à l’effigie d’un drapeau, d’un site internet, d’une marque…) que l’utilisateur pouvait afficher sur sa photo de profil.

Une fois le public ciblé atteint, plusieurs options s’offrent au développeur, en fonction de la nature de son application. Le mode freemium, avec des options payantes dans une application gratuite (comme par exemple les modes « hard » de défis avec Honi), peut permettre d’engranger des bénéfices. Plus infaillible peut-être : créer une demande chez l’utilisateur, à laquelle l’application peut répondre. Pour Honi, le lancement prochain de lots d’accessoires, nécessaires dans certains défis et que les utilisateurs ne possèdent pas, constituera une source de revenus certaine.
Le système du drop shipping² semble alors une évidence : le client passe commande au commerçant, lequel transmet celle-ci au fournisseur qui gère les stocks et assure la livraison. Le commerçant ne conserve donc aucun stock. C’est un système gagnant-gagnant, qui fournit des clients aux grossistes et permet au développeur de l’application de rester dans un circuit complètement digital, à l’instar d’Amazon.

Quant à la publicité, elle reste un moyen efficace de rentabiliser un contenu. Mais sur une application, elle est rapidement intrusive et risque de faire fuir l’utilisateur. L’application peut donc prendre la forme d’une place de marché³, pour mettre en relation des utilisateurs avec des services ou des biens payants, tout en prélevant une commission. Honi a par exemple créé une « carte de l’amour » où les couples s’échangent les bons plans à proximité (activités, restaurants). À terme, l’objectif serait de pouvoir réserver directement via l’application, qui prélèverait une commission.
Le m-commerce (ou commerce sur mobile) représentait 10 % du e-commerce en 2015 en France, soit 6 milliards d’euros, avec une forte progression par rapport à 2014 (+50 %). Le format digital offre des possibilités de développement uniques et peu coûteuses.
Louise Cordier
LinkedIn

Index:
¹ UDEMY : https://www.udemy.com/
² Drop shipping : https://fr.wikipedia.org/wiki/Drop_shipping
³ Place de marché : Espace virtuel de rencontre entre l’offre et la demande
Crédits  :
– Application honi sur le site d’apple : screens – PHOTOS 1 et 2
– Wikipedia : image drop shipping : PHOTO 5
– honeytechblog – PHOTO 4
– presswork.me – PHOTO 3
Sources :
• http://bit.ly/2ix4SxF : consulté le 22 décembre 2016
• FIDELMAN Mark, « Meet the Growth Hacking Wizard behind Facebook, Twitter and Quora’s Astonishing Success », Forbes, publié le 15 octobre 2013, consulté le 22 décembre 2016
 

Société

Campagne de prévention du VIH : l'homofolie se déchaîne !

Si certains en doutaient encore, maintenant nous pouvons l’affirmer : l’homosexualité n’est pas encore acceptée dans notre société. La polémique qui accompagne la nouvelle campagne de prévention du VIH, destinée aux homosexuels, en est la preuve. Lancée mi-novembre par le ministère de la Santé sur les réseaux sociaux et diffusée sur les panneaux publicitaires, elle met en scène des couples homosexuels s’enlaçant et des messages invoquant la nécessité de se protéger pour des « coups d’un soir ». Vandalisme, censure, tweets scandalisés… Le message a décidément du mal à passer.

Un cercle vicieux : informer, censurer, résister
Peu après la diffusion de 8000 affiches dans 130 villes de France, les attaques fusent de toutes parts. Les mairies les plus conservatrices, comme celles d’Aulnay-Sous-Bois et d’Angers, exigent le retrait des affiches, aux abords des écoles en particulier, car elles sont jugées susceptibles de heurter la sensibilité des enfants. La censure commence, la guerre est lancée.
Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, riposte immédiatement ; elle sollicite non seulement la communauté des réseaux sociaux, en invitant à partager les visuels, mais aussi la justice, en portant plainte pour censure. Certes les principaux révoltés se comptent parmi les fervents militants de la Manif pour tous et les membres des associations de familles catholiques, mais le débat devient très vite, et avant tout, d’ordre politique. S’envoyant des tweets comme des balles de ping-pong, la droite et la gauche se positionnent en faveur, ou non, du retrait des affiches et élargissent la polémique à la question épineuse de la place de l’homosexualité dans notre société.
Le schéma est classique : les plus réactionnaires s’offusquent d’une atteinte à la sensibilité de l’enfant alors que les défenseurs des homosexuels se battent pour l’égalité des couples et l’acceptation de l’homosexualité aux yeux du grand public. Les arguments des élus contre la campagne se basent sur la protection de l’enfance et la défense des bonnes mœurs bafouées par ces affiches « volontairement provocantes ». Christophe Béchu, maire d’Angers, justifie alors le retrait des affiches en spécifiant que la même demande aurait été effectuée s’il s’agissait de couples hétérosexuels.
Hypocrisie tendancieuse ou argument recevable ? Quoiqu’il en soit, c’est la question de l’acceptation des homosexuels qui se pose : l’homosexualité, selon les défenseurs de cette campagne, n’est pas une anomalie que l’on doit cacher aux enfants.
Une polémique confuse : deux combats opposés, un ennemi commun
Le problème ne s’arrête pas là. Dans une logique de mise en abîme, la seconde couche du débat questionne la stigmatisation des homosexuels dans la société. Et si cette campagne n’était non pas une atteinte à la décence mais une énième condamnation de l’homosexualité ? En effet, trop souvent accusés d’être à l’origine du virus du Sida et d’entretenir majoritairement des relations instables, les homosexuels tentent d’échapper à ces stéréotypes dégradants. Pourtant cette campagne de prévention, en visant uniquement une population homosexuelle, renforce ces idées. « Coup de foudre, coup d’essai, coup d’un soir », « Avec un amant, avec un ami, avec un inconnu » : un message qui peut effectivement porter à confusion. Triste paradoxe en effet : une campagne grand public qui pour une fois met en avant l’homosexualité semble s’inspirer des plus grands clichés qui l’entourent.

