BrigitteBardot
Société

Que reste-t-il de nos amours ?

 
« Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? » demande ingénument Brigitte Bardot à Michel Piccoli dans Le Mépris. Et si une telle question, accompagnée de son rendu visuel, se voyait détournée de son innocence aguichante pour servir des élans revanchards ? Tel est le cas aujourd’hui avec la nouvelle tendance qui sème la panique sur la toile : le Revenge Porn ou porno vengeur.
La cybervengeance : une vendetta 2.0
Le Revenge Porn consiste à se venger d’un amour déçu en publiant des photos en petite tenue – voire carrément sans tenue – de son ex sur les réseaux sociaux. Le phénomène concerne surtout les femmes qui voient leurs « preuves d’amour », impunément photographiées, détournées de leur sens premier qui était d’exciter leurs partenaires.
Les hommes trouvent désormais leur place sur le banc des accusés, de même que les mineurs : le Revenge Porn défie l’ensemble de la société qui riposte aujourd’hui avec des mesures judiciaires. Certains états des Etats-Unis ont déjà légiféré sur cette pratique considérée comme une infraction sexuelle. En France, les condamnations s’enchaînent sans donner lieu à une loi précise mais cela ne saurait tarder.
On doit la naissance de cette nouvelle pratique à Hunter Moore reconnu par Rolling Stone comme « l’homme le plus détesté d’internet » pour avoir créé le tout premier site de Revenge Porn : isanyoneup.com. Le site, alors entré dans des logiques marchandes, rémunère grassement son propriétaire et a donné naissance à une prolifération de sites similaires : le Revenge Porn est partout.

Réseau mon beau réseau, dis-moi qui est la plus humiliée ?
Ce nouveau phénomène nous dit beaucoup de choses quant aux nouveaux rôles que peuvent jouer les réseaux sociaux aujourd’hui. Tout d’abord, ils servent l’instrumentalisation de la rupture et permettent de toucher fortement un public : le Revenge Porn ne serait rien sans une réception véhémente. Ici les hommes délaissés de leurs compagnes communient autour de la répulsion, la haine et le rejet. Le but premier de tout Revenge Porn qui se respecte est d’exhiber, en plus d’une anatomie, un profil et ainsi d’inciter toute une communauté à rejeter l’identité dudit profil, à le mettre au ban des réseaux et a fortiori de la société et ce de façon violente. Les commentaires qui complètent la publication de la photo sont là pour insulter et révéler des informations personnelles (métier, adresse, nationalité par exemple) de la personne exhibée, donnée en pâture et sujette à l’opprobre.

Les réseaux sociaux seraient donc devenus un moyen de créer une double communauté qui s’articule autour d’une logique clivante : les inclus d’un côté et les exclus de l’autre. Les inclus : la communauté punitive composée de juges sentencieux qui imposent leurs propres lois. Les exclues : les femmes qui doivent répondre de leurs actes en subissant les revers d’un érotisme jadis amoureux.
Les réseaux sociaux servent ce « slut shaming », (« l’humiliation des salopes »), cette tendance hautement répressive qui s’acharne sur un individu jusqu’à en faire un bouc émissaire. Si on se penche sur l’origine biblique de cette expression, le bouc fût cet animal chargé d’expier tous les péchés dont on le charge afin d’en dépourvoir les hommes. S’acharner sur un individu afin de créer du lien, de rapprocher les hommes entre eux et de les soulager de leurs fautes. Faut-il voir le Revenge Porn comme l’actualisation d’un vieux mythe biblique ?
Le Revenge Porn ou la face cachée de la délation
Il y aurait donc, à travers le Revenge Porn, une instrumentalisation du corps : on utilise des photos de corps pour dénoncer une identité que l’on veut désigner comme corrompue. Le corps n’est donc pas mis en scène de la même manière que dans les publicités ou les magazines qui s’évertuent à le montrer comme objet désirable, idéal et idéel. Avec le Revenge Porn au contraire, on consomme le corps dans sa crudité matérielle et celui-ci sert seulement de moyen pour sacrifier la personne qu’il représente et inciter au rejet. Il n’est donc plus le lieu de l’investissement fantasmatique mais il devient le signe d’une personne dépravée, et le lieu d’un investissement tout particulier : celui de la liquidation de la personne que le corps matérialise.
De même qu’il interroge le rapport au corps, le Revenge Porn questionne le rapport à l’intime. Il semble ici que le privé déborde sur le public mais de manière imposée. Le Revenge Porn oblige l’intime à passer la rampe et à se déverser dans ce qu’il y a de plus public et de plus ouvert au monde : les réseaux. Le corps, la nudité, l’érotisme sont les dignes représentants de l’intimité d’une personne qui sont ici ouvertement et publiquement dénoncés.
Avec le Revenge Porn, il y a certes volonté de vengeance mais surtout volonté de rendre cette vengeance publique. On ne peut s’empêcher de penser à l’essai autobiographique de Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment comme d’une forme certes atténuée du Revenge Porn, mais tout aussi violente parce-qu’il repose sur le principe même qu’est la dénonciation d’un intime que l’on souhaite rendre public afin d’en montrer l’abjection. A méditer.
Jeanne Canus-Lacoste
 
Sources :
 
fredericjoignot.blogspirit.com
konbini.com
lesinrocks.com
europe1.com
lenoubelobservateur.com
 
Crédits images :
 
