Enjoy Phoenix
Société

Et si les youtubeuses beauté ne savaient pas tout ?

Salut les filles ! Je suis super contente de vous retrouver aujourd’hui pour parler de l’influence de vos youtubeuses préférées et des dangers qui en découlent. Ne vous inquiétez pas, j’ai mis toutes les références en barres d’infos. N’hésitez pas à me laisser des commentaires, à liker si le sujet vous intéresse et à vous abonner à ma chaîne bien sûr !
Il est aujourd’hui difficile de passer outre les tutos beauté sur YouTube et leurs créatrices, ces nouveaux gourous du net que sont les youtubeuses beauté. Véritables influenceuses, elles partagent des conseils beauté avec leurs nombreux abonnés. Il semble néanmoins que leur champ de compétence ait aujourd’hui bien évolué. Mais où s’arrête la légitimité des youtubeuses beauté ? Quelles peuvent être les conséquences d’un amateurisme qui s’impose comme une référence ?
De la bonne copine à la professionnelle, il n’y a qu’un pas (et quelques milliers d’abonnés)
Rappelons tout d’abord que ce qui fait le succès d’une youtubeuse, c’est en partie sa proximité avec son public. Après tout, c’est une fille comme vous, comme nous, un peu comme la grande soeur qu’on n’a jamais eu. Une véritable relation se tisse et vidéo après vidéo, conseil après conseil, la confiance s’installe. Plus leur notoriété augmente, plus la part de confiance qui leur est accordée est importante.
Nous avons pu remarquer ces dernières années que ces youtubeuses tendent à se présenter comme des « professionnelles » de la beauté. La qualité visuelle de leurs vidéos, les partenariats avec des marques ou encore la participation à des émissions de télévision pour certaines (la célèbre EnjoyPhoenix est une habituée des plateaux et a même participé à Danse avec les stars récemment), véhiculent cette image professionnelle, alors qu’en réalité elles ne possèdent aucune formation en esthétique ou en coiffure pour la grande majorité. Autodidactes, elles s’en sortent souvent très bien. Et même dans les cas où leurs conseils seraient mauvais, un maquillage raté n’est pas un drame : on l’essaie devant son miroir et si ça n’est pas réussi, on se démaquille. Or, si leur non-expertise ne les empêche pas d’être très douées, voire même meilleures que certains experts, il semblerait que cela puisse devenir problématique quand elles tentent d’étendre leurs compétences à des domaines plus spécialisés et plus complexes.

Les youtubeuses beauté sont-elles mauvaises pour la santé ?
Pour continuer à séduire leurs fans et pour ajouter du contenu à leur chaîne, les youtubeuses beauté donnent maintenant de nombreux autres conseils : lifestyle, santé, cuisine, vie privée… Tout y passe. Certaines donnent par exemple des conseils sur les problèmes de peau. N’étant pas diplômées en dermatologie, il semble naturel de remettre en question la légitimité de leur parole. Elles ne font, en effet, référence qu’à leur propre expérience, à d’autres vidéos qu’elles ont pu voir ou encore à des informations qu’elles ont elles-mêmes trouvé sur Internet. La fiabilité de leurs trucs et astuces peut donc être mise en doute.

 
En outre, le public des chaînes YouTube étant extrêmement large, leurs conseils ne peuvent s’appliquer à tous. Et ce n’est pas certaines abonnées d’EnjoyPhoenix qui diront le contraire. La youtubeuse star, dans une vidéo de masques DIY (“do it yourself”), conseille d’essayer un masque à base de cannelle et de miel qui donne une peau « toute belle, légèrement rosée parce qu’elle a pris des couleurs ». Comme l’explique un article publié sur marieclaire.fr le 20 octobre dernier à ce sujet, la cannelle est « une plante dermocaustique (qui entraîne des brûlures) et très allergisante ». Ainsi, certaines abonnées ont eu la sympathique surprise de retrouver leur visage brûlé après l’utilisation du masque. Bien sûr, l’erreur est humaine, mais lorsque l’on se porte garant devant des millions de personnes des vertus d’une recette, et que l’on a autant d’impact sur des millions de jeunes filles qu’EnjoyPhoenix, l’erreur prend une toute autre dimension. Si les youtubeuses se veulent professionnelles, elles doivent prendre les responsabilités qui accompagnent ce changement de statut.
Tous les conseils sont-ils bons à prendre ?
L’exemple est encore plus frappant dans le cas de Kelly Angelini, alias KayEhHey. Dans une vidéo sortie début décembre 2015, elle donnait des conseils concernant la première fois. Elle insistait sur l’importance de la tenue vestimentaire et du maquillage, ainsi que sur la nécessité de s’épiler pour « ne pas dégoûter son partenaire » et de se laver le sexe plusieurs fois « par respect». Une fois passés ces conseils misogynes, qui véhiculent une conception arriérée de la femme, la youtubeuse renchérit. Elle explique, en effet, qu’il faut parfois se faire violence et se forcer un peu pour sa première fois, car après tout, « tout le monde est passé par là ».

La vidéo a rapidement été supprimée par son auteure . Néanmoins, ces propos ne sont pas passés inaperçus auprès des internautes. Clarence Edgard-Rosa, blogueuse et journaliste féministe, conclut ainsi un article à propos de cette vidéo sur son blog pouletrotique.com: « Son ignorance crasse n’empêche en rien Kelly de se sentir légitime à distiller ses conseils à ses près de 250.000 abonnés, et grâce à YouTube, elle sera rémunérée pour ça. Récompensée financièrement pour avoir expliqué à des jeunes filles que le plus important dans une première relation sexuelle avec un garçon, c’est de se forcer un peu, de ne pas porter un décolleté trop plongeant et de se récurer l’entre-jambes par respect pour les garçons. J’oscille entre honte et colère. Je vais prendre les deux. » Comme le précise une rédactrice du site blastingnews.com, le public de ces youtubeuses est généralement un public jeune, manquant de confiance en soi et de repères. Ces jeunes accordent donc un grand intérêt au discours de leur youtubeuse favorite et dès lors, ces paroles deviennent un réel enjeu. Les propos de Kelly Angelini peuvent être nuisibles, en particulier pour les jeunes âmes qui parcourent YouTube à la recherche de conseils et de réconfort.

Ces exemples de dérapage made in YouTube nous montrent bien que ce média social soulève de nouveaux débats, notamment en ce qui concerne l’amateurisme sur Internet. L’importance accordée aux youtubeuses beauté, à la fois sur Internet et dans les médias dits traditionnels, ainsi que la professionnalisation entraînée par cette médiatisation nécessitent donc une réelle remise en question. Néanmoins, il semble clair que les youtubeuses beauté ont désormais une place prépondérante dans la consommation médiatique des jeunes publics, interrogeant également le futur des sacrosaints magazines féminins.
Clémence de Lampugnani
LinkedIn 
Sources: 
Marie-Claire, « POURQUOI ENJOYPHOENIX FAIT-ELLE LE BAD BUZZ SUR LA TOILE ? » de Lola Talik 
L’obs, « Première fois: une YouTubeuse conseille aux filles de se forcer. Une honte » de Audrey Kucinskas 
Blasting news, « YOUTUBEUSE BEAUTÉ: RÉEL MÉTIER, EFFET DE MODE OU VÉRITABLE STAR MODERNE? » par Lilylaura Devillers 
« Le pouvoir des Youtubeuses beauté » par Magali Heberard 
Crédits photos:
Joel Saget / AFP
Capture d’écran Youtube d’une vidéo de Michelle Phan
capture d’écran YouTube d’une vidéo d’EnjoyPhoenix
apture d’écran YouTube vidéo de KayEhHey alias Kelly Angelini
Twitter

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Publicité Adopte un mec
Société

Sites de rencontre: "y en aura pour tout le monde"

Un site web comme lieu de rencontre ? C’est la métaphore utilisée par les sites de rencontres, qui proposent d’optimiser les rencontres amoureuses. Après le temps des bals et des bars, le site permet de faire sa propre sélection. Et si l’analyse de Tinder, application mobile de rencontre, par Le Sociologue est implacable, il nous paraît néanmoins nécessaire de revenir sur les stratégies que mettent en œuvre ces sites pour inciter à leur utilisation et satisfaire les acteurs de ce lieu virtuel.
« Le truc c’est que j’ai trop honte… ça craint ! »
Sur le forum jeux-vidéo.com, un utilisateur vient demander de l’aide aux autres membres. Il veut s’inscrire sur un site de rencontre mais n’ « ose pas » : « le truc c’est que j’ai trop honte, j’ose pas m’inscrire sur un site de rencontres ça craint ! ». C’est que nous avons une image péjorative du site de rencontre, c’est un double aveu : celui de l’échec, ne pas avoir rencontré quelqu’un « en vrai » et celui, si rencontre il y a, de s’être rencontrés grâce à un clavier et une souris, plus difficile à avouer que le légendaire coup de foudre.