Il est évident que l’objectif n’a jamais été de critiquer le mode de vie ou la pratique homosexuelle, mais d’inciter à visiter le site « sexosafe » où se trouvent les différents moyens de contraception pour homosexuels. Car, dans les faits, ceux-ci sont encore les plus touchés par le Sida (43% des nouveaux cas en 2015), et doivent donc être particulièrement ciblés par la prévention. C’est, du reste, ce qui est clairement précisé par le slogan présent sur chacune des affiches : « les situations varient, les modes de protection aussi ».
La question se pose néanmoins : à qui revient le droit d’être scandalisé ? Aux homosexuels qui se sentent stigmatisés par le message transmis ou bien à une droite réactionnaire effrayée par la portée idéologique de ces affiches ? Dès lors, cette campagne, aux conséquences de plus en plus notables et curieuses, fait ressortir deux combats aux directions radicalement opposées, ayant pourtant la même cible.
Finalement, puisque la démarche du ministère de la Santé fait face à de telles polémiques, doit-on parler d’une réussite ou d’un échec communicationnel ? Certes la campagne a fait parler d’elle, mais il semble trop tôt pour se prononcer sur sa portée effective. Ajouter des visuels avec des couples hétérosexuels aurait peut-être révélé si les attaques étaient dirigées contre l’homosexualité en elle-même, ou bien contre une représentation trop suggestive de la sexualité.
Quand la pub touche une corde sensible
Cette polémique révèle les contraintes et les responsabilités qui pèsent sur la publicité, et sur les contenus médiatiques en général. En effet, en nous alignant sur l’opinion favorable à cette censure, un contenu publicitaire ne doit jamais être trop provocant et ne doit pas heurter la sensibilité d’une population. Et lorsque la sexualité, sujet délicat voire tabou dans nos sociétés, est abusivement présente dans une publicité, cela peut être choquant. Cependant, le scandale est ici clairement axé sur la question de l’homosexualité, puisque le message ne peut pas, selon les opposants à la campagne, être compris par les jeunes.
Dès lors, ce débat n’est que le reflet d’une société confuse.
Au cœur de cette polémique sociétale, médiatique et politique, la question demeure : en quoi ces affiches sont-elles plus choquantes que de nombreuses publicités invoquant la sensualité voire la sexualité de la femme ou d’un couple hétérosexuel ?
Prenons pour exemple la marque de lingerie Aubade qui a lancé une campagne de publicité intitulée « Leçons de séduction ». Sur diverses affiches, sont mis en évidence des corps féminins presque nus, légèrement recouverts de dentelle, dans des positions aguicheuses. La dimension sexuelle est d’autant plus renforcée par les messages qui accompagnent ces photos : « le mettre au pas, au trot, au galop », « être légèrement culottée », « lui remonter le moral »… Promotion d’une sexualité libérée et d’une image quelque peu réductrice de la femme : un cocktail qui ne nous est pas inconnu ! Et pourtant, cette campagne n’a suscité aucune polémique, bien au contraire, il semble qu’elle soit plutôt appréciée aussi bien par les hommes que les femmes.

La responsabilité de ces campagnes de prévention est de délivrer un message à toute une société mais aussi de diffuser l’image de cette société, ce qui la dessine et la définit. L’homosexualité entre peu à peu dans les mœurs mais cette polémique montre qu’elle n’a pas encore une place stable et approuvée.
Sur Twitter, un internaute, se demandant ce qu’il va dire à sa fille de 8 ans face à ces affiches, touche involontairement du doigt le problème, et peut-être sa solution : les parents ne devraient pas craindre que leurs enfants soient choqués par la vision d’un couple homosexuel; au contraire, la jeunesse est une arme essentielle pour combattre les préjugés et soutenir l’évolution des mentalités. Atteindre une cible jeune serait le seul moyen de faire de l’homosexualité une norme légitime, médiatiquement, socialement et idéologiquement parlant. Les modes de prévention varient, les mentalités aussi ?
Madeline Dixneuf
Sources :
• 20 minutes, Sida: Pourquoi les affiches d’une campagne de sensibilisation dérangent, Damien Meyer, publié le 23/11/2016, consulté le 10/12/2016
• Le monde, Affiches de prévention du sida : Touraine saisit la justice à la suite d’une « censure », François Béguin, publié le 22/11/2016, consulté le 10/12/2016
• La croix, Une campagne contre le sida fait polémique, Christine Legrand, publié le 20/11/2016, consulté le 11/12/2016
• L’express, Une campagne de prévention anti-VIH visée par des anti-mariage gay, express.fr, publié le 18/11/2016, consulté le 13/12/2016
• France Tv info, Vidéo la campagne de prévention contre le VIH qui créé la discorde, Nicolas Freymond, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Non, ces affiches de prévention contre le sida ne sont pas un cliché sur les homosexuels, Marine Le Breton, publié le 01/12/2016, consulté le 20/12/2016
• Huffington Post, Plusieurs maires Les Républicains censurent une campagne de prévention contre le SIDA, le gouvernement les attaque en justice, Anthony Berthelier, publié le 22/11/2016, consulté le 20/12/2016
• Têtu, La campagne publique de prévention gay menacée de censure, Julie Baret, publié le 21/11/2016, consulté le 20/12/2016
Crédits :
• Affiches de la campagne de prévention contre le VIH par le Ministère de la Santé
• Capture d’écran Tweet de Louis Ronssin
• Capture d’écran Tweet de Marisol Touraine Affiches de la campagne de prévention contre le VIH
• Capture d’écran Tweet marst76
• Capture d’écran Tweet Nicolas Sévilla, Laurence Rossignol, Baptiste C_A
• Affiche campagne publicitaire Aubade
 

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La mission Proxima : quand l'aventure spatiale retrouve son aura romantique

« Vers l’infini et au-delà »… petite pensée pour nos rêves d’enfant, nos envies d’évasion, et d’ailleurs. Et quoi de plus « ailleurs » que l’espace ? Le bleu profond de cette immense étendue n’en finit pas de fasciner : il y a dans cette contrée étrangère mille et une questions scientifiques irrésolues, et autant de mythes qui tentent d’y répondre. C’est pourquoi les photos postées chaque jour par les astronautes de la Station Spatiale Internationale (ISS) récoltent autant de « j’aime ». Le fait est que, depuis juin, leur connexion Internet s’est nettement améliorée, permettant un storytelling renouvelé des aventures spatiales.
Facebook, Twitter, Instagram et FlickR relaient des nouvelles destinées à un public de plus en plus large. La mission Proxima, qui envoie Thomas Pesquet (Fr), Peggy Whitson (USA) et Oleg Novitski (Ru) sur l’ISS, révèle l’importance des réseaux sociaux, qui sont devenus un terrain de communication privilégié pour les agences spatiales américaine et européenne (Nasa et ESA). Actuellement, ce succès médiatique est incarné par l’astronaute français, dernier arrivé à la Station et suivi par 500 000 personnes sur les réseaux sociaux.
Une star au milieu des étoiles
Thomas Pesquet a tout du héros moderne : ingénieur de formation, le jeune astronaute de 38 ans est aussi pilote de ligne, ceinture noire de judo, saxophoniste à ses heures perdues… il doit cependant en avoir peu, vu l’entraînement intensif qu’a connu le Français depuis son recrutement en 2009 par l’Agence Spatiale Européenne. Son parcours extraordinaire suscite identification et inspiration, et pas seulement à l’échelle nationale.