brigittebardot.canalblog.com
stevenkowalskiphotography.com
zdnet.com/
europe1.fr

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hajjselfieharam
Société

Le Hajj 2014 à la mode selfie

 
*haram : péché
Cet automne, le Hajj, rassemblement annuel à La Mecque, pèlerinage que tout bon musulman doit faire au moins une fois dans sa vie, est devenu l’un des événements les plus retweetés sur les réseaux sociaux. Si d’ordinaire cette cérémonie massive pour la communauté musulmane ne fait pas l’objet d’un grand rendez-vous médiatique c’est qu’aucune caméra professionnelle n’est autorisée à l’entrée des lieux. Pourtant, cette année, le Hajj s’est rendu très visible sur Internet.
Les appareils photos ainsi que les caméscopes ont toujours été interdits dans les lieux saints, que ce soit pour un usage professionnel – couvrir médiatiquement le 5ème pilier de l’Islam – ou pour un usage personnel – figer dans le temps une expérience fondamentale pour sa foi. Les téléphones portables aussi y étaient interdits afin de ne pas troubler le recueillement des pèlerins. Mais depuis quelques temps cette restriction n’a plus cours pour des raisons de sécurité, afin que chacun soit en mesure d’appeler les secours pour un problème de santé personnel, ou celui d’un tiers. Or, l’évolution ne vous aura pas échappé, de nos jours les téléphones portables font beaucoup plus que téléphoner. Entre autres, ils prennent des photos et sont même capables de filmer. Et c’est ainsi que la mode du selfie est subrepticement entrée dans les lieux de culte de l’Islam au grand dam de certains pèlerins et ulémas (théologiens, garants de la tradition musulmane, hommes de référence pour l’interprétation de la loi coranique).
Le selfie comme insulte au hajj
Pour ces derniers, prendre des photos de soi est un acte fondamentalement narcissique et irrespectueux envers la religion. Pour défendre cette position, le savant Cheikh Abdul Razzaq Al-Badr cite le Prophète qui lors de son premier pèlerinage implorait « Oh Allah, je te demande un Hajj démuni de toute vanité et ostentation. » Mais il n’est pas le seul à penser cela ; du haut de ses 27 ans, Zahra Mohammed, professeur de Sciences islamiques à Riyadh témoigne « A Médine, j’ai remarqué une famille, face au soleil, levant les mains comme s’ils faisaient une invocation (doua). Je ne comprenais pas ce qu’ils faisaient, jusqu’à ce que je vois qu’une personne en face d’eux était en train de les prendre en photo. J’ai vu des pèlerins au Masjid al-Haram (la Mosquée sacrée) prendre des photos d’eux avec la Kaaba en arrière-plan (cube au coeur de la mosquée abritant la Pierre Noire) pour ensuite les publier sur Facebook, transformant leur adoration (ibadah) en événement social. »
Pour toutes ces personnes, le Hajj est un dépassement de soi dans lequel la prise de selfies n’apporte rien. Au contraire, comme Zahra Mohammed, ils voient dans cette attitude une glorification de soi : en se prenant en photo en attitude d’humilité, ces musulmans seraient en réalité en train de s’en vanter. Ce comportement est également qualifié de touristique, comme si le but ultime de ces musulmans étaient de prendre des photos de leur pèlerinage au lieu de le faire et de s’adonner à leur culte. En définitive, la prise de selfie est condamnée pour la distraction qu’elle apporte sur les lieux saints – ceux qui prennent des selfies ne prient pas pendant ce temps-là mais aussi dérangent les autres dans leur prière.
Le hajj dans un monde en mouvement
Toutefois, les adeptes du #hajjselfie, tag utilisé sur Twitter, Facebook et Instagram pour référencer leurs photos, ne se voient comme tels. Selon eux, leurs pratiques ne remettent en rien la spiritualité de leur pèlerinage. Ali Mohammed Ali a 24 ans, est Koweitien, porte une barbe et est vêtu de manière décontractée avec un pantalon de survêtement et une paire de sandales. « Comme c’est mon premier Hajj il est important d’enregistrer ce qui se passe autour de moi. Partout où je vais je prends des photos. » Derrière ses 65 ans, son père pourrait faire partie de la branche anti-hajjselfie, mais ce n’est pas le cas : « Ceux qui prennent ces photos immortalisent un événement rare, une expérience unique dans la vie d’un musulman. »
Pour Amar Lasfar, recteur de la mosquée Lille-Sud et président de l’Union des organisations islamiques de France : « On ne peut pas échapper à certaines choses. Les pèlerins veulent immortaliser et partager leur joie. » Il va même jusqu’à considérer que le voyage à la Mecque « c’est aussi du tourisme. On peut avoir en tête l’esprit du pèlerinage tout en étant un petit peu cool. » Il est également bon de rappeler que pour Pamela Rutledge, responsable du Media Psychology Research Center à la Fielding Graduate University, les selfies servent à créer un sentiment d’appartenance, ils créent une communauté, comme l’illustre très bien Mehmet Dawoud est étudiant turc : « Je fais un selfie avec la Kaaba en arrière-plan pour le diffuser sur mon profil Facebook afin que ma famille et mes amis puissent me voir. C’est comme ça qu’on communique aujourd’hui, pas besoin de téléphoner. »
Combattre son ennemi sur son propre terrain
Toutefois, être réfractaire au hajjselfie n’est pas systématiquement le signe d’un Islam rétrograde et éloigné des évolutions sociales. En effet, beaucoup de conservateurs se sont approprié le hashtag #hajjselfie sur les réseaux sociaux pour l’accoler à leurs messages réfractaires, contrecarrant ainsi son référencement. Tandis que le blog Muslim Matters a ouvert un débat sur Twitter sur la légitimité de telles photos.
L’image a toujours posé problème au sein de la religion islamique. Mais dans le cas des selfies, le problème est beaucoup plus la diffusion d’une image que sa production. Par définition un selfie n’est pas destiné à un usage personnel, mais à un usage social, il est fait pour être partagé, et en ce sens le pèlerin se montre. Ainsi une partie des musulmans jugent cet acte narcissique et contradictoire avec la démarche d’humilité et de tranquilité qu’imposent les actes d’adoration propres au Hajj. Pour eux, cela relève d’un comportement de touriste et non de croyant. Affaire à suivre pour le Hajj 2015…

 
Marie Mougin
@MelleMgn
 
Sources – Pour aller plus loin
Comment le #hajjselfie fait office de journalisme citoyen ?
BBC NEWS hajj selfie craze bemuses Islamic clerics
THE TELEGRAPH hajj selfies cause controversy among conservative muslims
HUFFPOST infamous hajj selfie is one more thing transforming mecca, and not everyone is happy about it
QUARTZ selfie fever is taking the hajj by storm
CBC NEWS the hajj selfie craze that never was
L’OBS la mecque : populaire au hajj, le selfie irrite les conservateurs
L’EXPRESS selfies à la mecque : cela pourrait me détourner de mon objectif
FRANCE 24 le selfie du pèlerin est-il haram ?
REUTERS la mode des selfies n’épargne pas le pèlerinage de la mecque
HUFFPOST MAGHREB le #hajjselfie la nouvelle mode pèlerinage de la mecque
TELQUEL à la mecque, les pèlerins aiment le selfie, les religieux condamnent
INFO HALAL le selfie à la mecque suscite l’indignation
MEJLISS les selfies au hajj font polémique cette année
Crédits
Twitter, Facebook, Instagram

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Société

Face à la bande : le défi de France 2

 
Top ! Nouveau jeu de culture générale créé le 28 juillet 2014, je suis diffusé quotidiennement sur France 2… Production originale de la Grosse équipe je suis présenté par Jérémy Michalak… Me plaçant dans l’horaire pré-access, mon objectif est d’obtenir une moyenne d’audience d’environ 10%… Objectif jusqu’à présent non atteint… Je suis-je suis ?