Toutefois, il s’avère plus facile d’avoir recours à ce genre de site que de faire des rencontres réelles. Pour le sociologue Norbert Elias (1897-1990), nos interactions dans le monde sont régies par des règles de pudeur. Or, bien que le sociologue n’ait pas connu l’ère des sites de rencontre, ces règles de pudeur paraissent être mises entre parenthèses dans un monde virtuel tel que celui de ces sites. Les interactions, c’est le sujet phare d’Erving Goffman, sociologue qui développe la notion de face dans son ouvrage Les rites d’interaction, paru en 1974. La face est la ligne de conduite d’une personne, qui se structure et prend son sens dans son rapport à autrui. Lorsque l’on est déphasé par rapport au monde social qui nous entoure, on « perd la face ». La rencontre via un site internet permet de « préserver la face » puisque l’image est contrôlée et nos actions se font de manière cachée, derrière un écran, imperceptible pour les autres personnes en ligne, qui n’ont de nous que des informations minutieusement choisies.
Rendre le lieu virtuel légitime
Pour les sites de rencontre, l’enjeu est de légitimer leur usage. Pour cela une première approche est celle du désenchantement de la rencontre dans la vraie vie : les rencontres ne sont pas celles que nous choisissons, nous pouvons êtres abordés sans le désirer et tomber sur beaucoup de mauvaises surprises. Pour en finir, les sites de rencontres proposent d’avoir le choix, de pouvoir faire le tri : prendre le pouvoir sur la rencontre et ne pas laisser le hasard ruiner nos relations. Le pouvoir attribué par le choix serait ainsi l’atout du site de rencontre, notamment pour les femmes, qui sont placées au centre des publicités, poursuivies par des hommes aux attitudes grotesques, se réfugiant sur les sites de rencontre pour s’assurer une certaine qualité de relation et éviter ce type d’homme.

Le site Meetic insiste lui sur sur la crainte de la solitude du célibataire moderne : aller sur le site de rencontre au lieu d’attendre que l’amour nous tombe dessus, puisque Cupidon ne semble pas de la partie.
Indiquez vos critères
Marie Richeux résume clairement la situation des sites de rencontres dans son émission Les Nouvelles vagues sur france culture : « y en aura pour tout le monde ». En effet, entre histoire d’un soir, nouveau départ, recherche d’une communauté spécifique avec des exigences spéciales etc., la demande sur les sites de rencontre est très variée. En observant les différents sites, la variabilité des publics saute aux yeux : des jeunes sur Tinder aux « célibataires exigeants » d’Attractive World : chacun sa stratégie, basée sur un agencement de l’offre et de la demande.
La sociologie s’est intéressée aux modalités des choix des conjoints et, depuis La Distinction de Bourdieu, elle tend à montrer que les rencontres se font sur le mode d’une reproduction sociale, c’est-à-dire dans le cadre du maintien d’un certain niveau de vie. Cette endogamie peut être aujourd’hui l’argument de certains sites, notamment à travers l’expression « célibataires exigeants » d’Attractive World. Sur Meetic également, s’il paraît simple de s’inscrire, il est en réalité difficile de passer toutes les étapes, ce qui réserve en quelque sorte l’accès au site à une certaine communauté. Une fois le compte créé, le site nous propose de rajouter plus de critères : « SOYEZ EXIGEANT(E), indiquez vos critères et trouvez des célibataires qui vous correspondent ». S’il a été reproché à Meetic d’être devenu un « supermarché du sexe », le site a créé « Meetic Affinity », nouveau site ciblant une population plus sérieuse et plus âgée.
 

« Pour le fun »
Pour passer outre la honte ressentie au fur et à mesure des étapes d’inscriptions, les sites plutôt dédiés aux jeunes dédramatisent leur recours par plusieurs biais.
La première option est celle de la simplicité, qui s’applique particulièrement au cas Tinder. En effet, l’application mobile lancée en 2012 par quatre Américains, repose sur un fonctionnement simplifié au maximum : il suffit de créer un compte à partir du compte Facebook – ce qui oblige à en avoir un – puis d’ajouter une à cinq photos, éventuellement une description libre, l’« à propos ». L’application repère les membres aux alentours et fait apparaître leur profil, il suffit de faire glisser le profil sur la droite ou sur la gauche suivant si l’on veut le garder ou non. S’il y a un accord des deux côtés, il y a alors « match » et il est possible de se parler sur un chat. La simplification fait passer l’imaginaire du site de rencontre d’un lieu dans lequel il faut rentrer après plusieurs étapes à une simple activité sur son téléphone, souvent justifiée par « c’est pour rire » ou « c’est pour le fun ».
Une autre manière de dédramatiser est l’humour. Et c’est le biais que propose le site français Adopte-un-mec, qui se présente comme le « supermarché des femmes », et la métaphore est filée dans chaque élément : « notre sélection régionale », « nos clientes », « nos offres à la une », « boutique ouverte 24/24 7/7 », « livraison rapide », « mise en panier illimité » etc. Tout le dispositif est construit autour du principe du supermarché, de manière volontairement insistante, pour dédramatiser en donnant le pouvoir aux femmes. Mais si cette stratégie fonctionne c’est parce qu’elle renverse les rôles, un site avec les sexes inversés serait vivement critiqué car il relèverait de beaucoup plus de la réalité. Et pourtant ici, ce sont les femmes qui font les courses…

 
Dédramatiser une utilisation honteuse, c’est le défi que se donnent les sites de rencontre. Ce phénomène participe de l’économie de la captation. La sociologue Pascale Trompette l’utilise, quant à elle, à propos du marché des défunts : trouver le biais pour vendre dans le secteur funéraire sans paraître irrespectueux face à la situation délicate des clients.
Dans notre cas, les sites de rencontres contournent leur situation délicate si bien que leur recours est devenu fréquent, et leur notoriété leur permet maintenant de faire de la publicité sans évoquer leur nom, comme le fait Adopte-un-mec dans sa toute dernière campagne.

La notoriété des sites de rencontre ne se mesure pas seulement à la reconnaissance de leur logo dans le métro, mais également en chiffres. En effet une étude Ifop de juin 2015 sur la rencontre en ligne,  dévoile une pratique de plus en plus répandue : « quatre Français sur dix (40%) se sont déjà inscrits au moins une fois sur un site de rencontre, soit une proportion qui a doublé en l’espace de 5 ans (20% en 2010) ». Seulement, l’étude remarque aussi que la pratique paraît plutôt correspondre à des « coups d’un soir » qu’à de sérieuses relations, une affaire à suivre.
Adélie Touleron
@AdelieTouleron
Sources:
Etude Ifop juin 2015: “L’essor des rencontres en ligne ou la montée de la culture du « coup d’un soir »
Emission Culture pub du 16 février 2009 sur les sites de rencontre depuis leurs débuts
Pascale Trompette, Le marché des défunts, sur la sociologie de la captation
Crédits photos:
Forum jeux-vidéo.com
Site Adopte-un-mec.com
Pub Adopte-un-mec.com
Site Meetic.fr
 
 