Si Thomas Pesquet est évidemment représentant de son propre pays — le drapeau tricolore flotte en apesanteur dans son étroite cabine — son appartenance à l’ESA est aussi une part essentielle de son identité, il est le seul représentant de l’Europe sur l’ISS. Son nationalisme n’est pourtant pas exacerbé par la distance, au contraire. Sa communication sur les réseaux se fait en français et en anglais, et est partagée par des milliers de fans à travers le monde.
Paradoxalement, à travers le regard des astronautes, ce n’est parfois plus l’espace qui représente l’étranger, mais la Terre elle-même, redécouverte. En un mois de vie astronautique, Thomas Pesquet et ses collègues ont déjà publié des photos des cinq continents. Celles-ci dévoilent des paysages étranges et magnifiques, lunaires aimerait-on écrire. Finalement, l’émerveillement de ces scientifiques extraordinaires, partagé par ceux qui les suivent, s’accompagne d’un sentiment d’appartenance et de fierté, celui un peu science-fictionnel de se sentir Terrien.
√(Science x Facebook) = pédagogie2
Ce n’est pas par hasard si l’ISS communique maintenant essentiellement via les réseaux sociaux. Jean-François Clervoy, membre du jury ayant sélectionné Thomas Pesquet, affirmait sur RTL : « c’est très difficile de communiquer sur l’espace […] il faut donc faire preuve d’une très grande pédagogie.    […] Pour cela il faut être un bon communicant, et Thomas Pesquet est très bon. ». Dans un secteur trop souvent jugé comme mystérieux, perméable au regard d’un public amateur, la nouvelle recrue était un atout majeur pour recouvrir un grand public perdu depuis le pic de fascination pour l’exploration spatiale après le 1er vol de 1961.

Premières expériences de dialogue entre Station Spatiale et Terrien lambda
Dans un registre plus interactif, Thomas Pesquet a posté une photo le 17 décembre dernier, dont la seule légende était : « quizz du soir : de quelle ville s’agit-il ? ». Cette interview avec des collégiens de Saint-Malo, en direct depuis l’espace, visait à créer un échange entre amateurs et professionnels. Une vingtaine d’autres écoles ont également été sélectionnées pour participer à ces entrevues très spéciales, un investissement qui assure une curiosité durable des élèves pour la cause spatiale.
En outre, de nombreux accords ont été passés avec différents médias nationaux et internationaux (RTL, Europe 1, Aujourd’hui en France…) afin d’assurer une transmission d’information régulière via des canaux plus traditionnels. L’ESA joue sur tous les fronts médiatiques pour assurer une relation fidélisée entre l’ISS et le grand public. Elle travaille ainsi pour une meilleure connaissance, voire une reconnaissance du travail astronautique. Thomas Pesquet confiait à ce sujet dans une interview : « Je veux montrer aux gens à quel point c’est intéressant, à quel point les recherches qu’on mène sont pour eux. ».
Comment le multimédia dévoile une science… humaine.
Le cas Thomas Pesquet n’est qu’une facette de la stratégie de communication globale mise en place par l’ESA ou la NASA pour mieux vendre l’aventure spatiale. Chaque événement majeur pour la station est un rendez-vous médiatique mondial, depuis le retour de l’astronaute Jeff Williams (#YearInSpace) jusqu’à la prochaine sortie des astronautes dans l’espace, le 16 janvier prochain.
La culture cinématographique – vecteur majeur de l’imaginaire spatial – est aussi mise à contribution. Seul sur Mars avait par exemple été diffusé en avant-première par la NASA, qui ne manque pas de donner son avis sur le degré de réalisme de chaque nouveau film de science-fiction concernant l’espace. Buzz l’Eclair de Toy Story, lui, est régulièrement utilise comme ambassadeur du monde scientifique chez les enfants. Il a, de ce fait, été envoyé dans l’espace en 2009 (sous forme de figurine), et son retour a été fêté en grandes pompes à Disneyland. L’institution scientifique se déride donc, même pour les plus grands : la NASA vient de lancer quatre centaines de GIFs sur giphy.com. Dramatique ou humoristique, l’information scientifique se teinte d’affects sur les réseaux sociaux, et pour le mieux !

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Pour en revenir à Thomas Pesquet, il est à noter que parmi les 200 missions qu’il a à remplir pendant son semestre dans l’espace, l’une d’entre elles consiste à filmer des images en qualité 4K en vue d’un documentaire sur grand écran. Son devoir de scientifique se décline aussi sur les terrains de la communication à court, moyen, et long-terme, histoire de « remettre la science en culture », comme le souhaitait J.M. Levy-Leblond, c’est-à-dire de « ré-attribuer à chacun à la fois la tache de produire du savoir et de le partager ».
Mélanie Brisard
LinkedIn
Sources :
• Thomas Pesquet sur Facebook
• Petit point historique par FranceTVInfo, De John Glenn à Thomas Pesquet, comment la vie en orbite a évolué , Camille Adaoust, publié le 10/12/2016 et consulté le 21/12/2016. http://
• Sur Thomas Pesquet Astronaute surdoué et as de la communication RTL, publié par Rémi Sulmont et Loïc Farge le 30/08/2016 et mis à jour le 17/11/2016, consulté le 21/12/16
• Sur la communication de la NASA par La Nouvelle République.fr, La Nasa crée sa banque de GIF de l’espace par Clément Hebral, le 14/12/2016, consulté le 21/12/2016
• Sur Thomas Pesquet, le blog de l’ESA qui lui est consacré
• Un petit essai sur la science aujourd’hui, et ses problèmes de communication par J.M. Levy Leblond, « Remettre la Science en culture » issu de Courrier de l’environnement de l’INRA n°56, décembre 2008
Crédit photo :
• Couverture : NASA
• Photos 1, 2 et 3 : capture d’écran du Facebook et du Twitter de Thomas Pesquet le 21/12/16
• Photo 4 : extrait de la couverture de La Vulgarisation Scientifique, Cécile Michaut, chez EDP Sciences, 2014. Dessin de René Pétillon.