Face à la bande.
Un concept réellement innovant ?
Vous l’avez compris, Face à la bande est le dernier jeu de culture générale de France 2 ayant comme principal objectif de redonner des couleurs à la case horaire de pre-access, une case qui a connu bien des difficultés avec ses programmes précédents comme On n’demande qu’à en rire. Son concept est, à première vue, plutôt innovant notamment par son interactivité avec les internautes de la chaîne : ils s’inscrivent sur le site france2.fr et proposent des questions qui seront alors sélectionnées par la production. Ces questions sont ensuite posées au hasard à une bande de personnalités réputées incollables présentes en plateau. Si l’internaute parvient à coller la bande, il gagne 300 euros, dans le cas contraire, cette somme s’accumule dans une cagnotte qui sera peut-être remportée par un téléspectateur en fin d’émission. Un concept qui parait original dans la forme mais dont le fond est assez proche des jeux déjà existants, à tel point que Julien Lepers, interviewé sur le plateau du Buzz TV, critiquait les ressemblances avec Questions pour un champion en proclamant : « On préfère l’originale à l’imitation ! »
Le pari risqué de l’after-school
Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, avait promis lors de sa nomination de rajeunir en moyenne de 10 ans l’audience de France 2. Un défi ambitieux qui en 2014 ne s’est toujours pas fait sentir. Le pré-access, aussi nommé after-school (case s’étendant de 17h à 18h30) et l’access représentent des enjeux de taille pour France Télévisions, deux tranches où le groupe peut engranger de la publicité en cas de programme à succès. Pour se donner le plus de chances possible, France 2 a donc fait appel à la Grosse équipe, société de production ayant fait ses preuves sur plusieurs chaines avec des programmes « jeunes », les plus marquants étant Les Anges de la téléréalité ou Allô Nabilla sur NRJ 12. Malheureusement, dès son lancement Face à la bande ne rencontre pas le même succès, son format jeune ne se mariant pas avec le fond qui demeure un sujet davantage destiné à un public âgé. Le verdict tombe : ni le public jeune ni les personnes âgées ne se sentent concernés par cette émission qui ne parvient donc pas à relever les audiences en déclin. D’une moyenne de 8,5% de part de marché à son lancement, l’émission descend à 5% en fin novembre. Une véritable contre-performance puisque Face à la bande fait deux fois moins d’audience en part de marché que l’émission qui la précède comme celle qui lui succède.
La patience est l’art d’espérer
Le 22 novembre, malgré une nouvelle dynamique de l’émission, est annoncé l’arrêt de Face à la Bande pour cause d’audiences inférieures à celles escomptées. Si le programme sera remplacé par le Joker, nouveau concept de jeu télévisé, l’hypothèse du retour de la bande n’est pas à écarter. Là où des chaines privées comme NRJ 12 ou D8 ne prendraient pas le risque de continuer une diffusion, France 2 pourrait réitérer sa stratégie souvent payante de la continuité. En effet, même si l’émission ne marchait pas à ses débuts, celle-ci pourrait rencontrer son public au fur et à mesure des mois, gagnant peu à peu son audience. C’est ce que précisait en août dernier Nathalie André, directrice des divertissements de France 2, laissant une chance à Face à la bande. Une stratégie du « lentement mais sûrement » qui s’est notamment fait sentir sur certains des programmes phares de France Télévisions. Le meilleur exemple demeure Plus Belle la vie qui aura pris un an pour trouver son public et qui rassemble aujourd’hui 4,5 millions de téléspectateurs. Comme quoi, parfois, tout vient à point à qui sait attendre.
Félix Régnier
Sources :
lefigaro.fr
Europe 1, Le Grand Direct des Médias
ozap.com
bfmtv.com
Crédits photos :
purepeople.com
img.tvmag.lefigaro.fr

rosetta
Société

28 minutes plus tard

 
Le 12 novembre dernier, l’atterrisseur Philae s’est posé avec succès sur la surface de la comète Tchourioumov-Guérassimenko, l’objectif de la mission Rosetta, débutée en mars 2004.
Le projet de l’Agence spatiale européenne était de taille et le grand public a pu en mesurer l’importance à travers le déploiement d’un large dispositif de communication, digne d’un évènement scientifique historique. À l’approche et à la suite de l’atterrissage, Rosetta a bénéficié de la couverture médiatique classique dans la presse écrite, à la radio, à la télévision et ce à un rythme de plus en plus régulier. Mais c’est pour l’internaute que la campagne de communication sur le long terme a été la plus passionnante, sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou encore Flickr. Le support de la communication digitale semblait assez inhabituel pour une mission scientifique. Chaque réseau social représentait en fait un niveau de communication différent, chacun possédant ses propres codes sémiologiques et son public. Sur Instagram et Flickr, la légende est réduite au minimum, la photographie véhicule son propre sens, en tant que code universel elle s’adresse ainsi au plus grand nombre. Sur le Facebook de l’ASE, la mission Rosetta se positionne sur le registre de l’humoristique et de l’entertainment, à l’instar de nombreuses marques sur le réseau social. La chaîne Youtube propose à elle seule une communication du divertissement (reconstitutions 3D, créations sonores), une communication sérieuse de vulgarisation scientifique destinée à un public plus averti et disposé à s’informer sur format long (des vidéos de plus d’une heure autour d’intervenants de l’ASE) et une communication publicitaire (la campagne Ambition).

 
Ce court-métrage donne par ailleurs l’impression de vouloir réunir les ingrédients de la recette miracle du succès : les codes visuels du blockbuster de science-fiction et une personnalité en vogue (Aidan Gillen alias Little finger dans Game of thrones) présentant Rosetta comme le premier pas vers un futur évolué. Enfin, le compte Twitter agit comme un flux RSS centralisant les données de tous les autres réseaux sociaux et l’on y retrouve alors la totalité des publics et des niveaux de communication. La stratégie a été construite d’une part sur un temps étiré : comme la sonde Rosetta, la communication était en veille. Par l’intermédiaire des comptes Facebook et Twitter, l’ASE a essayé au fil des mois de diluer avec une certaine régularité le teasing de l’objectif final. Puis pendant les dernières semaines, c’est-à-dire dans le temps de l’immédiat, de l’imminent, la communication a pris de l’ampleur, en partie grâce à la transmission de photographies inédites de la comète dès la fin septembre sur Flickr. Un dialogue s’est instauré entre le compte Twitter de l’atterrisseur et celui de la sonde : personnifiés par l’utilisation de la première personne, les deux engins spatiaux ont par exemple joué le drame de la séparation alors que Philae se détachait de Rosetta pour descendre sur la comète. Ravivée, la communication sur les réseaux sociaux est parvenue à recréer une interactivité entre les scientifiques et les internautes malgré l’absence de progression de la mission en terme de contenu informatif. Cette événementialisation permanente a dynamisé la phase d’approche monotone de la comète. Le jour J, le dispositif de communication s’est décliné dans une mise en abîme de l’information. Premièrement, un chat twitter a été mis en place avec des responsables de la mission Rosetta, sur le site un live stream captait la salle de contrôle et la salle de conférence où défilaient en direct les intervenants et en dernier lieu les caméras de télévision retransmettaient l’ensemble de ces installations.
Pourtant ce dispositif complexe a souffert d’une vraie faille : la communication différée. Un évènement est ancré dans le temps présent, dans l’immédiat même, ce que sont censés appuyer le fil Twitter et le live stream. Or le signal émis par Rosetta voyageait pendant 28 minutes avant d’atterrir sur nos écrans. Le contrat de la communication en temps réel est comme rompu, les temps d’attente entre une commande et sa réponse sont interminables et le live s’étire pendant plusieurs heures. Cette rupture de l’instantanéité, habitude induite par les communications modernes, atténue rapidement l’excitation du moment historique. Ce support du direct était-il alors réellement adapté aux exigences du public d’une société de communication moderne ? En somme, le temps de la science est-il compatible avec notre perception du temps au XXIe siècle ?
Il ne l’est certainement pas pour les détracteurs d’une science qui communique et qui profite des outils modernes. C’est une science qui, par tout ce dispositif communicationnel, trahit l’idéal d’une vérité sans rabaissement à la vulgarisation voire pire, à la publicitarisation. Quoiqu’il en soit, la science évolue trop rapidement pour notre système d’enseignement, seule la vulgarisation scientifique est assez souple pour suivre le rythme du progrès. Toutefois, même simplifié, le langage scientifique technique constitue la véritable et première barrière pour le grand public. Celui-ci a en effet la particularité d’être monoréférentiel, par opposition au langage courant qui peut renvoyer à plusieurs sens, les termes scientifiques obéissent à la règle de biunivocité, c’est-à-dire que chaque concept est désigné par un seul signe et un signe ne peut renvoyer qu’à un seul et même concept. D’où la difficulté à communiquer avec un système de références inconnu du destinataire. Pourtant, il est bien nécessaire que ce dispositif communicationnel instauré autour de la mission Rosetta soit décliné dans tous les autres projets scientifiques d’importance, le progrès doit être diffusé et chaque citoyen doit trouver son compte dans un des niveaux d’information, du plus imagé aux discours les plus techniques.
Marc Blanchi
@mrcblki
Sources:
Les faces cachées du discours scientifique (dans la revue Langue française, numéro 64, 1984), Yves Gentilhomme
Rosetta.esa.int
flickr.com
Twitter.com
Facebook.com
Crédits images :
Instagram.com