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YOUTUBE SCIENCE
Société

5 minutes dans la peau d'un scientifique

Étaler sa science sur YouTube ? Les vidéos à ce sujet ne cessent de se multiplier sur la plateforme, réalisées pour la plupart par de simples passionnés. L’idée séduit : pourquoi parler de science ne serait réservé qu’à un petit groupe de chercheurs enfermés dans leurs laboratoires ? Mais cette tendance soulève de nombreuses questions notamment quant à la crédibilité et à la légitimité de leurs explications.
Youtubeuse végétalienne vs politiques de santé publique
Lorsque Erin Janus veut nous prouver que les produits laitiers sont tout simplement « f**king scary » selon ses propres termes, elle n’y va pas par quatre chemins. La jeune femme, qui se décrit comme « une activiste et végétalienne passionnée », choisit alors de poster une vidéo sur YouTube nous expliquant en 5 minutes top chrono en quoi consommer des produits laitiers, dans les faits, contribue à « l’exploitation sexuelle et à l’épuisement émotionnel et physique » des vaches. Tout y est : brièveté, humour (noir), images dures et choquantes, sentiments… Enfin, Erin sort l’argument ultime. Un panel de captures d’écrans d’études scientifiques défile alors rapidement sous nos yeux. Les personnes consommant le plus de produits laitiers seraient les plus exposées aux fractures. Vous l’aurez donc compris, 3 produits laitiers par jour, les produits laitiers sont nos amis pour la vie (ça y est vous l’avez dans la tête, ne me remerciez pas), tout ça, ne serait que du blabla orchestré par un très puissant lobby, affirme la youtubeuse. En 5 minutes, Erin Janus, qui n’est a priori ni médecin, ni une grande spécialiste du sujet, a réussi à convaincre ou du moins à interpeller les consommateurs invétérés de fromage que nous sommes et à (presque) décrédibiliser toutes recommandations médicales à ce sujet, au nom d’un complot parfaitement organisé.
Dose de savoir dans un monde très occupé
Bien qu’elle n’ait aucune légitimité à évoquer les bienfaits ou les méfaits des produits laitiers sur notre santé, la vidéo d’Erin Janus aura immanquablement un impact beaucoup plus important que toutes les études scientifiques sur le sujet. En effet, même si la youtubeuse ne cite pas ses sources et qu’ils sont inconnus du grand public, certains travaux ont bel et bien démontré que les produits laitiers pourraient avoir un effet néfaste sur notre santé. C’est le cas, notamment, d’une étude réalisée en 2014 par des chercheurs suédois. Pour autant, ces derniers ne remettent pas en cause des années de politique de santé publique ; qu’Erin Janus, elle, écarte en 5 minutes. Ils appellent même à prendre leurs résultats avec beaucoup de précaution en attendant la validation par la communauté scientifique. Nous voilà donc confronté à deux temporalités distinctes : le temps long de la communauté scientifique afin qu’une étude acquiert de la légitimité, opposé à la brièveté de la vidéo sur YouTube qui s’empare d’un sujet en un temps éclair, comme le propose Erin « parce que tout le monde est très occupé en ce moment ». Et cela ne rate pas ! En effet, rien qu’en 2 semaines, sa vidéo a été visionnée plus de 249 000 fois, soit autant que la diffusion de Sciences et Avenir, le 2e magazine français spécialisé en sciences. Malgré l’absence de sources et de sérieux doutes sur sa légitimité, ce contenu a obtenu autant de visibilité qu’un article publié dans une revue scientifique reconnue, voire plus, étant donné que le mensuel est consulté, dans la majorité des cas, toujours par le même cercle d’abonnés, alors que la vidéo va toucher un public très varié, notamment grâce aux réseaux sociaux. Elle est même arrivée jusque moi qui suis ni végétarienne, ni végétalienne. D’où le paradoxe : sur des sujets qui nécessitent pourtant une véritable expertise, nous prêtons finalement plus l’oreille aux messages portés par des non-spécialistes, ces derniers étant de fait médiatisés, qu’à ceux de scientifiques, qui restent, au contraire, peu médiatisés ou seulement auprès d’un cercle très restreint. La preuve : essayez de citer le nom d’un seul chercheur un tant soit peu connu (Non, les frères Bogdanov, ça ne compte pas). Vous n’y arrivez pas ? Moi non plus. Pour pallier cette réalité, il existe aujourd’hui un véritable essai de médiation de la parole scientifique : on pensera, notamment, aux conférences TED. Pourtant, cette tentative n’en est qu’à ses débuts, puisque, pour reprendre l’exemple précédent, ces conférences sont encore loin d’être connues du grand public. « Attends TED, c’est le film avec l’ours en peluche graveleux ? »

 
Qui pour légitimer sur YouTube ?
Malgré tout, cela ne signifie pas qu’il soit impossible de livrer un contenu aussi rigoureux que ludique sur YouTube en 5 minutes top chrono. De nombreuses personnes, d’abord aux Etats-Unis et, très récemment, en France, ont d’ailleurs très bien compris l’opportunité que représente la plateforme en termes de vulgarisation scientifique. « Sur YouTube, on peut atteindre très rapidement une audience même sur les sujets de niche comme la science », fait valoir la plateforme. Docteurs en sciences ou le plus souvent de simples passionnés, ils veulent faire part de leurs connaissances au grand public. Cette forte médiatisation des youtubeurs pose la question de la crédibilité de leurs explications. Qui prend en charge la validation des contenus dans le cas des youtubeurs ? La plateforme elle-même ? Il est peu probable que ses employés soient à même de juger de la véracité ou non d’un exposé sur la relativité restreinte. YouTube laisse donc soin à la communauté de se saisir du sujet si les internautes se rendent compte que l’auteur de la vidéo dit des énormités. Encore faut-il s’en rendre compte, me direz-vous. Nous n’avons donc plus qu’à lire les commentaires et à espérer qu’un scientifique aguerri en valide le contenu. Ou que l’auteur de la vidéo soit aussi exigeant sur le contenu que ne l’est une Florence Porcel, créatrice de « La folle histoire de l’Univers », une chaîne YouTube spécialisée en astronomie : « Comme je ne suis pas spécialiste, je suis obligée de tout vérifier, chaque mot, chaque phrase ». Du fond du cœur, merci Florence ! Beaucoup encore, il nous reste à apprendre.
Héloïse Bacqué
Sources :
Sciences et Avenirs (AFP) : http://www.sciencesetavenir.fr/sciences/20150917.AFP9998/des-youtubeurs-depoussierent-les-sciences.html
OJD : http://www.ojd.com/Chiffres/La-Presse/La-Presse-Payante/Presse-Magazine
Les décodeurs, Le Monde.fr par Ania Nussbaum : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/02/12/faut-il-boire-du-lait_4574590_4355770.html
Crédits images :
Canoe.ca
Bizbash

Société

Makers: pour changer le monde, il suffit de le faire

La semaine dernière se tenait à Las Vegas le Consumer Electronic Show (CES), le plus grand salon électronique du monde, qui fêtera l’année prochaine ses 50 ans. Si dans les années 90, les objets phares de l’événement étaient les téléphones portables ou les ordinateurs – comme le rappelle le Petit journal (« VU » du 8/01/2016) – cette année, ce sont bien les objets intelligents, notamment les imprimantes 3D, qui font sensation. Au-delà de l’avancée technologique – et on le verra, économique – considérable qu’ils représentent, ces objets font corps avec une toute jeune tendance, qui commence à beaucoup faire parler d’elle : la culture des makers.
Fab Labs, Hackerspaces et Makers fair
Non, ce n’est pas une partie de Kamoulox, mais bel et bien les maîtres mots d’une petite révolution qui dépasse, petit à petit, le champ des geeks. Pour un maker, l’innovation technologique à ce point sophistiquée qu’elle nous permet de créer nous-même nos objets à nos propres fins donne forcément lieu à une nouvelle manière de considérer la production, le savoir et le partage. Elle permet de passer du virtuel au réel, du « penser » au « faire ». C’est donc naturellement que se démocratise les Fab Labs ou autres Hackerspaces, lieux de rencontres entre bricoleurs et bidouilleurs 2.0, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe. On les trouve dans des lieux dédiés, comme à La Paillasse de Vitry-sur-Seine, mais aussi dans les universités et dans les entreprises. Ces dernières considèrent ces lieux comme de véritables leviers de performance car ils permettent de se rassembler, d’échanger, de se fédérer autour de la création: ils gagnent à devenir la composante d’une culture d’entreprise renouvelée.

En mettant en commun les machines, les makers mettent aussi en commun leur savoir-faire, leurs projets, et de là naît une communauté qui se veut alternative face à la société de production et de consommation de masse – qui s’essouffle un peu plus chaque jour. Le mouvement devient alors massif car il prône non seulement une économie collaborative mais aussi une économie de la connaissance: plus pérenne et plus fédératrice, elle crée du lien social. Une autre avancée numérique caractérise ces alternatives : l’open source. Il s’agit d’un logiciel ouvert à tous et dont l’originalité réside dans le fait que chacun peut y ajouter ses propres analyses, techniques, connaissances – de manière collaborative. Faire, agir sur notre quotidien n’a jamais été aussi simple, car les inventions et les objets sont désormais « ouverts, perfectibles et personnalisables à l’infini », comme Véronique Routin (directrice de la Fing) le rapporte à l’Obs.
Toujours dans la volonté de rendre le monde meilleur, plus pratique, plus respectueux de la planète, les makers seraient donc les acteurs avant-gardistes d’une révolution économique mais aussi sociale.

Bricoler avec ce qu’on a plutôt que de discuter de ce qu’on n’aura pas
Car ce n’est peut-être pas tout à fait dû au hasard si le mouvement des makers gagne à être de plus en plus reconnu. Dans une société dépassée par les normes industrielles (obsolescence programmée, standardisation…) d’une part, et par le sentiment collectif d’inaction des décideurs d’autre part sur les sujets d’avenir (comment produire plus efficacement, moins polluer…), il y a dans le mouvement des makers comme un message social et citoyen, qui dirait : « nous n’avons plus besoin de vous, nous pouvons subvenir à nos besoins sans vous, vivre mieux sans vous. »
L’exemple du projet récent de POC21 en est l’illustration la plus parlante.

POC21 Trailer: « The World We Need » from POC21 cc on Vimeo.