Société

VR et digital detox : les témoins d'une boulimie 2.0

Le temps, ce nouvel eldorado du XXIe siècle, semble recherché par tous. Je ne vous parle pas du temps qu’il faut transformer en argent, mais plutôt de celui à accorder à soi et à la réflexion. Face à la déferlante des informations, à la sur-sollicitation des médias et des réseaux sociaux, nous disons « stop ».
Néanmoins, une question demeure : comment analyser l’engouement pour la réalité virtuelle* parallèlement à l’envie de déconnexion ?
Infobésité et hyper-connexion : le nouveau mal du siècle
L’infobésité ne date pas d’aujourd’hui mais l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication accroît le phénomène pour créer une véritable saturation. David Shenk, auteur de Data Smog, ajoute même qu’« au milieu du XXe siècle, on a commencé à produire de l’information plus rapidement qu’on ne peut la digérer. Jamais cela ne s’était produit auparavant. »
Ce terme d’infobésité sous-entend qu’à force d’être confronté à trop d’informations nous nous dirigeons vers l’ignorance. Face à une masse d’information toujours plus grande, il faut sans cesse choisir quel journal lire, quelle radio écouter ou quel JT regarder. Mais paradoxalement, il faut être au courant de tout, alors nous lisons sans vraiment lire jusqu’à nous désinformer. On est ici face à un cas typique de FOMO, l’acronyme de « Fear Of Missing Out » c’est-à-dire la peur de rater quelque chose, une information ou une soirée meilleure que la nôtre par exemple. Alors on se doit de mettre sa vie en scène sur les réseaux sociaux et d’être au courant des dernières news pour paraître « in* ». Ce trouble compulsif de l’époque 2.0 est donc une conséquence directe de l’addiction aux réseaux sociaux et à Internet.
« Le monde est devenu invivable ; on n’a même plus le droit de ne pas être informé ! » Joseph Bonenfant

C’est à peine si nous survolons les grands titres des journaux, histoire « d’être au courant », mais sans connaitre le fond de l’article. Certains diront que faire illusion en société c’est déjà pas mal. D’après Edgar Morin, nous sommes dans « un nuage informationnel » qui nous rend aveugles. Face à la rapidité de la circulation des informations, nous n’avons plus le temps de prendre du recul sur les évènements et les informations délivrées par les médias.
Mais il y a une prise de conscience progressive de cette pression informationnelle dans la société. En effet, le droit à la déconnexion fait parler de lui dans les entreprises tandis que de plus en plus de services se créent autour de la notion de « digital detox » ou de désintoxication numérique, un concept né aux Etats-Unis où l’on se déconnecte de ses écrans pour mieux se reconnecter à soi-même.
Joël de Rosnay, « le grand luxe de demain ce sera d’être débranché… pour prendre simplement le temps de réfléchir. »
Une société de tous les paradoxes : digital detox VS réalité virtuelle
Le temps pour soi et pour la réflexion semble être devenu le véritable enjeu du XXIe siècle dans nos sociétés occidentales où il doit être rentabilisé. Paradoxalement, cette envie de déconnexion se confronte à la curiosité pour le progrès et les nouvelles technologies. Les annonceurs s’emparent du phénomène et quand certains proposent des digital detox, d’autres misent sur la réalité virtuelle (VR) pour satisfaire le consommateur, cet être de contradictions.
Côté déconnexion, les annonceurs rivalisent d’imagination pour réduire cette envie irrationnelle de consulter nos réseaux sociaux toutes les cinq minutes. Dans le secteur du tourisme, des gîtes proposent aux personnes « hyper-connectées » des « séjours digital detox » et même des cures thermales à Vichy. Tout cela bien sûr sans WIFI avec des séances de sophrologie et des coachings personnalisés. C’est un véritable coup marketing pour le secteur qui connaît des difficultés depuis quelques années.
D’autres encore développent des solutions plus radicales pour combattre cette addiction. Le dernier en date se nomme Deseat.me. Ce site internet créé en 2016 par deux suédois permet de disparaître d’Internet. Plus précisément, les utilisateurs peuvent se désinscrire de la plupart des sites et des services associés à leur compte Gmail. Un lien est proposé pour chaque service associé au compte pour permettre de se désabonner, voire de supprimer son compte.
Par ailleurs, les marques s’engagent aussi pour la déconnexion à travers leurs campagnes publicitaires et surfent sur un insight* fort qui parlent à une grande majorité d’individus. En ces périodes de fêtes, Nike rappelle qu’il ne faut pas gâcher son temps sur Internet car il est précieux. Prenez l’air, chaussez vos baskets et sortez courir, le bonheur commence par là.

Les annonceurs semblent avoir trouvé un véritable filon autour de l’envie de déconnexion sur lequel ils peuvent appuyer leurs discours et apparaitre crédibles : volonté sincère ou opportunisme ?
Mais parallèlement, l’engouement pour la VR ne cesse de croître et semble être la solution à l’ennui des consommateurs face à la publicité. Car on l’entend sans cesse, elle est scandée comme la voie à suivre : l’expérience utilisateur mais aussi cliente est posée comme le saint Graal. Quoi de mieux que la réalité virtuelle pour sortir les individus de leur quotidien et lever les freins à l’achat par le test ?
Samsung l’a bien compris en créant le Samsung Life Changer Park avec Magic Garden et Cheil France, un parc d’attraction en VR. Les millennials* sont invités à découvrir le Galaxy S7 et son écosystème du 16 décembre au 2 janvier 2017 sous la nef du Grand Palais. Samsung démontre encore une fois sa capacité à innover entre grand huit, descente en kayak et attaque de zombie à vivre en réalité virtuelle.

Rien ne change, l’individu demeure un être de paradoxes. Fasciné par cette nouvelle technologie tout droit sortie de Matrix, elle effraie aussi par son pouvoir de déconnexion à la réalité. Et si finalement les steaks virtuels étaient meilleurs que les vrais ?
Flore Voiry
Glossaire :
• Réalité virtuelle
La réalité virtuelle (en anglais, virtual reality ou VR) est une technologie qui permet de plonger une personne dans un monde artificiel créé numériquement. Elle ne doit pas être confondue avec la réalité augmentée
• Être « in »
Etre à la mode, vivre avec son temps.
• Millennials
Ils sont 16 millions en France et représentent un tiers de la population active. Nés entre 1980 et 1994, ils ont entre 15 à 34 ans et sont scrutés par les marques comme des consommateurs hétérogènes à toucher à tout prix.
• Insight
Opinion ou attente dominante présente et détectée chez les consommateurs d’un produit qui sert à orienter les discours publicitaires et la politique de commercialisation.
Sources :
• Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité, comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Vuibert, mai 2013
• Sylvie Le Roy « Quittez internet », ladn.eu ; 29/11/2016
• Agnès Rogelet « Suivre une cure de « digital detox » » Psychologies.com; avril 2014
• Cyrille Gandolfo « Vous perdez votre temps sur internet et Nike vous le rappelle », cdusport.com; 13/12/2016
• Marine Couturier « La digital detox, le nouvel attrape-touriste 2.0 ? » Rue89.nouvelobs.com; 30/07/2015
Crédits photo :
1 : digitaldetox.org
2 : VR headset shipments ‘to boom’ in 2016 , Reuters bbc.co.uk,  22 avril 2016
3 : FOMO: Fear of Missing Out, Ria Bakshi; Baysidejournal.com
4 : Gagnez votre Pass VIP pour le Samsung Life Changer Park au Grand Palais; Golem13.fr