froosties
Société

Société de consommation et symbolique des objets quotidiens

La symbolique des produits issus de la grande consommation est de plus en plus puissante et omniprésente dans notre quotidien, notamment en raison d’un processus de »dépublicitarisation ». Il s’agit d’une nouvelle forme de publicité qui « avance masquée », se fait plus discrète et s’immisce désormais à tous les niveaux de notre société. Si elle était déjà présente dans l’espace public elle investit à présent les institutions culturelles à l’instar du musée Haribo.
Mais comment expliquer cette ode contemporaine aux objets du quotidien, si longtemps négligés? Pourquoi mettons-nous aujourd’hui ces objets sur un piédestal ?Zoom sur une nouvelle tendance des plus étranges : la glorification des objets du quotidien.
Un phénomène déjà mis en évidence par A.Warhol et J.Baudrillard
Andy Warhol, artiste new-yorkais des années 1960, organisa une exposition autour des célèbres conserves de Campbell’s Soup. Grâce à la répétition d’images jusqu’à épuisement, le « pape du pop art » mettait en scène le pouvoir symbolique des objets du quotidien. Une manière innovante et efficace de jouer avec la société de consommation et ses excès pour en faire de véritables œuvres d’art.
Dix ans plus tard, Jean Baudrillard, sociologue et philosophe français, publiait deux ouvrages : Le système des objets et La société de consommation devenus des références dans les sciences de l’information et de la communication. L’auteur y analysait notamment le sens nouveau des objets du quotidien.
Malgré la justesse de leur vision, ces personnalités pouvaient-elles prévoir l’ampleur que prendrait ce phénomène ? Pouvaient-elles concevoir que nous collectionnerions un jour les objets du quotidien comme de véritables objets fétiches ? Le phénomène prend une ampleur telle, que la collection des objets triviaux est aujourd’hui parfaitement intégrée dans les stratégies des marketeurs et distributeurs.
Vers une mise en scène des objets du quotidien ?
Cette tendance semble être due à la manie 2.0 de mettre en scène notre quotidien sur les réseaux sociaux, et illustre bien le phénomène d’ »extimité de soi » décrit par Serge Tisseron qui consiste à mettre en avant une partie de son intimité.
Attention cependant : il n’est pas question d’afficher son quotidien tel quel : pas de photos montrant notre vaisselle qui s’amoncèle ! Il s’agit plutôt de partager des photos retouchées pour donner une touche vintage au dernier café branché déniché par nos soins. Bref, on magnifie notre quotidien et les objets qui nous entourent.
Dès lors comment expliquer l’importance grandissante que l’on accorde à des objets que nous jetions auparavant sans même un regard?
La chercheuse du GRIPIC, Caroline Marti de Montety, apporte un élément de réponse, en montrant dans l’essai nommé « La fin de la publicité ? » comment les marques sont impliquées dans les processus de productions médiatiques et culturelles. Elle énonce que « cette institutionnalisation de la muséification des marques est en cours ». Son étude lui permet de mettre en lumière le fait que les marques s’insèrent de plus en plus dans notre culture et sont omniprésentes dans notre société spectaculaire. Il semble donc normal que les produits que nous vendent les marques s’immiscent à leur tour dans notre vie, jusqu’à ce qu’on les affectionne, les chouchoute et les « starifie ».
L’impertinence du luxe : une nouvelle étape dans l’affirmation de cette tendance
Preuve que cette tendance existe, les marques de luxe, investissent à leur tour cette mouvance et la mettent à l’honneur dans leurs dernières collections.
En effet, Chanel a récemment organisé un défilé dans un faux supermarché; évènement analysé ici même dans un précédent article

Peut-on penser qu’avec une empreinte de marque forte, tout peut se vendre ? Suffirait-il d’apposer le miraculeux logo Chanel pour que des objets du quotidien prennent une valeur ajoutée ? Il semble que les marques aient décidé de surfer sur ce nouveau phénomène en intégrant les objets de la grande distribution dans leurs créations. Un processus qui magnifie encore plus ces objets jusqu’à les ériger au statut d’œuvre d’art consommable.
Cela n’aboutit pas pour autant à une démocratisation du luxe, bien au contraire ! Il se joue des codes, flirte de façon éhontée avec nos habitudes et avec notre modeste quotidien ! Ce n’est plus pour dénoncer la société de consommation mais définitivement pour la sublimer et nous provoquer! Warhol le visionnaire, avait proclamé dès 1975:  » tous les grands magasins deviendront des musées et tous les musées deviendront des grands magasins ». Une prédiction qui semble désormais, s’être bien tristement réalisée !
Analyse de cas : co-branding Anya Hindmarch et Kelloggs

Une illustration de cette tendance pourrait être le cas de co-branding entre les marques Anya Hindmarch et Kelloggs. En effet, la marque de maroquinerie Anya Hindmarch , reprend, dans sa nouvelle collection les motifs de la marque de céréales Kellogg’s. On observe ici un double phénomène: Anya Hindmarch reprend le motif des paquets de corn flakes et les boîtes de céréales vendues en magasin mettent en scène ses sacs. On ne sait presque plus faire la différence entre la boite de céréales et le sac en cuir haut de gamme. Ceci est donc la preuve que ce phénomène brouille la limite entre objet du quotidien et objet de mode.
Parfait ! Demain j’achète un paquet de Froosties que j’utiliserai en sac à main : économies à l’horizon !
Enfin, avant de vous débarrasser de vos objets du quotidien, songez que vous pourriez tenir entre vos mains, les reliques des musées de demain.