En août dernier et pendant cinq semaines, un collectif « d’éco-hackers » a pris possession du château de Millemont dans l’objectif de créer des solutions durables face au changement climatique, grâce à l’open source et à la création numérique. La vidéo trailer du projet propulsé notamment par OuiShare , « The world we need », ne cache pas son ambition : de toute évidence, il s’agit d’un pied de nez fait à l’Etat, aux décideurs qui « s’assoient et parlent » du climat, faisant référence à la COP21 qui aura lieu quelques mois plus tard. Quand on sait que l’accord signé à cette occasion est aujourd’hui qualifié de « réussite diplomatique », plus que d’une réussite écologique à proprement parler, on peut dire que le projet vise juste et place la société civile en tant qu’alternative concrète mais surtout efficace.
Ainsi, les makers donnent les outils pour s’émanciper d’un système à bout de souffle, qu’il soit politique ou financier. D’ailleurs, Le Monde souligne que les « banques n’ont pas encore pris le chemin des Fab Labs », et que les projets des makers s’auto-financent grâce à des solutions de crowdfunding. C’est tout un « éco-système » qui se crée en marge des normes pré-établies par les Etats ou les institutions – tout en étant soutenu par elles, à l’instar de Barack Obama.
À cet égard, le tout premier maker, Dale Dougherty (à l’origine du média Make) rappelle dans une conférence TED que cette émancipation passe aussi par la fierté et le sentiment d’accomplissement personnel d’une telle action collective de création à des fins utile, d’avoir un « monde autour de nous crée par nous ».
S’il est cependant légitime d’évoquer quelques doutes à l’idée que la culture maker révolutionnera à elle seule notre économie et notre industrie dès demain, la démocratisation du mouvement est indéniable (en témoigne la baisse des prix fulgurante des machines à impression 3D). Reste à savoir comment évoluera l’effet de mode face à un système économique certes instable, mais toujours puissant.
Faustine Faure
@FaustineFaure
Sources :
Tribune de Declan Cassidy, directeur de Makerclub, sur LinkedIn : « Why CES 2016 predicts the new era of makers »
France Culture, Le monde selon Xavier De la Porte, Makers: entre le faire et le penser
Le Monde, Fabrique moi un mouton, Frédéric Joignot, 04/04/2013
L’obs, Fab Lab, bidouille et partage: bienvenue dans le monde des makers, Nicole Pénicaut, 04/04/2014
Libération, qui sont les makers ? Lucile Morin, 12/10/2014
http://makermedia.com/
TED talk, Dale Dougherty, We are all makers, 2011
Maddyness, #POC21, l’accélérateur de solutions durables et open source ouvre ses portes, Anais Richardin, 13/08/2015
Crédits photos:
Co-work.fr
innovateli.com
peoplbrain.com
 
 

Société

Bad buzz bad buzz, watcha gonna do ?

« Je suis un produit, mais comme beaucoup d’autres artistes qui passent à la télé et à la radio et qui deviennent populaires. Je l’assume complètement, j’aime divertir les gens, je m’amuse dans ce que je fais ». Sur le plateau d’On n’est pas couché, la chanteuse Shy’m n’a pas hésité à assumer sa conception marchande du vedettariat. Son objectif est clair : vendre. Sa stratégie : se construire une identité de marque, créer une offre originale et innovante pour séduire le public le plus large possible. Si tout acteur, chanteur, ou comique ne se considère pas comme un objet de consommation, avoir une stratégie de communication élaborée, voire s’affubler d’une identité chimérique fait souvent partie du jeu.
« Haters make me famous »
De nos jours, face à l’élargissement considérable de l’offre autant musicale que théâtrale ou cinématographique, il faut savoir se démarquer pour être reconnu. Etre une célébrité est devenu un métier en soi, comme l’ont révélé les nombreuses émissions de télé-réalité à travers le monde. Du succès de Loana à celui de Nabilla, il apparaît clairement de nos jours qu’une des meilleures manières de se faire remarquer est d’user d’une stratégie du choc et de l’anormal.
Or, il n’est pas rare lorsque l’on cherche à choquer de rencontrer sur sa route bon nombre de « haters » et de devenir victime du dit « bad-buzz », qui tend à se généraliser. Loana a marqué toute une génération pour être « passée aux choses sérieuses » dans une piscine à la télévision nationale, et Nabilla est connue de tous pour sa bêtise et son inculture. Loin d’en être traumatisées, ou de considérer leur carrière comme un échec, ces dernières peuvent être fières d’avoir réussi à s’imposer dans notre société comme de véritables phénomènes culturels, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Mais jusqu’où est-on prêt à aller pour être sur le devant de la scène ? La tendance étant déjà fortement ancrée, le bad-buzz doit – malheureusement ? – aller de plus en plus loin pour conserver toute son efficacité. On se souviendra longtemps de Kris Jenner, mère de Kim Kardashian, qui n’a pas hésité à vendre la sextape de sa fille pour lancer sa carrière. De même, on peut s’interroger sur la signification du geste de Nabilla lorsqu’elle poignarde Thomas, son petit ami : excès de violence ou pure coup de com’ ? La question se pose quand on sait que leur popularité était à l’époque en perte de vitesse et que le couple semble toujours aussi soudé à l’heure actuelle.

 
Un bad-buzz est un buzz, le marketing n’a pas d’œil
Du côté des artistes, le bad-buzz apparaît de la même façon comme un élément difficilement contournable. Quand on réfléchit aux images les plus virales de la fin d’année 2015, on pense rapidement aux pas de danse ridicules de Drake, énormément détournés et moqués, ou à la chute solitaire de Shy’m en concert. Dommages collatéraux ? Crise communicationnelle ? Bien au contraire. Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler d’Hotline Blink, le dernier single de Drake ? Dans une interview accordée au webzine musical anglo-saxon Complex, Tanisha Scott, chorégraphe pour le clip d’Hotline Blink, affirme la chose suivante : « Tous ces memes et mashups, il savait que ça allait arriver ! Quand on regardait les playbacks, il m’a dit  “ça va forcément devenir un meme“ ». Quand on sait que l’objectif de Drake avec la sortie de ce single était d’arriver numéro 1 au Billboard Hot 100, comme il l’a lui même expliqué sur Instagram, on comprend aisément que les détournements de ses « haters » étaient souhaités et assumés.
 

 

Je voudrais tant que tu memes
Souvent plus viral que le buzz traditionnel parce qu’il permet à chaque internaute de faire sa petite blague, et donc son propre petit buzz, il n’y a souvent rien de tel que le meme pour faire parler de soi, et beaucoup l’ont compris. Certaines stars sont allées jusqu’à forger leur identité publique et donc leur carrière sur cette stratégie. On pense à Shia LaBoeouf, souvent qualifié de « meme humain », et élu « meme de la semaine » dans les Inrocks en juin dernier.

 
Comme expliqué dans l’article, tout dans cette vidéo semblait avoir été conçu pour servir de support à de futurs memes (fond vert, coupe de cheveux inqualifiable, postures étranges, etc.). Si l’autodérision n’a jamais fait de mal à personne, ce phénomène prend une importance toute particulière, brisant le stéréotype de la vedette tirée à quatre épingles, qui maîtrise compulsivement son comportement et son image. Au contraire, il semble qu’il n’y ait plus aucun tabou, aucune honte ou bizarrerie qu’une célébrité ne puisse dépasser, comme l’illustre parfaitement le cas de Miley Cirus, devenue l’opposée d’Hannah Montana (son rôle titre chez Disney), pour s’assurer une carrière mondiale.
Alors qu’il pouvait sembler au début du XXIème siècle que le bad buzz était un signe de fin de carrière – on se souvient de Britney se rasant le crâne avant de disparaître de la scène musicale pour revenir des années plus tard – il s’agit aujourd’hui probablement du meilleur moyen de gagner ou de retrouver la notoriété.
Alix Leridon
Sources :
http://uk.complex.com/music/2015/10/tanisha-scott-interview-on-choreographing-drake-hotline-bling-video


Crédits photos :
Reddit 
Les Anges de la télé-réalité 
Dailymail
Just do it on Youtube 

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Norman Crunch
Société

Stars du web : mythes et mystères

Les 7 et 8 novembre 2015 se tenait Porte de Versailles la Vidéo City de Paris, premier festival en France autour de la création de vidéos. 25 000 visiteurs sont venus rencontrer leurs youtubeurs préférés pour partager leurs créations, obtenir autographes et selfies, et assister en live à des shows exclusifs. Mais alors que ces stars du web semblent tout partager avec leurs intimes millions d’abonnés, un tabou subsiste : leurs revenus. Et si la justice commence à s’attaquer à ce sombre secret, c’est que tout n’est peut-être pas si clean.