Société

Sausage party: tant qu'il y a du scandale, c'est pas fini

Sausage Party, le nouveau film d’animation de Seth Rogen et Evan Goldberg, est sorti en France le 30 novembre 2016. C’est l’histoire d’une petite saucisse qui s’embarque dans une quête dangereuse pour découvrir ses origines. D’autres thèmes d’actualité et de société — et même de géopolitique, notamment à travers le conflit israélo-palestinien — sont abordés. Les réalisateurs Seth Rogen et Evan Goldberg étant avant tout les grands maîtres de la stoner comedy (genre cinématographique dont l’intrigue montre l’utilisation du cannabis) et de l’humour subversif, il en résulte par conséquent un dessin animé qui se rapproche plutôt d’American Pie que d’une production Disney.
La stratégie de communication du film d’animation présentait un double enjeu. D’une part, il était important de mobiliser le public autour de la sortie du film, qui à l’origine n’était pas prévue en France mais pour direct to video, la décision du lancement fut encouragée par la mobilisation des fans de Seth Rogen. D’autre part, après sa sortie, La Manif Pour Tous, s’est mobilisée et a bruyamment dénoncé l’hyper-sexualisation du dessin animé. Revirement stratégique : il a fallu faire profil bas pour normaliser Sausage Party par rapport au reste des sorties. Cet événement témoigne surtout de la difficulté de communiquer autour des films d’animation en France, ceux-ci étant éternellement perçus comme des films pour enfants.
Une communication officielle potache mais tardive et ambiguë…
En France comme aux USA, les producteurs avaient misé sur une communication bon enfant, presque familiale, en revenant aux fondamentaux du film : montrer la vie d’aliments qui, comme les jouets dans Toy Story, se réveillent dès que les humains ont le dos tourné. La société française chargée de la distribution s’est donc appuyée sur le synopsis du film pour en assurer la communication, notamment en utilisant la marque « Morteau Saucisse ». Étant donné que le héros du film est une saucisse, le lien était tout trouvé et permettait à la marque alimentaire de s’offrir une image plus jeune et une visibilité nouvelle en magasin.

Par ailleurs, pour le distributeur, il s’agissait aussi de s’offrir les services d’un groupe qui avait su marquer les esprits lors de sa campagne de pub dans le métro parisien. Celle-ci assurait en effet « 20 cm de bonheur » aux acheteurs d’une saucisse chez Morteau. La stratégie communicationnelle mise en place, tout en s’approchant du type d’humour développé dans le film, a donc contribué à rendre celui-ci plus accessible aux consommateurs.
Paradoxalement, le fait que Cyril Hanouna ait été choisi pour doubler un des personnages, brouille un peu ce message : il est un des animateurs préférés des adolescents et pré-adolescents, or cela donne l’impression que ce public pourra se retrouver dans le film. Mais ce n’est cependant pas le cas. De plus, en France, la communication autour de la célébrité des doubleurs a plutôt lieu lors de la sortie de films d’animations pour enfants, ce qui contribue donc au renforcement de l’ambiguïté autour du public réellement visé.
…pour un film sorti dans un contexte social peu propice
Refusant de tomber dans l’oubli à l’approche des présidentielles, La Manif Pour Tous a vu dans la sortie de ce film l’occasion de revenir sous les feux des projecteurs et de faire réentendre son message. Ce n’est pas la première fois que le mouvement ou une de ses dérivées, cherche à préserver les « chères têtes blondes » (selon leurs propres termes) des affres du cinéma, qu’il s’agisse des affiches ou du contenu d’un film. La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche et ses scènes jugées trop explicites par certains spectateurs, ou encore L’inconnu du Lac d’Alain Guiraudie et son affiche un peu trop suggestive, ont eux aussi connu les foudres des associations familiales. Il s’agit en quelque sorte d’une spécificité française puisque ces trois œuvres cinématographiques sont sorties à l’étranger, également avec des restrictions de diffusion selon l’âge des spectateurs, mais sans jamais susciter de telles polémiques.
Cette mobilisation est en fait basée sur les revendications plus politiques de La Manif Pour Tous. Leur communication sur Twitter mentionne en effet la récente campagne anti- VIH du gouvernement français mettant en scène des couples homosexuels, qui serait choquante pour les enfants. En interpellant tout d’abord le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (qui ne gère pas les affaires liées au cinéma) puis le Conseil National du Cinéma et de l’Image animée, il semble que ce soit plus largement le gouvernement qu’ils ont souhaité pointer du doigt, et plus particulièrement, sa politique concernant la famille. Plus que le film en lui-même, c’est donc une certaine image de la sexualité dans la société que le mouvement dénonce.

Mais pour quel effet ?
La méthode utilisée est paradoxale et rappelle le phénomène du Streisand effect, du nom de Barbara Streisand : plus l’on cherche à cacher quelque chose, plus il y a un risque que cela gagne en popularité. En effet, pour mettre en garde les spectateurs potentiels du film sur sa dangerosité pour les enfants, ceux qui s’opposaient à sa sortie ont diffusé les deux minutes les plus polémiques du film, augmentant ainsi le risque pour les plus jeunes d’y être exposés.
Finalement, le peu de signatures recueillies sur les pétitions (moins de 3 000 pour le premier résultat Google au 11 décembre 2016) semble signaler que cette présence importante sur les réseaux sociaux n’est pas forcément représentative d’un réel engagement. Une petite minorité convaincue parvient à se rendre visible, sans pour autant réellement mobiliser les masses autour de cette cause.
Malgré la tentative de succès en voulant surprendre le public afin de susciter la polémique, le film n’aura fait que 40 000 entrées la première semaine, se plaçant à la 11e place du box-office. Finalement, les fans du films mobilisés pour sa sortie ont été satisfaits et aucun des spectateurs n’a été traumatisé, comme le pensent les opposants : plus de bruit que de mal !
Justine FERRY
LinkedIn
Sources :
• http://www.mesopinions.com/petition/enfants/censurer-sausage-party-dessin-anime- pornographique/26528 (pétition créée le 28/22/2016, consultée le 10/12/2016) –
• https://fr.wikipedia.org/wiki/Sausage_Party (consulté le 11/12/2016) -Assaoui, Sofian (publié le 22/11/2016) http://france3-regions.francetvinfo.fr/franche-comte/ saucisse-morteau-ambassadrice-du-film-sausage-party-1136847.html (consulté le 10/12/2016)
• Couston, Jérémie (publié le 01/12/2016, mis à jour le 02/12/2016) : http://www.telerama.fr/ cinema/sausage-party-comment-la-manif-pour-tous-fait-tout-un-plat-avec-une-saucisse, 150892.php (consulté le 09/12/2016)

Société

Le journalisme immersif et l'effet de réel: jusqu'à quel point ?