Clara Duval
Sources:
La fin de la publicité ? – Caroline Marti de Montety, Valérie Patrin-Leclère et Karine
Berthelot-Guiet
La société de consommation – Jean Baudrillard
Le système des objets – Jean Baudrillard
Wikipédia.fr
Instagram
Anya Hindmarch
Colette.fr
Leparisien.fr
Crédits photos:
Leparisdunechicfille.com
Amazonaws.com
beachpackagingdesign.com
joyana.fr

kama sutra
Société

De l'art, du sexe, du buzz : la débandade cul-turelle ?

 
Entre les performances d’art contemporain massivement relayées sur les réseaux sociaux et les expositions dont la promotion crée le buzz, les événements culturels puisent généreusement dans le registre du sexe pour aguicher le public et semblent ainsi utiliser un ressort publicitaire éculé pour se faire connaître. L’art serait-il destiné à devenir une marchandise comme une autre ?
Le boom des expositions cul-turelles
Comment prendre le métro parisien sans remarquer les innombrables affiches pour les expositions sulfureuses de la saison Automne-Hiver 2014 ? Au programme : le marquis de Sade au musée d’Orsay, le Kâma-Sûtra et l’amour au temps des Geishas à la Pinacothèque. Evidemment, la nudité et la sexualité sont loin d’être des sujets artistiques nouveaux. Et il n’est pas question dans ces expositions de choquer. Au contraire, l’exposition « Kâma-Sûtra, spiritualité et érotisme dans l’art indien » vise à faire découvrir cet ouvrage du IVe siècle sous un jour nouveau, à éclairer son approche de la spiritualité, loin de l’image d’un traité pornographique et salace, comme le souligne Alka Pande, le commissaire de l’exposition. La rétrospective sur le marquis de Sade est quant à elle composée d’extraits de son œuvre, illustrés par des toiles de Goya, Picasso, Rodin, Ingres… Point de subversion scandaleuse, en somme.

En fait, c’est davantage la communication mise en place autour de ces événements qui pose question. Les deux expositions de la Pinacothèque laissent entrevoir leur postulat : le sexe attire. Mais c’est sans doute le musée d’Orsay qui joue le plus sur cet attrait, en réalisant une vidéo de promotion érotique. Dans celle-ci, des corps nus s’étreignent. Cette vidéo ne laisse personne indifférent : on est choqué, sidéré, touché. Le buzz généré par celle-ci, sanctionnée sur YouTube par l’interdiction aux mineurs, montre que le musée a vu juste en jouant sur le caractère mobilisateur du sexe, comme il l’avait fait pour son exposition Masculin/masculin dont la vidéo avait elle aussi été censurée. Ce qui dérange, c’est l’utilisation par une institution culturelle de ressorts intimement liés à la publicité. Le procédé est gros, énorme, même. Or le fait d’utiliser des procédés communs à la publicité fait entrer l’art dans le commercial, le transforme en marchandise.

L’art et la manière de faire le buzz
L’art contemporain et notamment les « performances », fonctionnent par l’étonnement, le choc ou la perplexité d’un public. On pense par exemple au sapin aux airs de plug anal exposé sur la place de la Concorde pendant la FIAC, la Foire d’Art Contemporain à Paris. Mais quand Milo Moiré assure «évoquer la création de la peur», nous, nous voyons avant tout une femme nue en train de pondre, avec son vagin, des œufs remplis de colorant qui s’éclatent mollement sur une toile blanche. Cette artiste suisse a marqué les esprits avec sa performance à l’Art Cologne 2014 et ce qui est sûr, c’est que même si on n’est pas passionné d’art expérimental ou voyeur, il a été difficile d’échapper à ses vidéos qui ont circulé sur tous les réseaux sociaux. Dans la même veine, l’australienne Casey Jenkins avait fait le buzz après avoir tricoté avec de la laine préalablement introduite dans son vagin et imbibée de sang menstruel.

La débandade culturelle ?
En fait, selon la sociologue de l’art Nathalie Heinich, « l’utilisation du vocabulaire de la transgression, et notamment de la culture pornographique […] rend ces œuvres accessibles aux néophytes. » On observe ainsi un engouement sans précédent pour l’art contemporain, en particulier pour les performances. Mi-octobre, par exemple, 500 000 visiteurs se sont pressés dans les espaces dédiés à la performance de la FIAC. Et tout au long du mois d’octobre, d’innombrables sites d’informations et journaux ont publié des articles intitulés « Comment parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? ». La question ne serait-elle pas plutôt « Pourquoi vouloir parler d’art contemporain quand on n’y connaît rien ? » ? Cette popularisation de l’art contemporain est, en réalité, biaisée. Car si la transgression exposée un peu plus haut est suffisante pour faire le tour de YouTube, ces performances n’intéressent pas véritablement le monde de l’art. Elles sont périphériques et n’ont d’ailleurs fait parler d’elles que sur les sites d’information généralistes et les réseaux sociaux. Difficile de croire donc à un art mis en danger par une « publicitarisation » d’événements marginaux…
 
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
Le Monde, « Le Kama-sutra, lointain souvenir du désir », samedi 15 Novembre 2014
konbini.com
Stylist n° 067, « Quand la performance étouffe l’art », 30 octobre 2014
Crédits images :
amessagetoindia2.wordpress.com
offi.fr
Crédit vidéo :
DailyMotion