Célébrités du net ou d’ailleurs, même combat
Quand on est star, c’est toute une communauté qu’on inspire. Et plus on a de fans ou d’abonnés à inspirer, plus on est susceptible d’être contacté par des sponsors. En France, la condition afin de pouvoir utiliser sa notoriété pour promouvoir une marque est, s’il y a rémunération, de préciser ouvertement que la marque en question nous a payés pour que l’on en fasse la publicité. Tant que Gad Elmaleh utilise son image à la télévision pour promouvoir la banque LCL, il n’y a pas de problèmes. En revanche, ils arrivent quand la youtubeuse EnjoyPhoenix étale ses derniers achats chez H&M ou que l’humoriste Cyprien sort une vidéo intitulée « La Wii U » dans laquelle il nous présente la nouvelle console de jeux de Nintendo.
EnjoyPhoenix et Cyprien ont-ils été sponsorisés par H&M et Nintendo ? Rien dans la vidéo ni dans le descriptif de celle-ci ne le précise, mais nos deux youtubeurs ont l’air très, très satisfaits des produits présentés… « Et pour finir, ma conclusion sur la Wii U : c’est bien », nous dit Cyprien. Voici justement ce qui a attiré les foudres de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) : la publicité déguisée qui prolifère sur YouTube. En pensant se divertir, l’internaute regarde en réalité une vidéo-promotion, et se transforme en consommateur manipulé. La loi punit ce type de fraude de 300 000 euros d’amende et de deux ans de prison. Selon l’article 20 de la loi pour la confiance de l’économie, « Toute publicité (…) doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ». Problème : comment distinguer le youtubeur secrètement sponsorisé de celui qui parle d’un produit en toute innocence ?
Le silence est d’or
Préciser qu’une vidéo est sponsorisée n’est avantageux ni pour l’annonceur ni pour le youtubeur. En effet, Youtube est avant tout une plateforme d’expression libre. L’arrivée des annonceurs sur cette plateforme signifie pour les internautes la mort de la liberté d’expression et surtout celle de la sincérité… Norman a été qualifié par certains de ses fans de « vendu » après avoir participé au défi de Crunch en 2013, Crunch sort Norman de sa chambre.

Kevin Tran, de la chaîne Youtube Le Rire Jaune, remarque en effet dans sa vidéo « L’Argent sur Youtube » le fait que faire du placement de produit dans une vidéo est très mal vu en France. Il explique intelligemment que tant que l’internaute n’a pas l’impression de se faire utiliser, le placement de produit doit être accepté car « ça fait partie du jeu » : les youtubeurs ont besoin d’argent, ne serait-ce que pour produire des vidéos de qualité. Kevin ne parle cependant pas de l’obligation de préciser que la vidéo contient un placement de produit et nous propose même une astuce pour pouvoir déterminer si la vidéo que nous regardons en contient un ou pas (si le youtubeur critique ne serait-ce qu’une fois le produit, ce n’est pas un placement de produit).
Ce qui prouve que préciser clairement que sa vidéo contient un placement de produit n’est pas considéré comme obligatoire par la communauté des youtubeurs. D’autre part, on remarque que les annonceurs interdisent à leurs intermédiaires de déclarer le montant de leur rémunération. Echapper aux impôts grâce aux failles du système YouTube ?

Les stars du net ont toujours le pouvoir
Cependant la marge de manœuvre des stars du net est encore totale. En effet, si rien ne les oblige à accepter les offres de sponsoring, elles sont également libres de n’accepter les offres que sous condition ou de les envoyer balader comme bon leur semble.
Ces questions épineuses ne touchant pas uniquement YouTube, prenons l’exemple du buzz récent d’une star d’Instagram. Essena O’Neills, 18 ans et 580 000 followers, a décidé de faire un pied-de-nez à ses nombreux sponsors en révélant ce qui se cache vraiment derrière ses photos : outre les problèmes liés au jeûne pour avoir un ventre plat et au mal-être dû à l’exhibition de son corps, des placements de produits rémunérés 2 000 dollars !

L’idée que les stars du web renvoient aux internautes est ainsi la suivante : ce ne sont pas les marques qui se servent de nous, mais nous qui nous servons des marques.
A l’heure du 2.0, fraude ou pas, ce sont les célébrités d’Internet qui ont encore le contrôle total de leurs actions. Mais dans le cas des youtubeurs, il est plus facile de refuser l’offre d’un sponsor quand on s’appelle Pewdiepie (première chaîne avec un revenu qui varie entre 4 et 7 millions de dollars par an) que quand on a un nombre d’abonnés plus modeste et que l’on ne crache pas sur quelques milliers d’euros. Le youtubeur lambda est donc tiraillé entre l’appât de l’argent facile et le désir de maintenir son image d’artiste libre et sincère, qui ne se sert pas de sa communauté de fans pour se faire de l’argent.
Et au-delà des belles intentions, Internet est bien trop vaste pour que la DGCCRF puisse condamner toutes les stars du web françaises qui auraient « oublié » de préciser que leur vidéo/photo contient un placement de produit.
Camille PILI
Linkedin
Sources :
« Pour montrer la réalité qui se cache derrières ses photos, cette célébrité Instagram édite ses photos « parfaites »  … C’est étonnant !  » in Espace buzz, mis en ligne le 05/11/15 – Disponible sur : http://www.espacebuzz.com/pour-montrer-la-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-cette-celebrite-instagram-edite-ses-photos-parfaites-c-est-etonnant.html
Nathan Weber. « Une célébrité Instagram édite ses posts pour révéler la dure réalité qui se cache derrière ses photos « parfaites » … Edifiant ! » in Demotivateur, mis en ligne il y a un mois – Disponible sur :  http://www.demotivateur.fr/article-buzz/une-celebrite-instagram-edite-ses-posts-pour-reveler-la-dure-realite-qui-se-cache-derriere-ses-photos-parfaites-edifiant–3788
Kenny. « La répression des fraudes s’intéresse aux Youtubeurs » in Hitek, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://hitek.fr/actualite/repression-des-fraudes-youutbeurs_7813
Matthieu Delacharlery. « Des Youtubeurs dans le collimateur de la répression des fraudes » in METRONEWS, mis en ligne le 04/12/15 – Disponible sur : http://www.metronews.fr/high-tech/des-youtubeurs-dans-le-collimateur-de-la-repression-des-fraudes/mold!xA8EH5K4dOCA/
William Audureau. « La répression des fraudes s’intéresse à la publicité déguisée sur Youtube » in LE MONDE, mis en ligne le 21/12/15 – Disponible sur : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/12/04/la-repression-des-fraudes-s-interesse-a-la-publicite-deguisee-chez-les-youtubeurs_4824504_4408996.html
Kévin Ebelle. « La répression des fraudes : enquête sur les revenus opaques des Youtubeurs » in Toolito, mis en ligne le 08/12/15 – Disponible sur : http://www.toolito.com/geek/youtubeur-enquete-repression-fraudes/
Sandrine Etoa-Andegue. « Vidéo City Paris : enquête sur le business des Youtubeurs » in France Info, mis en ligne le 07/11/15 – Disponible sur : http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/video-city-paris-enquete-sur-le-business-des-youtubeurs-744003
Crédits images : 
– Video City
– Capture d’écran Youtube
– Capture d’écran Instagram

Libération.fr
Société

Libération.fr: la bombe éditoriale

Qui l’eût cru ? Le quotidien français Libération, taxé de racisme, de sexisme et d’islamophobie ! Le monde de la presse est une nouvelle fois ébranlé. Luc Le Vaillant, auteur de la chronique « La Femme voilée du métro », publiée le 7 décembre sur Libération.fr, a écorché l’aura de sa rédaction. Rien de mieux qu’une petite étincelle médiatique pour allumer un grand brasier sur les réseaux sociaux, dans un contexte social et politique particulièrement heurté.
Quand le fantasme rencontre la maladresse