 
Cela fait maintenant quelques années que la réalité virtuelle* a fait son apparition dans le domaine des nouvelles technologies (les casques sont commercialisés depuis juillet 2016). Elle fascine, interroge et s’approprie l’univers des médias, le reconfigurant et lui offrant un potentiel encore inexploré.
Mais outre le domaine du loisir, quelles sont les autres potentialités d’une telle technologie ? Le journalisme peut-il vraiment s’adapter à la réalité virtuelle tout en restant fidèle à ses propres règles d’éthique ?
Un champ de possibles quasi infini
Aujourd’hui, le monde des jeux-vidéos est probablement celui qui parvient le mieux à tirer parti de ces potentialités. Bien plus que de faire évoluer des personnages dans un univers fictif qui se déployait devant nous, il nous est désormais possible de vivre le jeu, d’être le héros d’une histoire qui se déploie autour de nous.
Lorsque l’on réfléchit aux multiples possibilités médiatiques que nous offre la VR (virtual reality), on omet souvent d’inclure le milieu de l’information, et plus précisément celui du journalisme. Certes, le journalisme immersif n’est pas en soi quelque chose de nouveau (le journaliste allemand Günter Wallraf se posait déjà en pionnier en 1986 avec son livre Tête de Turc*) ce qui a changé au fond, ce sont les outils propres à cette immersion.
Une extension progressive au domaine journalistique
La plateforme Youtube héberge déjà les vidéos à 360° de l’office du tourisme australien, National Geographic ou les promoteurs d’un film d’horreur…

Mais ils ne sont pas les seuls à s’approprier cette technologie. Le New York Times ou la chaîne américaine ABC ont également lancé leur propre application pour diffuser des reportages en réalité virtuelle. Par exemple, le quotidien New-Yorkais a investi dans des « google cardboards »* qu’il a envoyé à ses abonnés : avec une simple boîte en carton, un smartphone et l’application NYT VR, vous pouvez avoir un aperçu de ce qu’est la réalité virtuelle.
Désormais au cœur de l’action, le spectateur voit non seulement ses sens mis à contribution, mais la narration elle-même évolue : elle n’est plus linéaire mais environnée, et s’adapte aux réactions du spectateur. Comme le souligne celle que l’on appelle aussi la « marraine de la VR », Nonny de la Peña, l’impact de la réalité virtuelle peut être conséquent. Dès 2012, cette journaliste a commencé à s’approprier pleinement le potentiel de la VR en proposant, avec la société Emblematic Group (spécialiste dans les formes innovantes de journalisme), des documentaires en 3D.
Certes, les premiers reportages en sont encore à leurs balbutiements, réalisés en image de synthèse d’une bien médiocre qualité… Pourtant, le succès est au rendez-vous. De la Peña filme des spectateurs en train de visionner (ou plutôt de participer) à son documentaire immersif Hunger in L.A. On y voit des gens s’agenouiller pour tenter d’aider un homme qui, souffrant de diabète, fait un malaise et tombe au sol ; on les voit même éviter un corps qui n’est pourtant pas physiquement là.

La VR incarne la promesse d’une immersion totale et sensorielle, permettant une plus grande compréhension du sujet par le biais d’une empathie accentuée. Pour citer Raphaël Beaugrand (directeur de réalité virtuelle chez Okio Studio) : « Pour un journaliste, il n’y a rien de mieux que la réalité virtuelle pour communiquer, permettre aux gens de ressentir, d’écouter, de voir ce que le journaliste vit in situ ».
L’immersion, au détriment d’une pratique objective ? Dans un reportage faisant appel à la technologie de la réalité virtuelle, l’implication émotionnelle du sujet est bien plus forte qu’avec tout autre type de reportage. Tom Kent, professeur de journalisme, nous prévient : « Dans les médias traditionnels aussi, le désir de peindre une cause ou une personne dans des tons sympathiques peut entrer en conflit avec l’impartialité. Mais le potentiel est encore plus grand dans le monde VR […] ». Or, nous le savons, l’émotion n’est pas la source d’une meilleure compréhension du monde, et il n’est pas certain que l’empathie aille de pair avec la définition du journalisme.
Dans de telles conditions, comment les journalistes vont-ils s’adapter à ce nouveau mode de transmission de l’information ? Comment respecter l’éthique journalistique impartiale sans pour autant sombrer dans la subjectivité du journalisme gonzo*? Et surtout, comment ne pas faire de cette expérience journalistique une expérience qui se rapprocherait de ce que l’on peut expérimenter dans un jeu vidéo ?
Car cette méthode est tout juste émergente. La technologie de l’Occulus Rift, un des modèles de casque immersif, n’a été démocratisée qu’en juillet 2016, et aucun code de déontologie n’a été mis en place pour cadrer les pratiques journalistiques qui découleraient de cette technologie.
Le risque de voir l’information devenir du divertissement (infotaimnent), d’appréhender l’information comme un film ou un jeu de guerre où la réalité deviendrait fiction, est bien réel. Et l’intitulé de certains articles laisse songeur. « La Syrie comme si vous y étiez », c’est ainsi que Le Nouvel Obs a nommé un de ses articles de septembre 2014 au sujet du documentaire Project Syria de Nonny de la Peña. La promesse ? Vous faire vivre la guerre en immersion totale. Le danger ? Oublier que ces vidéos de prise réelle mêlées à la réalité virtuelle relatent des événements bien réels, et que ceux qui s’occupent de réaliser ces documentaires sont bien des journalistes.

Un bilan ?
Certes, aucun code de déontologie n’a encore été rédigé pour cadrer ces nouvelles pratiques mais, en attendant, on peut supposer que les codes de l’éthique journalistique sont encore applicables afin d’éviter toute dérive. Ce terrain est encore en friche et tout est à inventer. Toutefois, le prix de l’équipement restant relativement cher, le produit n’est pas encore commercialisé à grande échelle, ce qui laisse du temps pour instaurer des règles bien précises.
Enfin, pour laisser le dernier mot à Gaël Seydoux, responsable de la Recherche et de l’Innovation chez Technicolor, c’est bien « L’éducation à ce média [qui] sera primordiale ».
Lina Demathieux
@Lina_Dem

Société

Pape François : un pape 2.0

Depuis 2013, le Pape François a métamorphosé la communication du Vatican. Très présent sur les réseaux sociaux, il met en place une véritable stratégie de communication prônant avant tout l’ouverture à tous. Cependant, ses actions digitales ne plaisent pas à tout le monde et les critiques de certains fidèles créent la polémique. Le pape ne deviendrait-il pas un objet marketing ?
Une rock star des réseaux sociaux
Avec près de 27 millions de followers sur Twitter, le pape rassemble une communauté de tous horizons culturels à travers des profils traduits dans toutes les langues et des publications régulières. Chaque occasion est bonne à saisir pour s’adresser à ses fidèles. En effet, que ce soit sur des problèmes économiques et sociaux, comme la crise des migrants en Europe, ou sur des préoccupations plus religieuses telles que l’Avent, le pape s’exprime assidûment, ce qui s’apparente à une authentique stratégie de fidélisation.