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Société

Art selfie : de l'Art à l'Arrière-plan

 
De passage à Paris en octobre dernier, Jay-Z et Beyonce se sont offert le luxe de poser devant la Joconde. On ne compte plus les likes et les retweets de cette photo, caractéristique du mouvement « Art Selfie » : il s’agit simplement de faire un selfie devant une œuvre d’art. D’après le New York Times, cette pratique tirerait son origine de la Frieze, foire londonienne d’art contemporain, en 2012. Depuis, elle ne cesse de s’ériger en tendance de fond : le collectif new-yorkais DIS en a même fait un livre, intitulé #ArtSelfie, paru le 27 octobre dernier. A l’heure où nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le caractère esthétique de nos selfies, le Art Selfie pose de nouvelles questions. De quels enjeux l’Art Selfie est-il porteur ? Quelles sont les conséquences de cette pratique sur l’œuvre d’art d’une part, et sur le concept même de selfie d’autre part ? Faut-il voir dans l’Art Selfie la dilution de l’œuvre d’art dans la représentation instrumentalisée de celle-ci, ou au contraire une nouvelle forme esthétique, caractérisée par une alliance entre art contemporain et culture populaire ?
« La culture, c’est fun »
La pratique de l’Art Selfie remonte déjà à quelques années. Mais elle ne s’est érigée en tendance de fond que suite à la création, le 22 janvier dernier, du « Museum Selfie Day », à l’initiative de Marlène Dixon. Cette passionnée de musée voulait « montrer que la culture, c’est fun ». Il s’agit en fait de « dédramatiser » les musées, comme l’explique la directrice de la communication du musée de Cluny dans un article paru dans Libération. Le récent succès du Art Selfie de Beyoncé et Jay-Z, ainsi que la sortie du livre #ArtSelfie montre que cette tendance semble s’imposer. Tendance encouragée par les musées eux mêmes, qui y voient un moyen de faire interagir les visiteurs avec les œuvres d’art, et ainsi de favoriser leur communication : « nous voulons encourager la participation des gens qui nous suivent sur les réseaux sociaux » explique la directrice du musée des Beaux-Arts de Lyon, dans Libération. Mais que nous dit en réalité le succès de cette tendance sur la nature même de l’Art Selfie ? De quoi ce succès, qui se traduit par un regain d’intérêt pour les musées, est-il le nom ?
L’œuvre d’art à l’arrière-plan
La nature même de la pratique de l’Art Selfie pose un certain nombre de problèmes quant à la valeur de l’œuvre d’art. Il suffit d’ouvrir le livre récemment paru intitulé #ArtSelfie pour s’en convaincre : les gens qui se prennent en selfie ont le dos tourné à l’œuvre. Le musée devient un lieu où l’on se promène en tournant le dos aux œuvres d’art. L’œuvre d’art n’est plus regardée, elle n’existe plus pour elle-même. Ce phénomène opère donc une redéfinition du rapport entre l’œuvre et le spectateur. Michael Fried, dans La place du spectateur, explique que l’œuvre d’art n’existe que par la présence du spectateur. En ce sens, faire un Art Selfie, et donc tourner le dos à l’œuvre, c’est nier son rôle de spectateur, et par conséquent c’est nier à l’œuvre son statut d’œuvre d’art. Le véritable spectateur, c’est celui qui observe le résultat : non pas une œuvre d’art, mais la représentation de celle-ci, reléguée au rang d’ornement d’un selfie qui se donne ainsi une caution arty. Le seul art de l’Art Selfie, c’est « l’Art de se montrer » (Stylist).

La violence de l’ArtSelfie
Ainsi, l’Art Selfie semble démontrer une volonté d’instrumentalisation de l’art pour donner une valeur ajoutée au simple selfie. Mais que nous dit cette volonté de donner une caution arty au selfie sur le selfie lui-même ? Si le preneur de selfie ressent le besoin d’associer à son selfie une œuvre d’art, c’est peut-être parce que celui-ci n’existe pas en soi. Le selfie, pour exister ( au sens de sortir –de) de son image d’autoportrait narcissique, recherche un prétexte qu’il trouve en la présence de l’œuvre d’art. Le selfie, recherchant cet appui, témoigne d’un manque; manque s’opposant cependant à la plénitude de l’œuvre. Tout se passe comme si le selfie avait besoin de ce qui n’a pas besoin de lui pour exister. L’Art Selfie est un mariage forcé entre un selfie et une œuvre d’art. En ce sens, l’Art Selfie est porteur d’une charge très violente : la représentation de soi devant l’art est capable de tuer le caractère esthétique de l’œuvre.
Du spectateur au spect’acteur
Au-delà d’une simple critique esthétique de la notion d’art selfie, le fait que la pratique de ce dernier se soit érigée en tendance invite à se poser d’autres questions. L’Art Selfiene témoigne-t-il pas de ce que Walter Benjamin appelait dès 1935 dans L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité, la déperdition de l’aura de l’œuvre d’art ?
Mais il faut aller plus loin qu’une simple critique. Peut-être peut-on voir dans l’Art Selfie une nouvelle forme esthétique, un changement du statut de l’œuvre d’art : si celui qui se prend en selfie devant une œuvre d’art n’est plus spectateur, il devient spect’acteur. Marcel Duchamp disait que le spectateur complète le travail de l’artiste. C’est peut-être parce qu’il illustre bien ces propos que l’Art Selfie a autant de succès et s’érige en tant que nouvelle forme d’art contemporain.
 
Alexis Chol
Sources :
artselfie.com
news.artnet.com
news.artnet.com
tmagazine.blogs.nytimes.com
jean-boite.fr
francetvinfo.fr
newt.liberation.fr

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Société

Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle

 
Face à la dénonciation croissante de l’utilisation de la maigreur comme égérie de la mode, la marque suédoise H&M a créé l’événement en introduisant des mannequins taille réelle dans le rayon lingerie d’un de ses magasins en Suède. Par cette action symbolique, le pays a ainsi démontré son ouverture d’esprit et son émancipation face aux diktats de la mode. En effet, si la Suède a sauté le pas, la majeure partie du monde de la mode ne semble toutefois pas encore disposée à valoriser une image de la femme et de la beauté dont le critère majeur serait autre que la minceur. De cette façon, l’initiative de la marque a eu immédiatement son effet sur les réseaux sociaux et nombreux sont les internautes (hommes et femmes) à saluer cette action :
« Enfin des personnes qui savent apprécier ! Beauté ne rime plus avec maigreur … »
« Enfin ! Si cela pouvait arrêter cette folie anorexique chez nos adolescentes ! »
En effet, cette image de la beauté véhiculée par l’ensemble des médias n’est pas anodine et sans conséquences, notamment concernant les adolescentes, qui seraient plus enclines à sombrer dans l’anorexie. Nombreuses sont ainsi celles qui ripostent sur les réseaux sociaux pour dénoncer ce diktat d’une beauté uniforme, valorisant un type unique de morphologie plutôt que les spécificités de chacune.
The perfect body
Cependant, si le géant du vêtement semble vouloir changer peu à peu les choses en matière de représentation féminine, il n’en est pas toujours de même ailleurs. La célèbre marque américaine de lingerie Victoria’s Secret s’est en effet récemment illustrée dans un scandale lié à sa dernière campagne de communication, The Perfect Body, illustrant toute une ribambelle de femmes prenant la pose en sous-vêtements. Jugée comme inacceptable par bon nombre d’internautes, la campagne fait alors un tollé et provoque la création d’une pétition, qui récolte plus de 14500 signatures. Victime d’un véritable bad buzz, la marque s’est ainsi retrouvée assaillie de critiques négatives, à tel point que cette dernière a dû faire marche arrière, préférant « A body for everybody » à son précédent slogan, jugé trop polémique.

« Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt »
Dans le même registre, on se souvient de Brooke Birmingham, cette jeune illinoise de 28 ans, ancienne obèse, ayant réussi le pari de perdre durablement plus de 80 kilos. Jeune femme désormais épanouie, fière de son nouveau corps et bien dans sa peau, son histoire a tout d’une success story comme en raffolent les médias. Lorsque le magazine Shape la contacte pour raconter son histoire, la jeune femme y voit alors l’occasion d’y partager son histoire, porteuse d’optimisme. Et pourtant. Brooke déchante rapidement lorsque le magazine décide de censurer la photo où elle pose en bikini, les mains sur les hanches, fière d’un corps portant les signes de sa métamorphose. « Vous être superbe bien entendu, mais ils aimeraient en publier une de vous en t-shirt ». La jeune femme comprend alors rapidement la triste réalité à laquelle elle fait face : même avec 80 kilos de moins, son corps ne correspondra jamais à l’idéal prôné par les médias.