Et le César de la gaffe éditoriale de l’année est décerné à … Luc Le Vaillant ! On peine à comprendre comment un journaliste expérimenté et reconnu par ses pairs a pu exprimer si maladroitement sa pensée. Dans sa chronique du 7 décembre, il raconte son anxiété délirante et contagieuse lorsqu’il croise dans une rame du métro parisien une jeune femme, vêtue d’une « abaya couleur corbeau ». Certaines phrases choquent et heurtent brutalement l’imaginaire du lecteur, quelques semaines après les attaques de Paris.
Même si Luc Le Vaillant a mentionné en tête d’article qu’il s’agit d’une « recension des craintes réelles et fantasmées comme des répulsions laïques déclenchées par une passagère en abaya, dans une rame d’après-attentats », le mal est fait : l’article provoque une polémique médiatique aussi soudaine que violente. Mais le premier problème n’est-il pas simplement rédactionnel ? En effet, force est de constater un certain manque de clarté de la part du journaliste, qui s’est défendu en expliquant qu’il ne faisait qu’inventorier des pulsions et appréhensions incontrôlables dont il se sentait lui même honteux.
Un article inapproprié dans un contexte socio-politique délétère
De cette bévue éditoriale découlent nécessairement des interprétations inattendues des propos de Le Vaillant. En parlant du voile de la jeune femme, il écrit : « Cette autre soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l’Occident décadent ». Comment ne pas dénoncer le caractère ostensiblement misogyne et sexiste d’une telle phrase ? Le Vaillant allégorise à merveille la perversité dont il voudrait pourtant se détacher. Plus loin, on peut lire « Si l’œil du voisin de strapontin se fait inquisiteur, ce n’est pas pour pincer le bourrelet charmeur mais pour palper la possibilité d’une ceinture de chasteté explosive ». De quoi en fait bondir plus d’un. Raciste, islamophobe … les qualificatifs ont abondamment circulé sur le net pour dépeindre à la fois le texte et l’auteur, de manière totalement confondue.
Pourquoi un tel débordement médiatique ? Tout d’abord, le contexte se prêtait assez peu à un article aussi subversif. Les attentats ont été, malgré eux,  la cause d’une crispation identitaire, réaffirmée à la veille des élections régionales. Les scores historiques du Front National au premier tour ont cristallisé  un sentiment d’inquiétude généralisée, que la chronique de Le Vaillant réactive à ses dépens. L’auteur mêle à ses angoisses les récentes révélations concernant la proportion de « fichés S » dans le  personnel de la RATP et de la SCNF : « [A Saint-Sulpice, le flip revient et] je me raconte que la femme voilée est en cheville avec le conducteur salafiste et que mon supplice en sous-sol est pour bientôt ».
Par ailleurs, un tel article s’oppose diamétralement à la ligne éditoriale de Libération. Quotidien social-démocrate par excellence, il n’a de cesse de prôner la tolérance et le respect mutuel, depuis sa fondation en 1973 par Jean-Paul Sartre. Chacun est en droit de se demander comment la rédaction a pu autoriser la publication de la chronique, tant elle s’éloigne de ses idéaux. Celle-ci n’a pas vocation, a priori, à réparer la fracture socio-identitaire qui pourrait s’installer dans notre pays. Bien au contraire, elle ne fait qu’alimenter une certaine forme de discours communautaire.
La colère sur les réseaux sociaux : amplification et distorsion des faits
 

 

 
L’esclandre semblait donc inévitable. Plus de 6000 réactions ont été recensées sur Twitter pour condamner la chronique. Celle-ci a été si sévèrement jugée qu’elle a bénéficié  de la création du mot-clé #LibéRacisme.
Cet impair pourrait bien coûter très cher au quotidien. Plusieurs lecteurs réguliers ont annoncé leur intention de se désabonner de Libération. Ceci pourrait, à terme, représenter un immense manque à gagner pour une rédaction qui peine à rester à flots. Pour preuve, la diffusion moyenne du quotidien a très fortement baissé depuis 2001, passant de 174000 exemplaires vendus par jour à 93000. Par ailleurs, les ventes en kiosque ont reculé de 26% au cours du mois de septembre 2015, illustrant par là un phénomène récurrent.
Penchons-nous maintenant sur l’effet boule de neige que les réseaux sociaux suscitent à chaque nouvelle polémique. Il faut rester mesuré face aux buzz à répétition qui peuvent conduire à des schémas de pensée trop simplistes. Par ailleurs, la déformation et l’exagération de certains propos ciblés font l’apanage de tels phénomènes. Aujourd’hui, les internautes se laissent parfois emporter par la logique du flux continu d’informations et de la publication instantanée de ses états d’âme. Twitter, par son format interactif, alimente quiproquos et controverses.
Pour pallier ce phénomène galopant, d’autres fidèles de Libération sont montés au créneau pour défendre l’intégrité du journal, rappelant qu’un journaliste isolé était loin d’être représentatif de l’ensemble de la rédaction :
 

 

Entre dissensions internes et excuses publiques
Au sein de la rédaction, la chronique divise. Certains journalistes, outrés par des propos qu’ils jugent déplacés et indignes de Libération, affirment se désolidariser de ce contenu.
 

 

 
Et pour preuve, dans un communiqué de presse, la société des journalistes de Libération écrit : « Au sein de l’équipe, de très nombreux journalistes ont également fait part ce mardi de leur désapprobation sur un contenu qui ne reflète pas, à leurs yeux, les valeurs du journal et leurs convictions personnelles ». Certains se sentent trahis, d’autres ne comprennent pas un tel faux-pas éditorial, et pour cause. Willy Le Devin, journaliste à Libération et auteur de nombreux articles sur le terrorisme, a par exemple  affiché sa désapprobation et son désarroi sur les réseaux sociaux.
Pour remédier à cette faute journalistique, Laurent Joffrin, le directeur de Libération, a adopté la double stratégie de la défense et des excuses, un grand classique. S’appuyant sur la renommée de son chroniqueur et le sérieux de son journal, ce dernier remet en cause le bien-fondé de telles accusations dans un court billet : « L’accusation de racisme ou de sexisme qui court ici et là est évidemment ridicule quand on connaît un tant soit peu notre chroniqueur et notre journal (…). Si des lecteurs ont été blessés par ce texte, nous en sommes désolés. » 
Cette technique, à la fois simple et efficace, semble être la meilleure option que pouvait adopter le directeur de Libération dans un tel contexte. Espérons que Luc Le Vaillant  aura retenu la leçon et tournera sept fois sa plume dans l’encrier avant d’écrire et de publier à nouveau !
Céline Viegas
LinkedIn 
Sources:
Indigestion générale après une chronique de « Libération », 08/12/15, M blogs 
« Libération » accusé de racisme et de sexisme après une chronique sur une femme voilée, 08/12/15, Amandine Schmitt, L’Obs média 
« La femme voilée dans le métro » : taxé de racisme, Libération réagit, 08/12/15, Grégoire Martinez, Europe 1 
A propos d’une chronique de Luc Le Vaillant, 08/12/15, Laurent Joffrin, Libération 
Une chronique «raciste» et «sexiste» de Libération fait polémique, 08/12/15, Eugénie Bastié, Lefigaro.fr 
Crédits photo: 
Twitter
http://lepcd.fr
http://journaldumusulman.fr 
 

Campagne Amesty International
Société

Le cas-tharsis

Pour vivre peureux vivons choqués, tel est l’adage qui pourrait résumer cette année 2015 malheureusement riche en événements plus dramatiques les uns que les autres. Néanmoins, ne jetons pas la pierre et apportons la notre à l’édifice : le choc dispose également de certaines vertus aujourd’hui assimilées par les publicitaires mais qui tendent à se généraliser. Cette mise à nu à l’image apparaît désormais comme la garantie d’un ancrage psychologique fort, assez délicat mais néanmoins efficace La question semble alors s’imposer  : devons nous tendre ou s’attendre à davantage de brutalité à l’écran ?
Aristote 2.0
Bien qu’il doit certainement se garder d’avoir un avis sur l’émergence de cette propension à choquer, le philosophe grec est à l’origine de cette notion de catharsis. La fameuse “purgation des passions”, cette notion élémentaire que l’on nous rabâche depuis ces belles années collégiennes. Choquer pour extérioriser en somme, les dramaturges classiques pensaient effectivement que représenter une certaine forme de violence sur scène était le moyen idéal de la répudier pour le spectateur.
Même processus mais époque différente, cette violence à l’écran se fait de plus en plus courante et le même débat émerge à chaque campagne publicitaire : vont-ils trop loin ? Comme le présageait Aristote, la notion de représentation est l’épicentre du débat suscité par le choc. Les campagnes de Sécurité Routière se sont emparées de cette notion afin de choquer pour sensibiliser. La communication se veut volontairement violente et la représentation en dit long, pour reprendre (en détournant) le titre de l’ouvrage d’Austin dédié à la communication : ici Faire c’est dire ; on montre pour démontrer. L’image devient alors le message et par conséquent, l’objet même de la reflexion ce qui explique l’importance du média. Comment mettre en exergue ce message et dans quelle perspective doit-il être exploité ?

Quand la TV veut vous show-quer
Jusque là rien de bien révolutionnaire, cette tendance au choc est intimement liée à la quête du buzz, même si le but diffère, les moyens sont vraisemblablement similaires. Aux États-Unis, terre de buzz par excellence, un programme s’est peu à peu imposé comme la méthode forte afin de favoriser la repentance des jeunes délinquants. Scared Straight! était originellement un documentaire (primé par un oscar en 1979) mettant en scène des jeunes considérés comme “difficiles” – comme on aime à les appeler dans les reportages d’une finesse journalistique exemplaire – face à des condamnés à perpétuité. Le concept a été repris et c’est désormais sous la forme d’une émission hebdomadaire qu’il est décliné.
L’idée : plonger ces ados dans un univers savamment hostile afin de créer ce fameux effet de choc. Évidemment, il y a une orchestration télévisuelle et une dramaturgie bien pensée afin de réunir les éléments d’un bon show à l’américaine ; cependant cela en dit long sur la perception et l’utilisation de l’image à l’état brut. Yves Winkin, éminent spécialiste de la communication, évoque encore aujourd’hui la nécessité de réhabiliter la pédagogie par l’objet, et même si ce ne sont certainement pas les méthodes auxquelles fait référence cet auteur, nous pouvons considérer que cette confrontation psychologique doit être créditée d’un certain degré d’efficacité.