À travers cette hyper-activité médiatique, le pape François confirme vouloir être « le pape des temps modernes », celui qui aura su réconcilier l’Église avec l’époque médiatique. Un pape connecté : ça, c’est nouveau !
Notons également que suite à la création de son compte Instagram en mars 2016, le pape a organisé une rencontre officielle avec le fondateur de ce réseau, Kevin Systrom. Entrevue inattendue pour le jeune PDG, mais aussi pour certains des membres de l’entourage du pape François, déroutés de recevoir la magnat médiatique au Vatican.

Le 24 janvier dernier, lors de la Cinquantième Journée Mondiale des Communications Sociales, le pape à souligné que la communication est le meilleur moyen de propager la miséricorde, valeur essentielle pour le Vatican. Avec une rhétorique puissante telle que « L’amour, par nature, est communication, il conduit à s’ouvrir et non pas à s’isoler. », il développe petit à petit une stratégie nouvelle : celle de la communication 2.0. Une communication qui rapproche plutôt qu’isole et qui doit être au service de la communion : « En tant qu’enfants de Dieu, nous sommes appelés à communiquer avec tous, sans exclusion ». Il en donne ainsi l’exemple en s’intégrant pleinement aux différents canaux de notre ère médiatique. Ainsi, « tous » ou encore « union », termes qui prônent le rassemblement, reviennent de très nombreuses fois au sein de ce discours qui a marqué les esprits.
Un pape « populaire » qui ne fait pas l’unanimité
Face à cette omniprésence du pape sur les réseaux sociaux, les fidèles les plus récalcitrants à une communication digitale introduisent le débat suivant : un pape populaire est-il légitime ? C’est en effet de « populaire » et « populiste » qu’est qualifié le pape François par certains catholiques. L’idée d’une Église ouverte à tous agace une partie de sa communauté qui se sent délaissée, ayant l’impression de ne plus être le cœur de cible. À vouloir parler aux foules, le Pape ne s’éloigne t-il pas de ses fidèles ? L’hyper-activité médiatique n’est-elle pas néfaste à long terme ? À force de s’exprimer sur une pléthore de sujets, le pape pourrait perdre de son autorité et de son éloquence. Ainsi, un groupe catholique dénonce avec virulence sur Internet celui qu’ils appellent le « pape des masses » ou « pape du spectacle ».
Pape François, un produit marketing ?
C’est précisément cette notion de spectacle qui revient souvent dans la bouche des journalistes. Car , en plus du mécontentement d’une frange de sa communauté catholique, les journalistes et les médias le prennent également pour cible. Tantôt traité de pape « ultra-mondain » tantôt « d’idole virtuelle », la révolution communicationnelle du pape François est sans cesse remise en question. Il est accusé d’être un produit marketing et de mettre en place un culte de la personnalité afin de promouvoir sa religion.
Ces accusations bien que sévères, s’appuient sur de réels arguments.
En effet, le personnage du pape François est mis en avant sur la scène médiatique — rien d’exceptionnel si l’on considère les portraits presque divins de ses prédécesseurs — mais il se retrouve souvent là où on ne l’attendait pas. En février 2014, on le voit par exemple à la une du magazine Rolling Stone. Cette une plus qu’étonnante pour un homme d’Église a d’ailleurs été jugée grossière et honteuse par certains, quand d’autres la saluèrent. Ainsi, bien qu’il soit sans cesse critiqué et accusé de vouloir développer sa marque, le pape François a eu le cran d’intégrer l’Église catholique dans l’ère du numérique. Un effort à saluer quand on connaît la rigidité des protocoles pontificaux.
Steffi Noël
Sources :
• FAURE Mélanie, « Le pape François, roi de la communication digitale » Le Figaro. Publié le 16/03/2016. Consulté le 01/12/16.
• Message du Pape François pour la 50ème journée mondiale des communications sociales. Site officiel du Vatican. Publié le 24/01/16. Consulté le 04/12/16.
• TIBERI Jacques, « François, Pape de la com’ ? » J’ai un pote dans la com. Publié le 29/09/16.
Consulté le 01/12/16.
• DUCHATEAU Jean-Paul et VAN DIEVORT Charles, « Le pape François fait-il surtout du
marketing? » Lalibre. Publié le 31/01/14. Consulté le 04/12/16.
• CESARI Paulin, « Le pape François est-il devenu un produit marketing ? » Le Figaro. Publié le 13/03/2014. Consulté le 03/12/16.
Crédits :
© REUTERS/ Osservatore Romano photographe pour sputniknews.com Twitter
@Pontifex_fr Une du Rolling Stone, Février 2014

Société

Dakota access pipeline à l'ère des signaux de fumée

Alors que les médias signalent de plus en plus les dangers que représentent les énergies fossiles pour l’environnement, un scandale écologique et idéologique éclate aux États-Unis dans l’État du Dakota du Nord. Et presque personne n’en entend parler.
La guerre des mondes
Tout a commencé en 2014. La compagnie Energy Transfer Partners, spécialisée dans l’industrie pétrolière, obtient l’autorisation de construire un pipeline reliant le Dakota du Nord à l’Illinois en passant par le Dakota du Sud et l’Iowa. Un projet de près de 2 000 km, et d’un montant de 3,7 milliards de dollars.
Le problème ? Le pipeline est censé traverser la réserve indienne de Standing Rock, située dans le Dakota du Nord. Une terre sacrée, habitée par quelques 8 250 habitants, des Sioux pour la plupart. Mais le fait est que, si les réserves indiennes sont des territoires réservés aux peuples amérindiens, elles restent la propriété des États qui continuent officiellement de les administrer. L’État du Dakota du Nord a donc accepté que ce pipeline passe par Standing Rock, et ce malgré les dangers environnementaux que représente une conduite de pétrole dans un tel lieu habité (d’autant qu’aucune évaluation environnementale approfondie n’a été effectuée).
En avril 2016, des mouvements de protestations pacifiques, menés par l’ainé LaDonna Brave Bull Allard de la tribu Sioux, voient le jour. Organisés autour de trois camps, ils attirent quelques milliers de personnes, amérindiens, dans le but de retarder la construction de l’oléoduc. Une résistance à la fois physique et spirituelle, contre ce qui pourrait être une métaphore du capitalisme américain. Le genre de mouvement qui, dans la ligne de Gandhi et Rosa Parks, séduit et fédère. Quelqu’un qui répond de manière pacifique à une violence manifeste semble toujours plus sympathique que son agresseur. C’est simple, manichéen, vendeur. Pourtant, la couverture médiatique n’est pas au rendez-vous. Étrange, quand on sait que ce genre de sujet suscite souvent l’attention du public.