Face à ce diktat de l’apparence, l’actrice Keira Knightley s’est récemment insurgée contre cette maladie de la retouche Photoshop dont elle a de nombreuses fois fait les frais. « J’ai vu mon corps être malmené tant de fois et pour tant de raisons différentes, que ce soit par des paparazzi ou sur des affiches de films. Je suis d’accord pour faire des shootings topless, tant qu’on ne me retouche pas, moi ou mes seins. Parce qu’il me semble important de dire que ce n’est pas la forme qui compte ». L’actrice, qui ne semble visiblement pas apprécier de voir son physique retouché à maintes reprises sans raisons valables si ce n’est pour les besoins du marketing, a ainsi accepté de poser topless pour le magazine Interview à la seule condition que son corps ne soit absolument pas retouché par la suite. Magazines, vous voilà prévenus.
« I want to show that average is beautiful » : making Barbie a real woman
Prenant le contrepied de ces dérives de la presse magazine, le designer américain Nickolay Lamm s’est récemment lancé dans la création d’une poupée aux proportions plus réalistes que celles de notre chère copine Barbie. Avec sa silhouette élancée et ses longs cheveux blonds platine, la Barbie avec laquelle nous avons grandi est en effet loin de ressembler à la majorité des femmes. C’est la raison qui a poussé Nickolay Lamm à créer Lammily, un équivalent de Barbie version réaliste, qui a été conçue selon les mensurations moyennes d’une jeune fille de 19 ans établies par le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (la principale agence gouvernementale américaine en matière de protection de la santé et de la sécurité publique).

Pour le côté réaliste de sa poupée, Lamm a dans un second temps créé une palette de stickers qu’il est possible de coller et d’enlever à sa guise : taches de rousseur, cicatrices, boutons, pansements adhésifs, tatouages, blessures, ou encore piqûres de moustiques, à vous de customiser comme il vous plaît votre poupée. Avec ce nouveau modèle, Lamm espère montrer que les différents types de morphologies sont à la fois naturels et beaux. Il dénonce la forte ressemblance de toutes les poupées, raison pour laquelle il souhaite leur donner une touche réaliste.
Si l’ensemble de ces revendications ciblant le diktat d’une beauté féminine uniforme encouragent visiblement l’évolution des mentalités, les médias – et particulièrement les magazines – s’inscriront-ils également dans cette voie du changement ? On peut espérer que les défenseurs d’une beauté non standardisée finiront par obtenir gain de cause, mais il est cependant encore trop tôt pour l’affirmer. Affaire à suivre.
Pauline Flamant
Sources :
express.be
thecreatorsproject.vice.com
facebook.com/minutebuzz
buzzfeed.com
journaldesfemmes.com
dailymail.co.uk
huffingtonpost.fr
Crédits photos :
Victoria’s Secret
brookenotadiet.com
nickolaylamm.com

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Société

No Shave November: une tendance au poil!

 
Si le mois d’octobre est rose le mois de novembre, lui, sera poilu !
En effet, depuis quelques années, le trend du mois de novembre, c’est le #NoShaveNovember. Si l’expression parle d’elle-même, un petit rappel s’impose: il s’agit d’inciter les hommes à se laisser pousser la barbe durant tout le mois de novembre, pour la bonne cause. Enfin si cette tendance ne change pas uniquement le physique de ces messieurs, elle aspire surtout à sensibiliser les publics aux cancers masculins dont on parle trop peu souvent.
La moustache et le financement participatif
A l’origine de cette tendance, il y a l’organisation Movember, née au début des années 2000. Sur la simple initiative d’un groupe d’amis qui se laissent pousser la barbe pendant un mois, le mouvement Movember devient rapidement une façon de se mobiliser pour la lutte contre les cancers masculins, notamment le cancer de la prostate. Le mouvement rencontre alors un franc succès et devient un organisme à part entière, la « Movember Foundation Charity ».
Dès lors, d’autres organisations voient le jour, notamment la No Shave November, soutenue par l’American Cancer Society. Cette organisation résulte d’un double objectif : sensibiliser à la « santé masculine » tout en prenant plaisir à le faire, comme le dit Rebecca Hill, l’une des fondatrices de No Shave November.
Par le biais de dons ou en participant à de nombreux événements; à l’université, au travail, ou encore sur les réseaux sociaux, toutes les formes d’implications sont bonnes pour devenir un Mo Bro ou une Mo Sista et ainsi lever des fonds destinés à la recherche sur les maladies qui touchent exclusivement les hommes. Jusque-là, Movember a levé plus de 409 millions de dollars aux Etats-Unis et près de 322 000 (dollars) en France et continue de mobiliser les différents publics autour de cette cause. On notera cependant que la France reste le « plus mauvais élève » alors qu’elle enregistre le taux le plus élevé de cancers masculins au monde (835 hommes sur 100 000).
Fortes de ce succès, ces organisations sont soutenues par des figures médiatiques et sportives, à l’image de Fabien Chivot (chef du restaurant Moustache) ou encore du Top 14. Une belle initiative qui mêle sensibilisation, humour et virilité !

Les Racingmen mobilisés pour Movember par racingmetro92

Une tendance qui dépasse l’enjeu caritatif

Si la barbe et la moustache font agir pour la bonne cause, elles servent aussi les stratégies des marques et inspirent de nouveaux concepts.
La moustache revient donc à la mode après être longtemps tombée dans l’oubli et associée à l’archétype du « ringard ». Désormais déclinée sur tous les supports, les objets publicitaires, la décoration, le prêt-à-porter, la moustache est perçue comme « le petit plus » branché qui donne leur côté « preppy » aux pseudo-hipsters. Rien à voir avec la moustache de Salvador Dali ou celle d’Hulk Hogan! Aujourd’hui, la moustache est incontestablement « in »: des noms d’agences, aux restaurants en passant par le retour en force des barber shops, elle est désormais devenue incontournable. Peut-être même trop. Des « giftbox » dédiées à l’art du rasage aux conseils mode de la rubrique Style Académie du dernier GQ, la moustache est bichonnée, soignée et surtout bien taillée.
Même le digital se l’approprie: on pense, entre autres, à Lumia qui a tout récemment, lancé une campagne de « Selfie Stach » sous forme de concours, qui consiste à poster des photos de soi, paré de sa plus belle moustache.
Pour mieux comprendre le phénomène, l’infographie ci-contre fait la lumière sur cet attribut typiquement masculin ! (donc Messieurs, aucune d’excuse pour ne pas vous mettre aussi au Movember!)
Une mobilisation éphémère ?
Le seul obstacle au succès que rencontre Movember pourrait être le caractère éphémère de ce genre de phénomènes ; on pense alors au « Ice Bucket Challenge », à la campagne « Kony 2012 » ou encore au récent «#WakeUpCall » qui ont vite lassé les internautes. Cependant, Movember reste, par définition, une mobilisation relativement ponctuelle et s’inscrit alors dans une dynamique récurrente sans pour autant être omniprésente.
Si cette tendance de l’homme à la pilosité faciale abondante et/ou maîtrisée au millimètre près est aujourd’hui un phénomène en plein essor, elle est aussi un moyen de faire passer un message fort et fédérateur autour d’une cause très peu souvent
médiatisée qu’est la santé masculine. Barbant ou dans le vent? A vous de trancher !
Alors Messieurs, à vos barbes, prêts, rasez!