Droit au brut
Face à de telles positions au sujet de la violence à l’écran, nous pouvons nous demander s’il ne faut pas persister à aller dans ce sens afin de mettre un terme au flou artistique concernant tel ou tel sujet. Dans le cas du djihadisme, nous assistons à un véritable phénomène de mystification autour du sujet. Cela est justifié par la peur suscitée par cette idéologie qui est présentée comme à l’origine des attentats qui ont touché la France lors de la terrible soirée du 13 novembre. En cela réside le caractère délicat du choc évoqué précédemment et cela légitime une volonté d’apparaître comme plus brut, donc plus vrai. Force est de constater qu’un certain nombre d’interrogations ont émergé depuis ces attentats et qu’il réside en France un climat de questionnement dans lequel à peu près tout le monde y va de son avis, de la brève de comptoir à la longue de plateau TV.
Il apparaît donc nécessaire de montrer, de crever l’abcès psychologique face à ces ombres qui s’agitent au dessus de la conscience collective. L’image demeure un outil pédagogique comme le démontrent Lemine Ould M.Salem et François Margolin, les deux réalisateurs du film Salafistes. En salle en janvier 2016, ce film – d’une durée d’1h10 – apparaît comme une démarche à la fois claire et poignante ; les journalistes sont allés à la rencontre des acteurs majeurs de l’idéologie salafiste en essayant de comprendre et de remonter aux racines de l’extrémisme qui a frappé Paris. Les entretiens se font à visage découvert, la langue dénuée de filtres, la réalité est projetée dans sa pure vérité. Le film a nécessité trois années de tournage et il semble crucial de parvenir à abattre ces idées pré-conçues qui déconstruisent la réalité au profit d’une course à la peur.
La violence est indéniable mais ne doit-elle pas être reconsidérée comme catalyseur de vérité ? Si ce film permet à cette France qui a peur de ne plus soupçonner le barbu dans le métro et d’enfin pouvoir poser des mots sur ces obscurs mécanismes idéologiques, il semble que ce documentaire est un mal, pour un bien.
La multiplication de spécialistes qui viennent envahir le champ médiatique à coup de théories engendre un flou artistique conséquent et participe à la spéculation de la part du Grand Public. Le rapport à l’image évolue puisque la notion de choc connaît un ancrage de plus en plus fort dans nos sociétés modernes. Montrer pour démontrer, c’est peut-être ce qui était en déperdition à l’heure où l’instantanéité des messages est de rigueur. Avec des exemples allant des campagnes de la Sécurité Routière à la projection du film Salafistes, il transparaît peu à peu cette nécessité de reprendre le temps de regarder pour comprendre. Oui, il semble plus aisé de détourner le regard, mais puisque la peur nous sort par les yeux, il est temps de les ouvrir.
Jordan Moilim
Crédit photo : 
Amnesty International

Société

L'obsolescence : défaut de la conception ou conception du défaut ?

Depuis juillet dernier, l’obsolescence programmée est un délit puni d’amende et d’emprisonnement par la loi, ce qui est censé favoriser la réparabilité du produit et augmenter sa durée de garantie légale de conformité. Retour sur un crime avec préméditation, complice de la communication.
L’obsolescence programmée : késako ?
C’est Bernard London, agent immobilier new-yorkais, qui donne naissance au concept en 1932 dans son article intitulé L’obsolescence planifiée. Pour en finir avec la grande dépression. C’est une stratégie d’entreprise qui, en programmant l’obsolescence, pousse le consommateur à remplacer le produit en achetant de nouveau : celle-ci permet une augmentation de la demande, donc de la productivité, donc du profit et enfin de la concurrence, engendrant surconsommation et répercussions écologiques. Ainsi, la communication, à défaut d’information, étouffe la possibilité de l’achat responsable du consommateur-citoyen: les consommateurs échouent à faire un bon choix, ou du moins conscient.
L’obsolescence programmée a trois formes principales :
– Technique : composants conçus volontairement de manière fragile ou irremplaçable voire inamovible (des collants ou des ampoules).
– Ecologique : jeter un produit encore en fonctionnement au profit d’un produit plus écologique (la prime à la casse).
– Culturelle ou psychologique : discours visant à démoder le produit avant même qu’il ne fonctionne plus : elle est une construction sociale écologiquement non durable qui s’appuie sur la stimulation communicationnelle de désirs artificiels orchestrés par la stratégie publicitaire, industrielle et commerciale.
La communication, l’âme culturelle des objets techniques ?
La communication donne tout son sens à la technique comme l’illustre le concept de surhistoricité employé par le philosophe Gilbert Simondon : il désigne la surdétermination de l’objet par des motifs non techniques tels que la mode ou le symbole social qui habillent la technicité. C’est révélateur du rôle essentiel que joue la communication dans la détermination de l’âme culturelle du produit technique : la stratégie marketing,  les campagnes publicitaires, la création d’habitudes de consommation ou encore de besoins.
General Motors a ainsi permis à l’obsolescence culturelle de se diffuser : avec la Chevrolet, il applique pour la première fois le concept de mode aux automobiles (nouvelles couleurs ou nouveaux accessoires), enrichi par l’image et les valeurs que véhicule la publicité en plein essor. Il détrône ainsi le modèle de la Ford T d’abord uniforme, vendue en masse. Si aujourd’hui, par exemple, on voit encore des 2 Chevaux mais qu’on ne voit plus de Peugeot 305 c’est que le discours marketing est passé par là.
L’ingénieur : du créateur au destructeur ?
Au XXe siècle, General Electric communique sur la durée de vie volontairement amoindrie des ampoules électriques à travers une publicité sous forme de dessin animé où il vante les vertus de ce choix concernant la pérennisation de l’emploi. Mais à cette époque, on n’avait pas encore conscience des limites de notre planète puisqu’on la percevait comme une ressource inépuisable. C’est pourquoi, ce modèle économique et communicationnel s’est solidement ancré, à tel point que l’image de l’ingénieur se dédouble entre le créateur et le destructeur : le magazine des ingénieurs Design News décrivait les différents procédés techniques permettant de réduire la durée de vie des produits. Ainsi, les ingénieurs ont du revoir leur éthique et idéal face à cette conception de la surhistoricité du produit.
Halte aux discours euphorisants sur la croissance !
L’association HOP (Halte à l’Obsolescence Programmée) milite pour une législation responsable et un modèle économique qui fait sens puisqu’en effet, les chiffres ne laissent pas de place au doute : 40% des appareils électroménagers sont remplacés alors qu’ils fonctionnent encore et la durée de fonctionnement potentiel d’un téléphone portable hors batterie est de 10 ans alors que leur délai moyen de renouvellement en France est de 18 mois. Ceci est symptomatique de notre système économique qui repose sur l’idée de croissance linéaire par le renouvellement illimité des biens, renouvellement artificiellement dynamisé par l’obsolescence programmée qui s’est vue comme LE remède miracle à l’essoufflement de la croissance. C’est pourquoi ce modèle est dénoncé par Serge Latouche – penseur de la décroissance et du localisme – comme absurde, voulant « croitre pour croitre ».
D’une culture du jetable à une culture du durable ?
L’obsolescence programmée ne fait qu’accentuer les écarts du pouvoir d’achat : les produits peu durables de qualité moindre, moins chers, sont accessibles aux plus démunis, mais devant en racheter plus régulièrement, ils perdent leur pouvoir d’achat sur le long terme face à ceux qui ont les moyens d’accès aux produits durables souvent plus chers. Le produit incarnant le plus cette transition d’une culture du jetable à une culture du durable est la cup étant une excellente alternative économique, écologique, hygiénique et temporelle aux tampons et serviettes.
C’est pourquoi le développement de nouvelles économies alternatives prend alors tout son sens : l’économie de la fonctionnalité pourrait être le remède à l’obsolescence programmée. Dans ce modèle, l’usage prime sur la propriété de l’objet donc le producteur, autant que le consommateur, a intérêt à ce que le produit dure. Cela permettra aussi de concevoir de nouveaux types d’emplois dans la réparation, les services ou le développement durable. 
Mais si en théorie cette loi rend possible la riposte, Nicolas Godfroy de l’UFC – Que choisir signale la difficulté de prouver l’obsolescence programmée dans les faits et met donc en doute les répercussions concrètes de cette dernière : la loi n’aurait qu’une faible portée bien que l’obsolescence programmée ait désormais un statut juridique. En fait, pour lui, cette loi est plutôt un moyen d’agir en aval pour les associations qu’une véritable protection des consommateurs en amont. Il faudra sûrement des mesures complémentaires pour donner corps au pouvoir d’action sur les processus en amont, tel qu’un affichage obligatoire de la durée de vie des produits. Affaire à suivre.
Allison Leroux
LinkedIn
Sources :
Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques. 1958
Serge Latouche, Survivre au développement. 2004
Prêt à jeter ou l’Obsolescence Programmée. diffusé sur Arte et disponible sur YouTube
Sensibiliser les citoyens par des campagnes de communication sur le site de HOP
Combattre l’obsolescence programmée par Fabienne Chauvière sur France Info
La lutte contre l’obsolescence programmée par Camille Dulong sur O Communication
Alternatives à l’obsolescence programmée sur obsolescenceprogrammee.fr
De l’obsolescence programmée du consommateur… et des entreprises par Julien Pouget sur L’Usine Digitale
Obsolescence programmée : Apple (re)fait le coup de la panne par Frédéric Bordage sur Terra Eco
iDiots : un film d’animation avec des robots sur l’obsolescence programmée et la dépendance au mobile par Benoît Chamontin sur geeksandco.com
Obsolescence programmée : la preuve impossible ? par Amid Faljaoui sur Trends.be
L’instauration d’un délit d’obsolescence programmée, un coup d’épée dans l’eau ? par Xavier Berne sur Nextimpact
Crédits images :
Urtikan
Aiservice.fr
Commentreparer.com