Cependant, l’État et Energy Transfer Partners ne sont pas prêts à renoncer à leur projet – ni à laisser une poignée de manifestants menacer les matériaux et le chantier de l’oléoduc. Commence alors une phase de répression et de violences à peine réfrénées, contre les manifestants pacifiques : jets d’eau glacés, menaces physiques et morales, surveillance digitale et physique, drones, fils barbelés… Les officiers de l’État semblent avoir sorti le grand jeu. Les affrontements s’enchaînent, se radicalisent, jusqu’à l’arrestation brutale de 141 manifestants et à la mise à feu de l’un de leurs camps. On est en octobre 2016. Peu de temps après, les forces de l’ordre bloquent l’accès au ravitaillement des manifestants.
Il y a quelques jours à peine, le projet de Dakota Access Pipeline a été mis en stand-by par le gouvernement Obama. Une intervention fédérale venant récompenser des mois de protestations silencieuses. La nécessité d’effectuer une véritable estimation des risques environnementaux – chose jusque-là négligée par le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis – a enfin été affirmée. Mais le president-elect Donald Trump, plus libéral et climato-sceptique, pourrait à nouveau faire pencher la balance en faveur du pipeline.

#NoDAPL VS Energy Transfer Partner
Le cas du Dakota Access Pipeline soulève par ailleurs une autre question – celle de l’absence de couverture médiatique de l’évènement. Il est vrai que les protestations se sont cantonnées à un périmètre bien précis, inconnu du grand public. Mais tout de même, on parle ici de violences policières lors de manifestations pacifiques de minorité défendant son territoire, son lieu de vie. Que ces évènements soient presque passés sous silence remet sur le devant de la scène le comportement ambigu des États-Unis envers les Amérindiens.
Les réserves indiennes sont souvent des endroits isolés, c’est-à-dire des lieux où la couverture réseau est faible et l’accès à Internet jamais garanti. Difficile, dans ces conditions, d’informer le grand public via les réseaux sociaux — pratique devenue courante lors de l’organisation de manifestations. Difficile, certes, mais pas impossible. Alors que les grands médias faisaient le dos rond et détournaient le regard, la communauté amérindienne et ses sympathisants se mobilisaient.
Le hashtag #NoDAPL (No Dakota Access Pipeline) voit le jour sur Twitter afin d’appeler à la protestation, mais surtout pour informer du déroulement des évènements, qui sans les réseaux sociaux seraient probablement restés dans l’ombre. Des activistes amérindiens, à l’image du Docteur Adrienne Keene, se font les porte-paroles de leur peuple via des blogs, des articles sur des sites spécialisés, et d’autres réseaux comme Facebook ou Tumblr. Jusqu’à, enfin, se voir reconnaître par l’armée américaine elle-même, qui leur consacre un communiqué sur son site officiel. Pour la première fois depuis le début des protestations, un véritable relais officiel semble avoir été mis en place pour soutenir les habitants de Standing Rock.

#NoDAPL finit par devenir la signature des manifestants et la preuve d’une nouvelle forme de résistance – celle qui s’organise et se répand à travers le prisme des réseaux sociaux, comme autant de signaux de fumée.
«Representation matters »
L’absence de reportages et d’articles sur ces protestations est symptomatique de deux autres problèmes. Tout d’abord, le sentiment persistant pour les minorités que l’histoire se répète. On a souvent tendance à oublier que les États-Unis se sont construits sur les ruines de centaines de camps de tribus indiennes, et que celles-ci n’ont jamais véritablement été rétribuées pour leurs pertes. Au contraire, souvent mal intégrés, victimes de l’isolement et de l’alcool, les Indiens sont pour la plupart cantonnés dans des réserves, comme s’ils ne faisaient pas vraiment partie du peuple américain. Comme si on ne voulait pas reconnaître leur culture. L’absence de couverture médiatique concernant le Dakota Pipeline Access semble en être un exemple frappant.

Les Amérindiens sont souvent passés sous silence dans les médias – on l’a vu avec l’affaire du Dakota Access Pipeline. Mais leur présence dans les médias est-elle véritablement avantageuse ? Comme toutes les minorités, les Indiens semblent souvent limités à quelques traits de caractère – en un mot, à des clichés. La majorité des Américains ne voient les peuples natifs que sous l’image de Chief Wahoo, le logo de l’équipe de baseball, Cleveland Indians. Ou comme le vieux chef de Pocahontas, taciturne, visage fermé, parlant à peine anglais. Les Amérindiens ne sont donc pas vus comme un peuple civilisé – au contraire. Et leur absence de représentation – de représentation juste et réaliste – dans les médias tels que la télévision, les journaux ou même le cinéma — n’est-elle pas aussi responsable de l’indifférence du reste de la population américaine ?
Margaux Salliot
Twitter
Sources :
• Adrienne KEENE, Native Appropration, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections », publié le 1 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Site du camp Sacred Stone, , « DAPL Easement Denied, But The Fight’s Not Over », Publié le 5 décembre. Consulté le 5 décembre.
• « The U.S. Army Cannot Evict Us From Treaty Lands ». Publié le 27 novembre. Consulté le 5 décembre.
• Bethania PALMA, « Army Corps Denies Easement and Blocks the Dakota Access Pipeline ». Publié le 4 décembre. Consulté le 5 décembre.
• Camille SEAMAN, « Gallery: Portraits from the Standing Rock protests ». Publié le 9 novembre. Consulté le 5 décembre.
Crédits :
• Camille Seaman pour le site Idea.ted.com, « Gallery, portraits from the Standing Rock protests », 9 novembre 2016
• Adrienne Keene pour le site Native Appropriations, « #NoDAPL: Updates, resources, and reflections »,
1 novembre 2016
• Jason Miller/Getty Images pour le site Business Insider, « MLB Commissioner Rob Manfred to meet with Cleveland Indians owner over use of controversial ‘Chief Wahoo’ logo », 25 octobre 2016
• Matika Wilbur, page Facebook du Sacred Stone Camp, 8 septembre 2016