 
Alizé Grasset
@: Alizé Grasset
 
Sources :
Lhommetendance.fr
No-shave.org
Neo-sapiens.fr
ca.november.com
Lerugbynistere.fr
Journalmetro.fr
Menlook.fr
Goodmorningcrowdfunding.com
Crédits images:
blog.briteskies.com
cdn.movember.com
Menlook.fr
Journalmetro.fr
9buz.com

Consommation collective
Société

La consommation collective ou le Human to Human

 
Qu’elle concerne la mutualisation des biens, ou des savoirs, la consommation collaborative, autrement dit le human to human, pèserait aujourd’hui plus de 3 milliards d’euros, d’après une estimation annuelle de Forbes en 2013. Fort d’une croissance de près de 25% en 2013, ce phénomène porte désormais un nom: la consommation collaborative (la sharing economy). Et en voici le nouveau messie : il s’appelle Jeremy RIFKIN, et avec son dernier ouvrage La nouvelle société du coût marginal zéro, il poursuit son œuvre sur « la troisième révolution industrielle ».
Aujourd’hui, un marketing hyper-puissant, des informations envahissantes et une publicité omniprésente nous incitent à nous remettre en question : qu’est-ce qui au juste, compte vraiment à nos yeux?  Posséder était, jusqu’il y a quelques années, le moyen ultime de manipuler les univers de signes véhiculés par les objets, ce qui nous permettait de nous affirmer au sein de notre société. Mais en remettant en question cette échelle de valeurs, beaucoup d’entre nous, dépassés par ce dictat fétichiste, avons reconsidéré nos priorités. Oui, nous sommes de plus en plus nombreux à considérer  que l’expérience prévaut sur la possession en tant qu’accomplissement ultime de notre singularité. Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que peut-être il avait été nécessaire de remettre en question nos modes de consommation affolés, pour se rendre compte que d’autres possibilités s’offraient à nous.
Emmène-moi, aidons nous, partageons nos projets
Tous les domaines de notre vie quotidienne sont touchés, depuis la consommation la plus basique de biens alimentaires (réseau des AMAP, La Ruche qui Dit Oui), en passant par les transports (Blablacar), au financement de projet (KissKissBankBank, Ulule, Kickstarter…), aux services, et à la remise en cause des institutions et des monopoles du marché. Pour des exemples concrets de projets collaboratifs, c’est ici que ça se passe.
L’émergence de cette économie s’accompagne d’un nouvel élan dans les métiers de la communication. Il s’agit désormais de recréer du lien entre les humains, de remettre en avant les qualités et les avantages des objets : oui, ces derniers ont le droit à une deuxième vie, et grâce à eux, nous aspirons à de nouveaux contacts humains.
La fin du gratuit ?
Attention cependant ! La consommation collaborative reste avant tout une nouvelle manière de consommer. Le futur envisagé est fondamentalement différent de celui que notre génération et celles qui nous ont précédées  ont, jusqu’alors, imaginé. Mais certains penseurs nous mettaient déjà en garde : pourrait-on envisager que dans une société où tous les services sont optimisés, connectés et payants, les gens ne soient plus capables de se rendre service gratuitement ? C’est une interrogation intéressante. A moins que l’évolution de  l’économie ne laisse place à une autre forme de monnaie d’échange ou de troc (comme c’est déjà le cas dans des réseaux spécifiques ou il s’agit d’échanger des biens et des services similaires), les discriminations purement d’ordre financier n’en seraient que prolongées. Et la problématique de l’accès à cette nouvelle forme d’économie deviendrait la principale barrière à l’ouverture de ces méthodes de consommation au plus grand nombre.
Comment s’adaptent les industriels face à ce nouveau pan de l’économie ?
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est la réaction des industries actuelles face à la menace que constitue pour elles l’économie du partage. En encourageant la mise en commun des connaissances et des savoirs cette économie du partage  créé de nombreuses opportunités, mais du même coup, réduit les débouchés sur le marché du neuf. A court terme, le constat est alarmant pour les entreprises installées, et il faut réagir vite. C’est pourquoi, les firmes ont d’ores et déjà commencé à riposter, parfois en encourageant les start-up prometteuses (Start’inPost à La Poste), ou en constituant au sein de leur entreprise un laboratoire d’innovation, comme pour l’entreprise Castorama avec Les Troc’Heures . C’est donc un nouveau défi dont les marques se sont saisies.

Des thinks-tanks spécialisés dans le conseil stratégique et l’accompagnement de ces firmes dans leur transition vers cette nouvelle économie (tel que Crowd Compagnies) sont apparus. Ce bouleversement concerne tant les produits et leur distribution que les méthodes de recrutement au sein des entreprises, le management – qui tend à devenir plus participatif-, les nouveaux modes de communication et l’expression positive de la marque envers les consommateurs. En effet selon les sondages, beaucoup de consommateurs pensent avoir trop de matériel, et se sentent encombrés par pléthore d’objets inutiles. En somme, nous voulons consommer en accord avec nos valeurs.
En ce qui les concerne, les marques n’ont pas seulement à faire face à un changement au niveau des débouchés, mais elles doivent se légitimer au sein de la Cité, auprès des consommateurs, qui cherchent désormais à donner du sens à leurs actes d’achat.
Cela passe essentiellement par la promotion de leur démarche environnementale au cœur de campagnes publicitaires grand public, au prix d’un green washing général … La marque Le Chat a justement récemment fait les frais de cet excès de respect envers la nature, accusée de promettre des vertus écologiques non tenues.

Quoiqu’il en soit, l’économie collaborative serait un bon pas à franchir vers une économie plus respectueuse de l’environnement et socialement plus généreuse. Cependant, nous devons veiller à ce que les valeurs de départ ne soient pas systématiquement instrumentalisées, et détournées pour masquer une finalité mercantile. L’économie collaborative, c’est encore un système d’hyperconsommation qui marquera, dans le meilleur des cas, une étape vers l’autonomisation des citoyens. Affaire à suivre…
 
Lucie Jeudy
 
Sources :
 
Jean Baudrillard, La société de consommation, Folios, collection Essais, 1970, 316 pages.
Rachel Bosman What’s mine is yours: the rise of collaborative consumption.
Anne-Sophie Novel, La vie share mode d’emploi : consommation, partage et modes de vie collaboratifs, Manifestô, 2013
liberation.fr
legroupe.laposte.fr
observatoiredelapublicite.fr
influencia.net
influencia.net
 
Crédit photos : 
 
web-strategist.com
2.bp.blogspot.com
observatoiredelapublicite.fr
Pour aller plus loin :
Reportage « Global Partage » :