Homepage Ashley Madison
Société

Le scandale Ashley Madison: révélateur du paradoxe entre vie privée et internet

En juin dernier, le sulfureux site de rencontres extraconjugales Ashley Madison a été la victime d’un piratage de grande envergure mené par « The Impact Team », un groupe de hackers expérimentés. Ce scandale soulève une interrogation plus globale quant à la sécurité de nos données personnelles sur Internet.
L’affaire Ashley Madison
Ce ne sont pas moins de 9,7 gigaoctet de données liés à trente-deux millions de comptes qui ont été mis en ligne par « The Impact Team », contenant des données très personnelles, allant des coordonnées aux préférences sexuelles des utilisateurs.
Ce scandale a fait trembler les Etats-Unis. On trouve en effet dans les données rendues publiques les coordonnées de membres de l’armée américaine et de la Maison Blanche. Il a également eu des répercussions humaines tout à fait regrettables : de nombreux cas de dépressions et de chantages, ainsi que trois suicides ont été répertoriés.
« The Impact Team » dénonçait des pratiques amorales menées par le site de rencontres, avec en premier lieu Established Men, autre site du groupe, qu’elle qualifie de « site de prostitution et de trafic d’êtres humains pour que des hommes riches s’achètent du sexe » (d’après un article du Monde). Venait ensuite une autre pratique d’Ashley Madison, symptomatique d’un phénomène plus global : le site propose une option payante pour qu’un utilisateur supprime toutes ses données du site, mais n’effacerait rien.
Suite à l’affaire Ashley Madison, treize sites de rencontres français ont été mis en demeure par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), dont Meetic, Attractive World, et AdopteUnMec pour des manquements à la Loi Informatique et Libertés datant de 1978. Ces manquements consistant à ne pas totalement supprimer les données des personnes ayant clos leur compte. Le site américain Fusion explique dans un article que ce phénomène est enclin à se démultiplier, et qu’il ne se limite pas aux seuls sites de rencontre « dans un monde où les détails de nos vies sont stockés sur nos téléphones et dans le cloud, ainsi que dans les métadonnées de tout ce que l’on poste sur les réseaux sociaux ».
La sécurité sur Internet, une problématique double
Le problème de la confidentialité de nos données dépend de deux facteurs. D’une part la fiabilité technique des serveurs qui stockent une quantité colossale de données, à tel point que l’on parle de Big Data, difficilement contrôlables. D’autre part l’éthique des détenteurs de ces serveurs, qui peuvent utiliser nos données à des fins commerciales, voire politiques.
Le problème de la fiabilité technique
La sécurité de nos données sur Internet est une question qui touche l’ensemble de la population, à l’ère de l’hyper-digitalisation. Presque la moitié de la population mondiale est sur Internet (42%, soit 3, 025 milliards d’internautes), et concentre son usage sur un nombre extrêmement restreint de sites avec Google, Facebook, et YouTube en tête. Ces sites ont un point commun : chaque fois que nous les visitons, nous y laissons des traces. Or une étude de NetNames réalisée en 2013 estime le nombre d’internautes ayant effectué des piratages sur un mois à 432 millions, ce qui nous permet de nous inquiéter quant aux potentielles failles de ces systèmes. En effet Internet est à la base un canal non sécurisé pour l’échange d’informations. Les pare-feux de ces serveurs ne sont pas infaillibles, comme le prouve le cas d’Ashley Madison. Cela ne semble pourtant pas nous inquiéter, puisque ce sont chaque jour des millions de données qui sont digitalisées.
De plus en confiant nos données à ces sites, nous leur octroyons davantage de pouvoir, et augmentons le risque d’un piratage d’envergure. Aujourd’hui toutes les informations sont sur Internet, et ce même au plus haut niveau. Le cas d’Amazon est édifiant. La firme a remporté en février 2013 un marché en or contre IBM : son service de « cloud computing », Amazon Web Services, est en charge de construire un serveur visant à accueillir les données de la CIA.

Le problème de l’éthique des sites web
Quels genres de données sont collectés lorsque nous visitons ces plateformes ? La question est vaste, mais si l’on s’attarde sur les « Règles de confidentialité » de Google, on peut trouver quelques éléments de réponse.
Quatre grands types de données sont collectés par Google : des données relatives à l’appareil utilisé (le modèle, le système d’exploitation, le numéro de téléphone) ; des fichiers journaux (nos recherches, ainsi que la durée et les correspondants de nos conversations téléphoniques) ; des données de localisation ; des cookies, petits fichiers de texte stockés sur notre terminal contenant souvent des informations personnelles. Les cookies sont très controversés car ils sont souvent exploités par les sites à des fins commerciales. C’est en réponse à ce phénomène qu’une réglementation a été mise en place en 2002 par la Directive Vie Privée et Communications Electroniques, puis actualisée en 2009, mais elle ne parvient pas à être appliquée – les géants d’Internet possèdent bien trop de pouvoir pour être inquiétés.

Pourtant Google indique dans ses règles de confidentialité que ces cookies servent avant tout à son service d’analyse d’audience de sites web, Google Analytics¸ gratuit et utilisé par 80% des sites sur la toile. On pourrait s’étonner que ce service soit gratuit, mais Google le rentabilise avec sa régie publicitaire créée en 2000, AdWords. Fonctionnalité payante proposée aux sites utilisant Google Analytics, elle permet d’afficher des publicités correspondant aux mots-clés tapés par leurs utilisateurs.
Le moteur de recherche nous rassure, en affirmant ne communiquer « des données personnelles [nous] concernant qu’avec [notre] consentement ». Hélas notre consentement ne nous est demandé qu’une seule fois, et est quelque peu contraint (puisque nous ne pouvons utiliser le service sans cela), lorsque nous acceptons les conditions générales d’utilisation.
La puissance de tels sites est indéniable, ce qui peut parfois les amener à jouer de leur pouvoir. Les seigneurs de la Silicon Valley ont par exemple minimisé leur implication dans le scandale des écoutes de la NSA, déclenché par les révélations d’Edward Snowden en 2013, selon un article du Figaro. Voulant redorer leur blason, la publication d’un rapport rendant compte du nombre de requêtes judiciaires qu’ils ont reçu pour fournir des données sur des internautes suspectés par la NSA a été décidée par ces sites. On apprend ainsi que Yahoo ! a reçu des demandes pour trente mille comptes d’utilisateurs, Microsoft quinze mille, et Google neuf mille. Ce rapport ne révèle cependant pas le nombre de réponses positives à ces demandes.
La sécurité de nos données sur Internet relève par conséquent d’une problématique double, entre fiabilité technique des serveurs et éthique de ces sites, questionnant ainsi nos pratiques et nos usages quotidiens d’un outil qui nous dépasse. En effet peut-être devrions-nous, dans le doute, être plus attentifs aux données que nous laissons derrière nous sur la toile.
Clément Mellouet
Sources :
Le Monde, Le piratage du site Ashley Madison et la question de la moralité des « hackers », 19/08/2015
Le Figaro Tech, Les géants du web minimisent leur implication dans le scandale de la NSA, 4/02/2014, 
Crédits images :
Ashley Madison.
Google.
marketingdonut.co.uk